A. A. [1652], LETTRE D’VN MAISTRE IANSENISTE A VN BON PERE FVEILLANT, TOVCHANT VN SERMON celebre contre des Nuditez, & des Portraicts lascifs. , françaisRéférence RIM : Mx. Cote locale : B_10_19.
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LETTRE
D’VN MAISTRE
IANSENISTE
A VN BON PERE
FVEILLANT,
TOVCHANT VN SERMON
celebre contre des Nuditez,
& des Portraicts lascifs.

A PARIS,

M. DC. LII.

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ARGVMENT.

VN vieux Predicateur Fueillant ayant declamé
en pleine Chaire contre des portraits de nuditez
qui sont dans les Chambres & Cabinets de quelques
Iansenistes reformez ; vn de leur Patriarche les
iustifie, & monstre auec son éloquence ordinaire, que
ces sortes de Tableaux sont plus innocens, & plus capables
de donner de la pieté & de la deuotion, que
non pas les images qui sont dans les cellules, & les
Cloistres des Moines.

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LETTRE
D’VN MAISTRE
IANSENISTE
A VN BON PERE
FVEILLANT,
TOVCHANT VN SERMON
celebre contre des Nuditez,
& des Portraicts lascifs.

MON PERE,

Ie m’estonne qu’vn esprit fort comme
le vostre ait tant d’auersion pour des choses
innocentes, & tant de haine pour des
sujets qui n’en sont pas capables. Il semble
que vous soyez touché de la maladie dont
vous voulez accuser les autres, & que la

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pluspart de vos pensées ne soient que pour
des tableaux que vous appellez lascifs, puis
que vous en parlez si souuent, & à des
personnes qui n’en ont point, & qui peut-estre
n’en virent iamais. Si vous aymiez
l’édification autant que vous en faites le
semblant, vous ne vous amuseriez point
à enseigner à tant de belles femmes le danger
agreable qu’il y a d’auoir des nuditez
en peinture, ny de leur faire cognoistre le
pouuoir de ces objets sur nos sens, & sur
nos passions. Vous faittes le mal si beau
que vous le rendez desirable à ceux mesme
qui n’y songent point ; & quand pour
les desorier vous dittes qu’il n’y à rien de
plus puissant, ny de plus charmant pour
donner de l’amour, vous enseignes les
moyens d’augmenter nos plaisirs, & malgré
vos menaces & vos censures, on ne
vous croit point, parce que la nature est
contre vous, & que vous condamnés des
choses sur lesquelles vous n’aués aucune
authorité, non plus que ceux qui vous
escoutent. De plus, vous estes trop injuste
d’accuser des choses qui ne vous font point
de mal, & si elles vous en font, vous l’estes
encore d’auantage, puisque vous estes

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iuge & partie ; les moines ont tousiours
mauuaise grace presque en tout ce qu’ils
disent, & ce qu’ils mettent en auant ; en
ce qu’estans comme les ennemis & du
monde & des hommes, ils les preschent
comme s’ils estoient de petits nouices, &
veulent que ceux qui ne sont pas obligez
à les imiter, Fassent des choses qu’ils ne
practiquent point dans leurs Cloistres ny
dans leurs solitudes. Encore que les Predicateurs
pour faire valloir leurs opinions
crient sans cesse qu’ils ne parlent que par
l’organe du S. Esprit, & qu’estans dans la
Chaise de verité, ils ne disent que des oracles
qu’il n’est pas permis de reuocquer en
doute. Cette arrogance seroit pardonnable
s’ils n’auoient à faire qu’à des ignorans, &
les auditeurs seroient bien mal-heureux si
la puspart d’entre eux n’en sçauoient autant
& plus que celuy qu’ils escoutent
plustost pour l’examiner, que pour estre
iugé si souuerainement de luy, & si mal
à propos. Il est vray qu’ils ne sçauroient
trop blasmer le vice, mais comme ils condamnent
toutes choses confusément &
sans distinction, ils font que souuent on
ne les croit point mesme és choses les plus
veritables ; ils s’imaginent que pour bien
crier & faire beaucoup de bruict ils ont

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trouué le secret de se faire admirer, en
quoy ils se trompent les premiers, puis
que souuent ils donnent plus de preuues
de leur imprudence, que des questions
qu’ils mettent en auant. Qu’elle apparence
de pouuoir souffrir qu’vn Religieux fasse
vn crime de ce qui est indifferent dans
le monde, & ce seulement à cause que
son scrupule & sa melancolie luy deffendent.
Parce qu’en sa cellule il n’a point
les trois Graces toutes nuës, le Iugement
de Paris, vne Cleopatre mourante, vne
Venus auec Mars, vne Diane vengeresse
& pudique, & mille autres galanteries
plustost inuentées pour l’ornement des
Galleries & des Cabinets, que pour des
moyens capables de nous porter au vice,
& au desordre ; nonobstant cela, tous
ceux qui en ont sont des libertins, des
impudique ; voire mesme des excommuniez ;
sans songer que pendant qu’ils condamnent
ces portraits, ils dissimulent ou
ne veulent point connestre leurs impietez
& sacrileges, dans le déguisement, & la
tromperie qu’ils font de leurs images qui
n’ont quasi rien de dissemblable a celles-là,
que le nom. Entrez dans la Chambre
d’vn moine, vous la verrez toute remplie
d’Anges en formes de Cupidons, ou plustost

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de vrays petits amours qui n’ont rien
de moins que ce qui se voit dans les Tableaux
que vous voulez estre si criminels,
& si lascifs ; & toutes ces Diuinités ne sont
là representées que pour l’embellissement
ou l’entretien muet d’vne infinité de Sainctes
& de Religieuses enluminées, dont
les vnes ont tout le sein descouuert, les
autres monstrent leurs cuisses blanches,
& potelées iusques à la ceinture, d’autres
sont toutes nuës dans des flammes subtiles
& deliées, & quantité se voyent assises
& extasiées sur vn grabat n’ayans autre
couuerture que leurs cheueux frisez &
peignez auec la mesme affetterie que les
Courtisannes les plus vaines, & les plus
abandonnées. Et parce qu’ils ont escript
au dessous, que celle-cy est vne Vierge,
celle-là vne Martyre, & les autres des penitentes
& repenties ; pour cela ils sont
chastes & pudiques, & ont droict de faire
la loy comme ils font, & aux hommes
& aux femmes qui les croient trop facilement.
Prenez ces mesmes Images, & au
lieu du nom qu’ils leur donnent, mettez y
celuy qu’elles meritent & qui leur appartient,
& puis faites leur voir ; adieu vous
estes vn impie, vous estes vn infame, il faut
prescher contre vous, à cause que vous

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faites des fables, de ce qu’ils font des
Dieux, & des Diuinités adorables. Ce ne
sont pas des choses inanimées qui redoublent
nos mouuemens, n’y des sujets insensibles
& tout de marbre qui ralument vne
chaleur qui ne nous abandonne point, &
qui n’a que trop de matiere chez soy sans
en chercher ailleurs. Nous auons veu les
mesmes objets au naturel en nos sœurs &
en nos meres, mais non pas auec les
mesmes yeux, n’y les mesmes passions ;
des fesses & des cuisses en peintures sont
bien moins lasciues & moins charmantes,
qu’vn sein descouuert palpitant &
releué, n’y qu’vn beau visage qui anime
ses regards, & qui leur fait vaincre autant
de cœurs qu’ils en veulent, lors mesme
que vous preschez & que vous leur deffendés
l’vsage & la douceur de leurs attraits.
Vos raisons sont trop foibles en ce
rencontre, & la meilleure que vous ayez
est que vous estes payez pour parler com-
vous faites, outre que vostre habit, & le
lieu où vous declamés vous le commandent,
& vous y contraignent. Mais la
nature qui ne souffre point de violence sans
iniustice & tyrannie, ne se laisse point corrompre
comme vous, & ne sçait desguiser
ny desmentir la liberté de ses actions. Si les

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ouurages de l’esprit sont plus parfaits, plus
agreables, & plus excellens que non pas
ceux du corps, il n’y a point de doute que
nostre imagination se peut former des objets
plus beaux & plus rares mille fois que
l’Art & la Nature n’en sçauroient produire,
& principalement quand elle veut s’esgayer,
& mettre vne partie de son souuerain
bien, où le corps a trouué tout le sien ;
& en ce cas elle seroit bien plus dangereuse
& bien plus coupable, que non pas
des portraits morts & insensibles, qui ne
peuuent faire d’impression que dans des
testes foibles & incapables de plaisirs plus
solides & plus releués. Ie ne puis croire
que vous cognoissiez aussi peu l’innocence
& l’vtilité de ces peintures, que vous
auez de peine de trouuer des raisons assez
fortes pour les condamner, & les descrier,
puis qu’il n’y a rien plus capable pour
nous representer nostre foiblesse, nostre
neant, & nostre vanité ; nous y voyons
le souuenir deplorable de nostre naissance,
nous y recognoissons l’estat de nostre
ruine & de nostre mort ; ils nous enseignent
& nous mettent tousiours deuant
les yeux au descouuert la fragilité
de nostre estre, la sotise de nostre orgueil,
la honte de nostre misere, & le crime de

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nostre premier Pere. En vn mot, ils nous
font voir la posture de nostre resurrection,
la contenance qu’il nous faudra tenir au
iugement vniuersel, & comme nous serons
dans le Ciel lors que nos corps y seront
reunis à nos ames, pour estre compagnons
de leur gloire, & y redoubler leur
felicité. Si de petits esprits en ont mal vsé,
c’est à eux qu’il s’en faut prendre, & non
point à ce qu’ils corrompent ; ce ne sont-ils
pas qui font le mal, mais qui le souffrent,
ce n’est point le suiet qu’il faut blasmer,
ce sont ceux qui l’alterent & qui en
abusent ; Et comme c’est vn sacrilege de
donner des noms de Saincts & de Saintes
à des Images qui n’en ont aucune apparence
non plus que le merite. C’est aussi
vn iugement temeraire, & vne espece de
calomnie tres dangereuse de condamner
celles qui n’ont n’y nom n’y vertu ; n’y
crimne n’y malice, & qui ne seruent qu’a
rendre vne chambre plus belle & plus
aggreable, sans causer aucune idolatrie,
n’y sugerer aucune mauuaise pensée. Les
Moines qui condamnent tout ce qui n’est
pas en leur puissance ; & qui n’improuuent
que les choses qu’ils ne peuuent pas
faire, sont tousiours suspects en ces accusations.
Si leurs actions ne dementoient

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leurs parolles, & s’ils estoient aussi peu
sensible à l’humanité qu’ils en font les
semblant, encore pourroit on leur pardonner
d’auoir de l’auersion pour des copies
qui pourroient esbranler leur continence
promise & mal gardée. Mais comme
il n’y a personne si peu cognoissant de
leurs humeurs qui ne sache qu’ils ne
fuyent le monde que pour le posseder
d’auantage, & qu’ils s’imaginent qu’on
leur desrobe les plaisirs qu’on leur deffend ;
c’est pourquoy on est tousiours en
garde contre eux, par ce que d’ordinaire
ils mesprisent en apparence les choses
qu’ils ayment le plus en effet, & qu’ils
font criminelles toutes celles qu’ils n’ont
pas, & qu’ils ne peuuent auoir. Pardonnez,
Mon Pere, à la liberté de mes iustifications,
puis qu’elles ont cét aduantage
par dessus vos accusations, qu’elles sont
plus discretes & plus veritables. Nostre interieur
ne releue point de vos iugemens,
souuent on void des yeux fichés dans le
Ciel, dont le cœur & les affections meritent
des crimes ; les grimaces exterieures
sont indignes d’vn honneste homme,
aussi bien que d’vne deuotion masle &
parfaite. Les Tableaux pour aggreables
qu’ils puissent estre ne sçauroient iamais

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se faire d’ennemis iustement, & si pour
estre trop gais & trop plaisants à la veuë,
ils nous portoient au mal, dés-là ils perdroient
leurs charmes, & ne meriteroient
plus l’estime qu’on en fait. Leurs
obiets ne sont pas plus dangereux, n’y
plus capables de faire naistre les pensées
que vous voulés condamner par vostre
imagination desreglée, que tant de beaux
visages que nous rencontrons à toutes
heures & à tous momens parmy les ruës,
qui sont les galleries communes, & dedans
les Eglises qui sont les Oratoires du public.
Pourquoy ne voulés vous pas que
les yeux ayent leurs plaisirs & leurs diuertissemens
aussi bien que les autres sens,
eux qui sont les plus sobres & les plus innocens
de tous ? Puis qu’il n’y a rien dont
on ne puis abuser, ne censurez plus ie vous
prie que les actions qui seront mauuaises,
sans vous porter auec tant de chaleur à
déclamer contre des choses qui ne vous
entendent pas, & qui ne vous obligent
point à faire tant de bruit ; non plus qu’à
mespriser les sentimens de

 

Vostre tres-affectionné
seruiteur A. A.

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