L. S. C. C. A. P. D. A. [signé] [1652], LE FIDELLE INTERESSÉ. Par L. S. C. C. A. P. D. A. , françaisRéférence RIM : M0_1388. Cote locale : B_19_51.
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LE
FIDELLE
INTERESSÉ.

Par L. S. C. C. A. P. D. A.

A. PARIS.

M. DC. LII.

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LE FIDELLE
INTERESSÉ.

C’EST à tort sans doute que quelques Philosophes
ont voulu nous persuader que nostre ame auoit
vne pente naturelle au vice, & ne se portoit iamais
que par contrainte à la vertu : car nous auons vne inclination
si forte à celle-cy, que son contraire pour nous attirer
à luy prend ordinairement ses couleurs, & tasche
d’abord de passer pour celle dont il est le veritable ennemy.
Nous ne le suiurions guere sans cette supposition,
& sa laideur essentielle nous en donneroit infailliblement
toutes les auersions, que nous conceuons pour le mal qui
nous est inconnu ; les remonstrances ne seroient point
necessaires, les peines seroient inutiles, & nous prendrions
auec vne ferme constance le chemin de la gloire
& de nostre felicité.

Ceux que des interests particuliers engagent dans les
partis differens, qui diuisent ce pauure Royaume, & le
mettent aux abois, essayent par toutes sortes de desguisemens
de cacher leurs mauuaises intentions, & faire
croire que ce qu’ils font pour l’establissement de leur fortune,
sont les effets du zele qu’ils ont pour le bien de l’Estat.
Les vns affectent de paroistre bons seruiteurs du
Roy, s’attachans particulierement à sa personne, ou au
Conseil qui le suit, font mine de sacrifier toutes leurs
veilles au maintien de son authorité royale, & se vantent
de prodiguer leur sang pour conseruer sa vie & affermir sa
Couronne. Les autres plaignent ouuertement les miseres

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du Peuple, defendent la dignité des Parlemens, & font
des inuectiues contre la violence du Ministere, & les exactions
des Partisans, comme les vns & les autres ont des
raisons pour eux, il y en a par consequent qui leur sont
reciproquement contraires : Pour ne les condamner pas
tous, ie croy qu’il y en a parmy eux, qui par vne preoccupation
assez ordinaire en ces rencontres, n’enuisagent
que ce qui fait pour la iustice de leur cause, sans considerer
ce qui la peut rendre mauuaise : mais ie ne sçaurois
souffrir l’impudence de quelques-vns, qui sous des tiltres
specieux & honorables veulent couurir leurs laschetez !
I’entens ces infames qui protestans d’abord qu’ils sont
desinteressez, font voir dans la suite de leurs Ouurages
l’iniustice de leurs sentimens, & le dessein qu’ils ont de
nous seduire. Il vaudroit bien mieux qu’ils fussent interessez,
mais que ce fust comme le sont tous les gens de
bien, c’est à dire qu’ils eussent des sentimens genereux
pour leur Patrie ; c’est vn crime d’estre insensible aux calamitez
publiques, & croire que l’indifference soit loüable
dans ce rencontre. Il est bien difficile de se cacher
long-temps, & de ne paroistre pas à la fin ce qu’on est. On
dit que le Diable se desguisant en homme, retient tousiours
quelque difformité, qui le rend connoissable, s’il est
bien obserué. Ceux dont ie parle veulent passer au dessus
du commun, & nous persuader qu’ils ont autant de probité
qu’ils ont d’eloquence, & que leurs pensées sont aussi
sainctes, que leurs paroles sont bien choisies. On apperçoit
pourtant visiblement leurs defauts ; Ils passent pour
aussi mauuais Citoyens, qu’ils se croyent bons Politiques ;
& leur conscience les trahit, lors qu’ils maintiennent auec
plus de chaleur qu’elle est sans reproche.

 

* Entre les
pieces qui
courent, on
a pû voir
celles cy,
Aduis au
Mal-heureux,
La
Verité toute
nuë, La
Guide du
chemin de
la Liberté,
& plusieurs
autres, dont
quelques-vnes
sont
fort bonnes,
& beaucoup
sont
mauuaises.

A quoy seruent ces auis au mal-heureux *, si l’on ne
veut point finir nostre misere ? A quoy bon dire qu’on est
desinteressé, quand on s’attache aux interests de ceux qui
nous persecutent ? Pour quoy fait-on imprimer le vray &
le faux, si l’on veut tousiours nous tenir dans les tenebres,

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dans la confusion & dans le desordre, & si l’on prend si
bien à tasche de desguiser la verité ? Pour estre toute nuë,
il faudroit qu’elle vint plustost du camp, que de vostre
bouche, mal-heureux qui la prophanez si laschement ?
L’appellez vous toute nuë, quand vous l’habillez à vostre
mode, & que vous en dites quelque chose, pour faire receuoir
plus aisément beaucoup de faussetez ? vous qui tranchez
de bon Citoyen, quand vous exhortez à la sedition !
& vous qui pretendant nous seruir de guide au chemin
de la liberté, poussez malicieusement les Peuples à secoüer
le ioug d’vne authorité legitime, sous ombre d’abattre
la tyrannie, pensez vous nous leürer si facilement,
ou si vous nous voulez amuser pendant qu’on nous forge
des chaisnes.

 

Ie n’aurois iamais fait, si ie voulois seulement parcourir
les titres des Pieces pernicieuses qui ont paru depuis ces
derniers troubles, & qui nous font assez voir qu’il n’y a
pas moins de mauuais Escriuains que de meschans soldats.
Aussi ie ne pretens pas remarquer toutes leurs fautes,
ny respondre à toutes leurs raisons, ou plustost à leurs
calomnies. Ie veux tesmoigner que i’ayme mes Concitoyens,
& que ie respecte mon Roy, que ie plains les miseres
du Peuple, que ie deteste les mauuaises maximes de
la plus-part des Ministres, & que ie ne sçaurois estimer
ceux qui fomentent nos diuisions pour profiter de nos despouïlles.
Il n’est pas necessaire que ie les nomme, estans
assez connus ; quelques vns de part & d’autre en ont fait
courir des listes aussi amples que dangereuses ; Ils ont
mesme eu si grande peur d’oublier quelques coulpables,
qu’ils n’ont pas espargné les plus innocens. On ne s’est
pas contenté d’accuser iniustement des particuliers, on a
presque condamné des Compagnies entieres, dont plusieurs
auoient des intentions tres-sinceres pour le bien du
Royaume. Comme ie n’excuse pas ceux qui ont trahy
leurs consciences & leur honneur, non plus que ceux qui
se sont engagez par caprice ou par des considerations

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particulieres dans le party mesme qui leur semble le plus
iuste, ie ne puis aussi m’empescher de donner aux gens
de bien les loüanges qu’ils meritent pour auoir constamment
enuisagé la Iustice & la gloire de l’Estat. Continuez
Illustres conseruateurs de cette Monarchie ; Resistez
rigoureusement aux violences des mauuais Ministres ;
Mais aussi n’authorisez pas par vn criminel auec
la reuolte, & les pernicieux desseins des mutinez ? Soyez
attachez fortement à vostre Souuerain ; mais aussi ne détournez
iamais les yeux des miseres d’vn Peuple languissant,
que l’oppression des grands, & les cruautez du Soldat
reduisent au desespoir. Vous estes posez comme vne
barriere entre la Majesté du Prince, & la foiblesse des
subiects ; Il faut que d’vn costé vous faciez obseruer les
Loix, & les iustes volontez du Monarque, & que de
l’autre vous luy representiez incessamment, & le pressiez
de soulager les mal-heurs de son peuple.

 

Il y a bien à redire dans les deux partis qui paressent ;
mais i’estime que le Roy n’est point coupable, & connois
assez que le peuple est innocent. Quand ie considere
ce Prince, qui doit estre nostre Pere aussi-tost que nostre
Souuerain, ie remarque en luy trop d’inclination
au bien pour m’imaginer qu’il voulust estre l’Autheur de
nos maux : Seroit-il si mal-heureux, que de vouloir d’estruire
sa maison ; faire vn desert de son Royaume, & nous
causer tant de disgraces, pour ne regner que sur des
gueux. Autant de ses suiects que la guerre fait mourir,
n’est-ce pas autant de sang qui sort de ses veines ? Tant de
Chefs, tant de genereux Capitaines, & tant de braues
Soldats, qui sont tuez dans ces tristes combats, ne sont-ce
pas autant de Perles qui tombent de sa couronne.
Si ses subiets perdent quelque chose, ne peut-on pas dire
qu’il perd beaucoup, & qu’il reçoit autant de coups
mortels qu’il y a de François qui perissent ? Helas ; quoy
que le peuple soit ordinairement aueugle, & que ses infortunes
l’emportent dans la fureur, il a pourtant iusques

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icy conserué assez de lumiere, pour connoistre que ce
n’est pas son Roy qui l’outrage ; Et assez de raison pour
ne s’en prendre pas à luy. Oüy ? i’admire apres tant de desordres
l’affection extréme qu’il a pour son Monarque, le
desir qu’il a de le posseder, & les souhaits qu’il fait pour
sa personne ! Il est iuste à la verité ; mais dans vne rencontre
de cette sorte, c’est vne protection visible du Ciel ; Il
n’appartient qu’à Dieu d’operer ces merueilles, & de
faire regner dans nos cœurs celuy, dont les Soldats rauissent
nos biens, celuy dont le nom sert de pretexte pour
nous ruyner, celuy enfin dont les Ministres semblent ne
parler que pour nous faire peur ! Qu’ils exercent, ces
cruels, toutes leurs barbaries, nous plaindrons nostre sort,
nous accuserons leur inhumanité ; mais nous ne perdrons
point le respect que nous deuons à nostre Prince ! Si quelques-vns
declament contre luy, nous ne les escouterons
pas, ou nous le vengerons ? Si l’on veut nous soustraire à
son obeïssance, nous ferons voir que nous essayons de defendre
nostre pain & nos vies, mais que nous ne songeons
pas à secoüer son ioug. Nous ne demandons pas vne autre
sorte de Gouuernement ; nous souhaiterions seulement
qu’il fust plus doux, & que sous ombre de conseruer l’authorité
royale, on ne s’efforçast pas de nous mettre dans
la seruitude, & faire des esclaues de la plus libre & de la
plus illustre Nation du monde.

 

On sçait assez l’obligation que nous auons d’estre
tousiours sousmis à nostre Souuerain, & celle qu’il a
de gouuerner selon les Loix & la Iustice ; on reconnoist
mesme l’inclination que ce Prince y a par la bonté de
son naturel, on voit bien le respect que ses subiets luy
rendent, & comme ils font des vœux pour sa gloire &
pour son bon heur : Neantmoins, il est bien difficile de
nous remettre tous dans vne intelligence parfaite, tant
à cause des soupçons que ceux qui l’obsedent luy donnent
de nostre fidelité, que de la crainte que nous auons
qu’ils ne l’empeschent d’abandonner ses ressentimens,

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& les desirs de vengeance qu’ils luy ont inspiré.

 

Voicy pourtant vne occasion fauorable pour nous
reünir ; on chasse l’Autheur principal de nos desordres ;
nostre Prince nous fait iustice, & rend le calme à ses
Estats. Voicy le moyen d’embrasser la Paix, & de tesmoigner
en mesme temps le zele que nous auons pour
nostre Monarque, & pour nostre patrie ; l’ettons nous
aux pieds de sa Majesté, rendons luy grace de cét acte
signalé de Iustice, allons luy protester vne eternelle obeïssance,
& l’asseurer d’vne inuiolable fidelité ? Prions-le de
ne songer plus à nos desordres, & taschons nous mesmes
d’oublier nos calamitez. Pardonnons à nos tyrans, donnons-leur
vn exemple d’vne loüable moderation, & n’escoutons
plus les boute feux qui nous iettent dans la discorde.
Preferons le bon-heur de l’Estat, le repos de nostre
Patrie & le salut du Peuple à nos auantages particuliers,
à nos fortunes & à nos propres vies. Souuenons-nous que
nous sommes sousmis aux puissances temporelles, qu’elles
sont establies de Dieu pour nous gouuerner, & que nous
ne pouuons valablement nous dispenser de la fidelité que
nous leur auons iurée. Sur tout, prions cette supréme Majesté
qu’elle les fasse souuenir de ce qu’elles nous doiuent
reciproquement, & qu’elle leur inspire des sentimens de
tendresse & d’amour pour leurs Peuples.

Ceux qui sont auprés des Souuerains, & se meslent de
gouuerner les Estats, veulent ordinairement leur persuader
qu’ils sont maistres des vies & des biens de leurs subjets,
& qu’ils peuuent sans iniustice en disposer à leur gré ;
ce qui n’est pas absolument veritable, comme plusieurs
ont desia remarqué : mais parce que ces mauuais Conseillers
s’imaginent qu’ils ne sont pas obligez de donner
creance à de nouueaux Autheurs, & qu’ils me rebuteroient
asseurément comme les autres, ie leur veux mettre
en teste vn Docteur Angelique, & luy faire dire en François
ce qu’il a escrit en Latin il y a prés de 400. ans. Ils auroient
bien de la peine à nous peasuader qu’ils sont plus

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esclairez que cét excellent Esprit, à qui Dieu mesme a
donné des lumieres surnaturelles, ou qu’ils soient plus
saincts qu’vn bon Religieux, qui s’estoit priué volontairement
de toutes les grandeurs du monde, pour viure dans
l’abaissement & dans la solitude. Outre ce qu’il escrit du
gouuernement des Estats dans les liures de la conduite
des Souuerains, où il traite amplement du Politique & du
Despotique, du meslange desquels il compose celuy des
bons Rois, le rapportant neantmoins plus au premier à l’égard
des Princes Chrestiens. Voicy vne partie de ce qu’il
en dit dans ceux qu’il a faits de l’education du Prince.

 

S. Thomas de l’education du Prince, liu. 2. chap. 3.

Il est fort mal seant au Prince de faire executer ses volontez
au preiudice des Loix. Liure 4. Chap. 1.

Il faut que le Prince prenne bien garde que ceux qui
sont auprés de luy ne soient meschans. S. Bernard dans le
liure de la Consideration : Ne dites pas que vous estes en
parfaite santé, quand vous souffrez des douleurs de costé ;
c’est à dire, Ne dites pas que vous estes bon, si vous vous
seruez des meschans. Vostre bonté n’est point plus asseurée
estant assiegée de toutes parts par de mauuais esprits ;
Qu’est la sauté, lors qu’vn Serpent est auprés de nous, & se
prepare de nous mordre ? Il n’est pas facile de se défaire
d’vn mal domestique : le bien domestique l’est d’autant
plus, que plus il nous sert. Les mauuais Fauoris des Princes
leur nuisent doublement, les corrompans par leur conuersation,
& les perdans par leurs abominables conseils.
Le peché estant vn mal contagieux, la societé des meschans
est beaucoup à craindre. Il est dangereux à ceux qui
se portent bien, de viure auec les ladres. Eccl. c. 13. On ne
manie point la poix qu’il n’en demeure aux doigts : Aussi
ceux qui frequentent les superbes, le deuiennent comme
eux. S. Paul en la I. aux Cor. c. 15. Les mauuais entretiens
corrompent les bonnes mœurs, à plus forte raison les
mauuaises œuures ont elles ce pouuoir. Prou. c. 13. Qui
vit auec les sages, l’est aussi, & ceux qui contractent habitude
auec les fols le deuiennent souuent. Le mauuais conseiller

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est vn œil qu’il faut arracher, suiuant la parole de
Dieu en S. Matt. c. 9. Si ton œil te scandalise, fais-le arracher
& le iette loin. Liure 6. Chap. 1.

 

Il est dit au Souuerain dans le Pseaume 44. regnez pour
la verité, la douceur, & la Iustice. N’opprimez aucun l’espouuentant
par les menaces des supplices, ne le calomniés
point, luy imputant des fautes qu’il n’a point faites. Soyez
contents des tributs que vous receuez pour la defence, &
la protection publique. La bonté du Prince doit moderer
ses passions, & ne permettre pas qu’il s’eschauffe indiscretement
de peur qu’il ne soit vne giroüette à tous les vents
de l’orgueuïl & de la colere, mais qu’il soit plustost le Figuier,
la Vigne, & l’Oliue de la Paix. Le flambeau, de la
verité doit tousiours conduire la raison, afin qu’il n’inuente
point de faussetez, ou qu’il ne croye pas celles qu’on
luy dit contre ses sujets pour l’obliger de les dépoüiller, &
de rauir leurs biens. Chap, 2.

Le S. Esprit tesmoigne assez dans l’escriture les grandes
meschancetez, & les inhumanitez des Princes impies * enuers
leurs sujets, quãd il dit [qu’ils escorchent les pauures,
qu’ils les accablent, les mangent, & les deuorent. Mich.
c. 3. vous haïssez le bien, & vous aymez le mal vous autres
qui leur ostez la peau auec violence, & descouurez leurs
os pour emporter leur chair.] Isa. 3. la dépouïlle du pauure
est dans vostre maison ; pourquoy sur-chargez vous mon
peuple, & pourquoy décharnés vous le visage des pauures.
[Ezech 19. c. Il est deuenu Lion ; il a appris à prendre la
proye, & déuorer les hommes.] Pour mieux dire faire
voir leur malice, il les compare encore aux Lyons, & aux
Ours. Prouerb. c. 28. Le Prince impie est vn Lyon rougissant,
& vn Ours affamé contre son pauure Peuple. Boëce
dans son liure de la Consolation les appelle des Loups.
Prouerb. 30. cette engeance qui a des cousteaux au lieu
de dents, & qui ne remuë les maschoires que pour manger
les miserables. Ces Princes sont des dents, parce qu’ils
deuorent, & mangent les pauures ; Et ce sont des espées ;
parce qu’ils leur ostent la vie auec la substance, selon ce qui

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est dit dans l’Eccl. ch. 34. C’est tuer son prochain, que de
luy oster le pain, qu’il a gagné à la sueur de son visage.

 

* Par les
Princes impies,
sont
aussi entendus
tous les
mauuais
Ministres.

Chapitre 3.

Entre les cruautez des mauuais Princes, celle des iniustes
tailles * n’est pas vne des moins considerables. Il faut
en cecy premierement voir la grandeur de la faute qu’ils
font. Secondement la grandeur de la peine qui la suit ; &
en troisiéme lieu cõbien est miserable la condition de certains
Princes, qui disent qu’ils ne sçauroient s’empescher
de leuer ces tailles, quoy qu’ils sçachent qu’ils pechent
mortellement, & qu’ils se damnent mal-heureusement ;
Quatre choses font la grandeur de ce crime ; Sçauoir l’infidelité,
l’ingratitude enuers Dieu, le mespris de sa Majesté
Souueraine, & celuy de ses Anges. Veu que le Seigneur
doit garder à ses sujets la mesme fidelité, dont ils
sont tenus enuers luy, & à la quelle il veut les obliger ; aussi
c’est vne extreme infidelité, s’il y manque de sa part. Si vn
sujet prenoit son Seigneur prisonnier, ou en quelque autre
façon luy faisoit du mal, il seroit iustement appellé traistre :
Aussi le Seigneur l’est sans doute quand il emprisonne
son suject, s’il n’a commis quelque faute, qui merite cette
punition : Et il n’est pas moins iniuste qu’vn Seigneur
retienne sont sujet sans cause raisonnable, qu’il est indecent
qu’vn sujet s’attaque à son Seigneur. Quelques Capitaines,
& quelques Princes disent souuent : Si ie faisois du
mal à quelqu’vn, qui ne dependist pas de moy, ie sçay bien
qu’alors ie pecherois ; mais si ie ne le fais qu’à vne personne
qui m’est sousmise, ie croy que ie ne peche point, ou
pour le moins que ie ne peche pas tant. Mais on peut leur
respondre qu’en cela leur domination est diabolique ;
Car le Diable est vn maistre de cette sorte : il ne donne que
de l’affliction au lieu de recompense aux siens, & fait le
plus de mal à ceux qui le seruent le mieux ! N’est-ce pas vne
espece de trahison, que de procurer du mal à ses amis ; les
sujets selon le dire du Sage sont des amis humiliez.

* S. Thomas
entend
par les iniustes
tailles,
les maltotes,
partis
& autres
impositions
extraordinaires,
qui
se font pour
autre chose
que pour
les necessitez
publiques :
Car
pour les
tailles ordinaires,
il les
approuue
dans son
Traité de
la conduite
du Prince.

Chapitre 5.

Cette oppression est vne ingratitude enuers Dieu. Ce

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Monarque independant l’a honoré en l’éleuant au dessus
des autres hommes, qu’il a sousmis à son obeïssance, & luy
mesprise son Dieu persecutant les pauures.

 

Chapitre 6.

La premiere peine des Princes qui sont cruels enuers
leurs subjets, est la pauureté. La seconde est la diminution
ou la perte de leur authorité & de leurs Estats ; car les subjets
les fuyent, & il arriue par vn iuste iugement de Dieu,
que ceux qui veulent auoir plus qu’il ne leur est deu, n’ont
pas mesme souuent ce qui leur appartient : d’où vient que
Roboan fils de Salomon, voulant appesantir le ioug des
enfans d’Israël, dix Tributs en vn iour se retirerent de son
obeïssance, comme il est porté dans le 3. liu. des Rois. C. 12.
La 3. est, qu’ils sont accablez par de plus puissans, Dieu
voulant qu’ils soient accablez par de plus forts, apres qu’ils
ont opprimé ceux qui estoient plus foibles qu’eux, selon
qu’il est dit au Pseaume 97. La 4. sont de grands supplices
qu’ils souffriront dans l’autre monde. Ils meritent de
grands chastimens, & d’estre mesurez à l’aune, à laquelle
ils ont mesuré les autres : C’est pourquoy, qu’ils ne croyent
pas que Dieu exerce sur eux sa misericorde, & qu’il aye
pitié d’eux, puis qu’ils n’en ont point eu de leurs subjets, &
ne leur ont pas mesme fait iustice. Aussi est-il dit dans la
sagesse chap. 6. Rois vous connoistrez bien tost que ceux
qui ont commandé seront iugez bien rigoureusement : les
plus grands souffriront les plus grands supplices, car Dieu
n’aura esgard à personne ; luy qui est le souuerain des Monarques,
ne redoutera la grandeur de qui que ce soit.
C’est luy qui fait les grands & les petits, & qui a soin
d’eux tous esgalement. La 5. peine est la perte du Paradis,
la folie des Grands de ce monde est extréme, qui ayant
receu de Dieu des richesses en abondance, ne songent
plus à luy, comme s’il n’auoit plus rien à donner ; parce
qu’il les a plus auantagez, ils se soucient moins de luy ; &
à cause qu’ils ont plus de terre que les autres, ils font bien
moins de cas du ciel, &c.

FIN.

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L. S. C. C. A. P. D. A. [signé] [1652], LE FIDELLE INTERESSÉ. Par L. S. C. C. A. P. D. A. , françaisRéférence RIM : M0_1388. Cote locale : B_19_51.