Anonyme [1652], DISCOVRS Sur plusieurs points cachés & importans de l’Estat touchant la nouuelle conduite du C. Mazarin. DESCOVVERT AV ROY PAR vn Page de la Reyne, pendant le sejour de Pontoise: Et du depuis enuoyé par escrit à Paris, à vn de ses plus intimes Amis. , françaisRéférence RIM : M0_1151. Cote locale : B_15_18.
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DISCOVRS Sur plusieurs points cachés & importans
de l’Estat touchant la nouuelle
conduite du C. Mazarin.

DESCOVVERT AV ROY PAR
vn Page de la Reyne, pendant le sejour
de Pontoise :

Et du depuis enuoyé par escrit à Paris, à vn de ses
plus intimes Amis.

A PARIS.

M. D. C. LII.

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Aduertissement au Lecteur.

IL y a quelques jours que l’on m’enuoya
vn Pacquet, dans lequel au lieu de Lettres,
ie trouuay ce Discours, sans Nom, &
sans moyen quelconque de reconnoistre ny
l’Autheur, ny le lieu d’où il estoit enuoyé.
Neantmoins aprés l’auoir leu, & ayant reconnu
qu’il ne pouuoit venir que d’vn très-fidele
François, qui sçait dignement reuerer
le Roy & ses Princes ; I’ay osé à ce subjet
le publier. En quoy i’ay creu seruir le public,
puis qu’il n’est remply que des choses
necessaires pour vne tranquillité vniuerselle
dans ce Royaume : laquelle par la Grandeur
du courage de nos grands Princes, &
par leur Prudence & Fidelité, rendront cét
Empire le plus florissant de la Terre.

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DISCOVRS SVR PLVSIEVRS POINTS
cachez & importants de l’Estat, touchant
la nouuelle conduitte du C. Mazarin.

Descouuert au Roy par vn Page de la Reyne, pendant
le sejour de Pontoise : Et du depuis enuoyé par
escrit à Paris, à vn de ses plus intimes Amis.

SIRE,

C’est le commun sentiment non seulement de
vos Peuples, mais encore des Estrangers, que le
Cardinal Mazarin merite d’estre tenu & regardé
comme vn prodige de rebellion, veu que dans vn
grand & puissant Estat, tel que le vostre, il a peu
en l’espace de six ans, maintenir ses reuoltes contre
tous les Princes & Estats du Royaume, voyant
que l’on vouloit faire la paix entre l’Espagne &
la France : & a esté l’vnique support d’vn dangereux
party, qui sans luy eust este il y a long-temps
dissipé & reduit à neant. C’est ce qui a de tout
temps causé vne iuste indignation en mon esprit,

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& m’auoit porté à faire vne curieuse recherche de
l’origine & progrez de cette puissance extraordinaire,
& par quels moyens ce Mazarin s’est accreu
& maintenu iusques à present, & pourroit à l’aduenir
estre rangée à son deuoir. De sorte qu’apres
tant de troubles qu’il emeus dans cét Estat,
abusant de l’authorité du Roy, pour s’établir sur
la perte des plus puissans de ce Royaume, & tirer la
gloire de la ruine de tous les peuples, j’auois enfin
resolu de manifester ouuertemẽt la verité, & ce que
mes années m’en auoyent appris, faisant entendre à
vn chacun comment il s’estoit monstré ingenieux
& malin, à se bander contre plusieurs de nos Princes,
lors qu’ils estoient les plus chargez d’affaires :
dans les menées de son frere le Cardinal saincte
Cicile. Contre Monsieur le Prince durant les
guerres qu’il soustenoit pour le Roy à Lens : Et
aussi contre tous les Generaux de France, lors
qu’ils estoient és plus grandes prises auec les ennemis.

 

Comment il estoit impatient en tous les termes
ausquels il se trouuoit, ne pouuant viure
en paix, sans recommencer la guerre ; & lors
qu’il s’y estoit engagé, voulant auec des promptitudes
& presses incroyables, soudain reuenir
à vne paix dissimulée, qui n’estoit que pour
donner plus de couleur à ses mauuais desseins, &
en venir en aprés à bout auec plus de facilité.

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Comment cette pretenduë dignité, qu’il éleue
si haut, n’est connu que du temps de ces troubles,
qu’il a excitez pour s’attribuer vne authorité preiudiciable
à tout l’Estat, & n’estant fondée que sur
vne mauuaise conduite.

Comment depuis l’entrée dans ce siecle, tant en
paix qu’en guerre, il s’est monstré plus forcené
que iamais, par continuelles desobeyssances,
& par la violence des reigles de la Iustice, se
sousleuant tousiours contre les Parlemens, les
ayant emprisonné apres estre sortis de leurs charges,
chassé tous les meilleurs Citoyens, & continué
ses practiques incessamment : Bref fait voir
qu’en ses façons d’agir, il a surpassé les plus barbares.
Toutes ces choses, & vne infinité de semblables,
se presentoient à mon esprit, & me convioient
à dire à V. Maiesté : ce que les Ministres
d’Artaxerxes representoient à leur Maistre, touchant
la ville de Ierusalem : Nous auons escrit ces
choses pour le notifier au Roy, afin que s’il luy semble
bon, on cherche au liure de ses Peres : Il trouuera que
cette nation Sicilienne est peruerse, faisant tousiours la
guerre à leurs Roy.

Mais ayant veu la paix proche, i’ay tout supprimé,
estimant estre plus à propos, d’effacer par vne perpetuelle
oubliance la memoire des mal-heurs passez,
que d’essayer d’irriter d’auantage vostre Maiesté
contre les pernicieux desseins de ces seditieux

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ausquels elle ne peut pardonner : & qui peut-estre,
lassez de leur mauuaise conduitte, voyant que
tous les peuples coniurent pour leur perte, pourront
se reconnoistre, & par leurs humbles submissions,
reparer leurs fautes passées. Neantmoins me
voyant desia la plume à la main, i’ay voulu, changeant
de sujet, discourir plus plainement de cét
Estat, & faire voir par le bref rapport que ie vay
faire du gouuernement present, comme depuis le
grand Henry, restaurateur d’iceluy, il n’a iamais
esté plus sagement conduit, ne plus courageusement
maintenu, que depuis que ce Ministre le
Cardinal Mazarin s’est sensiblement emparé de
l’authorité Royalle.

 

Il faut remarquer que la funeste mort de ce grand
Roy, nous donna vne furieuse secousse, & sembloit
qu’vn accident si extraordinaire, deust traisner
apres soy vne suitte de calamitez presque irremediables.
Ce que sans doute fust arriué, sans la
bonne fortune, grande resolution, & heureuse
conduitte de la Reyne Mere, laquelle d’vne part
comblee d’ennuis capables de luy donner mille
fois la mort, & d’ailleurs touchée sensiblement de
la solide affection qu’elle portoit au Roy son fils,
dont le bas aage luy faisoit craindre que sans vn
secours opportun il auroit de grands maux à souffrir ;
prit courageusement le timon & gouuernail
du vaisseau agité de beaucoup d’orages ; Et pour

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bien commencer, se seruit des mesmes Ministres
qu’elle trouua establis dans les affaires, pensant
que leur experience produiroit les effets qu’elle
auoit esperez : ce qui luy succeda malheureusement,
car comme ils n’ont tous autres desseins que de tirer
leurs auantages de la ruine de l’Estat & des
peuples, s’engendra entre eux tant de diuorce, que
pour en euiter les inconueniens, elle fut contrainte
de les esloigner. Et apres diuers accidens suruenus
depuis, enfin nous auons veu par le grand
bon-heur de la France, le tres-Illustre Cardinal de
Richelieu appellé par sa Maiesté au gouuernement
des affaires : Lequel orné des qualitez grandement
releuées, & d’vne admirable capacité d’esprit,
poly dans la perfection de toutes sortes de
disciplines, a fait voir que Platon s’y connoissoit
fort bien, quand il disoit, le bon-heur des Estats
& Royaumes ne consister qu’à estre conduits par
des hommes pleins de sapience & de sçauoir. Ce
que nous experimentons maintenant estre vray
en cestuy-cy, lequel a commencé en portant son
industrie plus qu’humaine, au releuement de la
reputation de cet Estat, venuë à tel mespris parmy
tous les estrangers, que les vns ne pensoient qu’à
l’opprimer, & les autres à l’abandonner, pour n’y
trouuer plus l’appuy & la protection accoustumée.
Car on ne sçait que trop qu’on souloit auparauant
mener les affaires par artifices & conniuences :

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Mais maintenant, procedant auec l’authorité, la
puissance & la Maiesté Royalle, on conduit les affaires
auec la dignité requise à vn si grand Prince.
Et si on fait des Traitrez, on conserue la foy & les
paroles données, que par foiblesse (de peur de les
violer ouuertement) on taschoit de voiler par des
interpretations ou euasions captieuses, qui r’emplissoient
vn chacun de défiance & de soupçon.
Aussi est-ce à present que les gẽs de bien, auparauãt
abandonnez, trouuent leur place, n’estant besoin
que d’estre vertueux, pour esperer ; & d’aimer le
Roy, pour attendre toutes les choses dont on sera
capable, Partant on ne sçauroit regarder le lustre
& l’esclat de ce gouuernement, rapporté à l’honneur
du Roy auec moins de merueille & admiratiõ,
que le belliqueux Alexandre faisoit les grandeurs
de Darius, vaincu par le bon-heur de ses armes.
Car considerant l’innombrable quantité d’hommes
qui l’auoient suiuy, les grandes richesses que
le gain de la bataille luy auoit acquises, l’or reluisant
par tout sur ses tentes & pauillons, s’écria tout
rauy, Que cét homme sçauoit regner. Ainsi venant de
voir tout fraischement tant d’armées en mesme
temps, sur la Mer, dans l’Italie, dans les Grifons,
sur les bords de l’Allemagne, de la Flandre, & en
tant d’endroits du Royaume, pour soustenir les
oppressez, chastier les rebelles, dompter l’audace
de ceux qui pensoient tousiours faire trembler le

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monde, dissiper des factions prodigieuses, dont
la seule pensée en fait horreur, Nous pouuons dire
auec toute verité, Que vostre Maiesté sçait regner,
& faire d’vne France mourante, vne France triomphante,
qui remplira les siecles à venir d’histoires,
des merueilles passées, eternisant le nom Majestueux
de LOVIS XIIII. Le son desquels par les
genereux conseils & la prudence courageuse de
Son Altesse Royale & de Messieurs les Princes,
qui ont desia éclattez comme des coups de tonnerre,
en tous les endroits de l’Europe : Et ont appris
aux Alliés de cette Couronne, à ne craindre plus
d’estre attaquez : & à ceux qui ont tousiours pretendu
l’Empire de l’Vniuers, à connoistre qu’il
leur faut tenir bride en main, & songer plustost à
se conseruer ; que par les troubles & diuisions qu’ils
ont accoustumé de semer dans tous les Estats, mettre
les leurs dans les risques & hazards, qu’ils eussent
éprouuez si on les eust poursuiuis.

 

C’est par tels Conseils que la reputation des
grands Rois s’est immortalisée. Ce seront eux,
SIRE, qui éleueront vostre gloire & renom si
haut, qu’ils vous feront estimer la merueille des
hommes ; & que dans peu de temps, les peuples
vous nommeront comme Daniel, le Roy Nabuchodonosor,
le Roy des Rois, auquel le Dieu du
Ciel a donné le Royaume, la Force, l’Empire & la Majesté.
Et cõme vn autre Cyrus, vous vous vanterez,

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Que le Seigneur Dieu du Ciel vous aura donné tous
les Royaumes de la terre. C’est pour la seule gloire
que cettuy-cy combattoit, ayant en l’esprit la lumiere
de cette verité. Que la renommée vaut mieux
que mille thresors. Et c’est la mesme raison pour
laquelle ceux qui vous seruent si fidellement, ont
fait tant d’efforts pour estendre la vostre dans toutes
les contrées, par tant de gens de guerre mis sur
pied en mesme temps, qui surpassoient le nombre
de six-vingt mille, sans que la pluspart de vostre
Royaume ne soit apperceuë que vostre Majesté fùt
occupée en nulle part : Qui a fait voir à toute l’Europe,
que si tous vos Peuples s’en fussent meslés,
elle la pouuoit reduire sous ses loix. Et comme tels
desseins ont bien succedé, on en verroit souuent
d’autres, dont la fin seroit autant glorieuse, que
profitable à tout le Royaume, sans les frequentes
diuisions qui empeschent que l’on ne peut rendre
à vostre Maiesté la subiection & assiduité qui seroit
necessaire pour faire mettre à execution les resolutions
prises deuant vostre Maiesté, dont le retardement
peut apporter de grands inconueniens.
Il me semble, SIRE, que ces paroles sont comme
vne Prophetie qui s’addresse à vostre Maiesté, luy
annonçant toute felicité & bon-heur continuant
comme elle fait, de ce seruir des conseils de ces Illustres
Princes & du Parlement, qui luy sera en
fidelité, conduite & hardiesse, vn autre Ioïada,

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pour l’éleuer au dessus de ses ennemis, & le rendre
comme Ioas, vn Prince valeureux, redouté &
chery de tous les hommes. Et cette prophetie est
dautant plus asseurée en son euenement, que
Vostre Maiesté suit l’ordre qui a esté pratiqué au
gouuernement du peuple de Dieu, ioignant dans
vos Conseils l’Eglise auec l’espée, Moyse prioit
en la montagne lors que Iosué combatoit Amalech,
& lors que le mesme Iosué fut destiné pour
successeur de Moyse, ce fut auec cette condition,
qu’Eleazard Prestre estoit de son conseil, & que tant
luy que tout le peuple prendroit direction de sa parole.
Ainsi le pratiqua ce grand Roy de Iuda, Iosaphat,
vray exemplaire de vostre regne, lequel gouuernoit
ses Estats coniointement par ses Princes & ses
Leuites, & vn million d’hommes entretenus d’ordinaire
pour tenir vn chacun en son deuoir. Telle
procedure, SIRE, authorisée par le sainct Esprit
és sacrez cayers, est bastante pour éleuer vostre
Sceptre par dessus tous les Rois qui viuent, & pour
faire dire à tout le monde, que vostre puissance
se rendra inuincible, non tant par la force de vos
armes & de vos Finances, que par la saincteté &
syncerité d’vn bon conseil, qui sert pour establir
les solides fondemens, d’vn siecle d’or à ce Royaume,
lequel ne peut manquer de sentir bientost
de puissans effets de cette conduitte, au soulagement
& reglement qui paroistra en tous les trois
Estats dont il est composé.

 

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C’est la seule raison pour laquelle quelques esprits
tenebreux, ne pouuant souffrir l’éclat & la
vertu de ses belles intelligences, qui donnent le
bransle au Ciel de la France, voyant que la force
leur manquoit pour resister à ces mouuemens,
ont eu recours à de tres-pernicieux écrits, faisant
publier ces sanglans & iniustes libelles contre Vostre
Majesté, qui ont esté promptement estouffez
par la plume des doctes & iudicieux esprits. Et
comme leur malice n’a point eu de bornes, se
voyans chassez comme des Harpies, ils ont pris
leur vol d’vn autre costé, s’attaquans à nos Princes
sacrés, dont la ruïne en quelque façon qu’elle peût
estre, leur sembleroit vne grande facilité pour paruenir
à celle de Vostre Maiesté, qu’ils s’imagineroient
bien auancée, s’ils la pouuoient priuer de
tel seruiteur, si courageux, si adroit, & si des-interessé.
C’est pourquoy comme des insensez dignes
d’estre liez, ils ont voulu flestrir le lustre doüay à
leurs dignitez & de leurs merite, s’en prenans à eux
auec vn tel debordement de langue, qu’on ne voit
point en leurs écrits, la voix des hommes ; mais
les hurlemens des demons les plus noirs de l’enfer,
qui doiuent demeurer confus de honte en la
deduction sommaire que ie m’en vay faire de ce
qui c’est passé de plus important depuis que Vostre
Maiesté l’a appellé au maniment des affaires,

Au commencement il trouua le mariage du

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Parlement auec vostre Maiesté, contracté pour le
bien & vtilité de tous les peuples : lors portant enuie
à vne chose si raisonnable & mesme necessaire,
il fit effort d’y mettre la confusion, pour s’en auantager
à nostre preiudice, & nous en empescher l’execution.
Par l’addresse & la Iustice du Parlement,
on a rompu ses pernicieux desseins donnant fin à
cét ouurage, qui par le temps s’estoit rendu fort
difficile. Et quoy que maintenant il semble que
les euenement semblent vn peu éloignez de l’attente
qu’on en auoit conceuë, cela ne peut point
alterer la bonté du conseil qu’on en auoit pris.
Quel moyen plus asseuré pouuoit-on choisir,
pour ioindre & conseruer entre les peuples vne
Paix de longue durée° ? Si depuis, des menées &
interests de cabinet ont changé ces choses, & que
des interessés, pour fomenter des diuorces qui se
formoient parmy nous, ayent eu l’industrie de
faire chasser tous les fideles François qui estoient
proche de Vostre Maiesté, sous pretexte qu’ils éloignoient
l’esprit de la Reyne de ce qu’on desiroit
d’elle ; & persecuter de nouueau tous vos bons seruiteurs,
sur des suppositions fausses & seditieuses.
Cela ne se pouuoit preuoir, estant produit par le
temps & par la folie des hommes : Non plus que
la pluspart de ces gens ne peuuent souffrir nos
Princes, parce qu’ils sont trop iudicieux à leur gré,
& trop clair voyans contre ceux qui sont portez à

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la broüillerie : Non plus, que le desespoir les eust
deu saisir, quand ils virent il y a deux ans, vn
homme éloigné des affaires, duquel ils esperoient
de plus auantageuses conditions que de nostre
Parlement. Non plus, que de les voir dépitez de
la Paix faite en France, parce que ce n’auoit pas
esté en la forme & au temps qu’ils le voudroient,
& de la voir suiuie glorieusement du bon-heur de
ce Royaume, contre leur intention, parce qu’ils
n’eussent pas esté marris de nous voir tousiours occupez,
pour nous estre plus nuisibles, & pour abatre
de plus en plus la grandeur & la puissance de
cét Estat.

 

Qui est-ce qui eust peu coniecturer, que tant
d’inquietudes qu’on leur a veuës depuis deux ans
principalement, tant de Cõseils secrets parmy eux,
tant de voyages parmy nous ; n’estoient pas plustost
des pensées indifferentes, que des desseins cachez
pour nous causer des troubles ? Qui est-ce
qui eust peu iuger, que lors qu’on a descouuert ce
qui se tramoit en France, on les eust veu grincer
les dents contre nos Princes, parce qu’il procedoient
trop courageusement en leurs affaires pour
le bien public ? Qui eust creu, que des particuliers
dans vn Estat, eussent osé entreprendre tant
de choses, & par des deguisemens enuers leur
Roy, l’engager par surprise en des actions que
son bon naturel luy fera haïr quelque iour ; & mesme

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ceux qui les luy ont fait commettre : N’estant
point vray-semblable, qu’vn cœur vrayement
Royal, se puisse porter si promptement en des
changemens si notables, & preiudicier si apparemment
à ce qui est de iustice & affection enuers
ses peuples. Toutes ces choses ne peuuent quelquefois
entrer dans l’esprit humain pour les preuoir,
& fonder des Conseils pour les pouuoir
éuiter : mais maintenant nous esperons que vostre
Maiesté estant aduertie des desseins que prennent
ces peres de troubles & confusion pour ruiner entierement
vostre Estat, elle ne manquera pas d’y
prester la main, & de s’opposer à ces dangereuses
pretentions du Cardinal Mazarin, se ioignant
auec ses Princes fideles, qui ne respirent aucune
chose dans toutes leurs actions, qu’vne tranquillité
publique & vniuerselle. N’a t’on pas veu auec
quel iugement en vn si glissant passage, ils ont
heureusement secondé les intentions de vostre
Maiesté auec le bien de vos peuples, pour maintenir
& conseruer l’integrité de l’vn & de l’autre,
sans aucun preiudice du respect & affection deu a
tous les deux. N’ont-ils pas resisté courageusement
aux effors de ces seditieux, sçachant bien que
si le temps present leur en suscitoit de l’incommodité,
à l’aduenir ils en receuroient des Couronnes,
& que ce qui pourroit apporter en cela quelque
degoust à vostre Maiesté ne considerant pas

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leurs vrays desseins, seroit par elle mesme approuué
& estimé digne de loüanges, comme chose qui
tourneroit au bien & repos de toute la France, &
à l’affermissement de vostre authorité Royalle.

 

Et comme quelques esprits vouloient troubler
ces affaires & en retarder l’effect si necessaire ; l’industrie
de ces genies puissans à tirer profit de toute
rencontre, fit qu’il sçeut appaiser ces tumultes, &
confondre ces pernicieux qui vouloient empescher
vne affaire si auantageuse à tous. Et le fruict
en a esté si grand en la forme qu’il s’y est comporté,
que cent millions d’or, & la vie de cent mille hommes,
n’y seroient pas à pleindre, veu les gens à qui
on auoit affaire, qui vouloient éluder vn accord si
puissant, sous le pretexte de conseruer la paix en vn
lieu qu’ils ne pouuoient occuper sans iniustice ;
comme si le Roy l’eust voulu destruire luy qui outre
le titre glorieux de Dieu donné, surpasse en Pieté
& Vertu tous les Princes du monde.

Et pour comble de la hardiesse & ferme resolution
de ces nobles courages, en l’execution des
volontez de sa Maiesté, on a veu comment ils se
sont portez en la detention de Monsieur de Chauigny,
qui auoir vne puissance absoluë sur l’esprit
de Monsieur le Duc d’Orleans, & de Monsieur le
Prince, en laquelle non seulement ils ont suiuy
l’inclination & l’auantage du Roy, mais lors que
l’execution en fut faite, sur ce qui leur fut demandé

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s’ils en auoient eu la connoissance, ils le confesserent
hautemẽt, monstrãt qu’aux seruices qu’ils
rendoient, leurs cœurs incapables de crainte, ne
souffroient point vne lasche dissimulation, mesme
en vne màtiere qui ne pouuoit pas moins porter
qu’vn tres-grand trouble dans l’Estat, suiuy
d’vn diuorce dangereux, & d’vn feu allumé
dans la maison Royale, qu’ils voudroient plustost
esteindre de leur sang, que d’en souffrir l’embrasement.
Comme tout le monde leuoit les yeux &
les mains au Ciel d’apprehension. Dieu en vn instant
changea les craintes en ioye, Monsieur s’estant
porté par sa sagesse à tesmoigner au Roy & à
la Reyne sa mere, qu’il ne se despartiroit iamais de
l’amour, respect & obeïssance qu’il leur deuoit :
Lequel fut suiuy de pareils tesmoignages que
Monsieur le Prince fit rendre à sa Maiesté : De laquelle
on ne sçauroit assez loüer & recommander
la fermeté, la resolution & le bon conseil qu’elle
prit en toutes ces occasions, afin de trouuer vn remede
aux maux qui sembloient menacer son Estat :
pour lesquels éuiter, & dissiper tous les nuages qui
commençoient à se former, elle n’a rien espargné :
Aussi on vid que lors qu’il s’agist du repos de
l’Estat, rien ne les peut retenir : & que toutes sortes
de considerations de sang de parenté & d’amitié
ne les touchent point, Ayans pour seul but le bien
du Roy & de son peuple, Pour lequel maintenir,

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on les voit à tous momens quitter tous les plaisirs
& contentemens, pour se donner aux peines &
aux trauaux, dans lesquels ils ont esté continuellement
occupé ; Et dans les perils de la guerre, dans
les maladies contagieuses & mortelles qui ont
souuent remply leurs cartiers, leurs propres logemens,
emporté leurs domestiques, & ceux mesme
qui estoient les plus prés de leur personne & de
leur faueur, Et dans les chagrins de se voir contrains
d’vser de toute sorte de rigueur, contre
leurs natures doux & benins, à l’endroit de ceux
qui voulans suborner les plus fidels, vouloient renouueller
les maux de France. Quelle pitié de la
voir veuë preste d’estre consumé de toutes parts,
pour l’ambition de quelques particuliers ? Quelle
pitié de voir vn si bel Esprit & vn si grand cœur
que celuy de Monsieur le Prince, si capable de
rendre des biens indicibles à ce Royaume preuenu
& obscurcy par des tenebres artificielles qu’on luy
mettoit deuant les yeux ? Ma plume n’est pas assez
forte pour representer l’horreur d’vn si pernicieux
dessein : prrtant i’en quitte la pensée, pour
ne perdre pas ma piste, en cessant de poursuiure les
biens que cét Estat possede par les laborieux seruices
de ces nobles Princes, & les mal-heurs qui
luy sont arriués par la conduite de ce Ministre.
L’air retentissoient de tous costez, de souspirs &
de cris espendus par les vefues qui perdoient leurs

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marys, par les Peres qui perdoient leurs enfans,
par les enfans qui se voyent sans Peres : Sang &
larmes qui pourroient enfin attirer l’ire & le
courroux du Ciel sur luy, s’il ne pouruoyoit à vn
mal dont le remede estoit en sa puissance. Ce furent
donc nos Princes qui penserent fort serieusement,
qu’il falloit mettre la main à l’œuure pour
satisfaire aux pieux sentimens de leurs Rois, &
oster de son Estat vn mal-heur qui auoit causé tant
de funestes accidens. Pourquoy faire se ressouuenans
des infortunées filles. Milesiennes, qui se
pensoient immortaliser en se defaisant elles-mesmes,
& qu’on ne pût destourner d’vn si tragique
dessein, sinon lors qu’on remplit d’infamie ce en-quoy
elles constituoient leur principal honneur,
faisant obtenir par la honte ce que l’amour de la
patrie, des parens, & la crainte des loix, n’auoit
sceu faire ; Se resolurent de suiure ce conseil, par
ce celebre Edict qu’ils en voulurent dresser ; &
oster l’excez de la rigueur contenuë dans les premiers,
reduisans cettuy-cy aux pertes de l’honneur,
des biens & des charges qu’on possedoit : Dont
nous voyons vn si prompt effet, qu’il n’y a plus de
doute, qu’en fort peu de temps nous n’apperceuions
perir cette detestable coustume, que lé diable
ennemy du genre humain a establie parmy nous.
Ce chastiment d’vn fils de Mareschal de France,
qui a este despoüillé des honneurs que les longs

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seruices de son Pere luy auoient fait meriter, pour
auoir esté le premier infracteur de cette saincte loy,
seruira d’exemple à ceux qui ne sçauent pas conduire
vn Estat ; retiendra force gens, qui craindront
grandement de perdre ce qu’ils possedent,
& ce qui est tres-difficile d’acquerir quand on la
perdu. Les bannissemens qui suiuent, les chagrins
qui se trouuent dans les maisons apres tant de desastres,
sont si sensibles qu’ils rendent la vie mesme
insupportable. Ainsi peut-on dire qu’on a trouué
l’vnique moyen pour chasser les furies qui nous
agitoient, & que nos Princes nous ont deliuré des
plus horribles maux qui affligerent iamais Estat,
qui pouuoient à la fin perdre cettuy-cy parla malice
où les seditieux s’addonnoient, ne se parlant
plus que de nouueaux desseins tramés contre le
repos public, & le bon-heur des peuples.

 

Qui a fait iuger, combien il importoit de paracheuer
cette action, qui dissipoit tant d’orages,
affermissoit la Paix, & donnoit esperance de voir
bien tost augmenter la maison Royalle, & par là
confondre ceux qui n’en demandoient que la ruine,
pour dans vn renuersement de toutes choses,
trouuer l’impunité à commettre tout ce que des
humeurs déreiglées sçauroient penser. Et c’est ce
qui a fait dire à vn homme fort renommé entre les
Espagnols, qu’il se voyoit bien que le Roy non
seulement estoit remply de beaucoup de sagesse,

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mais encores accompagné d’vn grand-heur, d’auoir
peu auoir dans son regne, vn Conseiller si
courageux & si fidelle, que ce grand Bruxelle, lequel
auec tant d’addresse auoit peu penetrer des
affaires si obscures, & tellement entortillées, qu’à
les démesler il n’auoit pas fallu vne mediocre prudence,
mais l’auoir en souuerain degré, estant par
dessus tous les hommes qu’il connoist n’estans pas
estrange si on l’estime, veu les seruices qu’il rend :
Loüant sur tout, & exaltant sa conduitte en ce
chef, de n’auoir point voulu donner conseil pour
l’accomplissement de ce meilleur dessein comme
ayant sçeu iuger, combien aisément les choses du
monde changent de face par la diuersité des rencontres,
& que ce qui a des fondemens plus solides,
est souuent renuersé par la malice des hommes.
Ce qui est d’autant plus vray, qu’au temps de
la conclusion, il y eut des esprits si méchans, que
de vouloir apporter du trouble en vne action si
saincte, & faire trouuer du mal & de la crainte en
vne chose où toutes sortes de biens se trouuoient.
Cela fut principalement cause qu’il ne iugea pas à
propos, de se charger d’vn si grand poids, se contenant
auec cette ingenuë candeur qui luy est naturelle,
de representer au Roy toutes les raisons
qui l’en pouuoient dissuader, & celles par lesquelles
il y pouuoit estre conuié. Afin que par vn choix
libre, il se portast à ce qui seroit plus conforme à

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son humeur, estant vne matiere où sa Maiesté seule
pouuoit deliberer apres auoir entendu les inconueniens,
& les biens qu’elle en deuoit attendre,
& afin que la gloire en fust toute sienne, & ses
seruiteurs garentis, des succez desquels autre que
Dieu ne pouuoit respondre. Et cét Estranger estoit
rauy, quand il ouït raconter les Paroles de ce Sage
Prince, qu’il tint pour declarer la resolution qu’il
en prenoit, Qui estoient, Qu’il pourroit y auoir
quelques raisons qui sembleroient le deuoir diuertir,
& luy oster la pensée de voir son seruiteur : mais que
le bien & seureté de son Estat le requeroit. Qu’à cela il
preferoit tout ce qui estoit de sou particulier. Partant
qu’il prenoit cẽt aduis, Protestant qu’il ne verroit iamais
de bon œil ceux qui l’en voudroient destourner.
Que puis que ses intentions estoient bonnes, il n’en attendoit
que de bons euenemens : Et que pour des effets
contraires, il auoit en main la puissance & les remedes.

 

Voila l’estat des affaires generales, depuis que
les Princes Illustres en ont eu la conduitte, Qui
me fera pleindre auec le Prophete Royal, & dire,
Pourquoy est ce que les gens se sont minutez, & que
les peuples ont pensé choses vaines ? Et demander en
leurs nom, ce que nostre Seigneur faisoit aux Iuifs,
Pour laquelle de ces actions, est-ce que vous me voulez
lapider ? Et au mien, Pour laquelle est-ce que vous
auez inuenté tant d’impostures ? Ce sera peut-estre

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pour les actions particulieres de sa vie : C’est-là où
ie vous attendois, calomniateurs, pour vous donner
le coup de la mort, & vous voir briser comme
les vagues contre les escueils. Car quels Princes
a-t’on iamais conneu plus vertueux, plus prudents,
plus veritables, & amateurs du bien public.
Ceux qui les voyent enuironnés en tous les lieux
où ils sejournent, & tous les bons François auront
bien de la peine, à croire ces gens qui n’ont monstré
leur prudence, qu’à se tenir cachez : estans tres-asseurés
que si on les connoissoit, qu’on les courroit
à force pour les assommer auec des pierres,
comme des bestes enragées, dignes de la hayne publique
par leur petulante humeur, qui comme à
ces peuples barbares, leur fait maudire la beauté
du Soleil. Il leur suffit de sçauoir pour leur consolation,
ce que le mesme Prophete Royal dit à telles
gens, Que celuy qui habite és Cieux s’en rira, & le
Seigneur se mocquer a d’eux ; Et que ce sont des ennemis
du public, qui en veulent à sa personne : Et de
se glorifier auec cét excellent Romain, de ce que
ceux qui entreprennent de se declarer ennemis de
l’Estat, se proposent en mesme temps de luy denoncer
la guerre : Et que c’est chose ordinaire de
voir ceux qui manient les affaires, exposez comme
sur vn theatre, à la haine de tous les malcontens.
En quoy ie iuge qu’ils sont grandement à
plaindre, de ce que leurs meilleures actions sont

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sujettes, non seulement d’estre oubliées, mais
d’estre calomniées par ces Monstres agitez de la fureur
de Caïn, meurtrier de son frere, pource qu’il
estoit plus homme de bien que luy. Apres tant de
trauaux soufferts en bien seruant, il est asseuré que
lors que Vostre Maiesté comme vn autre Assuerus,
se fera lire ses Annales, esquelles il verra tant d’actions
signalées, tant de soins, tant de veilles, pour
faire dissiper les troubles du dedans & du dehors,
& faire étouffer ce Ministre fi dangereux à la
Couronne, Qu’elle tiendra le traistre Amant pour
abominable, & que ces fidels Mardochées seront
éleues en la gloire qu’ils meritent. Vostre Maiesté
voit bien que si on le hayt, & si on fait des desseins
& des entreprises contre sa vie ; ce n’est que pour
luy estre fidelle, mettant sous les pieds toutes considerations,
capables de retenir les plus asseurez,
pour vous seruir à vostre gré.

 

FIN.

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Anonyme [1652], DISCOVRS Sur plusieurs points cachés & importans de l’Estat touchant la nouuelle conduite du C. Mazarin. DESCOVVERT AV ROY PAR vn Page de la Reyne, pendant le sejour de Pontoise: Et du depuis enuoyé par escrit à Paris, à vn de ses plus intimes Amis. , françaisRéférence RIM : M0_1151. Cote locale : B_15_18.