La Colombière, Marc de Vulson de [?] [1649], LE MOVCHARD, OV ESPION DE MAZARIN. , français, latinRéférence RIM : M0_2510. Cote locale : A_6_25.
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LE MOVCHARD,
OV
ESPION
DE
MAZARIN.

A PARIS,
Chez CLAVDE BOVDEVILLE, ruë des Carmes,
au Lys Fleurissant.

M. DC. XLVIIII.

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LE MOVCHARD, OV ESPION
de Mazarin.

DEPVIS la derniere lettre que i’escriuis à V. E il
s’est passé à Paris plusieurs choses assez remarquables :
& il faut que i’auouë, que ie ne
sçay presque par où commencer pour vous en
rendre vn compte exact, mais afin de ne vous estre pas
importun dans ce temps, où sans doute vous ne manquez
pas d’occupation ; ie choisiray les plus importantes
particularitez, pour vous faire voir comme dans vn miroir,
le miserable & honteux estat où ie vous trouue reduit, &
pour vous obliger à songer de bonne heure à vostre conscience,
puisque vous n’auez pas assez tost songé à la seureté
de vostre personne, & de vostre vie, lors que vous en
auiez les moyens faciles : car puisque ie me suis engagé à
vous escrire, & à vous découurir fidellement tout ce qui
se passe & qui se dit contre vous (encore que ie sois presque
asseuré que les promesses que vous m’auez faites de
me recompenser s’en iront en fumée, & s’exalleront cõme
toutes celles que vous auez faires à vn nombre infiny
de gens d’honneur) ie vous diray pourtant, que le plus
grand estonnement des plus habiles Politiques, est de
voir que V. E. sçachant fort bien, qu’elle est la seule cause
de tous les maux que la France souffre à present, elle n’ait
pas eu la sagesse, ou plustost la bonté de les faire cesser
par son éloignement ; & qu’ayant toutes les obligations
à ce Royaume de vostre Grandeur, & de vostre prodigieuse
& excessiue fortune, vous n’ayez pas eu assez de
generosité pour vous sacrifier pour son repos, & que vous

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aymiez mieux la voir plongée comme elle est dans des
confusions cruelles, que de luy procurer le repos que vostre
éloignement luy eust causé. Et ie suis contraint de
vous dire, que lors qu’on fait reflexion sur ces choses, il n’y
a personne qui ne vomisse contre vous milles execrations,
& qui ne vous accuse d’estre le flambeau funeste qui auez
allumé la guerre, & le vipere ingrat qui déchire les entrailles
à la pauure France, apres auoir succé tout son sang
& ses moëlles, pour en gorger vostre insatiable auarice ;
ils vous nomment le monstre de l’Estat, & disent que
vous n’auez iamais eu autre but dans vostre Politique,
que le pillage & la ruine du Peuple, pour le liurer plus facilement
aux Espagnols, auec lesquels ils disent hautement
que vous estes d’intelligence, & en font voir des
raisons qui sont tres euidentes & tres demonstratiues.

 

Au reste ie vous aduertis que vos flateurs, & vous aussi,
vous trouuerez courts en vos mesures, & que l’esperance
qu’ils vous ont donnée, & dont ils vous amusent encore
tous les iours, de venir bien tost à bout des Parisiens,
se trouuera vaine & trompeuse. Car ie vous puis asseurer
que leur ardeur & leur vigueur augmente tous les iours,
au lieu de diminuer, & que la continuation de la cruelle
guerre que vous leur faites, & des horribles meschancetez
& barbaries que vos troupes exercent à la campagne
les irritent tousiours dauantage, & leur font exagerer des
iniures & des imprecations contre vous, qui ne sont pas
conceuables. Messieurs du Parlement, tous leurs Generaux
& vn nombre infini de vaillans Seigneurs & Gentils
hommes, qui ont pris le party contre vous, pour vous
pousser iusques au bout du monde, & pour vous exterminer,
continuent leurs leuées & ie vous asseure qu’ils ont
assez d’argent & de gens pour les rendre si considerables

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dans peu de iours, que ie ne pense pas, que les vostres
soient capables de resister aux efforts qu’ils se preparent
de faire. Ie vay tous les iours au Palais, à l’Hostel de Ville,
& chez les Generaux pour m’instruire de tout ce qui s’y
passe, & qui s’y dit ; ie m’insinuë assez adroitement dans
les compagnies de ceux que ie cognois sçauoir & entendre
mieux les affaires ; ie contrefais le passionné contre
vous, pour leur tirer le ver du nez, & pour sçauoir tout :
bref ie n’oublie rien de tout ce qui est necessaire pour
vous tenir fidellement aduerty de la verité de toutes choses :
Mais helas ! ie vous puis bien asseurer que ie ne trouue
personne qui ne vous maudisse, & qui n’entre en fureur
contre vous, lors qu’on songe à vostre barbare &
execrable ingratitude, (c’est ainsi que les plus sages en
parlent,) & ils sont tous resolus de mourir de mille morts
plustost que de relascher ny changer tant soit peu la resolution
qu’ils ont fait d’assouuir leur vengeance dans vostre
sang ; les plus pauures Bourgeois, aussi bien que les
plus riches, contribuent auec vn zele admirable & vne
affection extreme tout ce qu’on leur demande ; & ils sont
desia tellement accoustumez à la fatigue des armes, qu’il
y aura autant de peine à la leur faire quitter, comme ils en
ont eu à se resoudre à les prendre : pour ce qui est des
viures, ie vous asseure qu’ils n’en ont iamais manqué, &
que l’ordre qu’on y a estably, & la preuoyance des grands
& des petits a esté telle, qu’il est entré dans la ville vne si
grande quantité de blé & de farine, qu’on est asseuré
qu’il y en a desia plus qu’on n’en pourra manger en quatre mois
Iugez par là ce que vous pourrez faire, & s’il y a
de la sagesse à s’opiniastrer plus long temps contre de si
puissans ennemis. Ils vous accusent tout haut d’auoir ensorcelé
la Reyne, les Princes du sang, mais ils esperent

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aussi de faire en sorte que vos charmes ne dureront pas
long temps, & qu’estans desabusez cette bonne Royne,
& ces deux grands Princes se repentirons d’auoir appuyé
vn si grand traistre, & seront les premiers qui se saisiront
de vostre personne pour la faire seruir de victime à
la fureur du peuple, aprez luy auoir fait rendre gorge de
plus de cent soixante millions qu’elle a volez auec vne
hardiesse sans exemple. En fin ie preuois que tous ces
orages qui se preparent de tous les costez, ne ietteront
leurs foudres & leurs tempestes que sur vostre teste, &
vous deuez vous resoudre à fuir promptement, autrement
vous estes perdu, & iamais vous ne iouyrez de vos
rapines. Toutes les Prouinces de France sont desia liguées
& vnies pour vous donner la chasse, & pour tirer la France
du honteux esclauage où vous l’auez reduite, & pour
redonner au Roy son authorité, qu’ils disent que vous
auez tyranniquement vsurpée, pour remettre les Loix en
vigueur que vous auez violées & abattuës, pour restaurer
cet Estat que vous auez ruiné, & que vous voulez perdre
entierement, par les desesperées resolutions que vous
auez pris depuis peu d’obliger ceux de la Religion à se
sousleuer en vostre faueur, & l’on sçait icy les offres que
vous leur auez faits de vostre protection, & que vous leur
auez promis de leur faire donner des places d’ostage &
de seureté dans diuerses Prouinces, ce qui est vne chose
qui acheue de vous rendre execrable deuant Dieu & les
hommes.

 

Et ce que ie trouue admirable, & que vous deuez le
plus apprehender, c’est que tous les plus modestes & les
plus sages Docteurs en Politique, en Morale, & en Theologie,
vous ont condamné publiquement, & mesme la
Sacrée Faculté de Sorbonne a trouué la cause du Parlement

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& du peuple si iuste contre vous, que non seulemẽt
elle l’a approuuée, mais qui plus est elle l’a iugée & declarée
meritoire deuant Dieu, deuant le Roy, & deuant
tous les Princes de la terre, qui ont vn tres sensible interest
de voir punir l’insolence & la temerité de ceux, qui
comme vous, abusent du pouuoir qu’on leur met en main,
& qui peruertissent toute la nature, & fomentent le trouble
& la discorde, au lieu de les assoupir.

 

Ie vous aurois fait part de tous les excellens escrits qu’on
publie contre vous ; mais apprehendant que vous ne
pourriez pas auoir le loisir de les lire, i’ay creu ne vous en
deuoir enuoyer que ceux qui ont paru les meilleurs, &
qui sont les plus essentiels. Vous confessant, qu’encores
que les promesses que vous m’auez faites de me recompenser
me tiennent encore vn peu attaché à vos interests,
pourtant i’ay failly à estre persuadé par les raisons qu’on
y a déduit, lesquelles tous les plus doctes & les moins interessez
trouuent si demonstratiues & si conuainquantes,
qu’ils dépitent toute la milice de l’Enfer, & deffient toute
la subtilité & la finesse des Demons d’y pouuoir respondre ;
tellement que vous pouuez iuger quel effect cela fera
sur tous les esprits, & si toutes les nations de l’Italie &
Rome mesme, où vous estes autant hay qu’en France,
trouueront ces pieces agreables à leur goût & si cela vous
y attirera la protection & asseurera l’azile, que vous pourriez
pretendre d’y trouuer. Veritablement ie vous trouue
malheureux, & vostre excessiue ambition & horrible auarice
pire mille fois que celle de Midas, va conuertir en
impitoyable fer tout ce que vous toucherez, & il n’y a
point de peuples ny de Princes si grossiers, qui au lieu de
vous receuoir chez eux ne taschent de vous en deffendre
l’auenuë & l’entrée comme à vne beste la plus cruelle &

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la plus farouche qui aye iamais tourmenté les humains.
Et afin que vous ne croyez pas que i’exagere vn peu trop
la bonté de tous ces escrits, ie vous enuoye les meilleurs
& vous prie de les lire.

 

Premierement, ceste piece qui est intitulée. Raisons
d’Estat contre le Ministere Estranger, & en suite,

Le discours d’Estat & de Religion sur les affaires du
temps present addressée à la Reyne.

Les diuines Reuelations & promesses à sainct Denis,
& à saincte Geneuiefue en faueur des François, &c.

La France desolée aux pieds du Roy, où le Gouuernement
Tyrannique de Mazarin est succinctement descrit.

La Parabolle du temps present.

Contribution d’vn Bourgeois de Paris, pour sa cotte
part au secours de sa Patrie.

Lettre d’vn Religieux enuoyée à Monseigneur le Prince
de Condé à S. Germain en Laye, &c.

Factum seruant au Procez Criminel fait au Cardinal
Mazarin touchant ses intelligences auec les estrangers
ennemis de l’Estat.

Tres humbles Remonstrances du Parlement au Roy
& à la Reine Regente.

Les Raisons ou les motifs veritables de la deffence du
Parlement & des Habitans de Paris Contre les Pertubateurs
du repos public & les ennemis du Roy & de l’Estat.

Voila l’eslite des meilleures pieces, qui vous descoupent
assez adroictement & qui descouurent à tout le monde,
ce que la patience des François a trop long temps
souffert.

Ie vous aurois bien enuoyé vne piece Latine intitulée
Icon Tyranni in inuecliu[1 lettre ill.] contra Mazarinum expressa, mais

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ie sçay il y a longtemps que vous estes assez ignorant pour
n’y rien entendre & que cela donneroit trop de peine à
vos interpretes, qui aussi bien que vous ont bien d’autres
choses à faire qu’à trauailler à ses traductions.

 

Et afin qu’il n’y ait rien dequoy vous ne soyez aduerti,
ie ne negligeray pas de vous dire, que iamais personne
n’a esté mocqué & vilipendé comme vous estes dans la
bouche des grands & des petits, & que les chanteurs du
Pont-neuf, les Gazetiers & vn nombre infini de Colporteurs
vous donnent mille noms de mespris sur l’allusion
ou terminaison du vostre, Ils vous appellent, Masquarin,
Tabarin, Esprit malin, Marquassin, & Triuelin.

Et pour conclusion, puis que vous m’auez ordonné de
vous dire franchement mes sentimens ie vous conseille
de trousser bagage le plus secrettement & le plustost que
vous pourrez, & ne vous fier pas tant aux promesses & à la
protection qu’on vous promet : car ie vous asseure que selon
les apparences humaines & selon les forces que Dieu
donne au Parlement de Paris & aux Princes qui tiennent
leur party, pour conseruer le Sceptre de la Couronne du
Roy que vous voulez perdre ; Il n’y a aucun doute que
vous succomberez & que les peuples se vengeront sur
vostre teste des maux que vous leur faites,

Petronius. Arma placent miseris, detritaque commoda luxu,
Vulneribus reparantur, inops audacia tuta est.

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