Anonyme [1649], ADVIS D’VN BON PERE HERMITE, DONNĖ A VN AVTRE SVR LES MALHEVRS DV TEMPS. , françaisRéférence RIM : M0_501. Cote locale : A_2_25.
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ADVIS
D’VN BON PERE
HERMITE,

DONNĖ A VN AVTRE
SVR LES MALHEVRS
DV TEMPS.

A PARIS,
Chez CLAVDE HVOT, ruë S. Iacques,
proche les Iacobins, au pied de Biche.

M. DC. XLIX.

AVEC PERMISSION.

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ADVIS D’VN BON PERE
HERMITE DONNÉ A VN AVTRE
SVR LES MALHEVRS DV TEMPS.

MON FRERE,

Que ie vous estime heureux d’auoir choisi le lieu
de vostre retraite loin de la mienne, & que c’est estre
esloigné des obiets de l’horreur & de la pitié que de
l’estre maintenant de cette pompeusé & superbe Ville,
ou l’on n’auoit accoustumé de voir que des obiets
de contentement, & de l’admiration, que vostre desert
est plus agreable que nostre campagne, & que
les bestes y sont moins farouches que les hommes ne
sont en ce pays. Ie n’aurois garde de troubler le repos
de vostre sainte solitude par de si mauuaises nouuelles,
si ie ne me sentois obligé en conscience de vous les
apprendre, & de vous exhorter à ioindre vos prieres
aux miennes, & à celles de tous les gens de bien. C’est
à present que nous deuons leuer les mains, les yeux &
le cœur au Ciel pour luy demander grace. La colere
de Dieu ne pouuoit pas éclatter plus rudement sur
nous, que de permettre qu’on allumast le feu d’vne
guerre intestine, qui nous menace d’vn embrazement
vniuersel. Encore vn coup, Mon frere, que

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ie vous estime heureux de n’entendre point le bruit
des Tambours & des Trompettes, qui vient iusqu’à
moy, & qui fait retentir les echos de mon rocher.
Qui eut iamais crû qu’à deux lieuës de Paris vne personne
de nostre profession eut apprehendé les Allemands,
& les Polonois, que les villages d’alentour
eussent esté exposez aux plus sanglantes fureurs de nos
ennemis, & que la Ville capitale du Royaume fut
menacée d’vne desolation pareille à celle des frontieres,
non feulement du consentement des Princes les
plus considerables, mais encore par leur ordre ? Vous
auriez peine à croire cela, si quelque personne inconnuë
vous l’escriuoit ; moy mesme i’aurois de la
peine à me le persuader, si mes yeux, & mes oreilles
ne m’en auoient fait vn si fidelle rapport, qu’il m’est
impossible d’en douter.

 

La façon dont i’en appris les premieres nouuelles
est si extraordinaire, qu’elle merite bien que ie vous
la raconte. Il y a enuiron dix iours que sur les huit
heures du soir m’estant prosterné deuant vn Crucifix
pour entrer dans le sacré colloque, que nous auons
auec Dieu par le moyen de la priere, comme ie voulois
passer à la meditation, i’entendis frapper rudement
à la porte de ma cellule, ie ne suis pas monté à
ce haut degré de perfection, ou l’ame est enleuée du
corps, & la personne deuient insensible sans mourir
par la force de son applicatiõ, i’entendis donc le bruit,
& ie crûs d’abord que c’estoit le commun ennemi des
hommes qui me vouloit interrompre, & me priuer
du goust & de la consolation que nous auons dans

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exercices. De sorte que m’estant resolu de tenir ferme,
i’entendis vn second bruit plus grand que le premier,
& l’impatiance de ceux qui heurtoient se fit cognoistre
par des coups de pied qui eussent enfoncé ma porte,
si ie n’eusse couru leur ouurir. Ce fut lors veritablement
que ie me laissay aller à ma premiere opinion,
& que ie pris deux hommes pour deux demons,
tant à cause de leur mine que de leur langage.

 

C’estoient vn Allemand, & vn Polonois, qui mélant
fort peu de latin à beaucoup de leur langue maternelle,
& me parlant tous deux à la fois ne m’eussent
pas donné le loisir de leur respondre, quand mesme ie
les eusse entendus. Tout ce que ie pûs faire ce fut de
cognoistre que c’estoient des Estrangers. Vous sçauez,
mon frere, qu’ils sont tousiours les bien-venus
chez les François, & ie vous aduoüe que les voyant
fort mal vestus dans la rigueur de la saison ou nous
sommes, ie sentis vne tendresse que ie n’ay pas pour
les pauures de nostre pays. C’est en quoy ie recognois
que ie n’ay pas quitté le vieil Adam, & que i’ay moins
profité que vous dans les exercices de la solitude, puisque
ie sens encore cette foiblesse Françoise, qui nous
fait plus estimer, & mieux receuoir les estrangers que
nos compatriotes. Ce seroit vne curiosité trop affectée,
que de vouloir penetrer plus auant pour rechercher
la cause de cette maladie, qui a souuent failly à
nous estre mortelle. Mes deux hostes estoient blessez,
ce que ie connus tant par le sang qui auoit coulé
de leurs playes, que par leur propre declaration ; car
comme nous vismes que nous auions tous quelque

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connoissance de la langue latine, nous nous en seruismes
le mieux qu’il nous fût possible. Ce fut alors
que leur discours m’estonnerent, & me surprirent
bien plus que leur arriuée, ny que leur equipage, lors
qu’ils me dirent que c’estoient les personnes les plus
hautes, & les plus eminentes de France, qui auoient
mandé leurs trouppes peur le degast, & pour le pillage
des dehors de Paris, & mesme du dedans s’ils pouuoient
triompher de cette merueille de l’vniuers :
mais qu’on ne leur auoit pas tenu parole, en ce qu’on
les auoit appellez comme à vne conqueste asseurée, &
que neantmoins ils voyoient bien qu’il la faudroit
disputer, puis qu’on mangeoit encores du pain, &
qu’il s’y faisoit tous les iours des leuées de gens de
guerre, qu’il y auoit des plus vaillants, & des plus sages
Capitaines du monde, qu’il y auoit entre-autres
vn Beaufort qui ressembloit à vn lion déchainé, depuis
qu’il estoit sorti de prison, & que le Generalissime
ne cedoit à son frere que pour les auantages de
l’experience. Que le Parlement & le peuple y estoient
de tres bonne intelligence, & que le reste des Prouinces
se declaroit pour eux. Ils me dirent mesme qu’ils
ne doutoient point que si l’autheur de tous ces desordres
eut preueu toutes ces suites, ils ne les eut pas fait
sortir de leurs garnisons, non plus que le Roy de son
Palais. Ils m’en eussent dit dauantage sans leurs blessures,
dont ils ne m’entretindrent point, ils me demanderent
seulement s’il n’y auoit point de Chirurgien
plus prés qu’à Meudon, & leur ayant dit que
non, ils m’en demanderent le chemin, ie le leur enseignay,

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dont ils me remercierent : Et par vn acte de
gratitude me dirent qu’ils me conseilloient de me retirer
en quelque lieu d’asseurance, qu’il y auoit parmy
eux des hommes qui n’auoient rien d’humain
que la figure, & que les Generaux leur ayant promis
l’impunité de toute sorte de violences, ils n’épargnoient
pas mesmes les personnes religieuses de l’vn,
ny de l’autre sexe : & qu’ils en auoient veu à qui de
leurs camarades auoient fait mille indignitez.

 

Dieu m’est témoin, mon frere, que le déplaisir que
i’eus qu’il fut si fort offensé par des Chrestiens, surpassoit
de beaucoup ma frayeur, & mon estonnement.
Quoy que nous ne deuions pas auoir grande
curiosité pour les affaires de la terre, neantmoins ie
vous confesse que la mienne n’estoit pas petite, touchant
le suiet de cette malheureuse dissension. Ie m’en
allay donc à S. Cloud, où ie l’appris d’vn fort homme
de bien, qui vit dans le monde comme s’il n’y estoit
pas, & qui garde dans les compagnies les austeritez
de la solitude.

En peu de mots vous sçaurez que la nuit des Roys
le nostre fut enleué par le Cardinal Mazarin, & autres
personnes mal-intentionnées au bien de l’Estat,
& qui n’ont autre but que de contenter leur ambition,
& leur auarice, & dautant que le Parlement de
Paris, qui est le plus illustre corps de l’vniuers, s’est genereusement
opposé à de si prodigieuses violences, la
passion du ressentiment les a portez à degarnir iusques
aux frontieres pour affamer Paris, & à exposer
vne partie du Royaume pour ruiner l’autre. Vous me

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reprocherez que i’en dis trop pour vn homme de nostre
profession ; mais il estoit necessaire de vous donner
cette connoissance, pour vous iustifier vn party
pour lequel vous n’auriez garde de solliciter le Dieu
des armées, si vous ne croyez sa cause iuste. L’on m’a
dit que l’incomparable Sorbonne alloit prononcer
en sa faueur, & ie n’en doute pas, puis qu’il ne s’est
formé que pour retirer son Prince d’entre les mains
des rauisseurs, que loin de choquer son authorité, il la
veut affermir, & déliurer de l’vsurpation d’vn fauory ;
& qu’enfin la politique toute genereuse & toute
des interessée ne regarde que la gloire de Dieu, & l’auantage
de cette Couronne. Priez donc, mon frere,
pressez, sollicitez auec ferueur ; car vous sçauez bien
que les hommes n’ont point d’autres armes pour se
deffendre de leur createur en colere, & que c’est vne
chose tres certaine, que nos larmes, & que nos soûpirs,
qui ne seruent ordinairement qu’à rendre nos
ennemis plus orgueilleux, ne manquent iamais de
l’appaiser.

 

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