Anonyme [1649], ADVIS DE L’AME DV MARESCHAL D’ANCRE, A L’ESPRIT DV CARDINAL MAZARIN. Touchant la resolution qu’il doit prendre sur les troubles qu’il a nouuellement suscitez en France. Les veritables morts en la grace conseilloient Saül pour le perdre, veu qu’il auoit mit toute sa consience en des hommes vaillans & aguerris, & qu’il ne consultoit que de Demons & des Sorcieres. 1. Sam. 13. 2. 28. 7. & 8. , françaisRéférence RIM : M0_505. Cote locale : A_2_40.
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ADVIS DE L’AME DV
Mareschal d’Ancre, à l’Esprit du
Cardinal Mazarin.

Touchant la resolution qu’il doit prendre
sur les troubles qu’il a nouuellement
suscitez en France.

Les veritables Morts en la grace conseilloient Saül pour le perdre,
veu qu’il auoit mis toute sa consience en des hommes vaillans & aguerris,
& qu’il ne consultoit que des Demons & des Sorcieres. 1. Sam.
13. 2. 28. 7. & 8.

MONSIEVR,

Vostre renommée ne se contente pas
d’enuironner toute la terre, ainsi que celle
d’Alexandre. Le vague de l’air fait vanité de
la contenir : & les espaces imaginaires l’attendent
auec des impatiences extremes. Pluton, Proserpine,
& toutes les Manes de cét Empire ne s’entretiennent
plus que de vos exploits, ny ne s’occupent plus
qu’à vous preparer icy bas, vne eternelle demeure. Il
n’est pas iusques à la moindre des Furies qui ne souhaite
auoir l’honneur de vous voir, & de vous consacrer ses
veilles & ses soins, auec des impatiences extremes. La
seule Nourrice de nostre Souuerain en sera bannie pour
vostre respect ; & le Dieu du mont Gibel son Neueu sera
continuellement autour de vous, afin d’empescher

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que nos ombres tenebreuses n’approchent iamais du
throsne que l’on vous prepare. Iamais homme du monde
n’a mieux merité de si dignes accueils, ny iamais ambitieux
n’y fut mieux receu, qu’on espere d’y receuoir
vostre Eminence. Vous y trouuerez vn nombre infiny
de personnes qui vous entretiendront des affaires
d’Estat & des prosperitez malheureuses. Vous y verrez
des Princes turbulens & des Reynes passionnées.
Vous y rencontrerez des Tyrans, des Perturbateurs du
repos public, & des Sangsues vniuerselles. En vn mot,
vous y trouuerez des Amoureux languissans, des Garces,
& des Filoux, capables de vous diuertir & d’entretenir
vos pensées. Les François sont des Peuples aussi
ingrats, que la Nature en sçache produite. Gregoire
de Tour dit que leur origine vient des Hongtes, Diedore,
Vigilence les font sortir de Franconie, contrée
d’Alemagne. Amian, Marcelin, & Tacite, veulent
qu’ils soient naturellement François : Mais quoy qu’il
en soit, & les vns & les autre nous asseurent qu’ils sont
médisans, glorieux, de grand esprit, inconstans, &
fort propres aux armes. Tite-Liue, Diodore Plutarque,
& Iules Cesar les preferent en valeur à toutes les
autres Nations de la terre. Si cela est, n’esperez pas d’en
receuoir vn traittement plus fauorable que ceux qui les
ont obligez en tout ce qui leur a este possible. Que
n’ay-je pas fait pour ce Peuple Ingrat & Barbare, lors
que ie gouuernois les affaires de leur Monarchie, sous
la Regence d’vne tres Auguste Princesse comme la vostre ?
Vous pouuez auoir sceu de l’Histoire les seruices
que ie leur ay rendus, & de quelle sorte ils ont recompensez

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mes trauaux & les graces que ie leur ay faites.
Comme ils virent que i’estois si eleué dans les Charges
& dans les Honneurs, par les Liberalitez de cette
digne Maistresse : & que mes interests estoient tellement
attachez aux siens, qu’on ne pouuoit conspirer
contre l’vn, sans tenter à la perte de l’autre, ils
vindrent malheureusement m’assassiner dans vn lieu,
où le plus criminel des hommes, deuroit trouuer
son refuge. Voyez apres cela de grace, si ie dois
parler en leur faueur, ou si ie dois conspirer leur perte.
Il me semble en suitte de ce discours, que ie ne
vous dois pas estre suspect, contre la fureur d’vne
Nation, qui m’a traitté auec des ignominies & des
cruautez execrables. Examinez bien ce que ie viens
de dire ie vous en supplie. Ces Peuples comme medisans,
s’exerceront continuellement à noircir vostre
renommée, sans que vous en puissiez iamais éuiter
les traits : Comme glorieux, vous en serez tousiours
mesprisé : Comme gens d’esprit, ils s’opposeront incessamment
à toutes vos entreprises : Comme inconstans,
vous ne sçauriez en façon quelconque vous
asseurer de leur fidelité : Et comme les plus valeureux
Peuples que le Ciel ait veu naistre, vous estes asseuré
de vostre perte, si vous refusez mon conseil, nostre
protection, & l’asile que nostre inuincible Monarque
vous offre. Si vous souhaitez des Tiares & des
Couronnes, vous n’en sçauriez trouuer en part du
monde, ny de si superbes ny de si magnifiques que
les nostres. Si vous voulez des Charges, des Honneurs,
& des Dignitez, tout l’Vniuers ensemble ne

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vous en sçauroit fournir ny de si nobles, ny de si excellentes,
que celles que l’on vous reserue dans cette
illustre demeure. Si vous desirez des richesses, nostre
Empire en est le centre, & nostre Dieu la circonference.
Pluton & cette terrestre demeure vous en
fourniront plus que tout le reste de la terre. Ce que
vous auez enuoyé à Rome & à Venise, n’est pas digne
d’estre consideré au respect de ce que l’on vous
offre. Si vous aimez les femmes, c’est icy la demeure
des objets les plus rauissans que la Nature ait sceu
former pour se plaire : Si vous auez de la passion pour
les cartes, pour les dez, pour la bonne chere, & pour
la comedie, tout cela n’est icy bas que le diuertissement
ordinaire de toutes nos contrées. Et sçachez
qu’il n’est point d’homme si considerable en quelque
prõfession que ce puisse estre, qu’il ne soit attiré dans
ce seiour eternel par le desir d’auoir de l’honneur, du
plaisir & des richesses. Si vous ne souhaitez pas de
ruiner entierement les affaires de la plus vertueuse
Princesse du monde, ie vous conseille de suiure mes
sentimens, & de chercher genereusement le plutost
qu’il vous sera possible, les moyens de venir chez
nous, où vous serez asseuré d’estre à couuert de leurs
reuers & de leurs calomnies, si vous ne voulez pas
qu’on vous y traine de force. Licambe fils de Neobule,
poussé d’vn estrange desespoir à fuir les traits
d’vne medisance continuelle, fut genereusement se
pendre de rage, pour des sujets de moindre importance.
Critolaüs Capitaine Gregois, ne fit pas difficulté
de s’empoisonner soy-mesme, afin d’euiter la

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fureur de ses ennemis. Porcia fille de Caton d’Vtique,
aima mille fois mieux s’estouffer auec des charbons
ardans, que de suruiure à ses disgraces Arria
& Sextilia, la premiere, femme de Cecinna, & l’autre
de Scaurus, se donnerent librement la mort, pour
encourager leurs maris à se tirer du miserable estat où
leur destin les auoit precipitez, & pour leur montrer
comme ils deuoient faire. Et vous voudriez apres
cela mespriser l’azile que nous vous offrons, & faire
voir à la face de tout l’Vniuers que vostre generosité
seroit au dessous d’vn sexe si fragile. Si cela estoit,
vous seriez bien esloigné de faire comme Marcus,
Androclée, Macaire, & plusieurs autres, qui se sacrifierent
librement, pour la gloire du païs, & pour le
salut de la Patrie. Resoluez vous donc franchement
d’obeïr aux volontez d’vn sort si absolu que le nostre.
Nemesis vengeresse des forfaits est vne Deesse
qui ne pardonne iamais rien & qui rend tost ou tard
à chacun ce qui luy appartient, auec vsure. Apries
Roy d’Egypte & dernier des Pharaons, auoit beau se
declarer & contre les Dieux & contre les Hommes,
& s’estudier à se mettre à l’abry des outrages de la fortune,
Amasis son Sujet, ne laissa pas de l’estrangler
au milieu de tous ceux qui veilloient incessamment
autour de luy pour la garde de sa personne. Vous
sçauez bien que Salmonée Roy d’Elide, fut à la fin
foudroyé de Iupiter pour des crimes semblables aux
vostres. Ne vous imaginez pas que ces trois Deesses
qui president souuerainement à la destinée des hommes,
& qui disposent absolument du sort des humains,

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deuident le ploton qu’elles ont fillé pour
vous qu’à leur fantaisie. Les plus grands Monarques
de la terre ne sçauroient euiter l’arrest que le Ciel a
donné contre eux, non plus que vous, ny fuir en aucune
façon aux decrets de sa toute-puissance. Altée
irritée contre vostre personne, à cause des seditions
que vous auez fomentées parmy vn peuple, que
Louis XIII. surnommé le Iuste à iuste titre, a laissé
sous la protection de la Vierge, vient de consacrer
le tison de vostre fatalité, aux feux inextinguibles
de cét Empire. Receuez donc de grace mes aduis &
les executez le plustost qu’il vous sera possible, comme
venans de la part d’vn esprit qui se declare pour
vous, & qui veut estre eternellement vostre.

 

FIN.

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Anonyme [1649], ADVIS DE L’AME DV MARESCHAL D’ANCRE, A L’ESPRIT DV CARDINAL MAZARIN. Touchant la resolution qu’il doit prendre sur les troubles qu’il a nouuellement suscitez en France. Les veritables morts en la grace conseilloient Saül pour le perdre, veu qu’il auoit mit toute sa consience en des hommes vaillans & aguerris, & qu’il ne consultoit que de Demons & des Sorcieres. 1. Sam. 13. 2. 28. 7. & 8. , françaisRéférence RIM : M0_505. Cote locale : A_2_40.