Dubosc-Montandré, Claude [?] [1652 [?]], L’AVEVGLEMENT DES PARISIENS, FAISANT VOIR QV’ILS SONT BIEN aueuglez de ne voir pas, I. Que la Cour ne veut point de Paix, quelque montre qu’elle fasse du contraire. II. Qu’ils ne peuuent point esperer cette Paix, si la Cour a le dessus. III. Qu’ils peuuent terminer les troubles, s’ils entendent auec les Princes; & qu’ils prolongeront ces mesmes troubles s’ils s’entendent auec la Cour. IV. Qu’ils sont plus obligez aux Princes qu’à la Reyne; ou qu’ils ne peuuent se passer des Princes, & qu’ils peuuent se passer de la Reyne. V. Que la Reyne en veut à Paris; & que pour faire triompher cette haine, elle veut premierement se défaire des Princes. VI. Que la Reyne fait reconnoistre cette haine par le peu de cas qu’elle fait de nos conquestes de Catalogne, de Flandre & d’Italie. VII. Que la Reyne dispose tout à vne desolation generale par la mauuaise education; & par les mauuais principes qu’elle inspire au Roy son Fils. , françaisRéférence RIM : M0_467. Cote locale : B_16_51.
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L’AVEVGLEMENT
DES PARISIENS,

FAISANT VOIR QV’ILS SONT BIEN
aueuglez de ne voir pas,

I. Que la Cour ne veut point de Paix, quelque montre
qu’elle fasse du contraire.

II. Qu’ils ne peuuent point esperer cette Paix, si la Cour
a le dessus.

III. Qu’ils peuuent terminer les troubles, s’ils entendent
auec les Princes ; & qu’ils prolongeront ces mesmes troubles
s’ils s’entendent auec la Cour.

IV. Qu’ils sont plus obligez aux Princes qu’à la Reyne ;
ou qu’ils ne peuuent se passer des Princes, & qu’ils peuuent
se passer de la Reyne.

V. Que la Reyne en veut à Paris ; & que pour faire triompher
cette haine, elle veut premierement se défaire des
Princes.

VI. Que la Reyne fait reconnoistre cette haine par le peu
de cas qu’elle fait de nos conquestes de Catalogne, de
Flandre & d’Italie.

VII. Que la Reyne dispose tout à vne desolation generale
par la mauuaise education ; & par les mauuais principes
qu’elle inspire au Roy son Fils.

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L’AVEVGLEMENT
des Parisiens.

LE Roy doit estre le Maistre : C’est le premier
principe du gouuernement : C’est le fondement
de la Politique : c’est ce que les deux partis
auoüent également : ils ne sont d’intelligence
que dans ce seul point. Quel est donc la raison
qui les desunit ? C’est le comment : Si le Roy doit estre
le Maistre, comment le doit-il estre ? sans condition,
respond la Cour : Auec condition, Respondent les Princes,
& les Peuples : Voy la le motif de leur diuorce.

Que veut le Roy : Il est Majeur, mais il est enfant : Il
veut ce que ceux qui sont à sa suite luy font vouloir : si
les Princes le tenoient, ils luy feroient vouloir le contraire :
l’âge le fait dependant, parce qu’il le rend capable
de toute sorte d’impressions : Ainsi nous pouuons dire
lors qu’on nous porte quelque volonté de sa part ; que
c’est la volonté de ceux qui sont aupres de sa Majesté.

Ie suis mauuais Courtizan ; faudroit-il pas dire, que
le Roy entend la Politique ; qu’il est parfaitement voisé
dans la science du gouuernement ; qu’il peut se passer de
toute sorte de conseil, qu’il est plus éclairé que tous ceux
qui l’approchent : si ie voulois me moquer de luy ; voila
comme ie parlerois : si ie veux garder le respect, il faut

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que je dise, qu’il est enfant, & qu’il n’est capable que de
ce qu’on peut estre capable à son âge.

 

Il est Majeur, neantmoins par la Loy de l’Estat ; cela
est vray : Mais quiconque est Majeur par la Loy ; est capable
de gouuerner son bien, par le suffrage de la Loy :
Le bien du Roy, c’est l’Estat ; si le Roy est donc capable
de gouuerner son bien : il est par mesme raison capable
de gouuerner son Estat.

La Loy consent bien que le Roy agisse & parle en
Majeur : Mais elle entend qu’il se gouuerne en pupille :
pour se gouuerner en pupille, il faut se conduire par le
conseil d’autruy : par le conseil de qui ? Voyons le : &
apprenons le du SAGE.

Le SAGE emancipant les Roys pupilles à quatorze
ans commencez, choque toutes les Loix des Sages : Les
Loix ne donnent iamais le maniment de cent liures de
rente qu’apres vingt & va an : il y a donc de l’extrauagance
de donner le maniement d’vn Royaume à quatorze
ans.

L’Autheur de cette Loy surnommé le SAGE respond,
qu’il veut qu’on emancipe les Roys pupilles, à
quatorze ans commencez, parce que l’attente de vingt
& vn an est trop auantageuse aux Regents, pour establir
vn pouuoir, que le Majeur ne pourroit point commander
en Maistre : Ce SAGE veut dire qu’il n’oste
point la dependance du Conseil au Roy pupille ; mais
qu’il oste la continuation de l’authorité au Regent : Et
que le pupille souz le nom de Majeur passera en d’autres
mains, pour agir par authorité en Majeur ; Mais pour
obeyr par conseil en pupille.

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Apliquons le sentiment de ce sage Legislateur à Louis
XIV. pupille, & à Anne d’Autriche sa Regente, ou tutrice.
Louis XIV. est emancipé à quatotze ans commencés :
Qu’est-ce à dire ? c’est à dire qu’Anne d’Autriche n’a
plus de pouuoir : C’est à dire que la Loy pretend qu’Anne
d’Austriche ne soit plus en estat de pousser cette haute puissance,
qui commençoit desia de faire ombre à celle du Roy :
C’est à dire qu’Anne d’Austriche n’a plus de part dans le
gouuernement.

Anne d’Austriche cependant gouuerne tout : Anne d’Austriche
a tout le pouuoir en main : Anne d’Austriche est en
estat de pousser plus que jamais cette tirannique puissance,
qui commençoit desia de faire ombre à celle du Roy : Anne
d’Austriche choque donc la Loy : Anne d’Austriche à
donc de mauuaises intentions : Anne d’Austriche donne
donc sujet à l’Estat de la choquer ; puis qu’elle donne toute
sorte de sujet à l’Estat de presumer en elle quelque mauuais
dessein ; Et ceux qui la secondent ne sont pas moins criminels
qu’elle ; puis qu’ils sçauent qu’elle attente à ce que la
Loy luy deffend. Il n’est point de Dieu, ou cette verité est
indisputable, aussi bien que tout le raisonnement precedẽt.

Voilà cependant la cause de nos maux : La Reyne par cét
attentant à vne authorité qui ne luy apartient point, arme
les Loix contre sa personne : Elle leur resiste auec ce pouuoir
vsurpé : L’Estat se partage : Les mauuais François la
secondent : Les bons la contrequarrent : Cette diuision domestique
fomente la guerre : La guerre nous lasse, parce
qu’elle nous espüise : Nous desirons la Paix : Par s la poursuit :
Il s’arme de suplications, de prieres, & de Remonstrances :

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La Cour luy promet ? faut-il l’esperer ? donnons
vn peu de jour a cét aueuglement.

 

La Paix domestique n’est jamais troublée, que lors que
les Loix de l’Estat sont enfreintes ; Comme la Paix generale
n’est jamais rompuë, que par les atrentats qu’on fait aux
Loix du commerce & de la vie ciuille : La vigueur des Loix
& le calme de la tranquillité sont inseparables : Le repos public
n’est que le concett ou la melodie d’vne intelligence
publique : Cette intelligence ne peut estre troublée, que
par vn desacord ou par vne dissonance de quelque esprit seditieux,
& qui ne peut point compatir dans les termes de
la Loy : concluons de la.

Paris demande la Paix à la Cour, c’est a dire à la Reyne :
La Reyne comme il apert, ne subsiste que par l’infraction
des Loix : Paris demande donc à la Reyne qu’elle se destruise,
pour laisser la France en repos : Si la Reyne ne vouloit
que ce que les Loix luy permettent, nous serions en Paix :
Nous sommes en guerre, parce que la Reyne atteute à ce
que les Loix ne luy permettent point, c’est à dire a faire de
son caprice, le grand Mobile de tout le Conseil du Roy.
Paris demande donc à la Reyne, qu’elle ne soit point seditieuse ;
qu’elle soit vn peu plus soumise ; qu’elle n’afecte
point vne independance si tirannique, & qu’elle s’oste le
pouuoir pour nous donner le repos : Iugés si ce compliment
peut estre fort agreable à vne femme, à vne Reyne, & à
vne Reyne qui est Espaignolle.

Paris dessille ton aueuglement : puis que ton repos n’est
troublé que par vne infraction de Loy : venge les interests
de la Loy, & tu te restabliras dans ton premier repos : L’infracteur

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n’est jamais souple à la Remonstrance ; Les suplications
& les larmes l’endurcissent : pour en auoir du bien, il
faut le luy rauir des mains. L’ambition qui luy a fait mespriser
la Loy pour la luy faire enfreindre auec moins de respect ;
ne luy permettra jamais de retourner à ses premiers
hommages : Si tu veux que la Reyne te redonne la Paix,
permets luy de violer toute sorre de Loy : Mais, que dis-je,
on ne peut transgresser la Loy sans troubler le repos, qui
est le premier effet de l’obseruation des Loix : Il faut donc
Paris, que tu forces la Reyne à respecter les Loix ; puis
qu’ayant entrepris de les choquer auec tant d’éclat, il
n’est pas possible que tes larmes l’obligent de les respecter
auec soumission. Ne flattons pas le dé, il faut te resoudre
ou à la tirannie, ou a faire vn peu plus de violance pour
t’en garentir :

 

Ce raisonnement est beau : mais il est trop subtil pour
le vulgaire : faisons voir par des raisons qui soient plus
sensibles que la Reyne ne veut point de Paix. Si la Reyne
vouloit la Paix ; elle ne mettroit point dans le Conseil
du Roy que des personnes, qui fussent interessés à la
procurer : parce que, qui veut la fin, veut bien les moyens
pour y paruenir.

Qui sont ceux qui entrent dans le Conseil du Roy par
la faueur de la Reyne ? Le Prince Thomas, le premier
President, les Milors Germain & Montaigu ; Zungodedei,
& plusieurs autres de cette farine : En bonne foy,
ces Ministres d’Estat sont-ils fort interessés à nous procurer
le repos ? Pouuons nous esperer qu’ils soient capables

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de donner des conseils, qui puissent estre contraires au
mauuais dessein que la Reyne a de perpetuer nos troubles ?
Parlons-en sans passion.

 

La Paix est l’escueil ineuitable de la fortune de ces nouueaux
Ministres : Ils sçauent bien que nos desordres ne finiront
jamais qu’auec leur bonheur : Ils preuoyent bien
clairement qu’estant Sauoyards, Italiens, Espaignols, Anglois
& seditieux, ils ne seroient jamais continués dans la
participation des affaires d’Estat.

Cette asseurance qu’ils ont, qu’ils ne pourront pas subsister,
que lors qu’ils nous auront mis en estat de ne les
pouuoir point faire descheoir ; les obligera tousiours d’aigrir
constament l’esprit de la Reyne, qui n’est desia que
trop outrée pour tant de trauerses passées. Ils ne donneront
des conseils de Paix, que lors qu’ils manqueront
de force pour continuer la guerre. Ils nous laisseront le
repos, lors qu’ils ne pourront pas nous le troubler : Mais
pendant qu’ils auront assés de force pour nous affoiblir,
ne croyons pas qu’ils nous espargnent, jusqu’à ce qu’ils
nous aynt osté la liberté mesme de nous plaindre ; pour
regner sur nos libertés auec plus de tirannie.

Ne nous flatons pas : lors que nous demandons la
Paix à la Cour ; Nous demandons à ces nouueaux Ministres,
qu’ils s’abaissent pour nous esleuer ; qu’ils se destruisent
pour nous restablir ; qu’ils esbranlent leurs fortunes
pour r’asseurer les nostres ; Celà se peut il esperer
dans le temps ou nous sommes : ie m’en raporte aux Sages,
pour moy ie ne le croy pas.

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Faut-il donc esperer la Paix par nos supplicatios
& par nos larmes ? Ce moyen est lâche, il est infecond,
il est sterile : La Cour ne donnera iamais ce
qui est contraire à l’aduancemẽt de ses Ministres :
la Paix est contraire à l’auancement de ses Ministres,
puis qu’elle les doit destruire ; la Cour ne
donnera donc iamais la Paix. Que faut il faire
pour l’auoir ? il faut la leur arracher des mains :
Pour la leur arracher des mains ? il faut armer
promptement. Voilà mes conclusions.

Vne troisiesme raison pour faire voir que la
Reine ne veut point de Paix ; c’est que la Paix ne
peut point estre concluë sans Amnistie : La Reine
n’est point capable de cette Amnistie ; parce que
parmy toutes les passions qui la possedent, la vengeance
est la plus remarquable, & la plus inuincible
dans ses ressentimens. Nous sçauõs les paroles
que la passion luy a souuent fait échaper contre
Paris ; nous deuons donc croire que le sejour luy
en seroit intolerable, si son impuissance l’obligeoit
d’étoufer tous les ressentimẽts de son cœur.

Il faut donc que nous nous resoluions à la guerre,
ou que nous mettions pour vn premier atticle
dans le Traité de Paix, qu’il sera permis à la Reine
de se vanger sur qui bon luy semblera : & ie m’asseure
qu’elle ne faira pas moins dresser de potences
dans Paris que son frere en a fait dresser dans
le Royaume de Naples, ou nous sçauons que la

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tyrannie d’Espaigne a fait passer par les mains du
Bourreau pres de 5. à 6. mille hommes.

 

Que gaignera la Reine en continuant la guerre ?
si elle ne peut nous vaincre pour nous auoir à discretion :
elle aura du moins le plaisir de nous voir
languir ; elle assouuira sa vengeance de la langueur
des maux qu’elle nous faira souffrir elle interrompra
le commerce, elle rauagera nos campaignes ;
elle desolera nos Prouinces. Ainsi si elle ne peur
point se vanger par la main d’vn Bourreau ; elle se
vangera par la faim : Iugeons de là si nous ne sommes
pas aueugles de ne voir pas que la Reine ne
veut point de Paix.

Mais, pour quitter cét aueuglement : la Reine
peut-elle restablir son Mazarin pendant la Paix :
Peut-elle luy conseruer cette premier independance
en presence de tant de Princes du Sang ?
Peut elle luy redonner par accord le maniment
des affaires que toute la Iustice de l’Estat luy a rauy ?
Peut-elle esperer le plaisir de le voir sans
crainte d’estre esbranlé par la haine generalle de
tous les peuples ? Et toutes ces asseurãces les peut-elle
bien esperer d’vn Traité de Paix : Mais peut-elle
bien esperer aucun de ses aduantages de la
continuation de la guerre ? examinons le sans
passion.

Elle s’imagine desia qu’estant apuyée de la presence
& des inclinations du Roy son fils, ces auantages

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qu’elle pretend ne sont du moins pas tout à
fait dans le desespoir : Si elle ne peut remporter,
elle peut du moins fort long-temps balancer la
victoire. Si elle ne peut point vaincre pour faire
pleinement triompher toutes ses passions ; elle
faira si bien asseurement, que nous ne la vaincrons
pas si tost, pour empescher ou pour diferer
le triomphe des nostres. En tout cas elle se metra
tousiours en estat de pouuoir esperer par la guerre
ce qu’elle ne pourroit iamais esperer par vn
Traité de Paix.

 

Par ce moyen, ou elle nous forcera à respecter
tous ses ordres ; Ou nous la forcerons enfin à respecter
nos Loix : quoy qu’il en soit, elle gaignera
tousiours plus en continuant la guerre qu’en faisant
la Paix : Si elle nous force à respecter tous ses
ordres ; elle ne veut que cela pour nous faire voir
vn beau ieu : Si nous la forçons à respecter nos
loix, outre qu’on ne la sçauroit obliger à plus par
vn Traité de Paix, elle aura tousiours l’aduantage
de nous auoir bien fait languir en punition de ce
que nous ne voulons pas luy accorder : & de nous
auoit fait souffrir assez de calamitez & de mesaises,
pour n’auoir pas trop de subiet de rire de l’auoir
reduite : Ie donne ce raisonnement à l’espreuue
du plus rafiné de tout le party.

Et bien, Paris, veux tu la Paix ? Attends tu que
la Reine la donne a tes suplications & a tes Remõstrances ?

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esperes tu bien qu’elle ne se souuiendra
point de tes barricades ? crois tu que pour te donner
le repos elle digerera patiemment le des plaisir
de ne s’estre point vengée ? T’imagines tu
qu’elle verra tes larmes auec compassion, pendãt
qu’elle se souuiendra que tu as trauersé tous ses
desirs auec opiniastrere ? ton Coadjuteur dis tu te
la promise à son retour de Compiegne ; pauure
caution : si la Cour veut la Paix, pourquoy maintient
elle des Ministres interessés à la cõtinuation
de la guerre ? Pourquoy soustient elle contre les
Loix de l’Estat, les ennemis des Princes du sang ?
desabuse toy, Paris : la Paix ne te peut estre donnée
que par vne Victoire : lors que tu l’esperes de
la Cour tu l’esperes de l’iniustice, & l’iniustice &
la Paix ne compatissent point. Restablis la Iustice
tu restabliras la Paix ; restablis les Loix tu restabliras
la Iustice : Pour restablir les Loix il faut destruire
ceux qui les destruisent : laReine les destriut
puis qu’elle destruit les Loix, qui luy ont
raui le commandement. Pense à toy.

 

II. Il faut que le Roy soit le Maistre, me respondras
tu ; & cela est vray ; La Cour n’est autre
chose que le Roy & ceux qui sont a sa suite ; Il faut
donc que la Cour ayt le dessus : beau raisonnemẽt
pour fauoriser la tirannie, mais mauuais raisonnement
pour remedier a tes desordres.

Vainque qui voudra ; le Roy sera le Maistre :

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On ne combat pas pour le destruire, mais pour
l’establir : On ne veut pas ébranler son Trône, on
veut le rasseurer : On n’en veut point à l’authorité
Royalle, on en veut à la tyrannie le Roy ne
subsiste t’il que par le Mazarin & par ses complices ?
le Roy perira t’il, si Mazarin & ses emissaires
perissent ? Phantosme ; Phantosme qui ne peut
amuser que les idiotz : le Roy n’est pas encore en
âge de sçauoir ce qu’il faut qu’il veüille : Il ne peut
pas l’aprendre de la Reine, car elle est femme &
passionnée : il faut qu’il l’aprenne de ses Princes,
Car ils sont sages & des interessés : ie le repete encor :
vainque qui voudra le Roy sera le Maistre.

 

Ie me retracte : si la Cour c’est a dire la Reine à
le dessus le Roy aura du dessous & ne sera point le
Maistre, car il ne commandera que des laches ou
des impuissants : Que la Cour vainque ; elle fera
regner le Roy en Othoman ; elle le fera monter
à son trône sur des marchepieds de corps morts ;
elle le rendra despotique sur les libertés de ses suiets ;
bref elle effacera de dessus son front le titre
de Roy, pour y imprimer celuy de Tiran.

Au Reste : Aurons nous la Paix, quand le Roy
obsedé comme il est de nos ennemis, aura l’aduãtage
sur ses Princes : Ie veux que le Princes de Cõdé
soit batu ; Ie veux que le Mareschal de Turenne
soit vainqueur, ie veux que tous les frondeurs
soit à cul dans Paris : aurons nous la Paix pour cela ?

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raisonnons vn peu sus ce subjet.

 

Nous aurons la Paix dans Paris comme les Forçats
l’ont dans les Galeses ; lors qu’ils ne disent
mot pendant que quelqu’vn de leurs compagnõs
est deschiré de coups de nerfs de bœuf par les Comites :
Parlons plus franchement & plus nettement :
La Reine aura loisir de troubler le calme
de ses prosperités par l’horreur de ses vẽgeances :
Elle nous foüetera paisiblement, parce que le nõbre
des genereux qui sera trop petit ne sera point
en estat de la troubler : Nous aurons le calme sur
le visage, & toute la tempeste se deschargera sur
le cœur, par l’aprehension qu’vn chacun aura d’auoir
esté remarqué parmy ceux qui se sont signalés.
Pour empescher l’establissement de la Tyrannie :
Nous attendons le retour du lendemain cõme
pendant le dernier Consulat de Marius pour
voir le Catalogue des nouueaux proscrits : Ainsi
nous n’aurons de repos, que parce que nous manquerõs
de force pour troubler celuy de nos tirans.

Mais le malheur de l’Estat finira t’il auec les vẽgeances
de ceux qui veulent en empieter le pouuoir
auec tirannie ? Le Prince de Condé viendra
t’il se soumetre à la fureur de ces insolents vainqueurs ?
posera t’il les armes pour adorer auec plus
de respet l’idole de la fortune ? N’ira t’il point rechercher
ailleurs de quoy se soustenir contre les
insultes de ses compatriotes ? Attendra t’il qu’on

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luy ayt donné du poignard dans le sein ; ou qu’on
l’ayt vne seconde fois arresté pour flestrir l’esclat
de sa gloire soubs la honte des fers !

 

Ne le dissimulons point : Il est trop genereux
pour souffrir vn tiran : Ceste generosité le portera
à des nouueaux armements : s’il est constraint de
se retirer de nostre voisinage, ce n’est que pour
s’aller fortifier de tout ce que le droit de deffense
luy suggerera : Pour le rẽger il faudra que la Cour
entreprenne de nouueaux voyages : les brigues,
les complots & les Monopoles recommencerõt
dans Paris : Nous voila reduits à la desolation des
premiers troubles.

Il ne faut donc point esperer la Paix si la Cour
à le dessus sur le Prince : Nos maux recommenceront
par cette victoire : lors que nous croirons
prendre halaine nous nous verrons à la veille de
n’esperer plus iamais de repos : Ceux qui sçauent
les intrigues & l’authorité d’vn Prince du sang du
merite de celuy que nous pouuons faire triomfer
en le secondant, ne douteront point de la verité
de ces propositions.

Tournons la medaille : donnons la victoire au
Prince de Condé ; faisons luy tailler en pieces toude
l’armee de Turrenne : Ostons l’esperance au
Mazarin par ce seul succez de se pouuoir restablir
dans sa premiere posture : ruinons tout son party :
Pouuons-nous en suite de ce triomphe des Princes

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esperer la Paix ? Mais auons-nous aucune raison
pour la desesperer.

 

Si le Prince est vainqueur : la Cour ne manquera
pas d’entendre au plustost & sincerement à vn
bon Traité de Paix : Cette victoire l’obligera d’estoufer
tous ses sentiments de vengeance, parce
qu’elle les rendra impuissants : Elle n’osera plus
parler ny de Mazarin ny de ses partisans, parce
qu’elle aura trop de foiblesse pour les soustenir : Si
la Reine voit qu’elle ne peut point se vanger, si la
Reine voit qu’elle n’a plus d’authorité pour
apuyer le Maz. si la Reine voit qu’en s’opiniastrãt
à la continuatõ de la guerre, elle sera pour risquer
& sa perte & celle de son Fauory ; N’auons-nous
pas suiet de croire, que de deux maux elle choisira
le moindre, & qu’elle aymera mieux perdre Mazarin
tout seul que de se perdre auec luy.

III. Qu’auons nous donc à faire Messieurs de
Paris ? Voulõs nous la Paix, voulõs nous la guerre :
les Princes ne font la guerre que par la necessité
de leur deffence. La Cour ne la fait que par le motif
d’establir sa tyrannie, & de se metre en estat de
nous imposer vn ioug, que nous ne puissions seulement
pas attaquer par nos plaiutes : si la Cour se
restablit selon ses souhaits par la force des armes,
ie pense que les vengeances nous doiuent faire
craindre : Si les Princes se peuuent mettre à l’abry
de la violence des fauoris, nous auons suiet de ne

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rien aprehender : Si la Cour a le dessus, la raison
nous fait voir vne guerre qui ne finira peut estre
iamais qu’auec nos vies : Si les Princes ont l’auantage,
les troubles ne peuuent plus continuer, parce
que la Cour en doit apprehender les progrez.

 

Il faut donc se declarer promptement pour l’vn
des partis : Il faut se declarer tout de bon ; il n’est
plus temps de deliberer, puis qu’il est temps de
sauuer l’Estat : il faut que nous disions nettement
ou que nous sommes Princes ou que nous sõmes
Mazarins : pour ne nous tromper pas consultons
la raison. Nous ne pouuons appuyer le Maz. sans
perpetuer les guerres : nous ne pouuons apuyer le
Prince sans les terminer : nous auõs suiet d’esperer
toute sorte de prosperitez de la victoire du Prince :
nous ne pouuons attendre que des vengeãces
de la victoire de la Cour : Le Prince peut continuer
la guerre sans nostre secours. La Cour ne le peut si
nous la choquons : faut il donc balancer sur ce que
nous auons à faire ; suposé que nous desirions la
Paix, puis que la Paix ne peut estre produite par la
victoire de la Cour ; & qu’il ne se peut qu’elle ne
soit le fruict de la victoire des Princes.

IV. Nous nous seriõs biẽ tost determinez pour
le choix du party que nous voudrions embrasser
serieusemẽt ; si nous estions bons Frãçois : Voyõs
ce que nous deuõs à la Reine, voyons ce que nous
deuons aux Princes : Pour le Roy ie ne le mets pas

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en ieu, parce qu’il est innocent, & parce que personne
ne luy en veut : La Reine a son party, les
Princes ont le leur : La Reine veut establir les Mazarins ;
les Princes les veulent destruire : La Reine &
les Princes se targuent de la Royauté ; ceux-cy de
son authorité, celle-là de sa presence : que deuons-nous
dire.

 

Pour moy ie le declare hautement : Nous deuõs
apuyer le party de celuy à qui nous sommes les
plus obligez, & dont la conseruation nous est la
plus necessaire : Nous deuons apuyer le party que
les Loix appuyent : Nous deuons apuyer le party
que nous pouuons faire triompher sans aucun
danger de vengeance : cela est sans dispute.

Sommes-nous plus obligez à la Reine qu’aux
Princes, il faut l’examiner : Nous sommes plus
obligez à celuy qui nous a plus fait de bien & de
qui nous en pouuons plus esperer : Si la Reine est
de celles-là, nous luy sommes plus obligez qu’aux
Princes : Si les Princes sont de ceux là, nous leur
sommes plus obligez qu’à la Reine.

Qu’a fait la Reine ? iamais du bien, tousiours du
mal : de quoy luy est obligé l’Estat ? de l’auoir ruiné :
Qu’elles actions ont signalé sa Regence ? les
attentats & les iniustices ? Qu’a-t’elle fait pour gaigner
les peuples ? elle les a accablez de subsides :
Quels sont ceux qu’elle a attaquez ? ceux qui ont
voulu choquer l’executeur ou l’instrument de ses

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passions : Mais qu’a-t’elle fait pour s’immortaliser ?
ce qu’il faudroit pour punir cent Ministres
d’Estat de moindre qualité. Ainsi nous ne sommes
obligez à la Reine que de mille exercice de patience
qu’elle nous a donné : gronde qui voudra,
cela n’est que trop vray.

 

Qu’est-ce que les peuples peuuent obiecter aux
Princes ? le siege de Paris, disent les partisans de la
Reine. Il est vray : mais si les Princes sont coupables
d’auoir assiegé Paris, ils sont coupables d’auoir
obeï à la Tutrice du Roy qui le voulut ; ainsi le
reproche de cette entreprise, ne retombe sur eux
que par reflection ; & les Princes n’ont mal fait
que de n’auoir pas plustost choqué les mauuaises
inclinations de la Reine.

Dequoy est ce que les peuples sont obligez aux
Princes ? de tous les progrez de l’Estat ; des resistãces
victorieuses qu’ils ont formé à tous les desseins
de nos Ennemis ; Et pour conclure en vn
mot, de tout ce qui s’est passé de beau & de grand
dehors & dedans cette Monarchie : Ce que tout
le monde sçait m’oblige de ne faire point icy l’historien
de peur de me rendre importun.

Nous ne deuons rien à la Reine, nous deuons
beaucoup aux Princes : La Reine ne nous a iamais
fait du bien, les Princes ne nous ont iamais fait du
mal : Si nous auõs eu du bon heur, les Princes nous
l’ont procuré ; si nous auons eu du malheur la Reine

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nous l’a causé : nous sommes donc beaucoup
plus obligez aux Princes qu’à la Reine ; & par consequent
nous auons moins de raison d’entrer dans
ses interests que dans les leurs.

 

Mais la cõseruation de la Reine nous est elle plus
necessaire que la conseruation des Princes : le Cheual
de Bronze pourroit respondre à cette demande :
Quand la Reine perira, que perdrõs-nous, vne
ennemie, vne irreconciliable : Quand les Princes
periront que perdrons nous ? nos Protecteurs, nos
Liberateurs, & les Successeurs de nos Rois : Que
pouuons nous esperer de la Reine ? rien du tout :
Que pouuõs nous esperer des Princes ? beaucoup :
que la Reine viue, que la Reine meure, cela nous
est indifferẽt, nous y gaignerõs plustost que nous
ny perdrõs : ce dernier nous seroit beaucoup plus
aduantageux & au plustost : Nous ne pouuons pas
dire que la vie & la mort des Princes nous sont
indifferentes : & cela n’a pas besoin de preuue : Il
faut donc necessairement que nous soyons beaucoup
plus obligez aux Princes qu’a la Reine, puis
que leur conseruation nous est plus necessaire que
celle de la Reine. Ainsi si nous entrons plustost
dans le party de la Reine que dans celui des Princes,
nous tesmoignons que nous manquons de
generosité pour reconnoistre ceux ausquels nous
sommes redeuables.

Quel est le party que les Loys apuyent ; ou le

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party de la Reine, ou le party des Princes ? La Reine
veut ce que tout l’Estat ne veut point, les Princes
veullent ce que tout l’Estat poursuit auec passion :
La Reine veut malgre toutes les Loix, estre
l’independance dans le Conseil du Roy : les Princes
veulent suiuant toutes les Loix auoir leur participation
dans le maniment des affaires d’Estat :
la Reine veut nous captiuer soubs l’Empire de celuy
que nous haïssons : les Princes nous prestent
la main pour en secouer le ioug : les volontez de la
Reine sont donc contraires & les volontés des
Princes sont conformes aux Loix ; il faut par consequent
croire que nous sommes moins obligés
d’entrer dans les interests de la Reine que dans
celuy des Princes ; puis que la Reine choque &
que les Princes fauorisent les Loix & tous les complaisances
de l’Estat.

 

Si nous deuons apuyer le party des Princes parce
qu’il est iuste : nous le deuons apuyer parce que
nous le pouuons faire triõpher sans danger : Nous
sommes asseurés qu’en faisant triompher les Princes
il ne nous en arriuera que du bien : nous sommes
asseurés qu’en faisant triompher la Reine il
ne nous en arrïua que du mal : les Princes ne pretendent
qu’vne seureté pour leurs personnes : la
Reine ne respire que la passion de se venger : il est
donc moins dangereux de se ietter dans le party
des Princes que dans celuy de la Reine puis que la
Reine ne veut que ce que nous deuons apprehender
& que les Princes ne veulent que ce que nous

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poursuiuons auec eux.

 

V. Mais entrons vn peu plus auant dans les intentions
de la Reine : ne nous contentons pas de
dire qu’elles sont mauuaises : specifions les plus
particulierement : & penetrons iusque dans son
dernier dessein : A quoy butte la Reine ? qu’elle
est la fin ? quel est son motif : quels ses moyens.

La fin de la Reine c’est la ruine de Paris : elle ne
peut paruenir à cette fin par d’autres moyens que
par la perte des Princes : les motif de cette mauuaise
fin ne sont empruntés que des obstacles violants
que Paris à souuent formé à ses volontés :
qu’elles fussent iustes, ou qu’elles fussent iniustes
ie ne l’examine point : le tiran qui commande ne
peut pas que ses subjets attentent à cẽsurer aucun
de ses ordres ; il faut s’y soûmetre : il faut creuer
plustost que se plaindre ?

Les Parisiens d’outent ils que la premiere fin de
la Reine ne soit la ruine de leur Ville ? Ont ils oublié
le Siege qui leur en dùt estre vn tesmoignage
infaillible ? la Reine neantmoins manqua son
coup, parce qu’elle ne l’asse na pas comme il faut :
Paris n’a ce pendant pas manqué de s’en ressentir :
Cette violance luy fit cõnoistre que la Reine estoit :
bonne pourueu qu’elle ne fust point contredite :
auec cette condition ie canoniserois les tirans : Il
s’est opiniastré du depuis à la heurter plus vertement :
il luy à arraché les Princes des mains : il a
poussé son fauory à bout : il a choqué toutes ses

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volontés : bref il en a fait assés pour l’animer à la
vengeance, & pour l’alterer de la soif de son sang.
Voila donc sa fin voila ses motifs.

 

Quels en sont les moyens : Elle cõmence bien,
& reussira mieux si Paris ne se met en estat de l’ẽpescher.
Elle commence de tarir la source par ou
l’abondance vient dans Paris : Elle fait sortir les
Cours Souueraines qui sont les nourrices de cette
grande Ville : En les faisant sortir elle interromp
le cõmerce, elle detourne ailleurs l’affluence des
prouinciaux que la curiosité fait moins venir à
Paris que la necessité des affaires qu’ils ont à demesler
dans les Cours Souueraines si Paris est
sans ame ; C’est vne puissante machine sans aucun
ressort : C’est vne agreable solitude superbe en
edifices & en bastiments : C’est vn lieu propre à
des colonies : & le Roy s’en esloignãt auec toutes
ses Cours Souueraines, que sera ce que Paris ?

Paris voila le commencement de ta perte : Mais
ce n’est que l’auantcoureur de ce que tu dois aprehender
si le Prince peut estre poussé à bout. On
ne peut pas attaquer ouuertement pendant qu’il
est sur pied : Il faut que la Reine qui ie hait à mort,
menage neamoins ton affection ; de peur qu’en
espousant les interests du Prince, tu ne fasses auorter
tous ses mauuais desseins : Mais considere
qu’elle te presente des chaines d’or pour te captiuer
plus facilement : Regarde qu’elle te flate en
Scorpion, pour te donner plus heureusemẽt sous

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la douceur du plaisir, le coup de la mort : fais reflection
qu’elle parle en sirẽne, pour te faire oublier
par ses agreements, le soing de ta conduite, qu’elle
redoute.

 

Elle veut se seruir de toy, pour se defaire plus prõptement
de celuy qui peut te secourir, lors qu’elle
voudra t’attaquer : quand le Prince ne t’aymeroit
point, il doit neãtmoins t’aimer dãs cete cõiõcture,
par raisõ d’Estat : Le passé t’a peu faire cõnoistre
que l’affection qu’il a pour toy est plus naturelle
que politique : tu l’as peu voir de dessus tes rẽpars,
cõme il prodigoit sa vie pour menager la tiẽne : tu
sçait cõme il a fait auorter le dessein que Mazarin
auoit d’entrer l’espee à la main dans Paris : tu n’ignores
pas que la Cour luy a souuent offert la carte
blanche, pourueu qu’en se departant de tes interests,
il luy donnast le temps de se vanger pleinement
de toy.

Cela te fait cõnoistre, que si tu veux, tu ne dois
point aprehẽder les poursuites de la Cour : la Reine
ne te choquera iamais ouuertement, pendant
que le Prince te pourra fauoriser : Elle ne se declarera
iamais cõtre toy, de peur que tu ne te declares
ouuertemẽt pour lui : elle se dispose à ta perte par
la sienne : elle te veux perser au trauers de son
corps, sa defaite sera le comete de ton malheur ; &
ton bonheur sera le premier effet de son triomfe.

Mais ne languis point en balançant tes inclinations :
de deux biens prends le certain : de deux
maux fuis le plus proche : ne te passionne pas par

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caprice : donne tes interests à la raison : voy ce que les
loix exigẽt de toy : n’etre point en party, mais demeure
tousiours dans les interests de l’Estat : que peux tu craindre
en prenãt ouuerte mẽt le parti du Prince & le renforçãt
de tout ce que tu dois ? pas vn seul mal : & tu dois
en esperer toute sorte de bien : si le Prince a l’aduãtage,
le patrimoine des Cardinaux, c’est à dire le Ministere
d’Estat & la tyrannie sont à cul : en veux tu dauantage.

 

Que dois tu bien esperer en prenant le party de
la Reine ? non pas vn seul bien : & tu dois en apprehender
toute sorte de maux : tu peux bien faire triempher
la Reine dans le voisinage de Paris, encore ne
sçay ie pas ; mais tu ne peux pas terminer la guerre Le
Prince peut estre vaincu ; mais il ne sera pas pourtant
abatu : Il peut estre obligé à la retraite ; mais c’est la
prolongation de tes desordres : Si tu peux donner la
victoire à la Reine, tu ne peux pas luy donner celle de
ses passions ; tu ne peux pas desarmer ses ressentimens :
& lors qu’elle se fera sacrifier à tes y eux l’eslite des genereux
qui luy auront resisté ; elle te contentera d’vne
apparence de Iustice, en disant qu’elle te defera de
tes seditieux & de tes broüillons : Enfin iuge comme
tu voudras de ce que tu dois faire, tu ne peux esperer
aucun bien du triomphe de la Reine, & tu dois attendre
toute sorte de bon heur du triomphe des Princes.

VI. Si la passion de la Reine pour te perdre te paroist
encore incertaine : regarde le peu de cas qu’elle

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fait de nos Conquestes : La beauté de Paris n’est pas
son charme : elle aymeroit mieux voir ses mazures,
que ses plus pompeux edifices : elle se resioüira bien
plus lors que les Corbeaux & les Hiboux, que lors
que les Aigles y viendront nicher : Les Lions d’Espagne
n’y ont iamais trainé nos chars de triomphe, qu’elle
n’en ayt conceu des desplaisirs mortels : Paris luy plaist,
mais il luy plairoit plus, s’il estoit vn peu moins puissant,
& plus facile à estre domté.

 

Dunkerque ne l’a point choquee : Dunkerque la fauorisees
dans toutes ses intentions, puis que mesme
elle n’a iamais reculé de donner retraite à son Fauory :
Dunkerque neantmoins est perduë, parce qu’elle la
de laissee ; & le triomphe de cette place qui nous auoit
acquis tant de gloire sur l’Ocean, est auiourd’hui la
plus illustre des conquestes d’Esqaigne : si nous estions
bons François nous parlerions bien & nous ferions autrement
que nous ne faisons.

Graueline nous auoit bien cousté L’Estat consideroit
cette place, comme la plus importante de ses conquestes
dans la Flandre : S. A. R. en la reduisant auoit
bien fait voir de quelle consequence en estoit la prise.
Comment l’auons nous perduë ? comme sa voisine ?
quoy qu’on dise que celle-cy a esté venduë pour deux
millions ; & que l’autre, c’est à dire Graueline, n’a succombé
que par faute de Garnison.

Si l’Espagnol est sage : il peut attaquer Arras : & s’il
a trois ou quatre millions à donner, ie luy promets
que le triomphe luy en sera infaillible : l’argent est necessaire

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à la Cour : nos Conquestes luy sont indifferentes :
il n’est point de fort quelque imprenable
qu’il soit, que l’or ne reduise dans peu de iours
soubs l’obeyssance d’Espaigne : Bon Dieu, bon Dieu
que nous sommes aueugles, de ne voir pas que nos
interests sont contraires à ceux de la Reine, & que son
intention n’est pas de contribuer à l’establissement de
nostre bon heur.

 

Nous sçauons ce qui se passe en Catalogne : nous sçauons
que cette Prouince qui s’estoit iettee entre nos
bras retombe sous la tirannie : nous sçauons que Barcelone
est aux abois, & que si elle tient encor bon, elle
n’est pas beaucoup esloignee de son malheur.

O Dieu que les desespoirs de ce pauure peuple ferõt
vn beau bruit pour nostre reputation, & que la Frãce
sera fort glorieuse de sçauoir que la Catalogne n’est
miserable que pour s’estre ietté entre nos bras : C’est
pour aprendre aux peuples qui brigueroient l’honeur
d’vn mesme ioug, qu’il est bien dangereux de s’y soûmetre,
puis que la protection en est s’y indifferente.

Ie ne parle pas de l’Italie ; où nous auons perdu
Trin & Crescentin ; ou Cazal est à la veille de sortir
du nombre de nos Conquestes ; ou nos Armes ne sont
plus entenduës que par le bruit qu’elles font contre
les Princes du Sang. Voila vne belle Campaigne pour
la France : L’Espaigne nous bat de tous costez : le frere
attaque le dehors, la sœur attaque le dedans : Nous ne
disons mot, insensibilité qui passe la lethargie, & qui

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doit accroistre le nombre des maladies nouuelles :
puis que mesme nous sommes insensibles aux maux
de cœur.

 

Et bien Paris, crois tu bien que la Reine t’espargnera,
toy qui l’as choquee ; toy qui l’as offencee ; toy qui
as fait des barricades iusques dans son Palais ; toy qui
luy as raui des mains tous les obiets de son indignation ;
toy qui n’a iamais peu & qui ne sçaurois iamais
souffrir la tyrannie de son Fauory ; toy, dont la grandeur
ne compatira iamais auec la sienne.

Donkerque ne luy auoit rien fait & elle l’a abandonnee
à la discretion de ses Ennemis ? Graueline
estoit à sa deuotion, & elle l’a affoiblie de la moitié de
sa Garnison pour en fortifier ses Troupes : Barcelone
s’estoit iettee entre ses bras, & cependant elle l’a delaissee,
sans se mettre en peine de la secourir ? & tu pretends
qu’elle te sera plus fauorable apres que tu l’as
tant choquee.

Derrompe toy : tu ne la verras iamais maistresse que
tu ne sois esclaue : Elle ne sera iamais en repos que lors
que tu seras sous les fers : Elle sera contente lors qu’elle
n’aura point suiet de t’apprehẽder : Elle n’aurapoint suiet
de t’aprehẽder, lors qu’elle t’aura bien affoiblie : Elle
ne t’aimera iamais que lors qu’elle t’aura biẽ dõné suiet
de la haïr : ne te laisse point abuser par aucune esperãce :
si tu veux en esperer le pardõ, mets-là dans l’impuissãce
de se vanger : les ressentiments ne luy manqueront
iamais ; si tu veux, tu peux les tenir dans l’infecondité

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Considere que la Reyne ne peut reuenir chez toy,
que pàr la porte d’vne victoire, où par le traitté d’vn
accommodement : Pour ce Traitté, il n’est pas possible,
à moins qu’elle ne soit obligée d’y consentir par la
victoire des Princes ; si la force l’y rameine, en bonne
foy crois tu bien que tu n’en payeras point les pots cassez :
Iuge sans passion ; & tu iugeras en suitte de tant de
pertes, que la tienne fait le premier objet de tous ses
desirs.

VII. Pour finir ce raisonnement par vn surcroist
de preuue, qui te soumettra encor plus raisonnablement
à la creance de ce que ie veus te faire apprehender :
sçais-tu bien comme elle esleue le Roy ? sçais-tu
bien qu’elle ne luy inspire d’autres passions que les siennes ?
sçais-tu bien qu’elle ne luy par le iamais que de ta
rebellion ; car c’est de la sorte qu’elle traitte tes mouuemens :
sçais tu bien qu’elle ne luy met iamais deuant
les yeux que tes barricades ? qu’elle luy fait conceuoir
comme des attentats manifestes à son authorité ? sçais-tu
bien qu’elle luy fait regarder cette grãde ville comme
le frein de sa Royauté, & que sur cette creance elle
luy fait desia projetter des desseins de la perdre ou de
l’affoiblir.

Le Roy est ieune, il est capable dans la tendresse de
son âge, de receuoir toute sorte d’impressions : il n’est
pas assez éclairé pour estre à l’espreuue des artifices, auec
lesquels on sur prend sa simplicité : quelque bonté
de naturel qu’il ait : on peut luy déguiser la cruauté
& la vengeance, d’vn beau pretexte de seuerité & de
justice, & il y donnera les mains. On peut luy faire

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apprehender les mouuements de l’Estat, & il les regardera
comme des actes de rebellion : On peut luy faire
considerer nos plaintes comme des murmures, & nos
souffrances comme des chastiments deubs à nostre infidelité,
& il n’en aura pas vn seul sentiment de compassion.

 

Les Roys ne sçauent quand ils sont adultes, que ce
qu’ils ont appris, quand ils estoient enfans : Vn homme
du commun monde peut estre mal esleué, mais il peut
corriger dans la suitte des temps cette mauuaise education
par vne force d’esprit, & par les exemples que la verité
luy met deuant les yeux : Vn Roy ne peut rien apprendre
que lors qu’on le traitte impunément sans aucune
complaisance, pour ce qui est de ses meurs : il ne faut
point attendre de le corriger lors qu’il est adulte, parce
qu’on ne luy parle plus qu’auec complaisance : s’il ne se
corrige de luy-mesme, il se rend insupportable : d’esperer
qu’il se corrige de luy-mesme, c’est vn abus, parce
que c’est vn miracle dans la nature. Ces violences de vertu
sont inconneuës dans les balustres des Roys : Le plaisir
y est la reigle du deuoir : si le Souuerain n’est point éleué
aux plaisirs raisonnables, il regne en Tyran, par ce
qu’il ne suit pas d’autre conseil que celuy de ses seules inclinations ;
& qu’il ne se regle que sur les maximes dans
lesquelles on l’a laissé vieillir : Fondons la dessus les apprehension
que nous deuons auoir du Regne de nostre
Roy, si nous permettons qu’il soit tousiours entre les
mains de ceux qui veulent nostre perte, & qu’il ne reçoiue
d’autres impressions, que celles qui luy sont données
par les ennemis de nostre repos.

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Que faut-il donc faire ? Il faut destruire tout le party
Mazarin, dont nos bons destins, & la prudence de nos
Princes ont emprisonné la plus sorte partie dans Ville-neufve :
il faut fondre sur cette engeance : il faut enfin
terminer cette guerre par la defaite de ces trouppes : il
faut nous oster l’apprehension de craindre la Cour, en
luy ostant le pouuoir de nous nuire : il faut luy arracher
la Paix qu’elle nous refuse maintenant, par ce qu’elle
ne veut nous la donner qu’â condition qu’il luy sera toujours
permis de se vanger au gré de sa passion. Il faut en
suitte l’obliger à vne Paix generale, que l’Espagne, que
l’Italie, que l’Allemaigne, que la France souhaittent
également, & que nous aurions desia si la Reyne & le
Mazarin ne s’y fussent opposez, comme ils ne nous manqueroient
iamais de s’y opposer, tandis qu’ils auroient
le pouuoir en main.

FIN.

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Dubosc-Montandré, Claude [?] [1652 [?]], L’AVEVGLEMENT DES PARISIENS, FAISANT VOIR QV’ILS SONT BIEN aueuglez de ne voir pas, I. Que la Cour ne veut point de Paix, quelque montre qu’elle fasse du contraire. II. Qu’ils ne peuuent point esperer cette Paix, si la Cour a le dessus. III. Qu’ils peuuent terminer les troubles, s’ils entendent auec les Princes; & qu’ils prolongeront ces mesmes troubles s’ils s’entendent auec la Cour. IV. Qu’ils sont plus obligez aux Princes qu’à la Reyne; ou qu’ils ne peuuent se passer des Princes, & qu’ils peuuent se passer de la Reyne. V. Que la Reyne en veut à Paris; & que pour faire triompher cette haine, elle veut premierement se défaire des Princes. VI. Que la Reyne fait reconnoistre cette haine par le peu de cas qu’elle fait de nos conquestes de Catalogne, de Flandre & d’Italie. VII. Que la Reyne dispose tout à vne desolation generale par la mauuaise education; & par les mauuais principes qu’elle inspire au Roy son Fils. , françaisRéférence RIM : M0_467. Cote locale : B_16_51.