A. D. [1652], LES MOTIFS QVI ONT EMPESCHÉ LA PAIX jusques à present ; ET LES SEVLS REMEDES QVI la peuuent sans difficulté apporter. Par A. D. Quercynois. , françaisRéférence RIM : M0_2508. Cote locale : B_16_46.
Section précédent(e)

LES
MOTIFS
QVI ONT EMPESCHÉ
LA PAIX
jusques à present ;
ET
LES SEVLS REMEDES QVI
la peuuent sans difficulté apporter.

Par A. D. Quercynois.

A. PARIS,

M. DC. LII.

-- 2 --

-- 3 --

LES MOTIFS QVI ONT
empesché la Paix jusques à present ;
Et les seuls remedes qui la peuuent sans difficulté
promptement apporter.

SIRE,

Ma naissance m’a donné deux qualitez,
l’vne de Chrestien, l’autre de vostre Subject ;
Et si ie vous dis que la premiere m’est
beaucoup plus chere que la seconde, vostre
Majesté seroit indigne des tiltres eminens de
Fils aisné de l’Eglise, & de Roy Tres-Chrestien,
que ses predecesseurs luy ont acquis,
par leur pieté, si elle ne m’honnoroit plustost
de son amitié, à cause de ce degré d’estime,
que ie mets entre ces deux qualités, que
de me hair ? Pour n’employer pas des termes
flateurs, à déguiser la verité sur cette
matiere. Ce fondement posé pour constant,
que ie dois tout à Dieu, & à Vostre Majesté
seulement, ce qu’il m’ordonne de luy rendre ;
il s’ensuit necessairement que toutes les verités

-- 4 --

que se luy diray, conformes aux ordres
du Roy des Roys, (de qui elle tient sa Couronne)
luy doiuent plaire, quoy que ceste
lasche cohorte de flateurs qui assiegent continuellement
l’esprit de vostre Majesté, s’efforce
de luy vouloir, peut estre, persuader
que ma franchise Chrestienne choquera son
authorité.

 

Il faut donc, SIRE, examiner les causes
de la maladie de vostre Estat, & à la mode des
bons Medecins, les purger, afin que les
mauuais effets qu’elles produisent viennent
à cesser.

La premiere & principalle de ces causes
qui est la source de toute les autres, est la
ieunesse de vostre Majesté, qui ne peut estre
entierement purgée que par le temps, & qui
ne permet pas qu’elle se puisse encore deméler
des fausses apparences, que luy distribuë
pour verités chacun de ces flateurs, qui
sont tousiours attachez à ses oreilles, pour arriuer
à leurs fins, luy faisant paser des fourbes
pour de solides vertus, & croire que pour
regner au siecle où nous sommes, il faut violler
sa parolle, promettre tout & ne rien tenir,
& affermir son Sceptre dans l’infidelité :
Ils mettent au rang de leur principale
prudence, le conseil qu’ils ont donné, &

-- 5 --

fait executer à vostre Maiesté, de faire vne
Declaration pour premiere action de sa Majorité
(touschant l’esloignement pour iamais
du Cardinal Mazarin) qu’Elle fit verifier au
Parlement de Paris, Elle presente en son lict
de Iustice, & depuis ils l’ont persuadée de la
reuoquer sans y appeller les mesmes qui l’auoient
veriffiée ; ce qui est directement contre
les Loix, l’honneur, la bien-seance,
& la pratique des Roys vos predecesseurs ;
puis qu’il est certain que toute Declaration
verifiee, est vn espece de pacte des Roys auec
leurs Subiects, & comme vn tiltre par lequel
ceux là donnent asseurance, à ceux-cy de leur
volonté inuiolable, qui ne peut & ne doit
estre reuoquee qu’auec grande connoissance
de cause, & par l’aduis de ceux mesme qui ont
esté employés pour l’authoriser, & qui sçauent
mieux, par consequent qu’aucun autre,
les perils qu’il pourroit y auoir à la reuoquer.

 

La deuxiéme cause de cette maladie consiste
en l’excez, & la tendresse du bon naturel,
qu’a vostre Majesté pour la Reine sa Mere,
laquelle, tant s’en faut, que ie pretende diminuer,
qu’au contraire, ie souhaitterois plustost
augmenter ? Si cela estoit au rang des choses
possibles (ce que ie ne croy pas) Mais i’ay dessein
de faire connoistre à Vostre Majesté que

-- 6 --

cette qualité de Mere, qui durera toute sa vie,
ne luy continuë pas, neantmoins pour vn si
long terme celle de Regente de vostre Estat ?
duquel le gouuernement vous est commis ?
dés l’instant mesme de vostre Majorité : c’est
pourquoy Vostre Majesté ne doit pas ignorer
qu’elle est responsable deuant Dieu de
tout ce qui se fera de bien ou de mal dans son
Royaume, depuis le iour que vous aués esté
declaré Majeur, & cette Declaration de Majorité
est vn neant, si Vostre Majesté n’en
exerce les effects, en gouuernant elle-mesme ?
sans se laisser gouuerner à autruy ; ce n’est pas
d’auiourd’huy, que le Prouerbe est fait, qui
dit que la plus habille femme, en matiere d’affaires,
ne l’est guere, & cela s’est tousiours entendu
pour l’administration seulement des
interests d’vne famille particuliere ; & par consequent
combien le mesme sexe, à plus forte
raison doit estre estimé foible & incapable au
regard du gouuernement d’vn Estat, composé
de cent millions de familles ; Tant y a
SIRE, que Vostre Majesté doit rendre à la
Reine, comme à sa Mere, au de-là mesme de
ses sentimens, & de tout ce qu’on luy peut
dire, mais elle doit faire cesser aussi bien en effet
sa qualité de Regente, qu’elle a cessé en apparence,
par la Declaration de vostre Majorité,

-- 7 --

& iamais vostre Majesté ne gagnera les
cœurs & les esprits de ses peuples, & ne
pourra les conseruer dans les termes du respect,
& de l’obeïssance qu’ils luy doiuent, iusques
à ce qu’elle leur fasse voir qu’elle a pris
elle mesme en main le gouuernail de son
Estat ; & iamais ils n’auront cette creance, tant
qu’ils verront la Reine vostre Mere aupres de
vous, laquelle ils croiront tousiours vous inspirer
tous ses sentimens, & la volonté de les
suiure comme à l’ordinaire ; quoy que preiudiciables
à vostre Couronne. Il faut, SIRE,
pour remedier à ce mal, que vous mettiés la
Reine vostre Mere au mesme estat, que Iules
Cesar vouloit que fust sa femme, c’est à dire,
non pas seulement exempte de mal ; mais aussi
de soupçon : ainsi ce n’est pas assez que la
Reine n’ait plus aucune part au gouuernement
de vostre Royaume, si vous n’ostés l’opinion
que cela soit à tous vos peuples, ce qui
ne se peut faire qu’en l’éloignant pour quelque
temps d’aupres de Vostre Maiesté, & faisant
voir que vous sçauez dire ie veux, sans
que personne vous le fasse dire.

 

La troisiéme cause de cette maladie, vient
de la seconde, & a procedé du credit aueugle,
que Vostre Majesté a laissé prendre à la
Reine sur son esprit, duquel elle a abusé, pour

-- 8 --

luy persuader que personne ne pouuoit plus
capablement que le Cardinal Mazarin, tenir
le timon du gouuernement de son Royaume,
& remplir cette place de premier Ministre de
nouuelle erection ; qui n’est pas moins dangereuse,
au maintien des Couronnes, que fut
autrefois celle des Mayres du Palais. En quoy
la Reine s’est doublement mecontée en manquant
de faire reflection sur trois choses, qui
doiuent donner nettement l’exclusion audit
Cardinal, d’auoir iamais en main le gouuernail
de cét Estat.

 

L’vne, qu’il n’a point du tout la capacité
naturelle, ny acquise, necessaire à vne telle administration,
mais seulement vn petit talent
d’intrigues de cabinet, propre à seruir d’allumette
à allumer vn feu dans l’esprit de quelque
femme, qui sera capable en seruir d’en
produire vn autre assez grand pour embraser
tout vostre Estat.

L’autre qu’il est Estranger, & comme tel
n’a autre but que de tirer la substance de vos
Subjects, & de l’appliquer à son profit, & de
la transferer en son pays natal, apres l’auoir
exigée, par toute sorte de voyes indirectes &
tyranniques.

Et la troisiéme qu’il est né subject du Roy
d’Espagne, ennemy inueteré de la France ; &

-- 9 --

le seul Monarque de l’Europe assez puissant
pour arrester le cours de ses victoires.

 

La quatriéme cause de la décadence de l’Estat,
est que ceux à qui le gouuernement en est
commis soubs le nom de Vostre Majesté,
l’appuient sur des maximes à leur mode, plaines
de fourbes, & dont toute candeur est bannie,
& par consequent rendent vostre regne,
non seulement vn siecle de fer, mais aussi
d’enfer qui est sterile en tous biens du Ciel &
de la terre, & abondant en voleries, viols, incendies,
trahisons, ingratitudes, assassinats, iniustices,
concussions, exactions, oppressions
des peuples, desobeïssances, rebellions, simonies,
adulteres, incestes, sacrileges, crimes de
peculat, & de leze Majesté diuine & humaine,
d’où ne se faut pas estonner si Vostre Majesté
soustient son Sceptre auec tant d’espines, &
ne reçoit pas vnanimement de tous ses Subjets,
le respect & l’amour qu’ils luy doiuent ;
veu que la protection qu’elle leur doit reciproquement
de sa part, leur manque, & que
vos Ministres font profession ouuerte de
tromper tout le monde, de faire passer la parolle
de Vostre Majesté pour vn joüer, & vn
appas à piper tous ceux qui s’y fient, & de ne
pas souffrir que la moindre étincelle de fidelité,
aye iamais part à leurs traittez, comme

-- 10 --

ennemie de leur humeur, & de la maniere
qu’ils ont choisie pour gouuerner.

 

La cinquiéme cause, SIRE, qui donne
la fiévre à Vostre Estat, est la des-vnion de
la maison Royale, & cette fiévre deuiendra
continuë, si Vostre Majesté ne trouue moyen
à quel prix que ce soit d’aiuster les interests legitimes
des Princes de son Sang, auec ceux
de sa Couronne, ce qui luy sera facile, pourueu
qu’elle leur dõne seureté effectiue en sa Cour,
pour y tenir le rang que la naissance leur a acquis
dans ses Conseils, & donc ils ne peuuent
estre priués sans iniustice & violence, facilité
dont on ne peut douter de leur part, puisque
tous leurs intérests legitimes consistent en
cette seule seureté ; & qu’il est certain que les
bonnes graces de vostre Majesté, & la liberté
qu’ils auront de pouuoir demeurer sans apprehension
aupres d’Elle, font la principale &
meilleure partie de la grandeur de ces Princes,
sans laquelle liberté il faut demeurer d’accord
qu’ils sont peu considerables, & comme hors
de leur dignité, quoy que neantmoins leur
satisfaction ne soit pas peu necessaire au bien
de l’Estat, par ce qu’ils sont les piliers de la
Royauté.

Cela donc posé pour constant & veritable,
que Vostre Majesté doit rendre par Iustice

-- 11 --

(pour le repos de ses Sujets & le sien) aux
Princes de son Sang, le poste qui leur appartient
en ses Conseils. Il faut suiure sans difficulté
tous les moyens qui peuuent contribüer
à ce repos, & fuyr auec horreur ceux qui le
peuuent empescher ; & pour cet effet examiner
auec soing les vns & les autres.

 

Toute la France, SIRE, sçait auec quelle
audace, le Cardinal Mazarin a vsurpé l’authorité
Royale toute entiere, & le gouuernement
absolu de l’Estat, depuis la mort du
feu Roy, le bas-âge de Vostre Majesté ayant
en cela fauorisé son insolence, qui est arriuée
iusqu’à ce poinct de faire emprisonner les
Princes, qu’il a creu capables d’arrester le cours
de son vsurpation.

Personne n’ignore non plus, SIRE,
qu’il n’y a aucun dans le Conseil estroit de
Vostre Majesté presentement, qui ne soit sa
creature, y ayant esté mis de sa main ; & ainsi
quoy qu’il en soit absent, son credit y est tousjours
present par ses emissaires, comme s’il y
estoit en personne, & ses volontez executées,
par l’ordre de la Reyne vostre Mere, qui fait
vouloir à Vostre Majesté tout ce qu’il veut.
On ne peut donc dire asseurement que les
Princes de vostre Sang soient asseurez à vostre
Cour, y allant & demeurant, tant que les

-- 12 --

creatures dudit Cardinal, leur ennemy mortel,
y tiendront le haut du paué, & que leur
aduis fera la resolution de vos desseins.

 

A cela, SIRE, des flateurs lasches Partisans
dudit Cardinal, & veritables ennemis
de Vostre Majesté (quoy que de bouche ils
fassent vne profession contraire) diront pour
contrefaire les affectionnez ? Et quoy faut-il
donc que le Roy (pour complaire à Messieurs
les Princes) chasse d’aupres de luy tous
ces bons seruiteurs, & qu’il compose tout son
Conseil de personnes à leur deuotion ? A
quoy il est facile de repondre par vne modification
sans replique, que si tous les bons seruiteurs
du Roy consistent en ce petit nombre
d’hommes, de cinq ou six que le Cardinal
Mazarin a mis dans son Conseil pour gouuerner
tout l’Estat sous ses ordres, Sa Majesté
est le plus pauure Souuerain de l’Europe
en seruiteurs, tant en quantité qu’en qualité ; &
toutesfois son Royaume est le plus peuple de
tous, & remply de cent million d’ames, entre
lesquelles il se trouuera cent mille hommes
plus habiles, & candides que ceux qu’à choisis
ledit Cardinal pour gouuerner sous luy : &
ceux là, SIRE, qui sont affectionnez sans
interest, au bien de vostre Couronne, diront
plus que quand il seroit vray que Vostre Majesté

-- 13 --

n’eut presentement aucuns bons seruiteurs,
que les eleus de ce Cardinal, qui est aujourd’huy
l’horreur & l’execration de tous
vos Suiets, que tous vos Parlemens ont condamné
comme ennemy de l’Estat, & perturbateur
du repos public, & contre lequel vos
Declarations ont solemnellement confirmé
leurs Arrests ; si est-ce qu’elle seroit obligée en
conscience de les esloigner d’Elle, & du Ministeriat,
pour calmer tous les troubles de son
Estat & donner soulagement à ses Peuples ;
estant sans doute que ces Ministres establis de
la main de celuy qui est l’obiet de la hayne publique,
ne peuuent pas estre en meilleure
odeur que luy à tous les Subiets de Vostre Majesté ;
Et par consequent il est vray de dire,
que si ces Messieurs sont aussi parfaitement
ses veritables seruiteurs, qu’ils veulent estre
creus tels, ils seront les premiers à solliciter leur
retraite, car ils connoissent bien qu’ils ne peuuent
si vtilement seruir Vostre Majesté en
agissant aupres d’Elle ; qu’en s’en esloignant :
& sont assez clairs-voyans pour ne pas ignorer
que leur repos hors du Ministeriat, causera
plustost celuy du public que leur direction,
supposé qu’elle fut la meilleure du monde.

 

Pour respondre à la seconde obiection, qu’il
n’est pas iuste que vostre Conseil soit tout

-- 14 --

composé des personnes à la deuotion des
Princes, on demeure d’accord de cette verité ?
mais il faut aussi demeurer d’accord de la malice
de ceux qui l’ont faite, puis qu’il est certain
que Messieurs les Princes ne pretendent rien
moins que cela, & se contentent seulement
que tous ceux qui sont leurs ennemis, & qui
ne peuuent estre reputez autres, comme creatures
du Cardinal Mazarin soient esloignez
de la Cour, & que Vostre Majesté mette en
leur place qui bon luy semblera des plus capables
de son Royaume, pourueu qu’ils ne luy
soient point nommez par la Reyne sa Mere,
& qu’ils n’ayent point paru en ces derniers
mouuemens estre de la Secte Mazarine ? auquel
cas, sans difficulté, ils seroient suspects
auec raison aux Princes, qui ne pourroient
faire leur sejour aupres de Vôtre Majesté pendant
que les aduis de telles personnes donneroient
le mouuement aux affaires de vostre
Estat.

 

Outre quoy, SIRE, Vostre Majesté me
permettra de luy dire, que tous ceux qui assiegent
presentement son esprit la trompent, en
luy voulant donner de l’ombrage de la fidelité
& de l’affection des Princes à son seruice :
cette tromperie est claire & se découure d’elle-mesme ;
Tant soit peu que Vostre Majesté

-- 15 --

voudra faire reflexion sur les considerations
suiuantes.

 

Premierement, que iamais personne n’a
intention de faire contre soy-mesme.

2, Que l’interest particulier d’vn chacun
est l’orateur qui persuade le mieux, & qui est
le seul motif de toutes nos actions.

3, Que tous conseils & propositions contraires
à ces deux maximes qui tiennent lieu
de principe dans la conduite de la vie, doiuent
estre rejettées.

Ces trois reigles, SIRE, me seruiront
à mesurer & découurir la fourbe de ces flateurs
de Vostre Majésté, qui s’efforcent de luy faire
croire que la seureté de son Estat consiste en la
deffiance, qu’elle doit auoir des Princes de son
Sang, au lieu que la premiere de ces trois regles
luy aprend que cela est faux ; puis qu’il est
certain qu’ils ne peuuent estre capables de
conceuoir le moindre mauuais dessein contre
Vostre Majesté, que ce ne fut contr’eux-mesme,
attendu que leur grandeur dépend de la
vostre, & que si vous n’estiez plus Roy, ils ne
seroient plus Princes du Sang de France ? &
l’interest (quoy qu’esloigné) qu’ils ont à la
conseruation de cette Couronne, viendroit à
estre estouffé dans les ruïnes du vostre ; Si bien
que Vostre Majesté doit tenir pour constant,

-- 16 --

que iamais ces Princes ne penseront à la deseruir,
en se détruisant eux-mesmes ? mais Elle
doit bien distinguer entre leurs actions qui
tendent à l’offensiue, & celles qui ne vont
qu’à la deffensiue ? On s’estudie de luy faire
croire par vne malice diabolique, que tout ce
qu’ils ont faict a esté autant d’attentats contre
l’authorité de Vostre Majesté ; & au contraire,
tout le procedé qu’ils ont tenu par l’avis
du principal de vos Parlemens, & du plus auguste
Senat de l’Europe, qui de temps immemorial
a esté choisi par diuers Souuerains
pour arbitre de leurs differents, n’a tendu qu’à
se garentir de l’oppression que leur vouloit
faire la Reyne vostre Mere & le Cardinal Mazarin,
sous le nom de Vostre Majesté, qui
n’ignore pas que la deffence est vn droict naturellement
acquis & vniuersellement permis
à tout le monde : de façon, que quand
bien il seroit vray, que Monsieur le Prince auroit
traité auec l’Espagnol, ne voyant point
d’autre appuy que le sien capable de le mettre
à l’abry des orages qu’on preparoit de faire
tomber sur sa teste, pour le mettre à bout sans
ressource, Il ne seroit pas depourueu d’excuse
en cette occasion, & n’auroit rien faict que ce
qu’il deuoit à sa propre deffence, mais ces boute-feux
qui sont aupres de Vostre Majesté,

-- 17 --

terie & le mensonge, employent toute leur industrie
pour luy déguiser la verité sur ce sujet,
& luy debiter pour blamable ce qui merite
loüange ? Ils n’ont garde de dire à Vostre Majesté,
que c’est la Reyne sa Mere & le Cardinal
Mazarin qui attentent à son authorité (quoy
qu’il soit vray en effect) puis qu’ils exercent
en sa place les fonctions de la Royauté, en
donnant tous les Benefices, les charges & les
Gouuernemens de France à leurs creatures, &
par ce moyen remplissent les chaires des Predicateurs
à leur deuotion, qui exaltent leurs
plus mauuaises actions au tiers Ciel, &
mettent dans les plus importantes places des
Gouuerneurs qui n’ont point d’autre pensée
que celle qui leur est inspirée par leurs bienfacteurs,
& font des Mareschaux de France à
leur poste, pour commander les Armes de Vostre
Majesté à leur mode, & les employer plustost
à l’execution de leur vengeances & passions,
qu’au secours des plus importantes villes
de vostre Estat, qu’ils laissent prendre à vos
veritables ennemis, en mesme-temps qu’ils
vous en supposent d’autres pour tels ; qui sont
en effect vos seruiteurs, afin d’arriuer à leur
dessein de diuertir les armes de Vostre Majesté
du lieu où elles seroient necessaires pour
le bien de son seruice, & les appliquer ailleurs

-- 18 --

où elles ne sont pas seulement inutiles, mais
aussi ruïneuses. La moindre de ces actions,
SIRE, ne rend-elle pas ceux qui en sont autheurs,
suffisamment conuaincus de crime de
leze Majesté ? Et l’on peut dire sans se méprendre,
que tous le Ministres de vostre Majesté,
& ceux qui composent presentement le
pretendu Parlement de Pontoise, sont autant
de criminels d’Estat, par les lâches & pernicieux
conseils qu’ils luy donnent, où la flaterie
a plus de part que la verité ? toute leur prudence
s’estendant à leurs interest, particuliers, au
preiudice du public ; Ils sçauent bien que si
les Princes auoient repris auec seureté de leurs
personnes le rang & le credit qui leur est deub
dans vos Conseils, il faudroit de necessité
qu’ils en fussent esloignez, puis qu’il seroit incompatible
d’y voir ces Princes interessez au
maintien de vostre Couronne, opiner pour sa
conseruation, conjoinctement auec les creatures
du Cardinal Mazarin, qui ne peuuent
maintenir leur fortune, qu’en maintenant l’vsurpation
qu’il a faite de vôtre athorité Royale,
& en circonuenant la ieunesse de Vostre
Maiesté par la creance que leur artifice luy
donne qu’ils sont ses fideles seruiteurs, en méme-temps
qu’ils font toutes les actions necessaires
pour luy oster de la main le Sceptre de

-- 19 --

ses ayeuls ? N’est-ce pas, SIRE, vne effronterie
insuportable à ces pretendus bons seruiteurs
de Vostre Maiesté, ou pour mieux dire à
ces veritables harpies & destructeurs de la
France, d’auoir osé se seruir de son nom pour
escrire vne Lettre à Monsieur le Duc d’Orleans
(qui est la troisiéme Personne de France)
qu’ils auroient deub faire scrupule d’enuoyer
au moindre Officier de la Couronne,
qui auroit tant soit peu merité de l’Estat ?

 

Ils ont eu l’insolence de rafraischir vne
playe qui seigne encore en son cœur, & dans
celuy de tous ceux qui ayment la France, de
voir vn ieune pilier de ses Lys abatu, au lieu
de l’en consoler, ils sont assez temeraires pour
accuser son Altesse Royale du crime qu’ils
ont eux mesmes commis d’auoir causé la
perte de ses places frontieres par le diuertissement
qu’ils ont fait des armes de V. M. au
cœur de son Estat ; pour y establir le regne &
l’vsurpation du Cardinal Mazarin, & leur tyrannie
soubs ses ordres. Ils accusent sa mesme
Altesse Royalle d’auoir fauorise la prise
des armes de Monsieur le Prince, qu’ils disent
auoir precedé le retour dudit Cardinal
Mazarin en France, mais ils taisent auec peu
de bonne foy qu’il y auoit des preuues claires
& conuaincantes du project fait de ce retour,

-- 20 --

long-temps auant que Monsieur le Prince se
fut retiré de la Cour, & qu’il eust esté contraint
de prendre les armes ; tant pour se garentir
d’oppression, que pour deffendre vostre Couronne,
des attentats de cét vsurpateur, qui
sont tant plus dangereux qu’il les commet
soubs vne fausse qualité de bon seruiteur, &
qu’il a pour executeur de ses mauuaises intentions,
tous ceux qui tiennent le timon de
vostre Estat. Ie viens à la seconde regle qui
sert à mettre au iour la calomnie & les suppositions
qu’employent ces infideles Ministres,
pour rendre à Vostre Majesté les Princes de
son Sang suspects & odieux : à sçauoir que
l’interest particulier est le principal motif des
actions humaines : Il suffit donc d’éplucher
si les interests particuliers de chacun de ces
Princes n’est pas inuiolablement attaché à
ceux de vostre Couronne ; en sorte qu’il en
est inseparable, & il est constant qu’vn Prince
n’est iamais pauure, tant que la France est
florissante, qu’il ne manque iamais d’honneur
tant que le Roy regne paisiblement, &
qu’il est obey de ses Subjects ? En vn mot que
la grandeur & l’authorité d’vn Roy ne reside
pas en sa seule personne, mais aussi en tous
ceux de sa maison Royale. Et par consequent
Vostre Majesté doit reietter comme

-- 21 --

abominables ces traistres flateurs, qui n’ont
d’autre pensée que de l’abuser, pour le maintien
du Mazarin leur Maistre, en luy persuadant
qu’il est son seruiteur, & tous ses adherans
aussi affectionnez à l’Estat, & que les
Princes sont ses ennemis ; & i’ose asseurer Vostre
Majesté au contraire, que deslors qu’elle
sera desabusee sur le subject de ces deux articles,
de l’vn desquels dépend la verité de l’autre :
il n’y aura plus d’obstacle qui empesche
qu’elle ne donne promptement la paix generalle
à tous ses Subiets, le repos à ses peuples,
& qu’elle ne restablisse les Autels prophanés,
la Iustice & les Loix aneanties, le trafic interrompu,
l’Agriculture abandonnee ; & en vn
mot qu’elle ne rende aux trois Estats de son
Royaume leur premiere splendeur, telle qu elle
estoit n’agueres soubs le regne de Henry
le Grand, ayeul de Vostre Majesté, & qu’elle
ne tourne le dessein de ses armes contre ses
propres ennemis, qui n’ont pas tant seulement
accablé son pauure peuple soubs leur
pesanteur, mais aussi abbatu de telle sorte,
qu’il est sans espoir de se pouuoir iamais releuer,
si Vostre Majesté ne reprend le tiltre de
Debonnaire, & ne dissipe la fumee de ce feu
estranger, qui a deuoré & consommé toute la
France, & qui vous offusque de telle sorte

-- 22 --

que si vostre prudence ne tasche à l’esteindre,
Elle-mesme se verra pour vn iamais esteinte
dans les ruines de cet embrasement. Reuenez
donc, SIRE, dans le sein de la France,
où tout vostre peuple vous attend ; & comme
vne belle Aurore, vous dissiperez les nuages
qui l’enueloppent depuis si long-temps, vous
vous y entendrez nommer (comme vn autre
Tybere) les delices du genre humain, &
releuerez leurs esperances abattuës : vous
trouuerez, non pas vostre Ville de Paris bâtie
de Marbre (comme Cesar laissa sa Rome,
l’ayant trouuee à sa venuë à l’Empire, bâtie
de bricque) mais toute desolee d’estre priuee
de celuy qui fait toute sa ioye & le plus grand
éclat qui l’enuironne, ses soupirs qui ont reduit
tous ses habitans en langueur qui equipole
plus à la mort qu’à la vie, reprendront
leurs haleines, & changeront leurs cris funebres
en chants d’allegresse & de benection ;
c’est où tendent vos veritables & fideles seruiteurs
qui continueront tousiours leurs prieres
(malgré les vœux des Mazarins, qui vont à
la destruction de vostre Couronne, en faisant
semblant de la soutenir) iusques à ce qu’ils les
verront exaucées.

 

FIN.

Section précédent(e)


A. D. [1652], LES MOTIFS QVI ONT EMPESCHÉ LA PAIX jusques à present ; ET LES SEVLS REMEDES QVI la peuuent sans difficulté apporter. Par A. D. Quercynois. , françaisRéférence RIM : M0_2508. Cote locale : B_16_46.