Anonyme [1649], DISCOVRS VERITABLE SVR LE GOVVERNEMENT DE L’ESTAT, Où l’on void les Ruses & Trahisons desquelles le Cardinal Mazarin s’est seruy pour se rendre necessaire auprés de leurs Majestez. , françaisRéférence RIM : M0_1153. Cote locale : A_2_44.
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Discours veritable sur le Gouuernement de l’Estat.

Où l’on void les Ruses & Trahisons desquelles le Cardinal
Mazarin s’est seruy pour se rendre necessaire
auprés de Leurs Majestez.

L’interest vniuersel du Royaume qui souffre
depuis long temps sous le ministere du
Cardinal Mazarin m’a souuent fait gemir & souspirer
auec les gens de bien, sans oser pousser des
plaintes qu’auec la crainte & le respect qu’on est
obligé d’auoir pour ceux que les puissances souueraines
ont estably : Mais à present que la patience
des François a laissé combler la mesure des rapines
& des iniquitez de ce Ministre estranger, &
qu’il à découuert aux yeux de tout le monde le
venin qu’il auoit caché si long-temps sous des
fausses apparences : Les plus sages & les plus moderez
disent hardiment auec la voix du peuple,
qui est celle de Dieu & des pauures qui en sont
les membres ; qu’ayant obsedé & trompé l’esprit
de la Reine Regente, il la obligée par ses pernicieux
conseils a apporter le trouble & la confusion
dans le cœur du Royaume, apres que par ses

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diaboliques longueurs & maximes, il a fomenté
celuy qui est au dehors, & ne l’a iamais voulu
esteindre, lors qu’on le pouuoit faire tres-glorieusement
Et qu’au mesme temps que Monseigneur
le Prince de Condé que nous pouuons appeller
l’Alcide de la France, auoir par sa valeur gagné
vne celebre & importante victoire sur les plus
puissans ennemis de l’Estat, & qu’il auoit asseuré
par ce grand coup de partie le dedans & le dehors
de ce Royaume contre les ambitieuses pretentions
d’Espagne, qui s’imaginoit de se pouuoir
vanger de ses pertes passées. Qu’au mesme moment,
dis-ie, que leurs Majestés, & toute la Cour,
& generalement tous les bons François estoient
sur le poinct de celebrer vne feste de rejoüissance
pleine d’allegresse & de feux de joye, son Eminence
Mazarine ou plustost, sarrasine & barbare,
a forcé la bonté de la Reine à faire arrester deux
des plus sages Senateurs du Parlement dont les
pensées & les actions ont tousiours esté en veneration,
& qui n’ont iamais commis aucun crime
que celuy que ce Ministre leur impute d’auoir
tasché de maintenir le peuple contre l’oppression,
& procuré le bien & la gloire de l’Estat sous
la minorité du Roy, auec trop de zele & d’affection :
Et l’on peut dire qu’il a voulu pratiquer en

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leur endroit l’Ostracisme des Atheniens qui
chasserent Aristide, Phocion, Miltiade, Themistocle,
& tous ceux qui excellent en justice & en
saincteté. Et ce qui est plus estrange & plein
d’impieté, c’est que l’execution de ce tyrannique
traitement se fit au sortir de l’Eglise de Nostre-Dame,
où l’on estoit allé chanter le Te Deum : : Ie
dis plein d’impieté, pource qu’il est impossible
que les loüanges & les actions de graces
soient agreables à Dieu, lors qu’elles procedent
d’vn cœur impur & remply de pensées, de haïne,
de vengeance, de prison, d’émotion & de trouble.
Aussi a t’on appellé cette action le Te Deum
Sicilien, comme estant inspiré par vne ame originaire
de ce païs-là, & qu’il a failly à estre aussi
funeste aux François que ces Vespres Siciliennes
le furent jadis à plusieurs de nostre mesme nation.

 

C’est en cette occasion que le Cardinal a fait
voir plus clairement qu’en aucune autre, ou qu’il
est tres-ignorant pour ne preuoir pas bien les
maux qui pouuoient auenir par cette action, ou
qu’il est tres-meschant & infidelle de conseiller à
sa maistresse des choses qui pouuoient visiblement
mettre l’authorité du Roy en compromis
& donner sujet au peuple de s’esmouuoir comme

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il a fait ; De l’accuser d’ignorance, l’on a remarqué
en plusieurs occasions que ce ne seroit pas luy
faire tort : mais s’il auoit esté capable de celle-là,
il faut confesser qu’il ne seroit pas digne non seulement
du ministere, mais du moindre employ
du monde. Que si ç’a esté par malice & par enuie
qu’il ait eu de mettre le trouble, d’infester & ternir
la gloire de Monseigneur le Prince, & de diminuer
l’affection que le peuple porte à la Reine,
il n’y a point de traitement assez rigoureux, dont
on ne se doiue seruir contre vne personne si ingrate
& si noire. Comme que ce soit, il a esté cause
que cette belle iournée qu’on destinoit à des
réjoüissances publiques a esté my partie de blanc
& de noir, & qu’au lieu de danses, de cris, d’allegresses
& de feux de ioye : Nous auons failly à voir,
si Dieu n’auoit tenu la bride à la fureur du peuple,
des horribles confusions, des lamentations
extresmes, & vn embrasement vniuersel.

 

Cette ame interessée a fait voir que si iusques
icy, il a fait semblant d’aymer le bien des François,
ce n’a esté que pour le leur rauir & pour se
l’approprier : Et comme les larrons ne cherchent
que la nuict & les tenebres pour exercer leurs rapines,
Ainsi cét Achitophel ne demande que la
guerre & le trouble pour se pouuoir maintenir

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dans son authorité tyrannique, & pour auoir pretexte
de tirer toute la substance des François, &
assouuir son auarice insatiable.

 

Lors que nous auons pû faire la paix à la gloire
du Roy & de l’Estat, & que deux de nos principaux
Plenipotentieres enuoyerent à la Cour le
Traité & les Articles les plus honorables qu’il
estoit possible de souhaitter ; Le Cardinal à si bien
ensorcellé l’esprit de la Reine, que contre son inclination,
il l’a obligée de la refuser sous des pretextes
de peu de consequence. Et à present que la
victoire de Flandres alloit obliger nos ennemis à
la demander auec plus de necessité & d’instance ;
Il a tasché de sussiter des tumultes & des desordres
dans le cœur de la France, pour tascher de releuer
les esperances de nos ennemis, & les empescher
de proposer des conditions de paix que nos
aduantages les eussent contraints à subir : En vn
mot, nous pouuons dire que si le Roy d’Espagne
eut peu en cette conjoncture forcer la Reine à
faire quelque chose pour son seruice, il ne luy en
auroit pû conseiller aucune qui luy eust esté plus
aduantageuse.

Le Cardinal sçait fort bien que les diuisions
qui ont esté entre le Conseil du Roy & le Parlement,
ont esté en partie cause que les peuples ruinés

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par ses horribles vexations & par ses brigandages,
ne veulent ou pour mieux dire, ne peuuent
plus fournir à la taille & aux autres impositions.
Et que quand la source ne seroit pas entierement
faillie, & qu’ils auroient encore le moyen de contribuer,
il n’y a rien qui les en empeschast que de
voir mal-traiter les Parlemens, qui en semblables
occasions sont les mediateurs enuers les Rois, &
seruent de barriere entre le peuple & le souuerain,
afin que toutes choses se fassent de part &
d’autre auec raison, iustice & equité, & que ce
sont eux qui voyans que le Royaume est en proye
aux meschans, veulent seruir d’appuis pour le redresser
durant la minorité du Roy, & veulent
mettre à bon escient la main au deuant d’vne ruine
si prochaine.

 

Et toutesfois au lieu de chercher les moyens
de reconciliation & de concorde, pour tous ensemble
d’vn mesme mouuement procurer la paix
& la tranquilité au Royaume. Ce meschant Ministre
a gourmandé les Parlemens, & leur a fait
commander des choses si injustes & si contraires
à leurs coustumes & à leur pouuoir, que nonobstant
le respect qui est deu à la Reine, ils ont esté
contraints pour leur honneur & pour le seruice
du Roy & le bien de l’Estat de luy desobeïr au

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mesme instant. Et qui plus est, cét insatiable Italien,
ayant esté poussé par l’instigation de trois ou
quatre partisans, principaux suppots de son horrible
auarice, de conseiller à la Reine de faire des
menaces au Parlement, & de faire arrester deux
des plus sages Officiers d’iceluy, pour estre peu de
temps apres mis entre les mains d’vn bourreau ; Il
a veu son pernicieux conseil tourner à sa honte &
à sa confusion, & la Reine Regente qui le croit
comme vn oracle, a esté contrainte de rendre au
peuple ces deux innocentes victimes qu’elle vouloit
sacrifier à sa passion ; Et cét infidel & pernicieux
Aman a esté cause du triomphe du bon
Mardochée, lequel il vouloit perdre ; Que si Dieu
nous fait la grace de voir vn iour nostre jeune
Roy capable de descouurir ces trahisons & ces
meschancetez, il punira ce temeraire Ministre
de la mesme façon que le Roy Assuerus punit
Aman : & peut-estre que le mesme Dieu permettra
que la Reine connoistra bien-tost que les
conseils qu’on luy a donnés sont tres-pernicieux,
puis qu’ils ont eu des succés si contraires à leur
but ; & que ceux qui l’ont obligée à vouloir traiter
des gens de bien comme des criminels, luy paroistront
tels qu’ils sont, pour en receuoir le chastiment
qu’ils meritent. Si sa Majesté n’auoir

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comme elle a des tiltres & des charmes deuant
les yeux qui l’enchantent, elle verroit que son
Ministre apres auoir tiré comme vne sansuë tout
se sang, & rongé comme vn chancre, ou vne tigne,
toute la substance des François. est à present
comme vne grosse baleine qui ne se plaist qu’à
nager dans nostre sang & dans nos tresors, & que
son effroyable auarice à la gueule tousiours ouuerte
comme vne fournaise pleine d’vn feu deuorant
pour consumer tout le bien de la France ; Et
tout au contraire sa Maiesté cognoistroit que
ceux qu’elle a voulu perdre sont des veritables
gens de bien, qui font gloire de preferer l’interest
& le repos du public au leur particulier, & qui taschent
au peril de leur vie & de leur repos, de procurer
le soulagement à cent millions de François
qui gemissent dans vne misere & pauureté extréme.

 

Le Parlement auquel le jugement des crimes
appartient, auoit resolu de faire informer contre
plusieurs Partisans, qui sous la protection du Cardinal
se sont enrichis si excessiuement, qu’on
peut dire qu’ils ont eu plus d’or & d’argent que
plusieurs Rois, & qu’il n’y a point eu de Princes
en l’Europe qui ayent iamais vescu auec plus de
bombance & de luxe que plusieurs d’iceux ont

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fait depuis quelques années ; Leurs grandes &
belles maisons, leurs iardins, leurs parteres, leurs
fontaines, leurs canaux, leurs casquades, leurs statuës
de bronze & de marbre, leurs tableaux &
perspectiues, leurs precieux ameublemens, leurs
somptueux festins, leurs l’ambris & carosses tous
dorez, leurs equipages magnifiques, leurs prodigieuses
despenses auec les femmes, au ieu & dans
plusieurs autres desbauches plus infames, nous
faisans assez cognoistre la hardie impudence de
leurs brigandages excessifs & demesurés ; Et
pourtant quoy que la pluspart soient de si basse
naissance, qu’ils ont honte de porter le nom de
leur famille, ils ont esté protegez par le principal
Ministre, qui a employé l’authorité du Roy & le
pouuoir de la Reyne, & des Princes du Sang, pour
lier les mains aux Parlemens, & les empescher de
les punir, & leur faire rendre gorge au profit du
Roy : Et quoy que presentement il n’y ait point de
plus asseuré moyen que celuy de l’establissement
d’vne Chambre de Iustice, pour faire rendre
compte & chastier ceux qui ont volé les Finances
du Roy, & qui ont exigé beaucoup plus qu’ils ne
deuroient sur le peuple : L’on a tasché d’empescher
par mille moyens, l’effect d’vn si iuste & si
profitable dessein, pource qu’ils apprehendent

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que des vns on ne vienne aux autres : Et le Ministre
sur tout qui est le plus grand voleur, craint
auec iuste raison de se trouuer aussi accablé dans
la ruine & dans le chastiment des autres.

 

Et pource qu’il sçait que tous les gens de bien
sont tres bien informez de toutes choses, & particulierement
Messieurs du Parlement, & de la
Chambre des Comptes, il a fait & continué encore
de faire tout ce qu’il peut pour les rendre
odieux à la Reine, luy alleguant faussement qu’ils
attentent à l’authorité du Roy, qu’ils sont cause
que le peuple ne veut plus payer la taille, & qu’ils
esmeuuent les seditions pour obtenir par force
ce qu’ils demandent ; Et de la sorte, ils enueniment
l’esprit de cette bonne Princesse contre les
plus fidels Subiets, & les principaux seruiteurs du
Roy son Fils, qu’ils font passer pour des traistres
& des mauuais François : Mais, helas ! elle ne void
pas le poison qui est caché dans cette confiture,
elle n’entend pas, & l’on l’empesche de se pouuoir
instruire de la meschanceté de ces maximes, elle
est obsedée par des flateurs à gages, & par des espions
& pensionnaires qui l’enuironnent sans
cesse, & qui luy font croire tout ce qu’ils veulent.
En sorte, que mesme elle s’est persuadée qu’elle
seroit malheureuse, & que tout periroit, si les affaires

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n’estoient administrées par celuy auquel elle
en a donné le pouuoir.

 

Est-il possible, bon Dieu, que dans tout le loisir
qu’elle a estant retirée dans son cabinet, dans
son lict ou ailleurs, qu’elle ne fasse aucune reflexion
sur le peu de bien, & sur le peu d’honneur
qu’elle reçoit à suiure les conseils de cét estranger.
Elle verroit que tant est loin que l’Histoire
de sa Regence soit pleine de merueilles & de
gloire, qu’au contraire, son Fauory la renduë
honteuse & méprisable aux siecles à venir : Et
qu’au lieu qu’elle se pouuoit rendre la plus auguste
& la plus renommée Princesse du monde,
par les aduantages que Dieu luy auoit fauorablement
departis, elle s’en est renduë en quelque
sorte indigne, pour auoir mesprisé ses graces ;
Et Dieu veuille que son endurcissement ne luy
attire quelque malediction d’en haut, & qu’elle
ne cognoisse trop tard le mal, & la honte que ce
meschant Conseiller luy procure.

Est-il possible encore vn coup, ô Grand Dieu,
que ceste Reyne à laquelle vous auez tant élargy
de faueurs & de graces, soit à present ingrate
& mescognoissante enuers vostre Diuine bonté ;
Vous l’auez fait naistre du plus illustre Sang du
monde, pour la ioindre par alliance à la plus haute

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& à la plus glorieuse maison qui ait iamais regné
sur la terre ; Le tronc d’où elle est sortie n’a
eu pour ses branches que des Sceptres, & pour
ses fruicts que des Couronnes & pour haut qu’elle
remonte vers sa source, elle ne trouue que des
Empereurs & des Roys pour ses predecesseurs :
Elle a esté mariée au plus grand Monarque de
l’Vniuers, & sa matrice estant fermée durant plusieurs
années, en fin elle est deuenuë Mere feconde
& bien-heureuse des deux enfans ausquels
le Ciel fauorable a desparty toutes les belles
qualitez de corps & d’esprit, qui sont necessaires
pour attirer & gagner les cœurs de tous ceux
qui les considerent ; Le Ciel, dis je, pour donner
plus de gloire à cette Reyne, luy a donné des enfans
en benediction sur la fin du Regne du feu
Roy Louys XIII. son mary ; afin qu’estans encore
ieune, elle peut estre reuestue de cét Auguste
Tiltre, non seulement mere du plus grand Roy
du monde ; mais aussi de celuy de Regente de sa
personne & de ses Estats ; ce qui est vne faueur
dont elle n’auroit ioüy qu’à moitié si sa couche
eut esté fertille aux premieres années de son mariage.
Et quoy que le Roy son mary eut nommé
par son Testament & adjoint à sa Regence quelques
Princes & autres dignes personnages, pour

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luy aider à tenir les resnes de cét Estat elle a eu
pourtant ce bon heur que d’vn commun consentement
ils luy cederent tous l’honneur qu’ils
y pouuoient pretendre, en suitte dequoy le Parlement
de Paris la declara seule Regente du Roy
& du Royaume ; apres que sa Majesté eut esté
receue par les Parisiens, dans la premiere entrée
qu’elle fit faire au ieune Roy Louys XIV. le lendemain
de la mort du Roy Louys XIII. son pere,
auec toutes les demonstrations de ioye qu’il
estoit possible, tout le peuple de Paris estant allé
à deux lieuës au deuant de leurs Majestez, comme
ceux de lerusalem allerent iadis au deuant de
nostre Seigneur, auec des cris d’allegresse & des
acclamations merueilleuses, accompagnées de
larmes, non d’aucune douleur qu’ils eussent de
la mort du feu Roy, (qui a causé des extrémes vexations
dont il auoit sur chargé son Peuple, n’en
estoit pas beaucoup aymé ny regretté) mais de
larmes d’amour, de ioye & de tendresse, que leurs
cœurs les obligeoient à verser à l’arriuée & au
ioyeux aduenement de ce ieune Roy & de la
Reyne sa mere, qui leur auoit paru si sage, si benigne
& si craignant Dieu, qu’ils esperoient &
croyoient presque asseurement, que toutes choses
seroient heureusement restablies & restaurées

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sous sa Regence, que la Paix qu’elle auoit si
souuent souhaittée, & pour laquelle elle auoit
tant fait de Vœux & de prieres seroit concluë &
publiée : Et il sembloit que Dieu la voulant entierement
combler & rassasier de gloire, luy reserua
cét honneur, qui luy auroit attiré les loüanges,
& les benedictions de tous les Peuples de
la terre ; Mais helas ! cette pauure Reyne a refusé
toutes ses graces, & au lieu d’en estre recognoissante
enuers celuy qui les luy auoit si abondamment
desparties, & de tesmoigner à la Chrestienté
desolée, & notamment aux François, qu’elle
n’estoit pas ingrate de tous les biens-faits qu’elle
auoit receu de Dieu ; Elle a pris proche de sa
personne des Conseillers iniques, elle n’a presté
l’oreille qu’à des flateurs interessez, elle s’est demise
du soin qu’elle deuoit prendre de la personne
du Roy son fils, & de ses Estats en des mains
estrangeres, en des mains ignorantes, en des
mains iniques & pleines de rapine, en des mains
infames & odieuses à tous les gens de bien : Elle
a commis la garde de son Troupeau, non à des
fideles & soigneux Bergers pour les tenir en paix
& les mener en des bons paquis, mais à des loups
affamez & rauissans qui ont ruiné & saccagé tout
le Royaume, & qui n’ayans aucune affection pour

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les François, à cause de la contrarieté de leurs
humeurs, de leurs lãgages & de leurs coustumes,
n’ont cherché qu’à s’agrandir de nos biens & se
gorger de nos substances, pour nous quitter vn
iour, & se mocquer à leur aise de nostre stupidité,
& de nostre lascheté. Si Dieu ne permet qu’on
les arreste pour les faire creuer ou rendre gorge
de ce qu’ils ont pris trop auidement. Bref, la pauure
Reyne a esté & est encore si aueuglée qu’elle
s’imagine de perir, & que son Nauire feroit
naufrage s’il n’estoit conduit par ce Pilote, dont
le gouuernement & le timon luy sera aussi fatal
& honteux, comme il l’est desia deuant les yeux
de tous les sages qui rougissent de honte, & qui
en souspirent.

 

N’est-ce pas rendre les François bien mesprisables,
& auoir bien peu d’opinion de leur suffisance,
ou plustost tesmoigner l’aduersion & la
haine qu’on a pour eux, que de choisir vn des plus
ignorans de Rome, & dont la naissance est tres-basse
& l’origine encore plus honteuse, pour le
preferer à vn si grand nombre de braues & de genereux
Princes & Seigneurs qui sont en France,
dont le merite, la prudence, le courage & l’experience
sont beaucoup plus grandes que celles de
cét insolent Ministre, qui a fait paroistre son ignorance

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& sa lascheté en tant d’occasions importantes :
Que si la Reine n’estoit entierement trompée,
elle connoistroit assez visiblement qu’elle se laisse
gouuerner par vn homme qui ne luy inspire
que la bassesse & la honte : Et que cela ne soit,
auons nous veu iusques icy qu’elle ait illustré sa
vie d’aucune action genereuse, y a t’il quelque
manque ou quelque vestige glorieux, duquel le
siecle present puisse dire, ny la posterité connoistre
que la Reine Anne d’Austriche femme du
Roy Louis XIII. & Mere & Regẽte du Roy Louis
XIV ait erigé à sa memoire ; a-t elle fait quelque
action memorable qui merite quelque louange,
& dont elle se puisse glorifier, comme estant l’ouurage
de ses mains ? Certes il n’y en a point, &
nous voyons tous les iours le contraire, que si l’on
trouue quelque chose de beau dans l’histoire de
sa Regence, c’est ce que les Princes ou les Generaux
d’armée auront fait par leur seule vertu sans
aucune assistance n’y de la Reyne n’y de son Ministre :
qui ne pouruoyent aux affaires qu’à contre
temps, & lors que tout semble estre à l’extremité
& prest de se perdre ; de quoy nous pourrions
alleguer vn nombre infiny d’exemples.

 

Lors que par la valeur de nos Generaux, &
par la patience & le courage de nostre noblesse

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& de nos soldats, plusieurs villes ont esté prises
sur nos ennemys : n’en à t’on pas perdu quelques
vnes par la negligence des Ministres qui ignorans
les maximes de la guerre, les ont laissé manquer
d’argent, de viures, de munitions & de
gens de guerres, & qui pis est pour auoir enuoyé
des ordres dangereux & à contre temps & fait
sortir les garnisons, tesmoins, Mardic, Courtray,
Armentiers & quelques autres places en
Flandres. Pourquoy est ce que l’Erida à manqué
à estre prise par deux fois, nous sçauons tres-bien
que ce n’est pas la faute des deux Generaux d’Armée
qu’on y a enuoyés, qui sont les deux plus
vaillans Princes de l’Europe, qui ont eu de tres-grands
suiets de plainte contre les Ministres qui
leur ont beaucoup promis pour les embarquer,
& puis les ont denués des choses les plus necessaires.
Et dans l’affaire de Naples n’est-il pas facile
à voir que leurs longueurs sont cause que
tout y est allé en desordre sur la fin ; car si durant
le temps que Monsieur de Guise y estoit en bonne
posture l’on luy eut enuoyé des forces consirables,
il auroit eu le moyen de s’y maintenir, &
peut estre que sa valeur ou sa bõne fortune nous
auroit rendu vn Royaume, sur lequel nous auons
de tres-legitimes pretentions ; mais au lieu de secourir

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ce pauure Prince, & de luy ayder à acheuer
ce qu’il auoit si hardiment commencé, l’on
luy enuoya faire des propositions qui luy parurent
si estranges & si honteuses qu’il témoigna
d’aymer mieux perdre la vie que de les accepter,
l’on luy offrit de l’enuoyer Vice Roy en Catalogne,
moyennant qu’il eut voulu laisser sa place
au Cardinal de sainte Cecile frere aisné du Cardinal
Mazarin ; lequel sans doute y auroit fait de
prodigieuses merueilles, par sa sage conduite,
par sa longue experience aux affaires de la guerre
& de la politique, & par la consideration de sa
glorieuse & illustre naissance, qui estant cognuë
en ce pays là vn peu mieux qu’ailleurs, auroit attiré
le respect & gagné l’amour de tous ces peuples,
& mesme de la Noblesse qui sans doute eut
esté beaucoup plus aise de luy deferer qu’à vn
Prince de la maison de lorraine.

 

Quant à moy ie
ne sçay quel estoit le but du Cardinal Mazarin
en ce beau dessein, ie pense que son esprit aueuglé
de sa faueur & ensorselé de son ambition luy
faisoit conceuoir de telles chimeres, il croyoit
que la fortune plustost que le merite luy ayant
donné tant de pouuoir en France, luy seroit aussi
fauorable en ce pays là, & qu’il pourroit encore
mieux gouuerner des Italiens auec des maximes

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Italiennes que non pas des François, ausquels
portant il pretendoit de faire seruir de marotte
pour éleuer sa ridicule ambition sur ce trosne
imaginaire, où il meditoit de faire vne retraitte
pompeuse & magnifique, & y mener en
triõphe les despoüilles & les tresors de la France,
& les trophées qu’il à rẽportées sur tous nos Princes
qu’il à honteusement attachez au chariot de
sa gloire & assuietis à sa Tyrannie : Il seroit allé
estaller plus de cinquante millions qu’il a volez à
la France & auroit mis des armées sur pied par le
moyen d’vn grand nombre de caisses plaines de
Louys qu’il auoit enuoyées en Italie pour venir à
bout de ce superbe dessein, & auroit estably vne
seconde Tyrannie Sicilienne, & decouurant la
honte & la patience des François de luy auoir
laisse voler tous ces tresors dont nous auons à
present vn si grand besoin ; Enfin Monsieur de
Guise ne voulant pas laisser le fruit de ses trauaux
à vn autre, refusa ces propositions, & le
Cardinal l’abandonna & fomenta si bien la diuision
& la mes-intelligence entre luy & le General
Aneze que peu à peu estant descheu de pouuoir
plustost que de courage & de resolution, il
s’est trouué enuelopé dans vne noire & ingrate
trahison, & à esté fait prisonnier des Espagnols

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comme chacun sçait. Depuis ce temps on à fait
des armemens auec grande despence pour enuoyer
en ce pays là, mais il ne se faut pas estonner
si le succés n’y a pas esté fauorable pour y
estre allez trop tard & auec trop peu de forces,
lesquelles auroient esté plus vtilemẽt employez
ailleurs, s’il n’auoit falu en quelque sorte contenter
l’ambition ridicule du Cardinal Mazarin,
qui ayant eschoüé de ce costé là, fit donner la dignité
de Vice-roy de Catalogne à son frere, auquel
il donna vn superbe équipage & vne compagnie
de cent Gardes tres-bien montez, & vestus
de riches casaques d’escarlate couuertes de
passemens d’argent. Mais ce ridicule personnage
ayant cogneu que sa teste n’y ses espaules, n’estoient
pas assez fortes pour soustenir vn si glorieux
& pesant fardeau, quitta & abandonna tout
auant, mesme qu’on y eut enuoyé vn autre, &
s’en vint à Paris, où se faisant cognoistre par mille
impertinences & folies qui attirerent la moquerie
& la risée de toute la Cour, il s’en est enfin
retourné à Rome dire ses patenostres & iouyr à
son aise du Cardinalat, auec le titre que nos
Courtisans luy ont dõné de Triuelino fatto Principe.

 

Ironie.

Que si nous voulions exagerer tout ce que
l’ambition, l’auarice & l’iniustice ont fait faire au

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Cardinal, il faudroit se resoudre à vn grand Volume,
ie me contenteray de parler & de me plaindre
auec toute l’Europe, de l’inique & mauuais
traittemẽt qu’il a fait à Monsieur le Mareschal de
la Mothe-Houdancour, qui ayant par sa vertu &
par vne infinité de glorieuses & memorables
actions acquis l’amitié & l’estime du feu Roy,
fut fait Vice-roy de Catalogne & ensuite Duc
de Cardonne, où il commanda auec de si honnorables
& si auantageux succez pour la France, &
vne si entiere satisfaction des Catelans, que la rage
mesme estoient forcées à publier sa gloire, &
sa renommée ; mais cõme le loup d’Esope querela
la brebis & luy voulut faire croire qu’elle troubloit
le ruisseau ou il vouloit boire, quoy qu’elle
fut bien au dessous du courant de l’eau, pour auoir
pretexte de la deuorer ; ainsi cét insatiable
Ministre desirant de s’approprier la despoüille de
cét innocent & genereux Lyon, & notamment
ceste Duché qui luy auoit esté donné auec tant
de iustice, luy a supposé des manquemens &
maluersations fauses & calomnieuses, & quoy
qu’elles se soient destruites d’elles mesmes
dés le commancement, il obligea pour tant la
Reyne à le faire arrester & emprisonner au Chasteau
de Pierre-Encise à Lyon, & puis à l’Assenal

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de Grenoble, ayant demeuré à l’vn ou l’autre
pres de quatre années ; cét insolent Ministre
ayant taché de luy faire faire son procez contre
les formes ordinaires, & contre les priuileges
dont ioüissent les personnes qui sont esleuez
à cette dignité. Mais il faut croire que Dieu est
plus fort que les meschans, qu’il dissipe le Conseil
& renuerse les entreprises des malins, & qu’il
permettra que la Reine congnoistra auec toute
la France l’iniustice & la barbarie, auec laquelle
son Ministre traitte l’innocence d’vn si grand
homme, & qu’enfin sa Majesté estant mieux inspirée,
donnera la liberté & restablira dans ses
Charges, & dans ses dignitez celuy auquel les
plus noires malices de l’Enfer n’ont iamais peu
faire perdre l’honneur qu’il s’est acquis par sa valeur
& par sa fidelité. Et si i’osois faire le Prophete,
ie dirois hardiment, que Dieu qui est iuste Iuge,
fera tomber ce loup rauissant dans le fossé
qu’il a creusé aux autres, & qu’vn iour ses iniustices
& ses rapines luy tomberont sur la teste, &
seront reparées & vangées par son sang.

 

Mais pour reuenir à nostre principal suiet, &
acheuer de decouurir à la Reyne dans quel malheur
le Cardinal l’a plongée, au lieu de l’esleuer
comme il pouuoit dans le plus haut Solstice

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d’honneur où iamais Princesse soit montée.
N’est il pas vray que s’il eut aimé sa gloire, il eut
fait la Paix durant sa Regence, & qu’il eut par ce
moyen renduë la plus illustre, & la plus aimée
Princesse de l’Vniuers ; Mais au contraire, pour
se pouuoir maintenir dans son authorité, il a fait
tous ses efforts pour la rompre & pour l’esloigner,
il a fait rappeller Monsieur le Duc de Longueville,
& disgracier Monsieur d’Avau, pource
qu’ils faisoient tous leurs efforts pour la procurer
à la Chrestienté, & qu’ils auoient tesmoigné
d’estre honteux de la refuser aux conditions tres-auantageuses
qu’on nous offroit. Que si la Reine
consideroit vn peu chrestiennement ce que
c’est que d’auoir refusé la Paix, elle verroit que
son conseil la renduë par ce moyen la coupable
du crime de la guerre, & responsable deuant Dieu
de tous les maux, & de toutes les miseres qu’elle
entraisne apres soy ; & qu’il luy redemande le
sang des innocens qui perissent tous les iours par
ce fleau là, elle trembleroit d’horreur, & seroit
espouuantée si elle entendoit les gemissemens
de cent mille pauures Chrestiens qui sont reduits
à la faim & au desespoir : Qui dit la guerre, dit
tous les maux du monde, mal-heur donc sur les
Conseillers qui l’entretiennent & qui la fomentent ;

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& benediction à ceux qui aiment la Paix &
qui la pourchassent.

 

Que si dans la continuation de nos mal-heurs
cét execrable Ministre pouuoit faire voir que la
Reine luy est obligée, pource que par ses conseils
il a augmenté ou du moins conserué en son
entier l’authorité du Roy, l’on pourroit en ce cas
la souffrir auec quelque patience l’amertume de
cette pilule, & nous subirions auec moins d’inquietude
toutes nos pertes & toutes nos peines ;
mais au contraire il l’a entierement abatuë &
renuersée, & en plusieurs occasions tres-importantes,
il a par ses conseils obligé la Reine a faire
des commandemens si iniques & si honteux
à ses Parlemens ; & mesme depuis peu aux Capitaines
des Gardes du Corps du Roy, que les vns
& les autres ont esté forcez par leur honneur, &
pour le seruice du Roy de luy desobeïr au mesme
moment ; l’en alleguerois les particularitez
si chacun ne les sçauoit, & si ie n’estois bien aise
que la posterité ne se mocquast de cette pauure
Reine pour s’estre laissée gouuerner à vn si ignorant
& si lasche Ministre. L’emprisonnement de
ces deux Officiers du Parlement, fait contre toute
sorte de Iustice & de raison, & contre les formes
pratiquées par les Souuerains qui ne veulent

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point estre appellez Tyrans, suffira pour faire
cognoistre que la violence & la haine qu’il a
contre le repos & la tranquillité de la France le
poussent à ces fureurs inconsiderees ; desquelles
pourtant il a esté contraint de se repentir, le Peuple
de Paris ne demandant qu’à se vanger sur sa
personne, & la Reine a esté obligée a temporiser
& à les reparer à la confusion de son Maistre,
non pas par des sentimens plus equitables qui
soient entrez dans son ame, mais par l’apprehension
& par la crainte que ses plus fideles Seruiteurs
luy ont fait conceuoir de la fureur du Peuple
qui menaçoit de tout perdre excepté le Roy,
si l’on ne leur rendoit ces deux Officiers qu’elle
auoit fait arrester ; Chose estrange que le cœur
d’vne Reine que Dieu a traittée auec tant de douceur
se soit portée à cette extremité, de vouloir
faire perir deux des plus sages & des plus gens de
bien du Royaume, pource qu’ils estoient portez
au soulagement des oppressez, & qu’ils procuroient
de toutes leurs forces l’auancement de la
Paix generale, & le repos & tranquillité de tout
le monde. C’est ce que ie ne puis conceuoir, &
dans mon estonnement i’apprehende qu’ayant
preferé l’apparence de ce siecle à la gloire de
Dieu, & à l’amour de ses Peuples, il ne se lasse

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bien-tost de luy faire tant de bien, & que son ingratitude
n’attire sur sa personne les vangeances
du Ciel, que ie prie le mesme Dieu de destourner,
& de luy inspirer vn meilleur conseil.

 

Que si ceux qui sont cause de tous nos maux,
& qui les plongent pour asseoir leurs passions denaturées
tombent en fin sous la fureur des mains
vangeresses du Tout puissant, nous nous abbatrons
deuant sa face terrible, & benirons auec
crainte & admiration la profondeur de ses iugemens,
qui en fin lors que la mesure est comble,
sont tousiours merueilleux & espouuantables :
C’est le Dieu de Paix qui cassera la teste aux meschans,
& les mettra dessous nos pieds, qui restablira
ce Royaume dans son ancien lustre, qui
donnera repos & consolation aux affligez & brisera
comme du verre ceux qui mangent son Peuple,
& qui affligent sans cause les innocens.

Quelque temps apres, comme toutes choses
sembloient tendre à vne concorde vniuerselle,
& que Messieurs du Parlement mettoient à bon
escient la main à l’œuure pour reformer les abus,
& pour chastier ceux qui auoient maluersé dans
les Finances ; & qui auoient aidé à saccager la
France, pour tascher de gorger l’auidité insatiable
du Cardinal Mazarin. La Reine qui estoit incessamment

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obsedée par tous ceux de sa Maison,
qui sont pensionnaires de ce meschant Ministre,
& qui contre leur sentiment exaltent la fidelité
& la vertu de ce glorieux & incomparable Cardinal,
se laissa persuader de faire sortir le Roy
clandestinement, & de le mener à Ruel, & puis
à S. Germain en Laye, ayant aussi obligé tous les
Princes à y aller, lesquels adoucirent pour quelque
temps l’esprit de la Reine, & ayans conferé
plusieurs fois auec les Deputez du Parlement,
qui ne voulurent iamais souffrir que le Cardinal
assistât à leurs deliberations, L’on demeura enfin
d’accord de la Declaration qui fut solemnellement
verifiée & publiée ; apres quoy le Preuost
des. Marchands & les Escheuins de Paris estans
allés supplier la Reine de venir à Paris, & d’y amener
le Roy, leurs Maiestez s’y acheminerent au
contentement vniuersel de toute la France, qui
croyoit que desormais toutes les volontez seroient
vnies, pour se preparer puissamment contre
les Ennemis de l’Estat : Mais comme le Cardinal
Mazarin & ses supposts virent que cette Declaration
les empeschoit d’exiger des sommes
aussi immenses qu’ils eussent souhaitté, & que
cét ordre les mettoit en desordre, & qu’ils ne
pouuoient plus imposer n’y exiger à leur fantaisie,

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sans estre obligez à rendre compte : Ils l’a violerent
en plusieurs façons, & se mocquerent des
plaintes & des remonstrances qu’on en fit : ce
qui ayant encore forcé Messieurs du Parlement
à s’assembler extraordinairement pour y remedier.
Monsieur le Duc d’Orleans & Monsieur le
Prince de Condé, y assisterent deux où trois fois,
& les choses furent en quelque façon appaiseés ;
& l’on croyoit que les choses alloient prendre
vne meilleure pente, & que les vns & les autres
agiroient puissamment, & pouruoiroient vnanimement
à tout ce qui seroit necessaire pour
faire la guerre auec autant de gloire qu’on auoit
iamais fait : tellement que toute la France esperoit
que les ennemis n’auroient pas suiet n’y
moyen de se preualoir beaucoup des diuisions
passées : Mais le Cardinal voyant que le Parlement
estoit resolu, non seulement de faire executer
ladite Declaration selon sa forme & teneur ;
mais aussi de luy oster toutes sortes de moyens,
pour mettre ses mains rauissantes si auant qu’il
auoit fait dans les Finances, & peut-estre renouueller
en sa personne l’Arrest de l’an 1617. donné
contre les Estrangers : voyans bien que ce meschant
& pernicieux Ministre tachoit d’allumer
comme il a fait le flambeau d’vne guerre intestine,

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& de nous faire perdre par ce diabolique
moyen toutes nos conquestes, & donner moyen
& vn champ libre aux Espagnols de se vanger de
leurs pertes passées : pour dis je, venir au plus souhaittable
poinct pour exercer ses vengeances.
Il resolut d’enleuer & de rauir le Roy, & de le faire
sortir comme il fit de son lict auec vne extréme
precipitation, durant vne nuict tres-froide &
tres obscure, & ainsi le mener à S. Germain, sans
qu’on eut eu le loisir d’y porter le quart des équipages,
des habits, des tapisseries & de la vaisselle
d’argent de sa Maiesté ; Ce rauissement inopiné,
& ce mauuais traitement fait au Roy luy, tirerent
des larmes & des cuisans regrets de se voir mener
de la sorte & contre sa volonté ; comme s’il eut
esté capable de preuoir les mal-heurs que ce
maudit conseil deuoit causer à la France, laquelle
depuis ce temps-là est tombée dans vn precipice
& vn chaos si estrange, que toute la prudence
humaine n’est pas capable de l’en retirer, si la
main toute-puissante de Dieu, qui a tousiours
esté la protectrice de cette Monarchie, n’opere
miraculeusement pour son salut.

 

Et pour cet effet, genereux François esleuons
nos yeux & nos cœurs vers le Ciel, car puis que
les Princes terriens sont tellement aueuglez ou

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ensorsellés qu’ils ne peuuent ou ne veulent pas
nous secourir ; il faut recourir au Roy des Roys
& au Dieu de paix, & nous vnissans à luy par la
repentance & par la priere, il confondra nos ennemis,
& nous fera sentir la verité des promesses
qu’il a faites à ceux qui ont esperance en luy, car
lors que le bras de la chair est racourcy, il estend
le sien pour auoir toute la gloire du secours, &
de la deliurance qu’il donne à ceux qui se confient
en luy.

 

FIN.

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Anonyme [1649], DISCOVRS VERITABLE SVR LE GOVVERNEMENT DE L’ESTAT, Où l’on void les Ruses & Trahisons desquelles le Cardinal Mazarin s’est seruy pour se rendre necessaire auprés de leurs Majestez. , françaisRéférence RIM : M0_1153. Cote locale : A_2_44.