M. N. R. F. J. [1652], L’ESTAT EN TROVBLE Par le Gouuernement DES ESTRANGERS. Où l’on verra que c’est vne maladie ordinaire à tous les Estats de ne pouuoir souffrir vn Gouuernement Estranger, & que tant que nous serons gouuernez par eux; il est bien difficile que nous ayons vne bonne Paix. Par M. N. R. F. I. , françaisRéférence RIM : M0_1296. Cote locale : B_16_53.
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L’ESTAT
EN TROVBLE
Par le Gouuernement
DES
ESTRANGERS.

Où l’on verra que c’est vne maladie
ordinaire à tous les Estats
de ne pouuoir souffrir vn Gouuernement
Estranger, & que tant
que nous serons gouuernez par
eux ; il est bien difficile que nous
ayons vne bonne Paix.

Par M. N. R. F. I.

A. PARIS,
Chez ANTOINE CHRESTIEN,
Imprimeur, ruë des Sept-Voyes,
deuant le College de Fortet.

M. DC. LII.

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L’ESTAT EN TROVBLE PAR LE
Gouuernement des Estrangers° ;

Où l’on verra que c’est vne maladie ordinaire à tous les Estats
de ne pouuoir souffrir vn Gouuernement Estranger, & que
tant que nous serons gouuernez par eux, il est bien
difficile que nous ayons vne bonne Paix.

ARTICLE PREMIER.

C’EST vne Maxime Politique receuë de
tout temps que les Estrangers introduisent
les mœurs & les vices de leurs païs dans
celuy qu’ils viennent habiter, y corrompent
toutes les choses, & que de cette corruption
naissent les vices qui donnerent autrefois sujet au Prophete
Ezech. de s’écrier contre Hierusalem : Ta souche
& ta generation est de la Terre de Chanaan, ton pere est Amorrhæen
& ta mere Hæieenne. C’est le Sage qui deffend absolument
d’admettre iamais les Estrangers aux honneurs
qui sont deus aux veritables Citoyens. Ne transfere
point aux Estrangers les honneurs qui te sont
deus, & ne commets point tes iours à l’homme cruel,
de crainte que les Estrangers ne se fortifient de tes
forces, & que le fruict de tes trauaux ne passe dans
vne maison estrangere.

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II.

Ce mesme fondement a seruy au Philosophe dans
sa Politique pour luy faire dire hardiment que le
moyen de destruire vn Estat, est d’y appeller des
Estrangers : c’est ce qu’il fortifie par vne longue suitte
d’exemples, faisant voir que tous les Estats qui les
ont receus ont esté renuersez par eux, ou par les diuisions
ausquelles ils ont donné naissance ; par ce
que tout ce qui n’est pas de mesme nature que le
reste, est vn principe de diuision, & toute diuision
emporte auec soy la ruïne & la destruction de la chose
diuisée. C’est pourquoy dans toutes les Republiques
bien policées les Estrangers n’ont point esté
admis.

III.

Vous ne sçauriez douter de celle des Hebreux,
puisque vous auez déja veu l’auersion qu’ils y auoient,
& le conseil de ce Sage sur cela, & s’il vous reste encore
quelque scrupule, escoutez la deffense qui en
fut faite au Peuple, lors que Dieu luy promit vn
Roy : Tu ne pourras, dit le Seigneur, élire vn Roy d’vne
Nation Estrangere, mais tu le choisiras parmy tes freres.

IV.

Les Perses ont tousiours eu de l’auersion pour
eux. Les Atheniens n’ont pas mesme voulu leur
donner l’entrée de leur ville, & à cette Loy de Solon
Pericles adiouste, que ceux là seulement fussent
faits Citoyens d’Athenes, qui seroient nez de
pere & de mere Atheniens : De sorte qu’Euagoras

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eut de la peine, apres beaucoup de bien faits &
de seruices rendus à la Republique, d’y estre admis
au rang des Citoyens ; apres quoy il encherit
sur les autres, & fit vne Loy, par laquelle les Bastards
estoient priuez des droicts de la Bourgeoisie,
quoy que le premier il l’ait violée en faueur
d’vn Bastard qu’il laissa pour son successeur. Voyez
iusques où alloit la delicatesse des Anciens quand
il falloit estre estimé Citoyen de leur Republique.

 

V.

Les Lacedemoniens & les Thebains par l’ordre
de Licurque donnerent l’exclusion de leurs Republiques
aux Estrangers. Les Spartes obseruerent si
exactement cette Loy qu’ils furent appellez Dirixoxenes,
c’est à dire, comme vous sçauez inhospitaliers :
& si quelque Citoyen sortant de Sparte sejournant
chez les Estrangers, il estoit puny de mort parce
qu’il s’estoit exposé à emprunter leurs vices & à les
remporter parmy les Citoyens.

VI.

Les Egyptiens ne vouloient point auoir de commerce
auec eux, & les Romains enfin les considererent
tousiours comme indignes de porter marques
de leurs Citoyens. C’est pourquoy, c’est pour
cela, dis ie, qu’vne de leurs anciennes Loix leur
deffendoit de monter sur les murailles de la Ville,
c’est pour cela que Marcellus Consul ne Peut souffrir

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qu’vn Estranger à qui Iules Cesar auoit donné
le droict de Bourgeoisie, fut éleué à la Charge de
Decurion, & qu’il le fit prendre & foüetter dans la
place publique, afin de luy oster l’impression qu’il
auoit euë, qu’on le deut traitter comme Citoyen
Romain. Et c’est pour cette mesme raison que
Claudius Cesar deffendit aux Estrangers sur peine
de mort de prendre des noms de famille Romaine,
de crainte de confondre en eux ce qui
n’estoit deu qu’aux Citoyens de Rome. Vous
auez leu comme moy les plaintes qu’on faisoit
contre Iules Cesar, parce qu’il auoit introduit
des François dans le Senat. Cesar, disoit-on,
triomphe des Gaulois & les emmene captifs en
cette Ville, & ces mesmes Gaulois quittent dans
le Senat leurs Robbes courtes & en prennent de
longues, au rapport de Tacite au liure 4. de ses
Annales.

 

VII.

L’Empire d’Allemagne s’estant composé du
debris du Romain, en a gardé beaucoup de Loix
fondamentales, entre lesquelles est cette-cy : Que
la dignité de l’Empire ne puisse estre transferée à
celuy qui n’est pas originaire Allemand ; ce qui
fit que Charles Quint lors qu’il fit le serment que
les Empereurs sont obligez, jura qu’il n’admettroit
point aux affaires publiques les Estrangers,

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mais seulement des personnes choisies d’entre la
Noblesse d’Allemagne.

 

VIII.

La Republique de Venise ne souffre point les
Estrangers dans son Senat. Les Suisses n’admettent
dans les charges que leurs Compatriotes,
& les Princes des Païs bas, trouuent entre les
Loix, l’obseruation desquelles ils sont obligez de
jurer quand ils entrent dans le Gouuernement,
celle de ne donnet aucune charge publique aux
Estrangers.

IX.

Que vous diray ie des aurres païs de l’Europe
les Coustumes en sont diuerses, mais par tout
l’inclination a esté de tout temps égale, iamais
les Subjets’naturels n’ont peu souffrir la domination
estrangere.

Les Polonois qui par leur droict d’Election
prennent des Roys où bon leur semble, ne peurent
souffrir que Casimir donnast les charges de
Magistrature à des Allemands, ils chasserent pour
cela Bolesla, le Chauue & le Vieil Miezillas du
Royaume.

X.

Les Escossois aimerent mieux donner leur

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Royaume & rendre leur obeyssance à vne femme
Angloise, qu’à François le Dauphin, & les
Anglois voyans qu’ils ne pouuoient empescher
que Marie leur Reine, n’espousast Philippe de
Castille fils de Charles Quint, dont elle achepta
la possession auec vne somme immense d’argent,
entre les conditions, moyennant lesquelles ils
consentirent au mariage, celle la fut la premiere :
Qu’aucun Estranger n’auroit la Ministrature ny ne
seroit receu aux honneurs publics, & bien qu’il y
eust vne parfaite vnion alors entr’eux & les Espagnols,
la jalousie pourtant qu’ils en conceurent
lors qu’ils apprehenderent de leur voir tomber
ce Ministere entre leurs mains, fut si grande,
qu’ils commencerent leur capitulation par là,
comme par l’endroit qui leur estoit le plus sensible.

 

XI.

Les François qui ont tousiours voulu viure selon
leur ancienne liberté, n’ont iamais peu souffrir
le Ministere des Estrangers, non seulement
parce qu’ils se voyent par eux deuancez dans les
charges & dans les honneurs, dont ils sont tres-ialoux :
Mais parce qu’il leur a esté presque impossible
de s’accoustumer à la legereté des Anglois,
à la pesanteur des Allemands, au faste des
Espagnols, & à la longueur des Italiens, tant à

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bien resoudre qu à bien faire les nouuelles façons
d’agir qu’on a voulu introduire parmy eux, & sur
tout dans les choses où il y va de l’interest des
particuliers leur ont esté insupportables. Et nostre
Histoire nous remarque peu qui en ayent remporté
tout l’auantage qu’ils s’en estoient promis.
Charlemagne eut beaucoup de peine à estouffer
par addresse & par force, les conspirations que
les Lorrains firent contre luy, parce que pour la
Iustice & pour les armes, il se seruoit plustost des
Estrangers que de ceux du païs. Charles Duc de
Bourgogne apres auoir essuyé les plaintes que ses
subjets firent contre luy, de ce qu’il auoit éleué
le Comte de Campobachy Napolitain, iusques à
sa faueur & à son Ministere, trouua qu’il auoit
donné ses affections à vn Traistre, & que son
Estat estoit en danger par l’infidelité de celuy à
qui il en auoit confié la conduite. Charles le
Simple ayant voulu au mespris des François remettre
les principaux soins de ses affaires à des
Allemands, fut enfin par eux-mesmes despoüillé
de sa Couronne, & finit sa vie en prison. Et Lothaire
son petit fils ne s’estant point rendu prudent
par le mal heur d’autruy, laissa l’Empire si
foible & si fragille à son fils, qu’il fut le dernier
de la race de Charlemagne qui y commanda.
L’Empereur Louys mesme ne se peut garentir
qu’auec beaucoup de peine, des conjurations faites

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contre sa personne par les propres enfans, &
par les Princes de l’Empire, parce qu’il auoit fait
venir dans sa Cour Bernard Comte d’Espagne, &
qu’il luy auoit donné le secret de ses affaires, &
auec la charge de son Maistre de Chambre.

 

XII.

Enfin pour abreger tous nos exemples en vn
seul, rappellez en vostre memoire la fin tragique
du Mareschal d’Ancre, & l’Arrest de la Cour de
Parlement contre les Estrangers pour les exclure
du Ministere, & prestez l’oreille aux murmures
qui s’esleuent à tout moment contre le Cardinal
Mazarin, dont on ne peut supporter la façon d’agir
entierement contraire à celle de nostre Nation.
Ie ne touche point à sa vie & ne suis pas capable
de iuger de ses deportemens ; mais posons
qu’ils fussent les plus mauuais du monde, & certes
il y a quelque apparence pour cela, ie ne voudrois
pas entreprendre de blâmer sa conduite, car
sa dignité & l’authorité du Roy dont il est à couuert,
[1 mot ill.] mettent au dessus de toutes sortes d’atteintes.
Mais ie vous prie examinez sans passion chaque
Courtisan en particulier, & au cas que tous ne
crient & ne protestent qu’il espuise par ses longueurs
la bourse de tous ceux qui luy font la
Cour, & la patience des plus sages, dites que ie

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suis vn meschant. Ils vous aduoüeront (ie n’excepte
point ses plus intimes amis) que la lenteur
auec laquelle il fait du bien, rend ses ennemis
ceux qui le reçoiuent, parce qu’ils l’ont payé au
double auant que de le receuoir. Que la difficulté
qu’il y a à le voir & à luy parler, est ce qui a ruïné
dans les cœurs de toute la Noblesse, l’affection
qu’on auoit pour luy lors qu’il n’estoit zelé
que pour le bien de l’Estat ; parce que les François
croyent qu’on les oblige deux fois quand on
leur donne promptement, estans accoustumez à
la façon de viure des Ducs de Luynes & de Richelieu,
qui enuoyoient chercher les honestes
gens chez eux pour leur faire du bien, & qui preuenoient
les desirs de ceux qui en meritoient. En
vn mot, les promesses generalles qu’il fait à tout
le monde, & l’inexecution dont tout le monde
se plaint, sont les raisons qui le feroient rester
despourueu d’amis & de creatures, si la Reine
cessoit vn iour d’auoir la confiance qu’elle a en
luy, ou si le Roy deuenu Majeur, comme il est à
present, prenoit d’autres brisées que sa Mere
Hé d’où vient tout cela ; sinon des mœurs de son
païs, ausquelles voulant tousiours se tenir ferme
il se conduit par des voyes entierement opposées
aux nostres ?

 

Ie vous ay iustifié par les Loix & par les exemples,
comme les Estrangers ont esté bannis du

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maniement des affaires publiques : Voicy succinctement
les raisons sur lesquelles on leur en a
donné l’exclusion.

 

La premiere, si ie ne me trompe, a esté celle
qu’Aristote a raportée & Saint Augustin apres
luy, Que la difference des mœurs & du langage
met la discorde entre les Cours. Le Prince Estranger,
dit vn de nos grands Docteurs, voulant conformer
le peuple aux mœurs & aux coustumes de
son propre païs, & croyant que ce qui est honneste
parmy les siens, le sera & le doit estre dans
l’Estat où il commerce, non seulement il ne le
corrigera pas, mais il le perdra. Aussi c’estoit la plus
grande loüange qu’on donnoit à l’Empereur Probus,
de ce qu’il connoissoit les mœurs de toutes
les Nations qui estoient dans son Empire : C’est
pourquoy le meilleur de nos Historiens dit ;
Que quand vn Estranger gouuerneroit tres bien
l’Estat, toutefois à cause de la difference qui sera
entre son esprit & les nostres, sa maniere de viure
& celle des François, il donnera tousiours
quelque sujet de plainte, estant impossible qu’il
conduit, comme les subjets naturels, & neantmoins
cette connoissance luy estant absolument
necessaire auant toutes choses.

La seconde raison est, parce que iamais vn
Estranger ne conduit l’Estat auec toute la passion

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qui se trouue dans vn subjet naturel. Le plus
grand de tous ses soins est d’esleuer sa maison,
d’accumuler des tresors, & de faire sa retraite
quand il n’y aura plus rien à perdre dans vn Royaume.
Les Conseillers, dit Tucidide, qui sont
Estrangers ne trauaillent iamais aux choses qui
regardent le salut public, où ils ne sont passionnez
que pour leurs affaires particuliers ; ou s’ils
resoluent quelque chose pour l’Estat, c’est sans y
apporter vne meure deliberation : C’est pourquoy
le Politique les appelle negligens & interessez,
& croit que les subjets en receuroient bien
moins de graces & de biens faits que des autres.
Vn Prince, dit Tacite, instruit aux coustumes
estrangeres plustost qu’en celles de son Royaume
ne sera pas seulement suspect aux Peuples,
mais il passera tousiours pour fascheux & peu bien
faisant, & ce que cét Autheur dit d’vn Prince, il
le faut entendre égallement d’vn Ministre, parce
que bien qu’il y ait de la difference dans le caractere,
il n’y en a presque point dans le pouuoir.

 

Cette authorité de Tacite me fait passer à la
troisiesme raison qui est, Qu’vn Estranger ne
peut estre en seureté contre la deffense du Peuple,
ny contra la ialousie des Grands, si premierement
il ne se fortifie de Gardes, s’il ne dispose
des meilleures places, s’il ne change les Magistrats,

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s’il n’engloutit les charges seculieres & les
dignitez Ecclesiastiques, s’il n’arrache les Citoyens
de leurs biens & s’il ne leur oste le credit pour
donner tous les deux à des Estrangers, si en vn
mot, il ne se fait diuerses creatures, pour l’aggrandissement
desquelles il faut abaisser tout le
reste ; & ces moyens sont insupportables au Peuple.

 

Enfin c’est vne chose honteuse à vn peuple
qui ne manque pas de personnes capables du
Ministere, de se voir soûmis à vn Estranger : c’est
pourquoy comme lors que cette election vient
du Peuple elle luy est des-auantageuse, parce
que c’est vne marque de sa lascheté & de son
ingratitude, puis qu’il aime mieux se confier à vn
Estranger qu’à vn de ses Concitoyens : De mesme
lors que le choix d’vn Estranger pour Ministre
vient de la volonté du Prince, il est honteux à
celuy qui le fait & au Peuple qui le souffre, parce
que c’est vne marque presque infaillible que
dans tout l’Estat, il n’y a point d’hommes, ny assez
sages, ny assez intelligens pour s’en bien acquiter.
Ce qui est la plus miserable condition & du
Prince & du Peuple dans laquelle ils se puissent trouuer.
Et les Scythes quoy que Barbares l’ont si
bien reconnu, qu’ils ne peurent le celer au
Grand Alexandre le Vainqueur. Bien que tu sois
luy dirent ils, plus fort que tous les autres

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toutefois souuiens-toy que personne ne veut
souffrir la Domination des Estrangers, comme
remarque Herodote en son Liure sixiéme.

 

FIN.

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M. N. R. F. J. [1652], L’ESTAT EN TROVBLE Par le Gouuernement DES ESTRANGERS. Où l’on verra que c’est vne maladie ordinaire à tous les Estats de ne pouuoir souffrir vn Gouuernement Estranger, & que tant que nous serons gouuernez par eux; il est bien difficile que nous ayons vne bonne Paix. Par M. N. R. F. I. , françaisRéférence RIM : M0_1296. Cote locale : B_16_53.