Dubosc-Montandré, Claude [?] [1651 [?]], L’APOCALYPSE DE L’ESTAT, FAISANT VOIR, I. Le Paraelle de l’attachement que la Reyne a pour le Mazarin, auec l’attachement que Brunehaut auoit pour Proclaïde, & Catherine de Medicis pour vn certain Gondy. II. Que l’attachement de la Reyne pour le Mazarin est criminel d’Estat. III. Que ce mesme attachement donne fondement à toute sorte de soupçon. IV. Que par cet attachement la Reyne fait voir qu’elle ayme plus Mazarin que son Fils. V. Que par cet attachement la Reyne dispose toutes choses à vn changement d’Estat, ou à l’establissement d’vne tyrannie qui sera sans exemple. , françaisRéférence RIM : M0_98. Cote locale : B_4_18.
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L’APOCALYPSE
DE L’ESTAT,

FAISANT VOIR,

I. Le Paraelle de l’attachement que la Reyne a pour le
Mazarin, auec l’attachement que Brunehaut auoit pour
Proclaïde, & Catherine de Medicis pour vn certain
Gondy.

II. Que l’attachement de la Reyne pour le Mazarin est
criminel d’Estat.

III. Que ce mesme attachement donne fondement à toute
sorte de soupçon.

IV. Que par cet attachement la Reyne fait voir qu’elle
ayme plus Mazarin que son Fils.

V. Que par cet attachement la Reyne dispose toutes choses
à vn changement d’Estat, ou à l’establissement d’vne
tyrannie qui sera sans exemple.

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L’APOCALYPSE
DE L’ESTAT.

IE ne sçaurois plus estre complaisant, à ce, que
la raison me contraint de blasmer : la calamité
publique m’ouure les yeux pour me faire voir
vn dereglement d’affection qui n’a point d’exemple ;
Et les cris pitoyables des affligés me
font prester les oreilles à des lamentations qui
condamneroit mon silence, si quelque faux respect
me le faisoit continuer pendant ce regne de
lacheté. C’est trop violanter la franchise qui nous
est naturelle, que d’immoler à la complaisance, la
liberté de nos sentimens ; Et puis que les intelligences
bastardes de cet Estat, veulent bien que
tout leur soit permis, parce qu’ils s’imaginent
faussemẽt que rien ne leur peut estre deffendu ; en
serions nous pas indignes du nom que nous portons,
si nous auions assés de bassesse pour respecter
leurs ordres, puis qu’il ne leur sont point inspirés
par aucun iuste pouuoir, & qu’ils empietent vne
authorité qui nous paroist estrangere, parce qu’elle
choque toutes les loix de l’Estat.

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Si la Reyne ne peut point abandonner la presence
de son Mazarin, elle n’a qu’à se retirer auec
luy : qu’elle le suiue dans l’Allemagne, dans l’Italie,
dans l’Espagne, & par tout où il luy plaira,
pourueu qu’elle descharge la France du plus insuportable
de tous les iougs, & qu’elle nous oste de
deuant les yeux, le plus horrible de tous les obiets.

Mais de pretendre que nous captiuerons toutes
nos inclinations pour les rendre esclaues de la
sienne ; & que nous aurons autant de complaisance
qu’elle en a pour le bonheur de ce faquin,
autrefois le Rufien de toutes les coureuses d’Italie ;
C’est ce qu’elle ne peut pas : & pour luy porter la
parole que le hardy Sceuola porta iadis à Porsenna
Roy de Toscane, lors qu’il assiegeoit les Romains,
pour venger la querelle des Parquins ; ie
luy proteste, que quand bien nostre mauuais destin
luy feroit trouuer vne porte pour entrer dans
Paris, il est encore trois cents Braues qui s’en iroiẽt
le luy poignarder entre les bras, pour le sacrifier
dans le plus fort de ses feux, à la vengence publique ;
& luy faire voir par l’execution de ce noble
attentat, que les Souuerains ne sont independants,
que parce que les subiets se tiennent volontaire
ment dans la soumission.

Respect bas : l’ayme ; le protege qui voudra,
qui que ce soit, c’est nostre ennemy :
c’est à luy que nous en voulons, le ioug nous
lasse ; la tyrannie nous rebute ; le desespoir nous
emporte ; la fureur nous maistrise, On en veut

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à nos ames, à nos biens, & à nos libertez, puis qu’on
attente par tyrannie au restablissement de celuy
qui ne peut subsister qu’en les destruisant : viue
Dieu, c’est ce que nous ne souffrirons iamais ; & si
la Reyne se flate dans l’iniuste passion qu’elle a de
faire subsister cét impudent Fauory, qu’elle sçache
que le dessein en auortera à sa honte, ou qu’elle ne
regnera iamais que sur les lasches, parce que tous
les genereux periront bien plustost qu’ils ne se soumetront
à l’infamie de cette seruitude.

 

I. Ce preambule m’arreste trop long-temps, ne
perdons pas les paroles à ne rien dire sans preuue ;
& puis que l’attachement de la Reyne pour le C.
Mazarin doit seruir de suiet à cette entretient, faisons
voir son iniustice, par le Paralelle de l’attachement
que Brunehaut auoit pour son Proclaïde, &
Catherine de Medicis pour son Gondy.

Quand ie parle de Brunehaut, ie parle d’vne Espagnolle
fille d’Athanagilde Roy des Visigots, &
meurtriere de dix Rois de France : Quand ie parle
de Catherine de Medicis, ie parle d’vne Italienne
fille de Laurent de Medicis Duc d’Vrbin ; I’Erinnis
de la France, Patriœ communts Erinnis, & l’incendiaire
de tous les ambrazemens qui ont desolé cet
Estat, pendant le regne de trois Souuerains, François
II. Charles IX. & Henry III ses enfans.

Ie veux bien croire que les troubles souleués
par Anne d’Austriche, fille de Philippe III. Roy
d’Espagne, quoy qu’aussi prodigieux que les leurs,

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soient neanmoins d’vne autre façó causé par sa conduite,
& que cette Princesse n’a fait auiourd’huy que
par simplicité, & par vne dependance trop subordonnée
aux conseils de son Fauory, ce que Brunehaut
& Catherine ne firent autrefois que par vne
malice premeditée, & par vne pure conduitte qui
ne releuoit aucunement que du seul caprice de
leurs brutalles passions.

 

Le Proclaide de Brunehaut, estoit vn Lombard,
fils d’vn Cabaretier, qui ne plut à cette Princesse,
que parce que ses humeurs n’estoient pas moins
brutalles que les siennes, & qu’elle s’imagina qu’en
l’esleuant, il deuiendroit enfin, par le seul motif d’vne
complaisance seruile le maistre instrument de sa
brutalité. Faut il regrater dans la Genealogie du
Gondy de Catherine de Medicis, que tout le monde
sçait estre Florentin, issu de race de Maranes, fils
d’vn double Banqueroutier, & de la plus infame Putain
& Maquerelle qui soit iamais sortie de l’Italie.
Pour le Mazarin d’Anne d’Autriche, tout le monde
tombe d’accord qu’il est de tres ville naissance, &
que les plus illustres de ses ancestres ont esté, ou Bateleurs,
ou Escumeurs de mer, ou Estafiers, ou Bãdis ;
& que luy mesme n’a iamais fait de plus beau mestier
dans l’Italie, que celuy de Pipeur, de Charlatan,
de Saltimbanque ou de Maquereau.

Voila les trois Mignons de trois Reynes de Frãce :
trois Belitres trois Coquins, trois Infames, trois Delaissés,
que le plus fauorable reuers de fortune n’eut

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iamais esté capable de placer parmy les forçats des
galeres, & que neamoins elle a bien fait regner
conionctement auec les Souueraines pour en faire
les idoles des Courtisans sous les Dais, & les faux
Dieux du bon heur [1 mot ill.] stars dans les balustres.
O vite tuta facultas pauperts angustique lares, ô menera
nondum inteliecta Deum, s’escrie l’Eloquent Lucain,
ô Dieu que le neant des petites gens est releué, si
toutefois ils en sçauoient reconnoistre la valeur ; &
que c’est vne chose basse que d’estre monte sur vn
Trône lors qu’on entend point le metier de regner :
Proclaïde, Gondy, & Mazarin, apres auoir esté la
honte & le rebut des Chaumines, viennent faire
par leur presence tout l’eclat des Louures ; & ceux
dont la compagnie faisoit dé ja rougir les plus
infames, sont neamoins auiourd’huy les dispensateurs
de toutes les graces de nos Souuerains, & les
intelligences tutelaires de cét Estat : Fortune, apres
celà si tu veux m’abaisser, esleue moy ? si tu veux
m’esleuer abbaisse moy ? tes disgraces me seront
beaucoup plus pretieuses que tes faueurs, & ie ne
feray desormais vanité que d’auoir esté constamment
l’objet de tes persecutions, puis que tu mers
ce que tu as de plus beau entre les mains, de ce
que le monde rebute de plus infame.

 

Mais continuons à nous recreer dans la suitte
de ce Paralelle : que sont enfin deuenus ce Cabaretier
Lombard, ce Banqueroutier Florentin, &
ce Maquereau Sicilien : Brunehaud voyant bien
qu’elle auoit retiré vn coquin de la nudité, s’auisa

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de depoüiller tout l’Estat pour le reuestir ; & de
causer par des impositions tiranniques la dizete &
la famine dans toutes les villes de son obeïssance,
pour ietter l’abondance des richesses dans la maison
de ce nouueau Fauory : & c’est lors que le
voyant assez puissant pour soustenir auec gloire
toutes les charges de l’Estat, elle entreprit effrontement
de l’esleuer à la dignité de Duc & Maire du
Palais, par le massacre de Berthouaut, qui fut tué
par ses ordres exprés, dans vne Bataille donnée sur
la riuiere d’Estampes, entre Theodoric Roy d’Orleans,
& Clotaire Roy de Paris Ce debordement
d’ambition eut encor esté supportable, si cette insolente
Princesse se fut contentée de voir vn pendard,
assis par sa faueur, sur les premiers rangs de
l’Estat : elle vit bien que cette esleuation iniuste feroit
ombrage à la grãdeur des puissãces plus legitimes ;
Et qu’à moins que de broüiller tout l’Estat
pour faire égorger tous les genereux par le couteau
de la diuision ; il ne luy seroit pas possible de le sauuer
des mains de ceux qui le regardoient auec ialousie,
parce qu’ils le voyoient dans la presseance-fans
iustice. C’est pour cette raison qu’elle anima,
Theodoric contre Clotaire, & que fomentant leur
des-vnion par de continuelles intrigues, elle causa
la perte de tous les braues de l’Estat, ennemis de
son Proclaïde : mais principalement de Ratinus &
d’Egila, que ce potiron de terre faisoit regarder à sa
Maistresse, comme les plus redoutables ennemys
des accroissemens prodigieux de sa fortune.

 

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Il semble que Catherine de Medicis n’ayt point eu
d’autre reigle pour y compasset ses actions, & que
tout le modelle de sa conduite n’ayt esté emprunté
que de la politique de Brunehaud : Son Gondy ne parut
pas plustost esleué à l’honneur de sa confidence,
que les torrents impetueux des subsides & des maltotes
commencerent à rauager tout l’Estat : & ce petit
belitre qui ne deuoit son agrandissement qu’au plus
sot caprice que la fortune ayt iamais eu, parut à mesme
temps Comte de Retz, Mareschal de France, &
riche de plus de cinq cens mil liures de reuenu : Auec
quel desplaisir de tous les genereux ; ie m’en raporte à
ceux qui le sont auiourd’huy : Aussi ne falloit-il pas
beaucoup de reflexion pour le faire apperceuoir à la
Reyne Catherine, laquelle se doutant bien que cet
auancement monstrueux de son Gondy, seroit pour
luy susciter de puissans ennemis dans l’Estat, ne manqua
point d’imiter la discorde, c’est à dire de ietter la
pomme de diuision dans le banquet des Dieux ou
dans l’vnion des Grands, lesquels venans à s’entrechoquer
mortellement dans vne guerre ciuille que
cette furie auoit allumée par ses intrigues, assouuirent
par leur mort la soif qu’elle auoit eu de leur sang
Anthoine Roy de Nauarre premier Prince du Sang,
Louys de Bourbon Prince de Condé son frere, Anne
de Montmorency Connestable de France, François
de Lorraine Duc de Guise, le Mareschal de S. Andre,
& plusieurs autres de cette reputation, furent les innocentes
victimes, que l’iniustice sacrifia à la fureur

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de cette Princesse, pour ne luy laisser que la iouyssance
d’vn seul Gondy.

 

Si cent dix-sept millions transportez dans l’Italie
ou ailleurs par les ordres du Mazarin, sont capables
de verifier les impositions tiranniques de la Regence,
ie puis m’espargner la peine de faire voir que toute la
conduite d’Anne d’Austriche n’a esté qu’vne imitation
continuelle du gouuernement de Brunehaud &
de Catherine de Medicis ; & que pour reuestir vn
gueux estranger son confident, elle n’a point douté
de despoüiller inhumainement tout l’Estat : Mais
toutes les maltotes ne sont que les preludes de cette
imitation : N’est-ce pas pour faire regner son Mazarin
sans aucun danger, qu’elle a fait perir le President
Barillon, les Mareschaux de Gassion & de Rantzau,
le premier tué dans le siege da Lens, par vn coquin
acheté, & le second comme on croit fort probablement
empoisonné dans vne prison ? N’est ce pas pour
mesme dessein qu’elle a fait arrester le Duc de Beaufort
& le Mareschal de Lamoté ? qu’elle a enuoyé le
Duc de Guise au secours de Naples pour l’y faire perir ?
& n’est ce pas pour establir son Mazarin dans vne
souuereineté plus independante & moins sujette aux
engagemens de la iustice, qu’elle attenta temerairement
à la liberté d’vn Prince & de ses freres, qui n’auoient
iamais commis d’autres crimes, que celuy d’auoir
esté trop sousmis & trop complaizans à ses volontez ?
Ie ne parle pas des diuisions qu’elle a fomenté
entre S. A. R. & M. le Prince, pour donner loisir à son

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Mazarin de s’establir à l’espreuue pendant cette mesintelligence
des deux principaux de l’Estat. Cela n’est
que trop connu & par consequent on ne sçauroit me
nier qu’elle n’ayt marché plainement sur les vestiges
de Brunehaud & de Catherine, pour le rehaussement
de la bassesse de son Mazarin, puis qu’à leur imitation
les subsides, les diuisions, & les attentats ont esté les
degrez dont elle s’est seruie pour le faire monter sur
les testes des françois.

 

Voila Proclaide, voila Gondy, voila Mazarin, sur
le Theatre : Voila les trois premiers personnages de
la tragedie de la fortune ; Voila trois Coquins esleuez
à la dispensation des grandeurs, voila trois gueux reuestus
de toutes les despoüilles de l’Estat : voila trois
Charlatans Italiens establis par nos souueraines,
pour estre les arbitres de nostre bon-heur, & les
œconomes de nostre politique. Mais neantmoins il
ne suffit pas de les auoir assis sur le Trône ; il faut les y
maintenir, & parer à tous les assauts que la iustice ialouse
de voir ses rangs vsurpez, ne manquera pas de
leur donner, pont les en faire tomber.

Brunehaut s’apperçoit bien en effet de cette necessité,
& reconnoist par l’experience des grandes contradictions
qu’elle souffre dans sa conduite, qu’il est
bien moins difficille d’esleuer vn Coquin de sa bassesse
que de soustenir sa cheute dans son rahaussement :
Elle n’a pas plustost fait d’vn Cabaretier vn
Maire du Palais dans le Royaume de Metz soubs
Theodebert son fils, qu’elle est obligée de l’appuyer

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auec des violences, qui rafroidissent l’affection des
sujets pour le Roy son fils, lequel preiugeant de ces
mauuais commencements vne dangereuse decadence
de son authorité, la contraint de se retirer vers
Theodoric Roy d’Orleans, ou elle ne manque pas
aussi-tost de pouruoir son Proclaide de toutes les plus
importantes charges de l’Estat, & mesme ment de la
dignité de Maire du Palais.

 

Mais comme elle ne sçauroit esleuer ce Faquin
sans abbaisser ou sans luy soumettre les grands de ce
Royaume ; la passion de faire auorter les desseins
qu’on brasse secrettement contre luy, l’a iette dans
vn detestable Conseil, & luy fait rompre l’intelligence
de Theodebert & de Theodoric ses deux arrie-fils,
faisant croire à ce dernier par ce qu’elle auoit besoin
de son appuy que Theodebert estoit fils d’vne
concubine, & que par consequent il n’auoit aucun
droit de recueillir la succession d’vn Trone, qui ne
luy estoit echeu que sur la fausse creance qu’on auoit
qu’il n’estoit point bastard.

Il n’est pas besoing de beaucoup d’artifice pour
persuader à Theodoric, ce que l’ambition d’auoir vn
Royaume plus estendu, luy fait receuoir aueuglement
sans l’examiner : Il deuore desia par esperance
l’Estat de Theodebert, il arme contre luy, il sollicite
tous les grands & tous les genereux d’espouser vne
querelle si iuste, & de conspirer auec luy, pour destroner
vn bastard, que l’erreur auoit fait regner pendant
l’ignorance de son extraction.

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Theodebert ne se dispose pas moins pour se defendre,
que Theodoric pour l’attaquer : Ils en viennent
par plusieurs fois aux mains, auec des aduantages si
capricieux, que la victoire semble tousiours se tenir
dans l’indifference, sans se declarer ouuertement
pour pas vn des partis : Cependant les plus Genereux
y perissent de part & d’autre : Et lors que Brunehaut
& Proclaide iouyssent dans le repos, du plaisir
de voir entré-gorger leurs ennemis, ils se préualent
à mesme temps de l’aduantage qu’ils ont de s’establir
à l’espreuue de leurs attaques, & de contribuer
sourdement à la perte de ceux qui leur semblent les
plus redoutables, soit en leur faisant donner des commissions
dangereuses par le Roy Theodoric, soit en
les faisant tuer au milieu des combats par des Capitaines
mesmes de leur party.

Cette execrable Politique ne se pratique pas si
secrettement, qu’elle ne soit enfin euantée par les Sages
de l’Estat d’Orleans, lesquels se lassant enfin d’vne
guerre qui ne leur paroist allumée que par les soufles
de Brunehaut, sollicitent le Roy Theodoric de
se reconcilier auec Theodebert Roy de Mets son frere,
& de redonner promptement le repos à tous les
peuples de son Estat. Mais Brunehaut qui preuoit bien
que l’intelligence des deux Roy ne se peut renouër
qu’au preiudice de son Proclaide, qui doit tomber apres
cette concorde dans le danger de se voir expose
a toute sorte de poursuittes ; elude malicieusement

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toutes les propositions qui se font de part d’autres
pour vn Traitté de Paix, & fait naistre de nouuelles
raisons, pour fomenter la guerre auec plus de diuision
que iamais, entre ces deux Miserables Potentats.

 

Vtile & Bollus deux Lieutenans Generaux des armées
de Theodoric, & les plus irreconciliables ennemis
de l’agrandissement prodigieux de Proclaide,
iugeant de mille apparences qui leur ouurent les yeux,
que le dessein d’appuyer la fortune de ce Lombard,
est le seul motif de Brunehaut, pour la continuation
entiere de la guerre : se resoluent enfin auec quelques
vns de leurs amis de la terminer par sa perte : Et
pour cette intention entrant en sa tente, luy donnent
autant de coups de poignard, qu’ils auoient de
ressentiments, de voir que les honnestes gens ne s’entre-égorgeoient,
que pour cimenter plus heureusement
la Tyrannie de ce faquin. Sainct Gregoire de
Tours, Fortunat Euesque de Poictiers, & Sainct Gregoire
le Grand ; ont beau faire les Panegyriques de
l’innocence pretenduë de cette Espagnolle : Le respect
que ie dois à leur authorité, ne m’oblige tout
au plus, qu’à croire qu’ils ont composé ses Eloges sur
de faux memoires, ou qu’en la loüant, ils ont voulu
luy apprendre son deuoir, de peur de l’irriter, plutost
que de l’adoucir par vne correction plus veritable.

Voyons maintenant les diuers personnages que

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Catherine de Medicis ioüe sur le Theatre de cette
Monarchie, pour se conseruer le commandement
absolu, & soustenir la fortune de son cher Gondy,
qui n’estoit nullement consideré dans l’Estat, que
comme le ioüet de la fortune, & le charlatan de la
Politique. Elle ne hait pas moins le Roy de Nauarre,
le Prince de Condé, & les Messieurs de Chastillon,
arboutans du party des Huguenots, qu’Anne
de Montmorency Connestable de France, les Messieurs
de Guise, & le Mareschal de sainct André qui
ne l’auoient pas trop respectée pendant le Regne de
François II. Neantmoins comme elle connoist que
toutes les affections de l’Estat se declarent plus ouuertement
pour ce Roy Prince du Sang, & le fauteur secret
des Huguenots, elle fait semblant pour les gagner
de vouloir estre instruite à cette Religion Pretenduës
fait prescher deuant elle l’Euesque de Valence, Boutillier
& Pierre Martyr, Florentin infectez du Caluinisme
& du Luteranisme ; fauorise les Huguenots dans
le Colloque de Poissy, tesmoigne impudẽment qu’elle
veut faire instruire Charles IX. son fils, & Messeigneurs
ses autres enfans à cette nouuelle Religion ; Et
pour le bõ succez de cét horible dessein, fait negocier
son Gondy qui ne gagnoit pas peu par cette complaisance
criminelle pour s’acquerir quelque peu de credit
dans l’idée des Huguenots ; lesquels se trouuant
plus fauorisez par la Reyne Catherine, que par le Roy
de Nauarre qui ne les supportoit que par Indulgence,

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s’attacherent plus intimement à sa conduite.

 

Cependant le dessein de cette Princesse n’estoit autre,
que de destacher les Huguenots d’auec le Roy
de Nauarre, ce qu’elle fit si heureusement, autant
par les intrigues que ie viens de toucher, que par les
amours dans lesquels elle entretenoit ce Prince lascif
auec la Damoiselle du Roüet ; qu’elle l’obligea enfin
de renoncer à la confidence qu’il auoit auparauant
auec les Messieurs de Chastillon, & de se rajuster auec
le Mareschal de sainct André.

La voila donc en bonne intelligence auec le Prince
de condé, auec les Messieurs de Chastillon, & auec
tout le party Huguenot : Mais c’est vn feu de paille,
qui s’esteindra dés que le Roy de Nauarre perira deuãt
Roüen ; & que n’estant point de grand dans le party
des Catholiques qui puisse marcher de pair auec elle,
elle se sentira obligée de s’y ietter pour destruire ceux
qu’elle n’a attaqué que par vne Politique de quelque
temps. Mais principalement pour se défaire du Prince
de Condé, & des Messieurs de Chastillon qu’elle n’auoit
auparauant flattez qu’en intention d’en faire les
instrumens du dessein qu’elle brassoit contre Antoine
Roy de Nauarre, dont la puissance estoit seule capable
de faire ombre à cette tyrannique authorité
qu’elle a tousiours medité de bastir sur les epaules des
peuples.

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Cependant toutes ces intrigues ne tendoient à
autre fin, qu’à rasseurer l’agrandissement de son
Gondy ; lequel, ne pouuant subsister que dans la diuision
de ceux qui pouuoient l’attaquer dans son rehaussement,
ne manquoit pas de fomenter dans le
Genie de cette Princesse ce seditieux esprit de desvnion ;
& de luy inspirer incessament de nouueaux motifs,
qui ne luy permettoit iamais de viure dás le repos ;
pour rencontrer l’asseurance de son bon-heur pédant
les plus horribles secousses de cét estat. Ainsi ce fameux
Mathematicien nommé Basile, qui auoit predit
au Duc de Florence dernier mort, lors qu’il n’y
auoit plus d’apparence ; qu’vne grande dignité l’attendoit ;
ne se trompa point lors que faisant vne serieuse
reflection sur le moment de la naissance de Catherine
de Medicis, il asseura qu’elle deuoit porter
la desolation, pour le doüaire de son mariage,
ce que Clement VIII. son Oncle ne manqua pas
de faire remarquer à Charles Quint, qui prenoit ombrage
de l’alliance qui se deuoit contracter entre luy
& François I. par le mariage de sa niece Catherine,
auec Henry Duc d’Orleans, fils de ce Monarque François.

Le paralelle des intrigues d’Anne d’Austriche
pour la conseruation de son Mazarin, auec celle de
Brunehaud pour Proclaïde & de Catherine pour
son Gondy ; n’est il pas parfait. N’a-t’elle pas ioüé

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toute sorte de personnages pour faire reüssir ce
honteux attachement au gré de sa passion ; & n’est-il
pas vray qu’il n’est point de soupplesse dont elle
ne se soit seruie, pour l’establissement de cét insolent
fauory. Que n’a t’elle pas fait pour obliger le
Prince de Condé à l’entreprise de la conqueste de
Naples, non pas tant en intention de se seruir de
ses mains victorieuses, pour adiouster cette Couronne
Estrangere à celle de France & de Nauare ;
que de le faire perir aussi bien que le Duc de Guise
dans cette occasion ? ne l’a t’elle pas abandonné
dans le siege de Leride ? N’a-t’elle point interressé
ses larmes & ses supplications, pour l’engager à
l’entreprise du siege de Paris ; Et pour luy faire
perdre par cét aueuglement d’obeïssance ; l’amour
des peuples qu’il auoit si iustement merité par tant
de triomphes, afin de s’en preualoir puis apres à son
preiudice ?

 

Ie repete ce que tout le monde sçait, ce que toute
la France a veu ; Ce que la posterité ne croira iamais,
à moins que la creance n’en soit receuë de nos
Neveux, par le parallelle de la conduitte de Brunehaut,
& de Catherine de Medicis. Pour sauuer le
Cardinal Mazarin, Anne d’Austriche a perdu tout
l’Estat ; pour rafermir la fortune de ce coquin, elle
esbranle le Throsne : Pour le mettre à l’abry de toute
sorte de dangers, elle precipite la France dans vn

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abisme de desolation : Pour asseurer son repos, elle
trauerse impitoyablement la tranquilité de ses peuples ;
& pour le faire regner auec vne tyrannie de
Turc, elle voudroit bien nous faire seruir auec
vne soumission d’esclaues. Messieurs les Princes
qui ne luy complaisent pas dans cette mauuaise
intention, sont ses ennemis : Les Parlements qui
ne la secondent pas par leurs Arrests, sont des seditieux :
Les Peuples qui ne conspirent pas auec
elle par affection, sont des rebelles. Pour moy, ie
ne dis mot sur cette conduite, parce que la prudence
me fait supprimer mes plus sinceres sentiments ;
Mais ie suis bien asseuré que nos Neveux en parleront
vn iour plus franchement, parce que la peur
de la tyrannie ne leur imposera point silence, &
qu’ils declameront ouuertement contre vne conduitte,
qui ne verifie que trop euidemment les insolences
de Catherine de Medicis, & les brutalitez
de Brunehaut.

 

II. De ce parallelle ie passe à vn raisonnement
que les Courtisans à la verité ne regarderont pas
auec beaucoup de complaisance ; Mais que les Politiques
neantmoins seront contraints d’approuuer,
s’ils veulent se donner vn peu de loisir de considerer
auec moy sans passion, que l’attachement
de la Reyne pour la conseruation du Cardinal Mazarin
est criminel d’Estat : A quoy bon le dissimuler,
puisque l’euidence ne rend seulement pas cette

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protection capable d’vn desguisement, & qu’il
n’est pas possible aux plus artificieux d’y trouuer aucune
apparence de bonté.

 

Il n’est point de plus grand criminel d’Estat,
que celuy qui met tout l’Estat à la veille de sa desolation,
en diuisant les Grands, les vns d’auec les
autres, & fomentant par les funestes intrigues de
quelque dessein particulier, vne haine irreconciliable
entre eux, pour les engager à diuers partis, selon
qu’ils s’y voient obligez, ou par les mouuemens
du caprice, ou par les motifs de l’interest ; ou par
le conseil de la raison.

Ie sçay bien qu’vne imprudence particuliere,
dont les plus habiles Politiques mesmes n’ont iamais
esté responsables de leur teste ; Peut estre la
cause innocente de ces diuisions domestiques : Et
qu’il arriue mesme bien souuent que les plus signalez
coups de Iustice peuuent ietter le schisme & la
mes-intelligence dans la plus estroitte vnion des
Grands : & lors que ces pestes d’Estat, ie veux dire
ces dissentions ciuiles ne sont escoulées que de cette
innocente source, il ne faut point douter que leur
Autheur mesme ne peut estre blasmé, que d’auoir
esté mal-heureux dans sa conduitte, ou d’auoir failly,
lors mesme qu’il se mettoit en estat de se regler
sur les Loix de la Iustice.

-- 21 --

Lors que le Pape s’oposa à la passion insolente
de Henry VIII. Roy d’Angleterre, qui pretendoit
par vne dispense inoüye repudier Catherine d’Espagne
sa femme legitime, pour espouser Anne de
Boulan sa concubine ; eut on iamais dit que cette
iuste resistance du saint Pontife, deut estre la cause
de l’Apostasie de ce Monarque Chrestien ; & que
le Pape deut estre si malheureux, que mesme en
faisant son deuoir, il feroit oublier le sien à vne des
plus belles Monarchies de la Chrestienté, le succes
neamoins fit voir que mesme les plus innocentes
conduites peuuent estre les causes de la diuision &
ce lache souuerain qui s’estoit dé-ja declaré contre
Luther par douze beaux volumes qu’il auoit escrit
contre ses erreurs, Apostasia malheureusement en
faueur mesme de ce qu’il auoit condamné & se rendit
le protecteur du Lutheranisme, pour mettre ses
passions desreglees dans l’independance de toute
sorte de loy.

Il n’en est pas de mesme, pour ceux qui donnent
occasion aux guerre ciuilles, par vn dessein malicieusement
premedité de les allumer dans l’Estat ;
& qui n’ont point de plus puissant motif que celuy
de porter la diuision dans l’intelligence des grands
pour se preualoir de leurs desordres, en faueur du
sujet de leur protection : C’est ainsi que Brunehaut
diuisa Theodebert Roy de Mets & Theodoric Roy
d’Orleans, pour establir plus asseurement la fortune
de son Proclaide, pendant que les principaux
de ces deux, Estats s’entregorgeroit, c’est ainsi que

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Catherine de Medicis, suiuant le symbole de sa
maison, diuide vt regnes & la maxime du Duc d’Albe
qu’elle auoit consulté, fomenta les diuisions dans
ce Royaume, pour ne laisser iamais tomber les
grands dans la reflection de renuerser son Gondy ;
C’est encor ainsi qu’Anne d’Austriche, apres auoir
pendant tout le cours de sa Regence nourry les diuisions
dans l’Estat, pour soustenir la cheute de Mazarin,
continue encor auiourd’huy de l’entretenir
auec plus de passion que iamais, pour restablir
celuy que trois declarations Royalles verifiées par
Arrest de tous les Parlemens de France, en ont
chasse.

 

Pour reprendre la suite de mon raisonnement
ie soustiens, que celuy qui cause la diuision par dessein,
& qui la fomente par opiniastreté, se rend criminel
d’Estat ; puis que les crimes d’Estat ne sont
autres que les desreglemens criminels des personnes
publiques, qui sont attachées par profession &
par deuoir au maniment des affaires ; ou les attentats
des particuliers, à l’honneur à la vie ou à l’autorité
des personnes publiques.

Est il maintenant de crime d’Estat plus grand
& plus enorme que celuy par lequel on allume
les guerres ciuilles, que François de Salles Euesque
de Geneue inuectiuant à Lyon contre les tempestes
domestiques qui troubloient pour lots le calme
de cet Estat ; appelle vn fleau de Dieu, redoublé.
Ceux qui les allument dans les Monarchies,
dit Guillaume de Paris, sont des incendiaires, des

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Sodomites, des assasins, des voleurs, des meurtriers
& des paricides publics. Et la Republique de
Sparte auoit sagement ordonné que ceux qui seroient
conuaincus d’auoir donne quelque occasiõ
à de semblables desordres, passeroit par tous les suplices
qu’on a coustume de faire soufrir à tous les
criminels en particulier.

 

En effet, est-il de desolation pareille à celle qui
est ordinairement causée par les guerres ciuilles,
pendãt lesquelles le Poete Orateur, proteste à l’entrée
de son ouurage, que le crime est en droit de
s’abandonner à toute sorte d’excés : Iusque datùm
sceleri canimus, & que l’impieté ne se borne qu’à ce
que son impuissance ne luy permet point d’executer :
Est il de vierge qui puisse garentir son honneur
pendant la corruption generalle de cette Babilone
prostituée, dit l’eloquent Saluian ? Est il de Sacrilege
qui ne passe en ioüet ordinaire pendant ce regne
d’attentats & de crimes ? Est-il de crime dont
les enfans mesmes n’ayent honte de rougir pendant
que toutes les vertus sont dans le décry ? st-il de
debordement qui soit plus capable d’encherir sur
cette abomination de desolation, predite par le
Prophete Daniel, que celluy qui ne se borne qu’a
l’assouuissement de tout ce qu’il veut.

C’est lors, dit S. Chrisostome, dans le Pannegirique
de S. Iulien, que ces sept Anges redoutables
du 16. de l’Apocalypse, semblẽt verser sur la terre les
sept phioles pleines de lire de Dieu : & qu’il semble
que la Monarchie qui est troublee par ces

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guerres ciuilles, est dans les tranchées de quelque
enfantement prodigieux dont elle doit enfin auorter
à la desolation de tout son Estat.

 

Contentons nous d’auoir donné par ces courtes
expressions, quelque idée des guerres ciuilles, pour
faire voir qu’il ne se peut que celuy qui les allume,
ne soit criminel d’Estat : ie ne veux pas prouuer que
l’attachement de la Reyne pour la conseruation de
son Mazarin, est la seulle cause de ces malheureuse
guerres : parce que tout le monde le voit assês.
Mais ie soustiens bien que cette Princesse n’en est
point la cause innocente ; & qu’elle s’est opiniatrée
à la protection du Mazarin quoy qu’elle sceut
bien qu’elle ne pourroit iamais le soustenir, qu’en
fomentát vne guerre ciuille dãs le cœur de cet Estat.

N’est-il pas vray que lors que M. le P. fit éclater
son mescontentement l’an passé, il ne prit les armes
que pour l’execution des Declaratiõs du Roy, verifiées
dans tous les Parlemens, qu’il voyoit à la veille
de se voir enfrainte par les dispositiõs secretes qui
se faisoient tous les iours pour le restablissement
du M. Et que ce Prince ne fut traité de criminel
d’Estat par Arrest mesme du Parlement, que parce
que cette Cour Souueraine crut estre obligée de
traiter de pretexte cette aprehension pretenduë du
retour du Mazarin, sur la creance qu’elle auoit, que
leurs Majestez, en donnant leur Declaration contre
luy, s’estoient imposés par serment, vne loy &
vne necessité indispensable de ne le pouuoir plus
restablir.

-- 25 --

Cette conduite du Roy & du Parlement, faisoit
du moins aparemment regarder M. le Prince comme
le boutefeu de l’Estat ; par ce qu’on ne voyoit
point d’autre cause de ces nouueaux remuëmens que
celle que l’ignorance de ce qui se passoit, faisoit trouuer
dans son seul caprice : Ainsi la Reyne n’estoit iustifiée
par le consentement du peuple, que par ce
qu’on s’imaginoit simplement comme elle s’efforçoit
de le faire croire, que ses intentions estoient sinceres
pour le bannissement du Mazarin : tellement
qu’elle ne pouuoit le rappeller dans cette conjoncture,
sans paroistre en effet la cause malicieuse de tous
nos desordres, puis que les diuers armemens ne se faisant
dans l’Estat que pour destruire ou le phantosme
ou la verité du restablissement de Mazarin, elle n’estoit
plus en estat de parer à tant de iustes reproches,
par aucun pretexte d’imprudence ou de simplicité.

De ce raisonnement ie conclus, que la Reyne
ayant restably le Mazarin contre les Loix, puis que
les Declarations Royalles le deffendoient ; & lors
mesme qu’elle voyoit trop manifestement que son
retour rengregeroit encor plus mortellement que iamais
les maladies domestiques de ce Royaume ; est
tombée en vn crime d’Estat, qui se continuë tousiours
par l’attachement prodigieux qu’elle a pour la
protection de ce Faquin, & qui la rend encor dautant
plus criminelle, que plus elle voit, que pour remedier
à tous nos maux, il n’est besoing que de nous
desemparer d’vn si pesant fardeau.

-- 26 --

III. Cette troisiesme proposition est hardie, mais
elle encor plus veritable que toutes, & ie soustiens
hautement que la Reyne par cet attachement prodigieux,
pour la conseruation de son Mazarin, donne
vn iuste fondement à toute sorte de soubçon. Ce
n’est pas que ie pretend iustifier toutes les médisances
des calomniateurs : à Dieu ne plaise que ie sorte de
mon deuoir iusqu’à ce point là, & que i’augmente
par mon nom le nombre des impudents, qui n’ont
point rougy de descrier ouuertement son honneur.
Mon dessein est de faire voir, qu’elle se conduit assez
imprudemment pour fortifier ces effrontés dans leur
premiere creance, & pour conuaincre entierement
ceux qui ne sont pas trop entendus dans la politique
ou dans la conduite des femmes, que son attachement
pour le Mazarin, à du moins assez d’aparence
pour appuyer assez raisonnablement les conjectures
des foibles & des médisans ; touchant sa conuersation
auec cet estranger.

Lors que S. Ambroise entroit dans le bordel pour
tacher de donner vne idée contraire à celle qu’on
auoit desia conçeu de sa Sainteté ; & pour diuertir par
cette sainte intrigue, les esprits des principaux, du
dessein qu’ils auoient, de le faire nommer à l’Archeuesché
de Milan ; il ne faut point douter qu’il se rencontra
beaucoup de foibles, mesme parmy ceux qui
l’auoit auparauant admiré dans l’exercice des vertus,
qui commencerent deslors qu’ils le virent entrer dans
ces lieux infames, de rabatre beaucoup de leur premiere

-- 27 --

estime ; & certainement on ne sçauroit nier
que ce procedé d’vn ieune Laïque ne fut capable
d’exempter de temerité les iugemens sinistres de certains
foibles qui ne iugent que sur les apparences ; &
de iustifier toutes les plus mauuaises conjectures, que
ceux qui ne penetrent point dans les intentions, peuuent
fonder sur ce qui paroist à leurs yeux.

 

On voit auiourd’huy tous les Princes liguez, tous
les Parlemens vnis, & tous les peuples revoltez contre
la protection dont la Reyne honore le Mazarin :
toute l’Europe s’interesse à la destruction de cet infame
fauory : toutes les nations crient vnanimement
qu’il faut s’en deffaire, qu’il faut le sacrifier à la vengeance
publique ; que c’est vn broüillon ; que c’est
vn seditieux ; que c’est vn sanguinaire, que c’est vu
boutefeu ; que c’est vn scelerat, qui ne sçauroit subsister
que sur les ruines du monde, qui ne peut se
nourrir que du sang des peuples, qui n’est reuestu
que des despoüilles d’autruy, qui ne s’est enrichy que
de nos finances, qui ne vit en paix que pendant nos
desordres, & qui n’est grand que par ce qu’il nous a
humiliez pour rehausser la bassesse de sa fortune.

Tout cela n’est pas capable d’émouuoir l’esprit de
la Reyne : On n’attaque ses affections que pour les
faire triompher, on ne les esbranle que pour les fortifier :
On ne s’efforce de les esteindre que pour les
voir allumées auec embrazement : qu’on dise que
c’est vn seditieuv, ses inclinations le luy font paroistre

-- 28 --

sous le visage charmant d’vn pacifique, qui ne
respire rien tant que la concorde, par ce que tous les
mouuemens de son ame symbolisent auec les siens :
qu’on le descrie comme vn sanguinaire, sa passion
s’opose à cet outrage, par ce qu’elle iuge qu’il n’a pas
esté comme il deuoit prodigue du sang de nos Heros
qu’elle eut voulu boire à plus longs traits : qu’on le
fasse passer pour vn scelerat ; son affection le luy represente
auec trop de naïfueté sous vn visage plus innocent,
auec lequel il seroit consideré de tous les hommes,
si tous les hommes le regardoient par ses yeux.

 

Mais elle ne sçauroit affermir la fortune de cet indigne
fauory, sans esbranler le Trone de son fils :
mais elle ne peut donner de l’esclat à l’obscurité de sa
naissance & à l’infamie de son extraction, sans fletrir
à mesme temps la splendeur de nostre Couronne :
Mais elle ne peut le garentir du danger, sans y precipiter
tout l’Estat : Mais enfin elle ne peut le sauuer
sans nous perdre : N’importe : sa seulle passion est
l’Intendante Souueraine de toute sa conduite : Il
faut que son caprice l’emporte sur tout le Conseil
de l’Estat : il faut qu’elle soit Souueraine dans toutes
ces volontez, quelques contraires qu’elles soient à
la iustice & au deuoir : il faut tout esbranler, pour
l’asseurer : il faut tout troubler pour le mettre en repos :
il faut tout dépouiller pour le reuestir ; le diray ie
il faut mesme que tout l’Estat & le Roy son fils
soient les superbes marchepieds de son rehaussement

-- 29 --

Apres ces Pathetiques deductions de l’attachement
prodigieux que la Reyne a pour la conseruation
du C. M. condamne qui voudra les iugemens
de ceux qui en tirẽt de terribles cõsequẽces au desauantage
de son honneur ? pour moy quelque contraire
sentiment que la Politique m’oblige de tesmoigner
à ceux qui se sont engagez à l’apparẽce qui
fonde leurs soupçons, ie ne puis me dispenser d’en
authoriser la Iustice par mon sufrage, & de protester
pour le moins que les simples & les foibles ont
raison de croire ; ce que les politiques & les plus
forts ne peuuent reuoquer en doute qu’auec des
contradictions mortelles à la sincerité de leur sentiment :
le n’en dis pas dauantage pour me faire entendre.

IV. Ie passe plus hardiment à ma quatriesme proposition,
parce que le raisonnement n’en est pas si
chatoüilleux & ie soustiens sans trembler, que par
ce prodigieux attachement, la Reyne fait voir qu’elle
ayme plus Mazarin que son fils : Si cette preference
d’affection estoit sans exemple, i’aurois honte
d’en entretenir mes Lecteur ; mais ceux qui sçauent
que Brunehaut fit entregorger ses enfans,
pour faire subsister la fortune de son Proclaide ; que
Constance femme, de Robert, s’efforca par des crimes
suposés de faire desheriter son fils Henry, pour
faire tomber la succession du Trône entre les mains
de Baudoüin fils de Foulques Duc d’Aniou ; qu’lsabeau
de Bauieres femme de Charles VI. abusa de
la simplicite de son mary, pour luy faire tranferer

-- 30 --

par testament la succession du Sceptre à Henry
V. Roy d’Angleterre, au preiudice du droit indisparable
de Charles le Victorieux son fils ; ceux là
dis-ie qui sont plus que moy sçauans dans l’Histoire,
ne s’effrayeront pas tant de cette proposition
parce que preiugeant du passé ils pourront du
moins croire qu’elle peut estre veritable.

 

Pour faire voir que la Reyne par cet attachement
prodigieux tesmoigne qu’elle ayme plus Mazarin
que son fils, il faut monstrer que les interests
du Mazarin luy sont pus à cœur que les interests
du Roy, & qu’elle ne se soucie pas de faire vne honteuse
breche à l’authorité Royalle de sa Maiesté,
pourueu qu’elle puisse contribuer auec plus de
gloire au restablissement de son Fauory : car comme
l’amour ne se produit iamais plus sincerement
que par les effets, qui sont comme les escoulemens
ou bien plutost les cõmunications de ce qu’elle est,
il ne faut point douter que c’est aux effets que
l’amour se mesure, & que n’estant point vne passion
faineante, à moins qu’elle ne soit simplement politique,
il faut considerer, pour en sçauoir la grandeur
qu’elle est la profusion de ses bontés.

Pouuoit on aucunement douter de la passion
que Codrus auoit pour les interests de sa patrie, lors
qu’ayant apris de l’Oracle que l’armée dont le Roy
seroit tué dans le combat, triompheroit de son ennemie ;
il fit couper les renes de son cheual, pour se
precipiter auec moins de danger d’estre arresté par
aucune lasche apprehension ; dans le plus chaud de

-- 31 --

la meslée, où tous les perils ensemble luy faisoient
voir que la mort estoit ineuitable. Que peut-on
dire de l’affection des Deces qui se sacrifioient à la
fureur des ennemis dés l’entrée des combats, pour
le progrez de l’Empire Romain, si ce n’est que se
produisant par des effets si sensibles, on ne pouuoit
aucunement douter de sa sincerité : Quand les
mains, la bouche & le cœur sont d’accord, pour
obeyr à tous les mouuemens de l’amour, on peut
dire qu’elle est veritable : dés que l’intelligence ne
se trouue pas parmy ses trois, I’amour en sort, ou du
moins elle n’y reste point qu’en apparence.

 

Pour iuger donc sainement si par cét attachement
la Reyne témoigne qu’elle ayme plus Mazarin
que son Fils, il faut le connoistre par les effets ;
auec asseurance que celuy vers lequel ils pancheront
auec plus de profusion, est par consequent le
principal objet de ses tendresses, & le premier motif
de toutes ses poursuittes.

La Reyne pourroit-elle bien donner de plus
belles marques de l’affectiõ qu’elle a pour son Mazarin,
au preiudice de ce qu’elle doit à son fils, qu’en
entreprenant de bastir la fortune de cét insolent
fauory des ruines de l’authorité Souueraine ; & prodiguant
sa Maiesté toute ieune aux incommoditez
de toute sorte de voyages, pour tascher d’asseoir la
fortune errante de ce Ministre auec quelque sorte
de fermeté ? pourroit-elle declarer plus ouuerment
ses affections en faueur de cette iniuste
preferance, qu’en taschant de retorquer malicieusement

-- 32 --

sur son fils, tous les traits d’indignation
& de la haine, que la France darde continuellement
contre la tyrannie de son Mazarin ?
Sçauroit elle se témoigner auec plus de sincerité
pour ce mesme dessein, qu’en écartant toutes les
indignations qu’elle void inonder à torrens contre
cét impudẽt Italien ; pour les faire plus outrageusement
décharger sur la personne innocente de S. M.

 

C’est encor trop peu : quelque creance que nous
ayons que le Roy ne porte le Mazarin que par vne
complaisance tyrannique pour toutes les volontez
de la mere, la Reyne nous veut faire croire par des
lettres de Cachet, qu’elle nous fait reïterer a tout
moment, que les inclinations de sa Maiesté sont
entierement deuoüées au restablissement de ce
Ministre : & desguisant par cette souplesse, le mauuais
dessein qu’elle à de soustraire nos affections
aux aymables qualitez de son fils, elle nous le fait
passer pour le protecteur de nostre tyran & le principal
destructeur de nostre liberté.

Encor pourroit elle trouuer quelque plausible
pretexte pour tacher de desguiser cette mauuaise
politique : si pour mettre son Mazarin à l’abry de
tous les efforts, que la Iustice nous conseille pour
le destruire, sa passion ne luy faisoit exposer son
fils à nos coups pour estre le bouclier de son Mazarin,
ou pour faire du moins que ce Coquin ne soit
offencé d’aucun de nos traits qu’au trauers de cet
innocent.

-- 33 --

Ie ne dis que ce que tous les genereux voyent auec
vn mortel déplaisir d’estre les témoins de l’infamie
de cette conduite, qui ne déroge pas moins à l’honneur
des françois, qu’à la creance qu’on a eu de tout
temps, que nostre gouuernement n’estoit nullement
conduit par la participation du conseil des femmes,
& que nos affaires ne reussissoit constamment au gré
de nos desirs, que par ce que les desseins n’en estoient
iamais concertés que par la prudence des sages. Il ne
faut point parler de rendre nos respects au Roy si
nous ne les rendons au mesme temps au Mazarin :
d’abord que nous auons traité cet agreable Souuerain
de Maiesté, il faut traiter cet infame Coquin
d’Eminence : Le Roy n’entre point dans nos villes, si
Mazarin n’est à son costé : nous ne sçaurions donner
vn soufflet à ce perturbateur de nostre repos, que la
Reyne ne le fasse d’abord receuoir par reflection à
son fils : & nous sommes auiourd’huy reduits à vne si
déplorable necessité que la Reyne ne pretend point
que nous apprenions autrement des volontez de
nostre Souuerain, que par la bouche de ce faux
Oracle.

Est-ce bien aymer son fils plus que Mazarin, que
de vouloir confondre la bassesse de l’vn auec la Majesté
de l’autre ; que de faire d’vn innocent le protecteur
du plus scelerat des mortels, que de destruire le
Loûure pour rebastir vne Chaumine ruinée, que
d’exposer tous les iours l’authorité Royalle à vne decadencé

-- 34 --

visible pour asseurer l’establissement d’vn
belistre : bref pour conclure ce raisonnement, est-ce
bien preferer le Roy au Mazarin, que de les hazarder
tous deux à vn mesme danger, ou pour les en garentir
par nos propres mains, ou pour les y laisser perir
par les leurs. Ah ? SIRE, que ie voudrois estre
maintenant vn Briarée à cent bras, pour aller fondre
tout seul dans le milieu des Courtizants Apostats,
qui nous enuironnent, & pour vous arracher auec
tout le respect que ie vous doits, d’entre les mains de
celuy qui ne vous tient, que pour s’en seruir de bouclier
contre les insolens : ie vous rendrois à vos peuples
qui vous conseruent tousiours le Trone qu’ils
vous doiuent dans leurs cœurs, & vous connoistrez
enfin par le changement de toutes les mauuaises impressions
qu’on vous a donnée, que vous estes tousiours
égallement aymé de ceux qu’on s’efforce meschamment
de vous faire haïr.

 

V. Concluons enfin par la cinquiéme proposition,
& faisons voir que par cet attachement la
Reyne dispose toutes choses à vn changement d’Estat
ou à l’establissement d’vne tyrannie, qui sera
sans exemple.

La premiere partie de cette proposition, se trouue
tellement verifiée par l’experience de toute l’antiquité,
qu’il n’est quasi point necessaire de raisonner
pour l’establir. Vn seul adultere fit tomber le Trone
des Roys Romains ; Vn attentat à la pudicité d’vne

-- 35 --

fille renuersa toute l’authorité des Decemuirs : Mais
qu’est ce que ie dis : pour vn seul attentat d’vn Souuerain,
les peuples se sont-il bien portez quelquefois
à vn changement d’Estat ; helas ! il n’est point
de Loys, ausquelles on n’attente ; il n’est point de
droict qu’on ne viole : il n’est point d’oppression publique,
qu’on ne medite ; il n’est point de dessein
quelque iniuste qu’il soit qu’on n’entreprenne : il
n’est point de trahison dont on ne s’auise : il n’est
point de calamité publique qu’on ne cause : il n’est
point d’iniustice qu’on ne commette : il n’est point
de Temple qu’on ne prophane : il n’est point de priuilege
qu’on n’enfreigne, pour nous imposer le ioug
d’vn Coquin, d’vn Estranger, d’vn Charlatan, d’vn
imposteur & d’vn Scelerat.

 

Si l’Estat ne change de gouuernement en suite de
tant de maluersations de ceux qui se sont emparez
du Roy & de son authorité ; à qui est-ce que l’obligation
en restera, si ce n’est à Son Altesse Royalle, à
Monseigneur le Prince, & à la fidelité de nos peuples,
lesquels s’vnissant de méme volonté pour le soustien
du Trone, témoigneront hautement par la
moderation de leur conduite, qu’ils n’ont point de
plus sincere dessein que celuy d’appuyer la Royauté
pour la restablir toute entiere entre les legitimes
mains de celuy qui en abuseroit maintenant, par ce
qu’estant obsedé par ses veritables ennemys, il n’est
point en estat d’agir que par des impressions estrangeres,

-- 36 --

iusqu’à ce qu’on l’ayt eslargy de cette honteuse
captiuité.

 

Cependant il ne tient point à la conduite de la
Reyne que tous les affaires ne se disposent à vn changement
d’Estat ; à moins que prenant auantage de
l’idée qu’elle a de nostre generosité, elle ne s’imagine
que nous ne sommes point capables de faillir en
ce point, & que nous verrons plustost le dernier des
siens que le premier de nos déreiglemens sur ce sujet.

Mais si le malheur venoit à faire triompher ces
desseins, n’est-ce pas auec toute sorte de probabilité
que ie dis, que nous reuerrions l’establissement d’vne
tirannie qui seroit sans exemple, & que ce superbe
Mazarins ne remonteroit sur le superbe rang de son
consultat, que pour y prescrire nos testes au gré de sa
seule passion.

Pour obliger les plus opiniastrez de donner les
mains à cette verité, ie les supplie de considerer que
les siecles passez n’ont peut-estre point iamais veu de
Ministre d’Estat, auquel on ayt arraché l’administration
des affaires, auec tant d’outrages, contre lequel
tant d’ennemys se soient declarez comme contre le
Mazarin, que les Princes, que les Parlemens, que les
peuples ont attaqué auec des violences qui ne sont
presque point connuës dans l’histoire, & que nos
Neveux ne considereront que comme des Romans
que nous aurons pris plaisir de forger pour fournir
vn agreable matiere de leurs entretiens.

-- 37 --

Cela estãt, n’est-ce pas auec toute sorte de probabilité
que ie dis que le restablissement du C. Maz.
est beaucoup à craindre pour les vengeances qui
l’accompagneront ; & l’experience que nous auons
que ce proscrit n’est pas assés consciencieux
pour étoufer genereusement le souuenir de tant
d’outrages, ne fonde-t’elle pas trop raisonnablement
la iustice de cette apprehension, qui nous
doit faire regarder son retour auec des yeux de desespoir,
puis qu’il n’est pas croyable qu’il puisse reussir
qu’auec le succés de mille sangalntes catastrophes :

Si ces horribles consequences ne sont point infaillibles
apres l’establissement du Mazarin ; ie soustiens
du moins que dans la façon de faire des grãds
on peut fort raisonnablement les apprehender, &
qu’à moins que ce Bourgeron ne soit extrememẽt
consciencieux (ce qu’on ne peut croire sans crime)
il est infaillible qu’il ne reprendra le pouuoir auec
la mesme authorité qu’il auoit auparauãt, que pour
s’en seruir contre ceux qui l’auront trauersé.

Ce n’est pas tout, i’adioute encor à la probabilité
de ces apprehensions, que le Mazarin estant
restably, sera obligé par les raisons d’Estat,
empruntées en effet de plusieurs Politiques : mais
principalement de ceux de son pays, qui concluent
tousiours à la vengeance, de ne se tesmoigner point
insensible à tant d’outrages, & d’en poursuiure la
reparation par toutes les voyes que ses maximes

-- 38 --

luy pourront enseigner, pour faire plus heureusement
triompher sa passion. La raison n’en est que
trop sensible, parce que les Ministres qui laissent
dans l’impunité, vn attentat qu’ils auront descouuert
contre leurs personnes, tesmoignent par cette
indulgence qu’ils manquent de resolution. Et
s’imposent par mesme raison, vne necessité indispensable
de ne pouuoir rien refuser, ou d’estre sujets
à toutes les violences ausquelles les mescontens
se porteront d’autant plus facilement, que
moins ils verront de danger à choquer celuy, que
les inpunités precedentes auront fait passer dans
leur esprit, ou pour vn lache qui n’a seulement pas
assez de courage, ou pour vn impuissant qui manque
de force pour s’en ressentir auec honneur.

 

Cette verité ne sera pas encor moins euidente à
ceux qui voudront considerer que les Fauoris,
quelque éleués, qu’ils soient par dessus les testes
des autres, sont neantmoins subiets aux secretes entre
prises de ceux, qu’vne presomption de ie ne sçay
quoy de plus éclatant, qu’ils reconnoissent en leurs
personnes, fait regarder auec ialousie ; & cette enuie
se porte d’autant plus resolument à brasser des
Monopolles contre celuy qu’elle ne peut point regarder
sur vn degré plus éminent que le sien, sans
despit ; que moins elle a de subiet d’apprehẽder ses
poursuites, lors mesme que ses mines sont éuantés
ou par l’imprudence de sa conduite particuliere ;
ou par les veilles de ceux qui sont commis à la garde

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de sa personne : Ainsi ie pense qu’il appert clairement
que la vengeance n’est seulement point
permise : mais encor enseignée, & pour l’ordinaire
enjointe par les politiques des Estats ; & que les
Ministres qui sont esleués aupres de leur gouuernail
par la faueur de leur Souuerains, sont obligez
de ne laisser rien dans l’impunité, de peur qu’en
donnant vne idée fort probable de leur lacheté ou
de leur foiblesse, ils ne releuent le courage de ceux
qui se preuaudroient de cette connoissance, pour
brasser incessamment de nouueaux desseins.

 

Qu’on concluë de ces veritez si l’apprehension
des vengeances du Cardinal Mazarin, apres son
restablissement n’est point raisonnable ; puis que
la politique mesme y fait trouuer de la necessité ;
Et si c’est sans beaucoup de porobabilité que i’auance,
que ne deuant ny ne pouuant point laisser
sans punition les outrages qu’il a reçeu, lors qu’il
se verra restably dans sa premiere authorité, nous
deuons conspirer pour former des obstacles inuincibles
à son retour, qui ne peut reüssir au gré de sa
passion, qu’auec le bouleuersemẽt general de tout
cét Estat, & la continuation infaillible des mesmes
troubles, qui trauersent nostre repos depuis tant
d’année.

Mais ne raisonnons pas pour prouuer que la
Reyne, supposé qu’elle puisse restablir son Mazarin,
restablira par consequent vne tyrannie qui n’a
point d’exemple : il nous doit suffire de sçauoir les

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prote stations qu’elle à si souuent reïterées, pour
nous persuader, que ses desirs ne s’assouuiront iamais,
qu’auec nostre sang ; & qu’il faut ou qu’elle
perisse ou que nous perissions.

 

ADVERTISSEMENT AV LECTEVR.

Depuis le Formulaire d’Estat, ie n’ay fait paroistre
que le Caducée d’Estat, le Coup d’Estat du
Parlement des Pairs, le Royal au Mazarin, & l’Aduocat
General, pour les autres ouurages que vous auez
veu sous la methode de mes tiltres, ils ne m’appartiennent
pas : adieu.

FIN.

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Dubosc-Montandré, Claude [?] [1651 [?]], L’APOCALYPSE DE L’ESTAT, FAISANT VOIR, I. Le Paraelle de l’attachement que la Reyne a pour le Mazarin, auec l’attachement que Brunehaut auoit pour Proclaïde, & Catherine de Medicis pour vn certain Gondy. II. Que l’attachement de la Reyne pour le Mazarin est criminel d’Estat. III. Que ce mesme attachement donne fondement à toute sorte de soupçon. IV. Que par cet attachement la Reyne fait voir qu’elle ayme plus Mazarin que son Fils. V. Que par cet attachement la Reyne dispose toutes choses à vn changement d’Estat, ou à l’establissement d’vne tyrannie qui sera sans exemple. , françaisRéférence RIM : M0_98. Cote locale : B_4_18.