Dubosc-Montandré, Claude [?] [1650 [?]], LE TOMBEAV DV SENS COMMVM OV LE RENVERSEMENT DES IDEES DE TOVS les Sages. I. Iustifiant la detention des Princes. II. Prouuant la necessité du retour de Mazarin. III. Iustifiant les maluersations de ce Ministre. IV. Faisant voir que la Reine a contribué plus que tout autre à la perte de ce Ministre. V. Prouuant la necessité du restablissement des subsides. VI. Destruisant le rang pretendu de Ministre d’Estat. VII. Et bastissant la religion sur les deux scandales qui la destruisent. , françaisRéférence RIM : M0_3784. Cote locale : B_18_35.
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LE TOMBEAV DV SENS
Commun.

IE m’en vay renuerser tous les principes de la
Logique par vn raisonnement contradictoire
à toutes ses maximes : Ie m’en vay choquer la
creance la plus raisonnable du sens commun, par
l’establissement des opinions qui ne peuuent
estre fondees que sur ses ruines : Ie m’en vay tirer
des consequences infaillibles & necessaires, qui
n’auront neantmoins point en apparence aucun
rapport auec leurs antecedens Bref, ie m’en vay
argumenter à la mode.

1. Monseigneur le Prince a esté emprisonné, pendant
le Ministere de Mazarin, Monseigneur le
Prince estoit donc innocent : Monseigneur le Prince
n’auoit iamais des obligé ny le Roy ny l’Estat pendant
le Ministere du Cardinal Mazarin, donc Monseigneur
le Prince deuoit necessairement estre emprisonnẽ
pendant le mesme Ministere : Ne fais ie pas fremir
par ces propositions toute la dialectique d’Aristote ?
Ne combats-je pas d’abord tout ce qu’il y a
de raisonnable dans la Politique ? Ne semble t’il

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pas que ie n’en veus qu’au sens commun ? & ne
diroit-on pas à bien considerer ces Entimemes,
que ie veux forcer la verité dans ses retranchemens,
que i’attaque la raison dans ses forts, &
que ie veux asseoir le mensonge sur le throsne de
la verité par le ministere propre de ceste impeccable ?
Il est vray, qu’à ne regarder mes propositions
que dans leur seule escorce ; on en pourroit
former ces horribles iugemens : Mais ceux qui
voudront les penetrer auec moy, trouueront que
les consequences sont tirees en droite lignees de
leurs antecedens, & qu’à moins que de discourir
de ceste façon contradictoire, il falloit necessairement
que ie tombasse dans l’erreur.

 

Monseigneur le Prince a esté emprisonné pendant
le Ministere du Cardinal Mazarin, comme cét antecedent
ne reçoit point de doute, aussi ne le
prouueray je pas, me contentant seulement de le
parafraser en ces termes : Celuy qui auoit affermy
l’Estat contre les secousses estrangeres des
anciens ennemis de la Monarchie a esté emprisonné
pendant le ministere de celuy qui alloit
ébranlant tous les iours les fondements de cét
Estat, par la malice ou par l’imprudence de ses
intrigues : Celuy qui n’a iamais eu de plus forte
passion que celle d’agrandir les bornes de la Monarchie,
par les victorieux progrez de ses grandes

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des conquestes ; a esté emprisonné pendant le ministere
de celui qui n’auoit point de moindre attachement
que celui de pousser le succez de nos
affaires, pourueu qu’il peust affermir l’incõstance
de ses interests particuliers. Celuy qui se faisoit redouter
de nos ennemis par les victoires qu’il en
remportoit aussi souuent qu’il les donnoit, & qui
se faisoit adorer de tous les François, par la consideration
des heroïques qualitez qu’ils reconnoissoient
en sa personne, & des importans seruices
qu’il rendoit tous les iours à l’Estat ; a esté emprisonné
pendant le ministere de celui qui ne se faisoit
aymer de nos ennemis, que parce qu’il leur
trahissoit nos conquestes, & qui ne se faisoit haïr
de tous les François, que parce qu’ils le reconnoissoient,
& trop incapable & trop malicieux pour
tenir le gouuernail de leur Estat : Enfin celuy qui
n’a iamais voulu que ce que tout le monde a iugé
necessaire pour la gloire de la Monarchie, a esté
emprisonné pendant le ministere de celuy qui
n’auoit iamais d’inclination, que pour ce qui choquoit
celle de tout l’Estat. Voila mon antecedent
auec sa paraphrase.

 

Monseigneur le Prince estoit donc innocent, voila
la cõsequence que ie puis prouuer auec la mesme
facilité que ie viens de paraphraser son antecedẽt :
& pour cét effet, ie dis que le seul moyen que les
Grands ont de se conseruer dans la faueur sans

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pouuoir iamais encourir le hazard de se voir disgraciez,
n’est autre que celui qu’ils peuuent emprunter
d’vne certaine complaisance aueugle,
auec laquelle ils doiuent receuoir les ordres de
ceux qui en sont les Ministres souuerains. Et cette
complaisance est tellement la mere nourrice des
grandes fortunes, qu’on n’en voit point auiourd’hui
qui puissent subsister autrement que par sa
seule conduite ; D’oû vient que la subsistance des
sieurs de Gassion & de Treuille passa pour vn miracle
politique pendant la tyrannie du Cardinal
de Richelieu, en ce que ne s’estant iamais voulu
rendre complaisans aux volontez souueraines de
ce Neron trauesti, ils ne laisserent pas nonobstant
de se maintenir tousiours auec la mesme asseurance,
que s’ils eussent esté les plus grands flateurs
de la Cour.

 

Ne sçait on pas que la perte d’vn gouuernement
& de la vie, & l’emprisonnement du Mareschal
de Rantzau ont esté les cruels effets d’vn refus que
ce heros fit d’affoiblit la garnison de Donkerque,
pour en renforcer les troupes de Mazarin pendãt
le siege de Paris ? Ne sçait on pas que le Comte de
Chauigny ne déchut il y a quelque temps de la faueur
que parce que Mazarin le iugeoit trop honneste
homme pour deuoir estre complaisant à
l’impertinence de sa conduite ? ne sçait on pas,
dis ie, que mesme depuis peu Monsieur de Chasteau

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neuf n’a quitté les Sceaux que parce qu’il a
refusé de se rendre complaisant à la iuste passion
que la Reine auoit de le faire souscrire à vn Arrest
du Conseil Secret, porté pour l’interdiction du
ministere, à toute sorte de Cardinaux.

 

Il faut donc necessairement que la complaisance
aueugle pour toutes les volontez de celuy que
la faueur a fait le dispensateur de toutes les charges
de l’Estat, soit l’Ariadne qui dirige les fortunes
des Grands ; & que ceux qui briguent d’auoir
rang parmy les plus auãcez se resoluent de seconder
constamment toutes les intentions de ces petits
Dieux de Cour, sans se lasser iamais de porter
le ioug de ceste seruitude, qui ne captiue pas
moins leurs bras que leurs esprits, soubs le pouuoir
tyrannique de celuy que la fortune & la faueur
ont fait la premiere intelligence de l’Estat :
Tellement qu’il faut mesme se resoudre à reconnoistre
vne excellente conduite dans les plus visibles
imprudences ; à voir les mines secretes qu’il
fait ioüer auec les ennemis de l’Estat, sans les évanter ;
à ne reculer point de conspirer aucc luy dans
les plus pernicieux complots ; & à ne s’interesser
pas trop chaudement pour le progrés des affaires
qu’à mesure qu’on pourra reconnoistre que le Ministre
fauory le souhaite ; autrement comme ce
dernier dispose souuerainement de la faueur, il
ne luy est rien de plus aisé que de déguiser les plus

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fidelles seruices du meilleur sujet en des crimes
d’Estat, & de faire punir celuy qui ne seroit point
au gre de ses caprices, pour des raisons mesmes,
pour lesquelles il deuroit estre recompensé.

 

Cela estant presuposé, ie dis qu’on peut asseurer
sans se tromper, que celuy qui pousse sa fortune
pendant la tyrannie de quelque fauory, se rend
infailliblement complaisant à seconder toutes ses
volontez ; & qu’au contraire, celuy qui trouue
des obstacles à son agrandissement, est ou trop genereux
pour se soûmettre auec tant de lacheté, ou
trop peu complaisant pour adorer sans relasche
toutes les inclinations de ce fauory : d’où ie conclus
que, M. le Prince ayant tousiours fait le contraire
du C. M. c’est à dire ayant trauaillé pour
augmenter la gloire de l’Estat pendant que Maz.
ne sembloit auoir de dessein que la flétir, ayant
versé son sang pour cimenter nostre repos pendant
que ce Cardinal ne broüilloit que pour troubler ;
Il faut donc necessairement souscrire à ma
consequence, & dire, Monseigneur le Prince a esté
emprisonné pendant le Ministere de Mazarin, donc
Monseigneur le Prince estoit innocent.

Le second entymeme est apparemment plus
contradictoire au sens commun, quoy qu’en
effet, il soir plus conforme à la raison que le precedent ;
c’est à dire, Monseigneur le Prince n’auoit
iamais desobligé, ny le Roy, ny l’Estat pendant le Ministere

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du Mazarin, donc Monseigneur le Prince deuoit
necessairement estre emprisonné pendant le mesme
Ministere : Si quelqu’vn en veut à l’antecedent
qu’il me fasse voir les crimes de cét Alexandre ? Si
les courses triomphantes des Prouinces sont des
sujets de mescontentemẽt pour le Roy, il a raison
de s’en plaindre ; si la ruine des forts les plus inaccessibles
de nos ennemis a troublé le repos de
l’Estat, il est vray que ce ne sera pas sans suiet que
l’Estat luy en voudra ; Si les morts des plus redoutables
Generaux de nos ennemis nous sont des
suiets de deüil, ie confesse que nous auons iuste
droict de regarder M. le Prince auec des yeux de
vengeance : Mais tout cela n’estant que des marques
tres authentiques de son courage, & des raisons
inuincibles des grandes obligations, dont
toute la France est redeuable à sa valeur, il appert
que ie puis asseurer sans contredit que M. le Prince
n’auoit iamais desobligé, ny le Roy, ny l’Estat.

 

Procedons à la preuue de sa consequence, dont
Monseigneur le Prince deuoit necessairement estre
emprisonné, ne semble t’il pas que i’aurois plus de
raison de conclurre en ces termes donc le ROY &
l’Estat ne deuoit point refuser à Monseigneur le
Prince, l’espée de Connestable ; donc l’Admirauté
ue deuoit assouuir qu’vne petite partie des plus
iustes pretentions de Monseigneur le Prince, dõc
il n’estoit point de recompense qui ne fust au dessoubs

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des merites de Mõseigneur le Prince, pourueu
quelle fust au dessous de la Royauté &c. il est
vray que ces consequences sont du moins apparemment
plus directes, quoy qu’en effet elles
soient encore moins infaillibles que celle que ie
suis en estat de prouuer.

 

Mais pour la rendre encore plus sensible ie presupose
en premier lieu que la conseruation du Mazarin
estoit incompatible auec le repos de l’Estat :
En second lieu, que Monseigneur le Prince estoit
le plus illustre & le plus redoutable de tous nos
Princes ; Et en troisiesme lieu, que Mazarin ne
pouuoit se perdre à moins qu’ils n’attentat à quelque
dessein qui fut au dessus des forces de son authorité :
Les Mazarins mesmes, c’est à dire les fols
& les enragez ne doutent pas de la verité de ma
premiere supposition : La seconde est authorisée
par le tesmoignage infaillible des histoires, & par
le consentement mesme de tous nos ennemis,
qui ne peuuent estre choqués que temerairemẽt,
lors qu’ils iugent du merite & de la valeur des nostres :
Pour la derniere, ie m’en vay l’establir à
l’espreuue de toutes sortes d’attaques.

Pour cét effet, ie dis que le Mazarin estoit tellement
ancré dans le gouuernement de l’Estat, qu’on
ne pouuoit l’en arracher, à moins que de choquer
les inclinations de la Reine, qui ne vouloit seulement
pas entendre parler de son esloignement ; à

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moins que de contre quarrer la protection de son
A. R. qui pretendoit le mettre à l’abry de toute
sorte d’assauts, à moins que d’empieter sur l’authorité
des Parlemens, qui le sous tenoit par leur silence :
Bref, à moins que de vouloir se charger de l’inimitié
d’vne bonne partie des Princes & des
grãds de l’Estat que l’interest auoit engagés dans
son party : Cela ne se peut point disputer.

 

Ie passe outre, & ie dis qu’il estoit tellement necessaire
que Mazarin fut éloigné du gouuernement
qu’il n’y pouuoit estre conserué qu’auec vn
danger manifeste que l’Estat Monarchique eust
encouru ; Cette suite est assez prouuee par la haine
irreconciliable que les peuples auoient contre ce
malheureux, par l’auidité insatiable qu’il auoit de
succer tousiours mesme en veuë de nostre impuissance
à pouuoir fournir ; par les menaces des
grands remuëmens que la France estoit desia en
branle de faire, pour le faire choir du gouuernail
de l’Estat, par la decadance visible où il alloit precipitant
tous les iours le plus ferme estat de nos
affaires, & par toutes les raisons que i’ay desia ce
me semble assez fortement estalees dans le discours
d’Estat.

Cela estant presupposé, ie raisonne de la sorte : Il
n’estoit pas moins difficile qu’il estoit necessaire
que le Mazarin fut chassé du gouuernement, à
moins qu’on ne rompit, ou qu’on ne donnast du

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moins quelque pretexte pour rompre l’attachement
que les Grands auoit à sa protection ; car
puis que ce mal-heureux ne subsistoit que par la
faueur des Grands, il me semble qu’il ne pouuoit
tomber, quelque necessaire neantmoins que cela
fut, à moins que les Grands ne cessassent de le soustenir :
Or est il que les Grands ne deuoient iamais
cesser de le soustenir à moins qu’ils ne s’y sentissent
obligez par quelque attentat extraordinaire
du Mazarin, qui leur rendit sa puissance redoutable,
& qui les fit entrer en ialousie de son pouuoir :
En veut on à ceste proposition. Si l’on veut se resouuenir
que les impositions auoient moins osté
qu’interressé les Grands à son party ; que les empeschemens
de la Paix auoient rendu Mazarin
plus necessaire que redoutable dans leur esptit, &
que la haine mesme du peuple estoit vn motif de
les opiniastrer à sa protection par l’espoir d’vne
plus infaillible recompense, que de les en détacher,
pour les rendre complaisans à l’auersion du
bas monde ; il falloit donc necessairement que
Mazarin attentat à quelque chose de plus hardy
qui peut obliger les Grands de se soustraire à sa
protection pour le laisser tomber.

 

Ie demande en suite s’il estoit en aucune façon
possible que son aueuglemẽt le portast à quelque
dessein plus ambitieux & plus extrauagant que
celuy de faire arrester les trois premiers Princes

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de cét Estat, de vouloir flétrir toute la gloire du
plus illustre Capitaine du monde, de payer d’vn
emprisonnement les seruices de celuy qui n’auoit
pas fait moins de pas qu’il auoit merité de Couronnes,
d’ebranler les trois plus fermes colomnes
de la Monarchie, & d’entreprendre dans la plus
grande foiblesse de cét Estat, ce qu’vn Roy Majeur
n’eut peut estre pas osé dans sa plus grãde vigueur :
Ie pense pour moy que nõ : Aussi a t’on veu qu’outre
que le succés de ce coup hardy luy a mis tout
le party des oppressez sur les bras, il l’a fait regarder
de toutes les autres puissãces de cét Estat auec
les yeux de ialousie, sur l’idée qu’ils ont eu que son
ambition ne se borneroit point à ce succés, &
qu’elle pretendroit desormais sans doute faire le
marchepied de tout ce qui seroit au dessous des
Princes, puis que les Princes mesme ne luy auroient
pas heaucoup cousté. Ainsi en attentat sur
les personnes sacrées de nos plus illustres Princes,
& principalement sur celle du plus redoutable &
du plus puissant de l’Europe, il a luy seul trouué le
moyen de se perdre, parce qu’ayant voulu esleuer
son authorité en vn estat où les Grands, qui seuls
le faisoient subsister, ne pouuoient point luy cõplaire
sans se détruire, il les a obligez de ne s’interesser
plus desormais que pour l’en faire dechoir :
Tellement que, veu la grande attache que Mazarin
auoit dans l’Estat par la protection des Grãds,

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veu la necessité de son esloignement, & veu l’impuissance
qu’on auoit de le procurer tandis que
ceux là le soustiendroient, il me reste à conclure
qu’il falloit necessairement que Mazarin s’auisast
d’attenter à ce coup, & que par mesme consequẽce
ce n’est pas sans raison que ie dis que puis que
Monsieur le Prince n’auoit iamais des obligé ny le Roy
ny l’Estat, mais au contraire, il falloit necessairement
qu’il fust emprisonné.

 

II. Le second dessein que ie m’en vay toucher,
fauorise du moins apparemment la passion des
Mazarins : En effet il la combat. Si le retour du
Mazarin est necessaire pour le repos de l’Estat, le
Duc de Mercœur n’en veut pas dauantage pour
coucher auec la Manchini ; c’est ce que souhaite
le Duc d’Espernon, pour rentrer dans le Gouuernement
de Guyenne ; c’est toute la passion de
Monsieur le Tellier & de Monsieur de Lyonne,
pour rauoir leurs charges de Secretaire d’Estat, &
de Secretaire des Commandemens de sa Majesté
Regente, le Comte de Seruient en est rauy pour
reprendre la possession du Ministere d’Estat ; Mais
le Duc de Beaufort, le Coadjuteur de Paris, le President
Charton, & le Conseiller Broussel ne souscriront
iamais à cette proposition, à moins qu’on
ne luy donne quelque autre plus beau iour pour
la mettre dans son euidence : & c’est ce que ie
m’en vay faire.

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Il est necessaire pour le repos de l’Estat que Mazarin.
reuienne, voila ma proposition Paradoxe : pour
la preuue de laquelle ie presupose que Mazarin a
esté la seule cause des desordres qui ont partagé
ceste Monarchie, & cela ne reçoit point de doute ;
que la disgrace, ou veritable, ou apparente est encore
le suiet des broüilleries qui troublent le repos
de la Cour, ce qu’on ne dispute point ; qu’il a
pillé la France par l’iniustice de ses impositions,
ce que les miseres publiques ne mettẽt que trop
dans l’euidence ; qu’il a voulu attenter à la personne
sacree de son A. R. apres auoir attenté sur celle
de mes Seigneurs les Princes, le peut on nier ; que
l’incertitude de sa disgrace nous fait viure dans les
alarmes de son retour, & que ses Partisans sont
encore occupez à faire ioüer leurs secretes menees
pour le rappeller dans le Gouuernement de
l’Estat.

Cela presuposé, ie conclus que son retour n’est
pas moins necessaire auiourd’hui, que son depart
l’estoit il y a quelques mois, & que les mesmes
raisons qui concluoient pour lors à son esloignement,
concluent à present pour son retour. N’est
il pas vray qu’il ne s’écarta que pour aller au deuãt
des orages qui menaçoient le repos de l’Estat, s’il
n’en abandõnoit le timon, & n’est il pas vrai qu’il
doit reuenir pour faire auorter les grandes apparences
qui menacent la Monarchie de mille funestes

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desordres s’il ne reprend les renes de sa
conduite ? iusques icy les Mazarins tombent
d’accord auec moy, mais voyons si nous serons
long temps dans ceste bonne intelligence.

 

S’il est necessaire que Mazarin reuienne, s’il est
necessaire que les François ne viuent plus dans
l’apprehension de son retour pour se révnir auec
leur Souuerain : Ceste premiere proposition est-elle
capable de choquer vn esprit raisonnable : Et
n’est il pas trop certain, que si les Subjets ne peuuent
point se tévnir auec leur Souuerain, pendant
qu’ils seront dans l’incertitude ou dans l’aprehension
du retour de ce Tyran ; Il est necessaire qu’il
reuienne ; par la mesme raison qu’il est necessaire
que les Sujets ne soient point diuisez d’auec leur
Monarque. Or est il neant moins que ceste vnion
Monarchique ne sçauroit reuenir dans l’Estat
pendant que le mesme Estat sera dans les apprehensions
du retour de celuy qui l’a desolé, parce
qu’il est tres certain que cette apprehension n’estant
rien autre chose qu’vn effet de l’idee, dont
on est preoccupé que ce voleur ne sçauroit gouuerner
sans piller tousiours, comme il ne sçauroit
subsister sans estre maintenu du Roy ; il ne se peut
que la pensee de son retour ne nourrisse ce premier
esprit de diuision, par les mesmes raisons, &
les mesmes motifs qui l’ont irrité. Il faut donc
conclure qu’il est necessaire que le Card. Mazarin

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reuienne. Il est vray que ie semble donner des armes
pour me détruire : Car s’il est necessaire que
le Cardinal Mazarin vienne, parce qu’il n’est pas
possible que les François se reünissent pendant
qu’ils seront dans les apprehensions du retour de
ce scelerat ; Par la mesme raison, il est encore plus
necessaire qu’il ne reuienne pas, parce que les
François ne pourroient iamais se révnir pendant
qu’ils ressentiroient les effets de sa tyrannie. Ie
m’en vay repartir à ce doute, & c’est icy que les
Mazarins enrageront de bon cœur.

 

S’il est vray que le repos de l’Estat est tousiours
deschité par la diuision de ses subiets, & que la
tranquillité publique ne sçauroit iamais compâtir
qu’auec l’intelligence de ceux qui sont les
membres du corps Politique, ie pense qu’vn
Roy qui n’est ialoux que de se témoigner le pere
de son peuple en luy donnant la Paix, ne doit
point auoir de plus forte passion que celle d’oster
tous les suiets qui peuuent fomenter les mécontentemens
publics, & de faire disparoistre toutes
les causes qu’il peur iuger deuoir estre la source
des desordres & des tempestes de son Estat : Cela
ne se dispute point. La seule raison qui a sousleué
tout l’Estat, n’est autre que l’insupportable tyrannie
du Mazarin ; c’est pour cela qu’on la fulminé,
c’est pour cela que le Roy mesme a conclu à son

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esloignement : La seule raison neantmoins qui
entretient encore tout l’Estat dans cét esprit de
reuolte n’est autre que la seule apprehension de
son retour ; que la peur soit ou bien ou mal fondee,
ie m’en rapporte ; Il faut donc que cét esloignement
ne suffise pas pour le repos de l’Estat.

 

Mazarin gouuerne tout le monde, tout le
monde crie au voleur voila qui va bien ; Mazarin
s’en va, tout le monde le chasse par ses inuectines,
cela est encore mieux ; Mazarin s’en est allé, tout
le monde tremble de peur qu’il reuienne ; il faut
donc necessairement qu’il reuienne pour rasseurer
tout le monde, voila vne consequence qui ne
semble pas bien tiree : Tout le monde tremble de
peur qu’il ne reuienne, il me semble qu’on pourroit
conclurre plus directement, en disant ; Il faut
donc qu’il ne reuienne pas pour rasseurer tout le monde,
apparemment ceste consequence seroit tres-bonne :
En effet, elle ne vaudroit rien, parce que
si Mazarin ne reuient pas, le peuple sera tousiours
dans l’apprehension qu’il ne reuienne, & par consequent
dans la premiere cause de ses remuemens :
Mais si Mazarin reuient, le peuple
est en estat de s’en deffaire, & par consequent
de n’apprehender plus que ce Tyran luy pese
sur la teste : Voila ce qui me coustoit tant à conclure.

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En effet, cette necessité que Mazarin soit sacrifié
à la haine publique, est si indispensable,
que le Roy ne sçauroit s’en deffendre, s’il veut
satisfaire aux manes de tant de pauures subiets tyrannisez,
s’il veut se remertre dans le cœur de ses
peuples, & s’il veut oster le preiugé d’vne semblable
tyrannie, à ceux qui pourroient estre les successeurs
de ce monstre dans le Ministere d’Estat :
Et pour ceste raison, apres que Mazarin sera reuenu,
le Roy trouuera cinq cens Vitris, & vn million
de Bourgeois, qui dechifreront ce Romain
en Marquis d’Ancre, si toutesfois l’impatience du
peuple ne se precipite pas pour en haster l’execution,
auant mesme que le Roy l’ait ordonné.

III. Si la desolation des Estats est ordinairement
l’effet infaillible du mauuais gouuernemẽt
de leurs Ministres, i’auray bien de la peine à prouuer
que le mauuais gouuernement du Mazarin a
esté tres aduantageux à la France ; ou plustost ie
dis, que si le mauuais gouuernement des Ministres
est la cause necessaire des calamitez publiques,
ie ne pourray prouuer que fort difficilement
que l’administration du Mazarin ait peu produire
vn effet contraire à celle de tous les autres : Il faut
ueantmoins que ie le fasse, puis que i’en ay entrepris
le dessein, & que ie me serue pour premiere
preuue de l’authorité de la saincte Escriture, qui

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donne de la necessité aux scandales, & qui iuge
mesme qu’il est expedient que les heresies se
sousleuent de temps de temps pour trauerser le
repos de l’Eglise.

 

Le premiere raison de laquelle ie pretends appuyer
cette verité m’est fournie par la reflection
que ie fais, qu’il est important aux Estats, qu’on
ferme la porte de leur gouuernement à toute sorte
d’Estrangers, par l’impossibilité qu’ils ont d’y
pouuoir enter sans donner pretexte à la ialousie
de se sousleuer, & sans faire naistre des brigues,
qui ne sõt pas de moins lõgue durée que leur Gouuernement,
comme l’experience ne nous a que
trop fait voir pendant la tyrannie des deux derniers
Italiens : Or est il qu’il estoit à craindre que
la porte ne leur en deust estre facilement ouuerte,
& par mesme raison au pretexte de faire des
sousleuemens, si les Ministere du Marquis d’Ancre
ayant desia commencé à nous dégouster de la
conduite estrangere par l’insolence ou l’impertinence
de ses deportements ; le Mazarin n’eut encore
enchery par dessus toutes ses extrauagances,
pour nous faire protester par serments publics,
par Arrests solennels, & par Declaration du Roy,
que iamais Estranger ne mettroit le pied dans le
Gouuernement de l’Estat : Voila le premier aduantage
qui reuient à l’Estat de la tyrannie du

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Cardinal Mazarin, & qui n’est pas petit, si l’on
veut outre cela considerer qu’vn Estranger qui
prend les renes de la Monarchie se trouue reduit
à la necessité de l’establir par alliãce & par argent
pour se pouuoir maintenir dans ce haut degré :
S’il veut s’establir par alliance, il faut qu’il fasse
pancher la faueur du costé de ceux auec lesquels
il pretend s’allier ; Cela se peut-il sans ialousie ? s’il
veut s’establir par argent, il faut qu’il en cherche
par le moyen des impositions, & qu’il le dérobe
au Roy & au peuple ; cela se peut-il sans desordre ?
Il s’ensuit donc qu’vn Estranger ne pouuant gouuerner
l’Estat sans ialousie, & sans donner occasion
à beaucoup de troubles ; & le mauuais gouuernemẽt
du Cardinal Mazarin, ayant seruy pour
nous obliger d’en fermer la porte à toute sorte
d’Estrangers ; Que le mauuais gouuernement du mesme
Mazarin a esté tres aduantageux à l’Estat.

 

Ce n’est pas le tout, s’il est rien dans le monde
qui puisse faire subsister vn Estat dans sa vigueur ;
c’est la vigueur mesme de la Religion, laquelle
ne peut se relascher, sans faire à mesme temps que
les Subiets se relaschent de l’obeïssance qu’ils doiuent
à leurs Souuerains : La raison en est éuidente,
parce que dans le sentiment de tous les Sages,
la Religiõ est le lien de la communauté & la souueraine
des consciences qui s’escarteroient fort

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facilement de leur deuoir, si toutesfois elles n’y
estoient constamment rangées par le moyen du
scrupule qu’elle leur donne : Tellement qu’il est
de la plus oculée prudence des Potentats de n’auoir
pas moins les yeux sur le maintien inuiolable
de la Religion, que sur le maniment des affaires
Politiques, qui ne sçauroient iamais obuier à
vne decadence, que par le soin que leurs Ministres
doiuent prendre de les regler sur le niueau
de la Religion.

 

Ie dis maintenant qu’il est impossible que la
Religion subsiste dãs son esclat, & dans sa vigueur
pendãt que ceux qui en sont les intẽdans, & les
œconomes, seront dans la necessité de se mesler
du prophane, & de mendier la faueur des Cours
pour se maintenir : parce que l’esprit de la Religion
ne pouuant subsister que par la simplicité du
Christianisme, celuy de la Politique de Cour, qui
est double, le détruit, & les Prelats s’imposant la
necessité de mendier les faueurs des Grands pour
se maintenir, ou pour le pousser dans le haut degré
du Gouuernement, se priuent de la liberté de
releuer leurs defauts, de peur de manquer de
complaisance pour ceux qui les peuuent desobliger
dans la poursuite de leur ambition.

Or ie dis que l’Eglise sembloit estre en possession
de mettre le timon de l’Estat François entre

-- 23 --

les mains des Cardinaux, si l’administration
tyrannique des deux derniers, mais de Mazarin
principalement, n’eust obligé la France de s’oposer
aux pretensions que l’esprit trompeur d’vne
fausse Eglise commençoit d’auoir pour asseoir
constamment quelqu vn des siens auprés du
gouuernail de la Monarchie ; & si pour ceste
intention la Cour ne se fust sentie obligee de
proceder à exclurre les Cardinaux du Gouuernement,
par Arrest concerté & porté tres iudicieusement
moins au preiudice qu’à l’aduantage de
l’Eglise, qui ne trouuant point de porte pour
glisser quelqu’vn de ses enfans dans les grandeurs
du monde, bornera sans doute leur ambition à se
contenter d’establir leur fortune dans la Cour
Ciel ; & dans l’authorité de releuer les puissances,
si toutefois elles venoient à s’oublier de leur deuoir.
Ainsi ie conclus, que le mauuais gouuernement
du Cardinal Mazarin a esté tres aduantageux à l’Estat,
puis qu’en veue des desreglemens de la conduite
des gens d’Eglise, & des sinistres consequences
qu’on doit tirer de leur administration,
au desaduantage de la Religion qui ne peur se
relascher sans faire relascher la vigueur de l’Estat ;
on c’est aduisé d’obuier à ceste decadence infaillible
de la Religion & de l’Estat, par l’exclusion
de toute sorte de Cardinaux du Gouuernement.

 

-- 24 --

IV. Ie m’en vay choquer dans ceste quatriesme
proposition les preuues contraires & inuincibles
de l’experience, le sentiment des Politiques,
la creance publique ; bref ie m’en vay faire voir
que La Reine a ruiné la fortune du Cardinal Mazarin :
qui le croira ! S. A. R. sçait trop bien qu’il
ne l’a protegé pendant quelque temps que pour
complaire à la Reine qui le portoit malgré toute
la haine de l’Estat : Messieurs les Princes ne sont
que trop conuaincus que leur emprisonnement
n’a esté qu’vne simple complaisance que la Reine
auoit pour toutes les passions de Mazarin le Parlement
n’a pas tant reculé de fulminer la teste de
ce monstre que de peur de choquer la Regente,
qui se declaroit ouuertement pour sa protection :
les autres Princes & les grands n’ont esté de son
party, que parce qu’ils se sont imaginez qu’en
l’obligeant, ils obligeoient la Reine, dans l’esprit
de laquelle ils ne l’ont pas crû moins Souuerain
qu’ils ont cru qu’elle mesme l’estoit dans l’Estat :
les peuples en general n’ont ils pas protesté vnanimement
que ce Magicien Cardinal auoit ensorcellé
l’esprit de la Reine, pour tesmoigner
l’idee qu’ils auoient de son attachement à la deffence
de cét Estranger : il est vray, mais neanmoins
nonobstant cela ie soustiens que La Reine a ruiné
la fortune du Cardinal Mazarin.

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Pour cet effet ie raisonne de la sorte, & ie dis
que celuy qui a contribué de tout ce qui estoit
necessaire pour ruiner Mazarin, a ruiné le mesme
Mazarin ; ceste proposition est infaillible, s’il
est veritable, comme on ne sçauroit le nier, que
lors qu’on prend les moyens on en desire la fin,
ou du moins on semble la desirer : Or ie soustiens
que la Reine a pris tous les moyens qui estoient
necessaires pour ruiner la fortune du Cardinal
Mazarin ; & c’est ce que ie m’en vay mettre hors
de doute. Le Cardinal Mazarin quoy qu’estranger,
homme de peu, ne pouuoit neantmoins perir
estant appuyé de la faueur de la Regente, à
moins que se seruant de la faueur pour attenter
à des coups trop hardis, il n’obligeast l’Estat de
le perdre ; parce qu’il n’estoit pas croyable comme
il n’estoit pas raisonnable que la France eust
entrepris de choquer les inclinations de la Reine,
pendant que celuy qui en estoit l’objet ne s’en
seruiroit point au preiudice de l’Estat, & qu’il auroit
assez de retenuë pour moderer son pouuoir,
dans le bon heur excessif d’vne haute fortune :
Mais dés que la France a veu que le Cardinal Mazarin
s’esblouissoit dans le grand establissement
de sa fortune, & qu’il se seruoit de la faueur de la
Reine plustost pour establir sa tyrannie, que pour
faire reüssir la Regence de cet aueugle Princesses

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elle a cru estre obligee de ne souffrir point dauantage
cét insolent, & d’obuier par sa perte à la
ruine infaillible de l’honneur de la Regente, quelque
opposition neantmoins qu’elle ait fait pour
seconder vne fausse idee que cét imposteur luy
suggeroit de la conseruation inuiolable de son
authorité. Ainsi ie soustiens, que La Reine a ruiné
la fortune du Cardinal Mazarin, en ce que permetant
à son ambition de prendre l’essor à toute
sorte d’entreprises quelques temeraires qu’elles
fussent, elle a obligé tout l’Estat de s’interesser
viuement à sa perte, & par consequent ie dis
qu’elle a pris les veritables moyens qu’il falloit
pour faciliter la ruine de son Ministere, puis qu’en
moderant son pouuoir, il le mettroit a l’abry de
toute sorte de dangers : me peut on disputer cette
verité.

 

Mais ne nous contentons pas d’auoir effleuré
ce raisonnement ; estalons le vn peu plus au long
pour satisfaire plus pleinement aux curieux, &
disons qu’il n’estoit point de moyen plus asseuré
pour perdre le Cardinal Mazarin, que celuy de
le rendre l’obiet de l’enuie des grands & de la
haine du peuple, puis que tout le monde confesse
que ce sont les deux infaillibles escueils oû
tous les siecles ont veu que les fortunes de premiers
Ministres se sont enfin miserablement eschoüees,

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lors principalement que cette enuie &
cette haine se sont trouuees dans l’impuissance de
pouuoir souffrir dauantage les progrez de leur
obiet.

 

N’est il pas vray que la Reine n’auoit point
d’autre moyen pour mettre son Mazarin dans
l’enuie des grands, qu’en luy permetant d’attenter
à la liberté des trois plus illustres Princes de la
Monarchie, des plus redoutables Mareschaux de
France, & des Iuges les plus entiers des Parlements ?
N’est il pas vray qu’elle ne pouuoit iamais
le rendre plus entierement l’objet de la haine du
peuple, qu’en luy metant la bride sur le col pour
establir impunement toute sorte d’impositions,
& pour assieger les principales Villes de l’Estat,
sans autre raison que celle d’y rasseurer sa tyrannie
qui si trouuoit esbranlee par les secousses des
genereux C’est pourquoy si la Reine se fust contentee
de fauoriser le Mazarin sans luy permettre
d’abuser de sa faueur pour s’emporter impunement
à toute sorte d’excez, elle euit obligé les
grands de le regarder sans dessein de le perdre
parce qu’ils ne l’eussent peu qu’auec vne iniustice
visible ; les petits de le considerer auec respect,
parce que la modestie de ses deportements n’eut
point peu fonder le pretexte de leur haine.

Mais en luy laissant toute la conduite de l’Estat,

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sans la regler, elle a dispensé les grands de le respecter,
quelque authorité qu’il fut de l’honneur
de sa protection : en luy laissant pezer inhumainement
sur les testes des peuples, elle les a obligez
de l’en secoüer, quelque apuyé qu’il y fut de
son Authorité Ainsi ie dis par vne consequence
qu’on ne me disputera point que la Reine a ruiné
la fortune du Cardinal Mazarin.

 

V. Oseray ie bien proceder à la preuue de
cette cinquiesme proposition, sans crainte de
passer pour Maltoutier dans l’esprit du peuple ; &
d’authoriser encore les tyranniques impositions
du Cardinal Mazarin, par la necessité de celles
que ie pretends encore rendre necessaires ; & ne
dois ie pas craindre qu’on ne me prenne pour vn
Orateur aposté qui veut colorer l’iniustice des
leuees precedentes par la fausse necessité de celles
que ie pretends establir ? qu’on iuge de moy
comme on voudra, ie ne retracte pas encore ma
proposition & ie soustiens qu’il faut necessairement
establir de nouuelles impositions pour soulager le peuple.
Il est vray que ie demande de la prudence
dans cét establissement, & que ie ne pretends
point que la disposition en soit donnee qu’à des
personnes de probité, qui sçauront tellement
asseoir leurs impositions ; qu’elles ne pourront
estre qu’au grand soulagement des peuples.

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Auant que de prouuer cette verité ie presuppose
qu’il n’est que les ignobles & les rosturiers
qui puisse estre subiets aux tailles & aux impositions,
& que les seuls nobles & Gentil-hommes
en sont exceptez par la qualité de leur condition,
& par le preiugé raisonnable qu’on peut
faire qu’ils ont merité cette immunité par la consideration
des seruices qu’eux ou leurs ancestres
ont rendus à l’Estat : ie presuppose en second lieu
que le luxe estant comme il a tousiours esté la
principale source des desordres, il est expedient
pour le soulagement des peuples, qu’on en arreste
le progrez par quelque moyen, afin d’obuier
aux troubles qu’il pourroit produire : Ie suppose
en dernier lieu, qu’il est expedient que le Sur intendent
à qui on donnera cette commission d’establir
de nouueaux subsides, connoisse le fort &
le foible de la France, afin qu’il ne charge pas que
ceux ausquels il ne sera point insuportable.

Apres ces presupositions qui n’ont ce me semble
pas besoin de preuue, ie dis que s’il n’est que
les Gentils hommes qui soit exempts des impositions
& des tailles ; tous les rosturiers y sont par
consequent subiets : Ie dis en second lieu que le
luxe estãt la cause la plus ordinaire des desordres,
il est de l’authorité & de la iustice du Monarque
de le retrancher : Et en troisiesme lieu ie soustiens

-- 30 --

que le mesme Souuerain est obligé d’establir
ses subsides sur les aisez visibles, & d’espargner
les foibles, tant pour commander en Roy
que pour faire voir sans dispute qu’il est pere :
tout cela est hors de controuerse.

 

Cela estant, il faut donc voir quels sont les
Gentils hommes, quels les roturiers, quels les
pauures, quels les riches, & quelle la veritable
cause du luxe ? Vn tel partisan de la ruë...... qui
a trois cens mil liures de rente, est il Gentil homme
ou rosturier. S’il est Gentil homme il est raisonnable
qu’il ioüisse de son immunité ; s’il est
rosturier il est également raisonnable qu’il soit
traité comme tel, & que si par exemple il faut
payer sol pour liure, il paye tous les ans au Roy
quinze mil liures, encore le traitera t’on auec
trop de douceur. Si cét autre Partisan du pays des
traitres qui est à la veille d’auoir deux millions de
rente, oprodigium inauditum in regno Christiano, est
encore Gentil homme, le Roy ne doit point violer
le droit qu’il a de viute dans son immunité ;
mais s’il est rosturier comme tout le monde sçait
ne luy faira ton pas grace quand bien on ne luy
demendera tous les ans que cent mil escus pour
les Espargnes du Roy. Si cet intendant qui a ruiné
le Limousin & Langoumois est noble, qu’il
viue en cette qualité : mais si c’est vn vilain & vn

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coquin trauesty en homme de Robe longue,
qu’elle iniustice luy faira ton de luy demander la
moytié du bien qu’il possede, puis qu’il apartient
entierement au peuple, auquel il l’a volé & au
Roy à qui il deuoit le rendre : Or ie dis que le Roy
en se comportant de la sorte, trouuera plus de riches
vilains dans les ruës S Avoys, Chapon, Betizy,
la Verrerie, saincte Croix de la Bretonnerie, &c.
Que dans toutes les Prouinces de France ; & qu’il
donnera plus d’esclat à l’authorité Royalle en
forçant ces vilains empourprez de fournir aux necessitez
de l’Estat qu’en faisant courir vne armee
de fuseliers par tous les deserts de la Monarchie.
Et c’est pour cette premiere raison que ie soustiẽs
qu’il est necessaire qu’on establisse de nouuelles impositions
pour le soulagement des peuples, parce qu’outre
que ces fameux vilains n’en seront pas incommodez,
tous les autres pauures se réjoüiront de voir
que leur ancien bien sort des tresors des voleurs,
pour entrer dans les Espargnes du Roy.

 

Ie poursuis encore l’establissement de mon
dessein par vne seconde preuue, & ie dis qu’il
n’est pas moins necessaire qu’on establisse de
nouuelles impositions qu’il est necessaire qu’on
retranche de l’Estat toute sorte de luxe, parce que
la liberté que le peuple prend de s’emanciper à
ces magnificences extrauagantes de l’exterieur,

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n’est autre chose qu’vn put effet de la trop grande
indulgence du Roy, ou de la mauuaise cõduite
de ses Ministres, qui deuroient regler sur ces
pompes debordees des habits, les idees qu’il faut
conceuoir des richesses du particulier. Ie pense
que personne ne doute point qu’il ne soit absolument
necessaire de retrancher toute sorte de luxe,
puis qu’il n’est que trop asseuré, que ç’a esté la
pepiniere des troubles & la mere nourrice des
dissensions qui ont de tout temps esbranlé les
Estats ; & que le luxe n’estant rien autre chose,
comme dit Saluian, qu’vn certain debordement
de l’abondance des biens qui sont dans la maison,
il est de la meilleure Politique des Monarques
de le retrancher, afin d’aller au deuant des
effets qui sont infaillibles à l’ambition lors quelle
est trop puissante : Ie dis ensuite de ce raisonne.
ment, qu’il est necessaire qu’on establisse de nouuelles
impositions pour soulager le peuple.

 

Mais il est vray que s’il faut establir de nouuelles
impositions, il faut les establir auec prudence
& voir sagement, où est ce que predomine cet
esprit de luxe, que sainct Irenee appelle le lutin
des dissensions. Ne sortons point de Paris, puis
que ce discours en doit entretenir les esprits, &
promenons nous vn peu par toutes les cõditions
pour y voir ceux & celles qui se tiennent dans

-- 33 --

leur deuoir ; & qui ont l’esprit & la force de borner
leur ambition dans les termes de l’estat où
Dieu les a fait naistre, si toutefois ils ne se sont esleuez
plus haut par la capacité de leur genie ;
Voyons y les droicts du Roy & ceux du peuple,
faisons y obeït les vassaux & regner le Souuerain,
& faisons qu’vn chacun se contente de ce
qu’il peut, & qu’vn chacun puisse tout ce que la
raison luy permet.

 

Si le peuple estoit pauure, verroit on des
mouchoirs de col de vingt ou trente escus sur des
simples femmes de rotisseur ; verroit on des laquais
habillez de couleur, portans le carreau à la
suite de certaines femmes de simple marchand :
verroit on des habits de trois ou quatre cens
francs sur des lingeres & sui des filles de Boucher :
verroit on les passements d’or & d’argent
honteusement abaissez iusques à estoffer les cottes
des Chandeleuses ? verroit on des filles de
chambres à la suite de celles qui ont autrefois
esté seruantes ? verroit on des portes cocheres
dans les maisons des marchands ? verroit on des
chapelliers ou des tailleurs aller par les ruës ou à
cheual ou en carrosse ? verroit on le rabis, le satin
& le veloux indiferemment sur toute sorte de
personnes, ou plus ordinairement sur ceux &
celles qui n’en deuroiẽt porter que pour border

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d’autres habits plus grossiers ? & n’est il pas vray
pour finir cette importune deduction, que les
habits seroient les marques infaillibles, qui distingueroient
les cõditions & les estats, & qu’on
ne seroit pas en peine estant à la promenade du
luxembourg & des Tuilleries, de distinguer vne
Duchesse d’auec vne Librairesse, vne Marquise
d’auec vne Espissiere ; & vne Contesse d’auec vne
Rotisseuse, par la ciuilité plustost que par la qualité
du meneur.

 

Il faut donc aduoüer que le luxe est bien extrauagant,
que le peuple a bien des richesses,
puis qu’elles desbordẽt auec tant d’excez, & que
le ROY a beau jeu s’il veut s’en seruir pour remplir
ses espargnes vuides : le passement, la soye,
l’escarlate, l’or & l’argent sont les marques de la
Noblesse, & les vieillards se peuuent ressouuenir
que du temps de l’abondance du siecle d’or de
Henry le Grand il ne falloit qu’vne dentelle
de trente sols, vn cotillon de simple tafetas, vn
manteau de couleur rouge qui eut l’apparence
d’escarlatte, pour monstrer que c’estoit ou vne
Damoiselle ou vn Gentil homme : les seruantes
& les hommes de chambres pourroient donc aujourd’huy
passer sous cét illustre titre, puis qu’on
en voit auiourd’huy beaucoup plus sous la soye
& sous l’escarlatte qu’on n’y voyoit autre fois de

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Damoiselles & de Gentils hommes. Que les impositions
s’en prennent à ceux-là, puis qu’ils en
ont trop & qu’ils ne peuuent s’empescher de le
faire paroistre ; que le Roy puize dans leur abondance,
qu’il chastie leur excez, ou du moins qu’il
impose vne certaine taxe sur tous ceux qui voudront
paroistre au dessus de leur condition qu’il
aura premierement limitée, & ie m’asseure qu’il
en tirera plus d’argent que de toutes les impositions
du Mazarin, sans fouler les pauures puis qu’il
les soulagera ; sans fouler les riches, puis qu’outre
qu’il n’en retranchera que les excez, il n’en exigera
que ce qu’vn chacun voudra contribuer par
la demangeaison qu’il aura de paroistre par dessus
le commun. Ainsi i’infere qu’il est necessaire qu’on
fasse de nouuelles impositions pour soulager le peuple.

 

VI. I’auray beau me mettre en peine pour
establir cette sixiesme proposition : les ambitieux
n’y donneront iamais les mains, & les vains s’imagineront
tousiours que le Ministere est vn degré
digne d’estre brigué par vn homme de cœur, qu’ils
s’opiniastrent tant qu’ils voudront dans cette heresie
moralle, ie me tiens fortement à ma proposition,
ie conteste qu’vn homme de cœur ne doit
point briguer de monter à vn rang, ou il est infaillible
qu’il ne sera pas seulement regardé auec
enuie : mais qu’il ne pourra pas si maintenir qu’auec

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la creance qu’on aura de luy que c’est vn méchant
homme : cela n’est pas moins veritable qu’il
est asseuré que tout homme de cœur doit preferer
sa reputation à toute sorte de bien, & faire
moins de cas d’estre haut éleué dans les grãdeurs,
que de se placer auec estime dans le cœur du
monde se soustiens maintenant, qu’vn homme
ne sçauroit porter & conseruer vne reputation
innoncente dans le premier Ministere d’Estat ;
& qu’il faut necessairement qu’il se resolue d’y
estre consideré comme vn scelerat quelque ferme
dessein qu’il ait de si comporter en homme
de bien : ie le prouue premierement par l’idée
generale qu’on à que tous les Ministres qui ont
gouuerné l’Estat depuis la Regence de Marie de
Medicis iusqu’à celle d’aujourd’huy, n’ont iamais
rien valu ; & qu’il semble aux peuples qui ne se
conduisent que par imagination, que ce tang ne
peut estre occupé que par des voleurs des assassins,
& des veritables corsaires, puis qu’en effet
on ny a iamais veû que des personnes de cette
farine.

 

Mais ie dis que si le premier Ministere d’Estat
à iamais esté vn subiet d’horreur & d’auersion
mesme pour les plus ambitieux, il le doit estre
principalemẽt auiourd’huy, qu’il n’est pas moins
possible d’y entrer sans haine, que de si comporter

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sans tyrannie, peut on remplir vn rang que
Mazarin a remply sans y estre regardé de trauers ?
peut on croire qu’vn homme de bien puisse faire
l’office du plus meschant homme du monde sans
qu’il soit du moins en intention de marcher sut
ses traces ? peut on s’imaginer qu’on puisse faire
en homme de bien, ce que Mazarin a fait en scelerat ;
& qu’il soit possible d’auoir vne authorité
independante sans en abuzer ? & quand bien cette
impossibilité seroit combatuë par l’experience
du contraire ; n’est il pas vray qu’vn grand qui
prendra aujourd’huy la charge de premier Ministre
d’Estat sera obligé ou de la tenir dans l’infecondité
sans en faire aucune fonction, ce qui seroit
trop ridicule ; ou d’y faire voir les effets de
son authorité, ce qui ne se pourra sans danger ;
puis que recontrant cet Estat dans la plus grande
foiblesse qu’il ait iamais eu, & dans le plus grand
d’égout de toute sorte de Ministres, il ne pourra
resoudre aucune imposition comme il est neanmoins
obligé par l’indigence des Espargnes du
Roy, sans fortifier quoy que faussemẽt peut estre,
les peuples dans leur premier idée, qu’en effet il
est impossible d’estre premier Ministre & d’estre
homme de bien. Cela me fait donc conclurre que
Le Ministere n’est pas vn degré digne d’estre brigué
par vn homme de cœur.

 

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VII. Auant que d’establir les preuues de cette
derniere necessité ie presupose que tout le monde
sçait que les Iansenistes accusent Molina d’estre
Semipelagiens & par consequent heretique ;
& que les Molinistes accusent Iansenius d’estre
Caluiniste, & par consequent aussi heretique ;
Ie presupose en outre comme il est tres vray que
tous nos Docteurs sont ou Iansenistes ou Molinistes
& par consequent heretiques les vns dans
l’opinion des autres : En troisiesme ie presupose
que les peuples qui ne se dirige que par ses
Docteurs se trouue reduit à des grandes perplexitez
de scrupule par la necessité où il se voit reduit
de se rendre le Docteur de ses Docteurs, c’est
à dire de condamner les vns en les reprouuant
comme des desesperez, pour se soûmetre au sentiment
des autres : Ie defie & les Iansenites & les
Molinistes de me pouuoir nier aucunes de ses propositions.

Apres cela ie raisonne de la sorte : si ie dois suiure
mes Docteurs, ie les dois principalement
suiure dans la connoissance qu’ils me donnent de
la bonne ou de la mauuaise doctrine, par ce qu’il
ne m’appartient pas d’en iuger : mes Docteurs me
disent que la Doctrine de Iansenius est eronnée,
il est donc éuident que la Doctrine de Iansenius
ne doit point estre suiuie : mes Docteurs me di

-- 39 --

sent que la doctrine de Molina est pernicieuse, il
est donc euident que ie la dois fuir, il est donc
éuident que l’vn & l’autre doctrine ne vaut rien
puis que l’vne & l’autre est condamnee par les
Docteurs que l’Eglise a ordonné pour me diriger,
vn homme de sens qui ne soit point interressé
sera de mon party.

 

Les deux doctrines ne vallent donc rien, ou
du moins elles sont dangereuses, puis que ie ne
puis les embrasser sans scrupule, que faut il faire ?
le dessein qui se brasse au grand aduantage des
consciences, & qu’on fera bien tost éclore, nous
le monstrera par l’admirable establissement d’vne
simplicité de creance que certaines personnes
de probité veulent metrre dans l’idee des gẽs
de bien, pour leur faire fermer les yeux de l’esprit
au desir extrauagant de sçauoir ce qui ne peut
point estre compris par l’entendemẽt humain, &
qui ne peut point estre discuté sans vn danger
euident de tomber enfin dans l’opiniastreté de
l’heresie : Ie supplie les gens de bien, d’ouurir &
le cœur & les oreilles à ce dessein pieux ; qui ne
manquera sans doute pas de donner l’alarme à
Iansenius & à Molina, lors que sans les condamner,
il leur fermera tellement la bouche qu’ils ne
pourront le cõbatre que par le seul motif de faire
valoir leur party, puis qu’il ne leur imposera le silence

-- 40 --

que pour les reunir tous ensemble par la
confession de leur ignorance & de leur foiblesse :
ce dessein paroistra dans cette sepmaine, & l’autheur,
dont Dieu s’est serui pour le faire valoir en
a desia donné l’œconomie dans vn certain liure
intitulé La chaine de l’Hercule Gaulois : c’est aussi
ce qui ma fait conclure qu’il estoit necessaire que les
Iansenistes & les Molinistes s’entracusassent d’erreur,
pour donner occasion à cette simplicité de creãce
qui ne sera moins establie pour ietter la confusion
dans les deux partis, que pour fermer desormais
la porte à de semblables erreurs.

 

Si ces paradoxes sont aprouuez ie pourray encor
en fournir quelques autres pour l’entretien
des bons esprits, cependant que ie me dispose de
donner du marteau à Iansenius & à Molina, c’est
à dire de les traiter d’Heretiques, si toutefois ils
ne relaschent en suitte de cette simplicité de
creance, de vouloir obliger le monde à croire ce
qu’ils ne sçauroient eux mesme rendre croyable
sans dispute.

FIN.

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Dubosc-Montandré, Claude [?] [1650 [?]], LE TOMBEAV DV SENS COMMVM OV LE RENVERSEMENT DES IDEES DE TOVS les Sages. I. Iustifiant la detention des Princes. II. Prouuant la necessité du retour de Mazarin. III. Iustifiant les maluersations de ce Ministre. IV. Faisant voir que la Reine a contribué plus que tout autre à la perte de ce Ministre. V. Prouuant la necessité du restablissement des subsides. VI. Destruisant le rang pretendu de Ministre d’Estat. VII. Et bastissant la religion sur les deux scandales qui la destruisent. , françaisRéférence RIM : M0_3784. Cote locale : B_18_35.