Dubosc-Montandré, Claude [?] [1652], LE SCEPTRE DE FRANCE EN QVENOVILLE Par les Regences des Reynes, faisant voir par de naifues representations d’Histoires. I. Les desordres du pouuoir absolu des femmes en France, par. II. La mauuaise Education des Roys. III. La pernicieuse conduitte de l’Estat. IV. Les horribles factions qui s’y sont esleuées, & qui ont souuent mis cette Monarchie à deux doigts de sa ruine. V. Et le moyen infaillible de remedier à tous ces desordres, si l’on veut s’en seruir efficacement & dans l’vsage des Loix Fondamentales. , français, latin, italienRéférence RIM : M0_3598. Cote locale : B_4_8.
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LA REGENCE
DES REYNES
EN FRANCE,
OV
LES REGENTES.

I. CLOTILDE Vefue de Clouis, &
Tutrice des Enfans de Clodomire Roy d’Orleans
son fils, & du mesme Clouis.

CLOTILDE fut fille de Chilperic, petite
fille de Gondenge, & niéce de Gombaut
Roys de Bourgongne. Elle fut éleuée
à la Cour de cet oncle, apres la mort
de son pere qu’il auoit priué du Royaume
ensemblement, & de la vie. Depuis elle fut recherchée
en Mariage par nostre Roy Clouis, & luy

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fut accordée presque contre le gré de Gombaut, lequel
apprehendoit qu’ayant en main la puissance
souueraine, elle ne vangeast la mort de son pere & de
ses freres. Elle contribua beaucoup à la conuersion
de Clouis en la foy Chrestienne, autant par ses prieres,
& par sa bonne vie, comme par ses frequentes
persuasions, & ses sainctes remonstrances. Ce Prince
se treuuant en peine à la bataille de Tolbiac, fit vœu
que s’il demeuroit victorieux des Alemans, il croiroit
au Dieu de sa femme, & se feroit baptizer : Ce
qu’il fit, apres auoir esté instruit aux plus saincts mysteres
de nostre Religion, par sainct Remy Archeuesque
de Reims. Clotilde le porta depuis à rendre ses
premiers deuoirs au S. Siege ; enuoyant au Pape Symmachus
vne Thiare à trois couronnes, qu’il auoit receu
de l’Empereur Anastase, & que les Papes portent
encore aujourd’huy sur leurs armes, comme la marque
la plus illustre de leur Grandeur. Elle induisit en
suite le Grand Clouis seul Roy Catholique au monde,
en ce temps, à faire la guerre aux Princes heretiques
ses voisins : premierement à Alaric Roy des Visigots,
puis à Gombaut son oncle Roy de Bourgongne ;
plustost pour ce que ces Princes estoient Arriens,
que pour ce que l’vn s’estoit reuolté contre
luy, & que l’autre s’estoit montré extremement cruel
enuers elle, & toute sa famille. Elle fit bastir en France
plusieurs Temples magnifiques, & entre autres celuy
de S. Pierre & S. Paul, consacré depuis en l’honneur
de saincte Geneuiefve à Paris ; où le Grand Clouis
fut enterré, auec vne telle reputation de pieté & de

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vertu, qu’elle luy fit meriter, & à tous ses descendans,
le sur nom de Roys TRES-CHRESTIENS.

 

I.
Clotilde
Reyne, &
femme de
Clouis.

L’histoire
de Clotilde
est touchée.
plus au lõg
par Aymon,
& par le
P. Caussin,
Tom. II. de
la Cour
Saincte.

Greg. Tur.
6. 32. lib. 2.

Aimon.
cap. 19. l. I.

Testament
de S. Remy.

Estant Vefue, elle assista au partage que ses enfans
firent du Royaume en quatre parties, où Childebert
fut Roy de Paris, Clotaire Roy de Soissons, Clodomire
Roy d’Orleans, & Thierry Roy de Mets. Apres la
mort de Clodomire, qui fut tué miserablement par
Gondemar Roy de Bourgongne. Clotilde prit en
main la Tutele de ses enfans Thibaut, Gontaire
& Clodoalde, & tout ensemble la Regence de leur
Estat. Elle les éleuoit dans son Palais auec des soins
tres-particuliers, & vne affection plus que de Mere,
lors qu’ils luy furent cruellement enleuez par leurs
oncles Childebert & Clotaire ; lesquels ayans ces
ieunes Princes en leur possession, enuoyerent à Clotilde
vn Poignard & vn Cizeau, pour choisir l’vn
des deux, ou de les voir tuer, ou de les faire tondre.
Cette Princesse surprise d’vn si horrible crime, & s’estant
écriée, Aussi tost morts que Moines ; Clotaire
possedé d’vn esprit de fureur, prit l’aisné de ses Enfans,
& le tua en la presence mesme de ses freres ;
Childebert liura le second à vn soldat qui luy passa
l’espée au trauers du corps : & pour diuiser le sort, le
Troisiesme fut tondu, & ietté dans vn Cloistre ; &
c’est le S. Cloud que nous honnorons aupres de Paris.
Clotilde inconsolablement affligée, autant du
crime de ses Enfans, que du malheur de ses petits
fils, quitte la Cour, & se retire à Tours aupres du
tombeau de S. Martin, où elle passa le reste de ses
iours dans des exercices continuels de pieté, & de mépris

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du monde. Le sensible regret qu’elle y eut encore
depuis, de voir ses enfans se faire la guerre l’vn à
l’autre, apres auoir vaincu tous leurs ennemis, fut
beaucoup moderé par la ioye qu’elle eut de les voir
heureusement pacifiez par ses prieres, & par sa conduite,
& de mourir en leur presence, & comme entre
leurs bras. Son Corps fut porté à Paris, & enterré en
l’Eglise de saincte Geneuiefve aupres de celuy de
Clouis. Princesse à laquelle la France demeure eternellement
obligée d’estre Chrestienne, & que l’on ne
peut nier auoir beaucoup fait, puis qu’elle a porté la
Saincteté iusqu’à la Cour, & que d’vne Reyne elle en
a fait vne Saincte.

 

II.
Clotilde
Regente, &
femme de
Clouis.

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II.
BRVNEHAVT Vefue de Sigebert Roy de Mets, & Tutrice
premierement de son fils Childebert, puis de ses
Petits-fils Theodebert & Thierry ; & en fin
des Enfans de ce Thierry ; Sigebert, Childebert,
Corbe & Meroüée.

BRVNEHAVT fut fille d’Athanagilde
Roy des Visigots en Espagne. Peu
de temps apres son arriuée en France, qui
fut en l’an cinq cent soixante cinq ; elle
quitta l’heresie Arrienne en laquelle elle auoit esté
eleuée dés la naissance, & fut instruite en la Religion
Catholique qu’elle professa le reste de ses iours. Le
Roy Clotaire premier de ce nom auoit laissé à sa
mort quatre fils qui partagerent entre eux le Royaume
de France, sur le mesme plan que les quatre fils
du Grand Clouis leur ayeul. Cherebert fut Roy de
Paris, Gontran Roy d’Orleans, Chilperic Roy de
Soissons, Sigebert Roy de Mets ou d’Austrasie. Brunchaut
espousa ce dernier duquel elle eut trois enfans ;

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sçauoir Childebert, qui succeda à son Pere au
Royaume d’Austrasie ; & deux filles, Ingonde mariée
à Herminigilde Prince d’Espagne, & Glosinde marié
premierement à Antaric Roy de Lombardie, puis
à Recarede frere de Hermenigilde, & fils de Leuigilde
Roy des Visigots en Espagne. Cette Reyne conduisit
sa vie dans vne suite d’actions si peu reglée, &
dans vne route si inegale, qu’il est incertain d’asseurer
si on la doit plustost accuser de beaucoup de crimes,
ou l’en excuser du tout. Son mary Sigebert,
peu apres qu’il se fut rendu par plusieurs victoires paisible
possesseur de deux Royaumes, de Paris & de
Soissons, ayant esté traistreusement assassiné par les
menées de Fredegonde sa Riuale, lors mesme qu’il la
tenoit assiegée dans Tournay auec Chilperic ; Brunehaut
Princesse d’vn grand esprit, & d’vn courage
encore plus fort, prit en main la Tutele de son fils
Childebert en vn aage auquel il ne pouuoit pas seulement
se gouuerner luy mesme. A la premiere nouuelle
qu’elle eut du meurtre du Roy Sigebert son
Mari, pour mettre son Fils en vn lieu de seureté, auquel
ses ennemis ne pourroient point luy nuire, elle
le fit sortir de nuict hors de Paris, & descendre secrettement
des murailles dans vne corbeille d’ozier, entre
les mains de Gondebaut son Confident, qui le
conduisit à Mets, pour y receuoir le serment de fidelité
de ses Sujets, & se mettre dans la possession paisible
de son Royaume. Elle cependant est prise à
Paris, & exilée à Roüen, ou Meroüée second fils de
Chilperic, estant enuoyé par son Pere pour prendre

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la ville, se treuue pris par les yeux de Brunehaut, &
l’espouse en suite, bien qu’elle fust sa Tante. Ce Mariage,
contre les loix de l’Eglise, & contre les ordres
d’vn Pere, cause la mort à Meroüée, fils desobeissant ;
& le bannissemẽt à Pretextat Archeuesque de Roüen,
vn peu trop facile. Childebert ayant esté depuis empoisonné
auec sa femme Falembe par Fredegonde,
& ayant laissé de leur Mariage deux fils, Theodebert
& Thierry ; Brunehaut fut vne seconde fois Regente.
Elle leur diuisa d’abord les Royaumes que son fils
seul auoit possedez, donnant celuy d’Austrasie à
Theodebert & à Thierry celuy de Bourgongne : Ces
deux ieunes Princes sous la tutele de leur grand Mere,
poursuiuirent l’ancienne querele contre Clotaire
fils de Chilperic & de Fredegonde, qu’ils pretendoient
n’estre pas legitime, & par l’auantage de leurs
armes, ils le reduisirent au poinct de leur ceder les
deux plus belles parties de son Royaume, Orleans &
Soissons. Brunchaut estoit alors si fort en faueur aupres
de Theodebert son fils aisné Roy d’Austrasie,
qu’elle en disposoit absolumẽt ; & elle eut demeuré
long temps en credit dans cette Cour, n’eust esté, que
le scandale de ses amours auec Protade Gentilhomme
Romain, & le soupçon du meurtre de Guintrion
l’vn des Heros de ce siecle, la contraignirent de se retirer
en Bourgongne aupres de Thierry son second
fils, lequel elle arma aussi tost contre son aisné, luy
persuadant qu’il estoit fils d’vn Iardinier, & non pas
du Roy Childebert son pere. Ces deux freres à la
suscitation de leur ayeule, se font vne guerre d’autant

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plus cruelle, que l’vn defendoit sa naissance, & que
l’autre attaquoit vn Royaume. Theodebert est vaincu,
pris à Cologne, & tué par vn de ses gens, Confident
de Brunchaut, sa teste en fut apportée à Thierry,
& tous ses enfans tuez à Mets, horsmis vne fille
à qui la beauté sauua la vie. Ce pendant Thierry
ayant eu quatre Batards de diuerses femmes, espouse
Hermenberge fille de Dateric Roy d’Espagne, à la
persuasion du bon homme Sainct Colomban, qui receut
le bannissement pour le salaire de son zele. Brunehaut
ialouse de cet amour legitime, & craignant
d’auoir en sa Brû vne Riuale, vse de charmes, & fait
que son Fils ne pouuant souffrir la veüe ny l’approche
de sa femme, la renuoye en Espagne à son Pere,
comme incapable de porter des enfans ; & en sa place
il espouse Theodeberte pour auoir vne honneste
excuse d’enuahir l’Estat de son frere. Dans la iuste
apprehension d’auoir en cette Fille vne compagne
en authorité, Brunehaut s’efforce de le diuertir de
ce mariage par cette Raison, qu’il ne luy estoit point
permis d’espouser sa Niece : Perfide (dist-il alors en
mettant la main à l’espée) i’ay fait mourir Theodebert,
pour ce que tu m’as dit, qu’il n’estoit pas mon frere : &
maintenant tu me dis que ie ne puis espouser sa Fille pour
ce qu’elle est ma Niece. Et sans doute qu’il l’eust tuée
dans cette colere, n’eust esté qu’il en fut empesché par
quelques Seigneurs, qui furent les tesmoins de la noire
infidelité de l’vne, & de la iuste colere de l’autre.
La Reyne se voyant surprise par le propre tesmoignage
de sa parole, se resout de preuenir sa mort par

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celle du Roy, & ordonne son dessein dans vne conduite
si iudicieusement dressée qu’au sortir du bain
& de l’estuue, elle luy donne du poison pour du vin,
lequel luy fit rendre son ame auec son sang par vne
dissenterie languissante & mortelle. De là elle se porte
pour Regente de ses Enfans Sigebert, Childebert,
Corbe & Merouée, lesquels bien qu’ils fussent illegitimes,
furent appellés à la Couronne d’Austrasie
par le droit de leur naissance, suiuant l’vsage de ce
tẽps dans la premiere race de nos Rois. Mais Pepin &
Arnoul seigneurs principaux d’Austrasie ayãts conspiré
auec Varnier & Albon Maires du Palais, la perte
de Brunehaut & de ses arriere-fils, les liurerent au
Roy Clotaire leur ennemy, lequel ayant fait mourir
premierement ces petits Innocens, fit faire ensuite le
procez à leur ayeule. Par l’arrest des Seigneurs les plus
notables de sa cour, elle fut condamnée à estre liée
par les cheueux & par les bras à vn ieune cheual indomté,
& traisnée par des chemins difficiles & rabboteux
à la veüe de toute l’armée, pour qu’estant
déchirée en diuerses pieces, elle mourust autant de
fois qu’elle auoit fait mourir de personnes. Voila le
recit simple & abregé de la vie de Brunehaut ; mais
puisque, ce que iay dit iusqu’à cette heure, ne suffit
pas pour auoir vne cõnoissance parfaite de ses actiõs,
ie desire faire icy premierement vne liste des crimes
dont quelques autheurs l’ont chargée, & apporter
ensuite les iustifications dont les autres l’excusent,
pour en laisser l’entiere decision à mon lecteur.

 

I.
Histoire
de la vie
de Brunchaut.

I. On dit qu’ayant esté amenée d’Espagne à Sigibert

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par Gazõ Maire de son Palais, peu apres leur mariage
cõsommé, elle procura sa mort, aupres du Roy son
mari. II. Qu’elle espousa son Nepueu par vn mariage
incestueux, & fut cause de sa mort. En III. lieu,
Qu’elle fit mourir Guentrion l’vn des principaux
Seigneurs d’Austrasie, sans autre suiet que de ce
qu’il estoit trop agreable à son fils Theodebert, de la
cour duquel elle fut chassée pour cette raison. En
IV. lieu, Qu’elle fit Euesque d’Auxerre vn simple
païsan, pour ce qu’il l’auoit conduite lors qu’elle
estoit seule errante par les champs, à la cour de son
fils Thierri Roy de Bourgogne. V. Qu’estant
deuenue amoureuse de Protade, elle le fit Maire
du Palais de Bourgogne, au preiudice de Bertrand
Seigneur de grande qualité & d’vn merite extraordinaire,
lequel pour s’en deffaire, elle engagea
en toutes les entreprises perilleuses qui se peurent
presenter, & luy resolu de mourir en la bataille d’Estampes
contre Landry, où Merouée fils aisné de Clotaire
fut tué, il se mesla si auant au combat parmi les
ennemis qu’il acheta la victoire par sa propre deffaite,
ne voulant point suruiure à la disgrace de Brunehaut.
En sixiesme lieu, on l’accuse d’auoir fait tuer
Aigila Patrice Romain, sans autre suiet que pour auoir
son bien, se soüillãt ainsi d’vn double crime d’auarice
& de cruauté. Septiesmemẽt d’auoir enuoyé en
exil S. Didier Euesque de Vienne, & depuis de l’auoit
fait tuer à coups de pierre. Huictiesmement apres auoir
diuisé les Cousins entre eux, d’auoir encore diuisé

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les freres ses enfans, faisant croire à Thierri le cadet
que Theodebert son frere estoit fils d’vn iardinier.
Neufiesmement d’auoir lié par la force du charme
son fils le Roy Thierri auec Hermemberge sa
femme, ce qui fut cause de leur diuorce. Dixiesmement,
d’auoir contribué aux desbauches du mesme
Thierri son fils, & relegué en Angleterre S. Colomban
qui les reprenoit. Vnziesmement d’auoir fait
tuer sõ petit-fils Theodebert Roy d’Austrasie. Douziesmemẽt
d’auoir elle mesme tué deux de ses petits
Enfans, battant vne muraille de la teste du plus petit,
pour luy en faire sortir la ceruelle, & cela mesme deuant
qu’il fust baptisé. Treisiesmement, d’auoir fait
empoisonner le Roy Thierry son puisné duquel elle
auoit receu tant de bons offices. Quatorsiesmement
d’auoir voulu faire tuer Varnier par Albon Maire du
Palais d’Austrasie & de Bourgogne, lors que les ayant
enuoiés auec son fils Sigebert pour le mettre en possession
de ses Royaumes, elle escriuit à Albon qu’il
fit tuer Varnier : ce qui eust esté fait, n’eust esté que
les pieces de cette lettre dechirée par Albon, estans
reiointes auec de la cire par vn gentil-homme de Varnier,
la coniuration fut decouuerte, & toute la fourbe
retomba sur celle qui l’auoit faite. Quinziesmement
au suplice elle fut chargée d’auoir fait mourir dix
Rois François, sçauoir Sigibert son mari, Merouée
fils de Chilperic, le mesme Chilperic, Merouée fils
aisné de Clotaire, Childebert Roy d’Austrasie son fils,
Theodebert & Thierri ses petits fils, l’vn Roy d’Austrasie
& l’autre de Bourgogne, & trois autres de ses

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petits enfans Sigebert, Corbe & Merouée. Enfin
Brunehaut fille, femme, mere, ayeule, bisayeule de
Roy, est morte par sentence de luge & par la main
d’vn bourreau. Ces crimes sont horribles en vne
femme, & du tout execrables en vne Reyne tres-Chrestienne.

 

II.
Les crimes
dont on accuse
Brunchaut.

Furibundæ
Theodebertum
Clericum
fieri
voluit, &
post dies non
multos cum
iam esset
clericus, nimis
impiè
perimẽdum
curauit. Abbas
Ionas
in vita S.
Columbani.

Veniet Bruna
de partibus
Hispaniæ,
ante cuius
aspectũ
gentes vel
gentium
Reges peribunt.
Ipsa
autem calcibus
equorum
peribit.
Sybilla
gallica ex
Sigeberto &
Aimoyno.

III.
Iustificatiõ
de Brunehaut.

Mais certainement il est estrãge que la Reyne Brunehaut
qui souffrit tant de peine & de maux pendant
sa vie, iusque-là que de veoir sa sœur estranglée, son
mari assassiné, son fils empoisoné, ses petits-fils tuez
leur Royaume vsurpé par Clotaire, & elle mesme enfin
cruellement suppliciée par la sentence d’vn Iuge,
on l’afflige encore apres sa mort, iusqu’à noircir sa reputation
par la mesdisance ; & elle laquelle en vie
est estimée auoir ietté les partialitez entre ses enfans,
qu’elle excite encore apres sa mort les diuisions entre
les autheurs. Dans le nombre des anciens Fredegaire
& Aimoin, Gaguin & Giles luy sont contraires, Bocace
& Fortunat, Paul-Emile & du Tillet Euesque de
Meaux luy sont fauorables. Entre les modernes Papirius
Massonus & Mariana la iustifient, du Haillan
& Vignier, Belleforest & de Serres la condamnent.
Vne forte presomption qu’elle est innocente de la
plus-part des crimes dont on s’efforce de la rendre
coulpable, est que les deux grãds Gregoires tous deux
saincts, tous deux sçauans, tous deux de son temps,
l’vn Pape l’autre Euesque de Tours en parlent tousiours
auec Eloge ; & il est remarquable que cettuy cy
qui de la mesme plume qu’il escrit la loüange des
bons Rois, publie hautemẽt les blasmes des mauuais

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Princes, ne dit pas vn seul mot des cruautez ny des
fourbes, des amours, ny des impietez que l’on impute
à l’vne des grandes Reynes que nous ayons eu en
France, de puis la naissance de cette Monarchie. C’est
donc à tort qu’on la charge de la mort de Gozon
Maire du Palais de son mari, qu’on dit auoir esté
empoisonné par elle, puisque les autheurs asseurent
qu’il fut tué dans vn iuste combat. En vain on la blasme
de son Mariage auec Merouée qu’elle fit auec dispense,
& pour nuire à son ennemy par son propre fils,
C’est iniustement qu’on l’accuse de la mort de Guintrion
à la cour de Theodebert, où elle ne fit iamais
aucun seiour. Pour ce qui regarde la diuision des
deux Freres ses enfans, ce fut l’ambition de l’vn & l’auarice
de l’autre qui fut cause de leur rupture plustost
que l’artifice ou la simplicité de leur mere. Il est
aussi faux qu’elle aye fait mourir par poison Thierri
son petit-fils, puisque l’histoire nous asseure qu’il fut
tué d’vn coup de Tonnerre. L’autorité d’Aymoin est
reprochable en ce fait, pour ce qu’il se declare en tout
rencontre l’ennemi passionné de Brunchaut ; & l’Abbé
Ionas est aussi peu croyable, lors-qu’il luy attribue
la mort de Theodebert, comme lors qu’il luy impute
l’exil de S. Colomban qu’elle honnora toute sa vie.
Adioustés que le supplice de Brunchaut ioint à vne
mort si indigne d’vne Reyne, ne passe que pour vne
fable dans la creance des esprits les plus iudicieux &
les mieux versés dans l’histoire ; outre que toute cette
feinte de la trahison de Varnier, ne fut qu’vne fourbe
pour opprimer l’innocence de Brunehaut, & rauir à

-- 26 --

ses enfans leur Royaume auec la vie. Apres tout la rigueur
de son suplice accuse plustost ses ennemis d’iniustice
& de fureur, qu’il ne la conuainc de cruauté ou
de quelque autre crime. Tous les autres forfaits dont
on l’accuse, parestrõt supposez, si l’on reçoit pour veritable
le tesmoignage de S. Gregoire de Tours qui
l’appelle aussi honeste dans ses mœurs & reglée dans
sa conduite qu’elle estoit belle & agreable au corps.
Fortunat Euesque de Poitiers qui viuoit de son tẽps
dit que la grace de sõ visage n’egaloit pas à beaucoup
prés la beauté de son esprit, & que sa vertu surpassoit
l’vne & l’autre. S. Gregoire Pape auec lequel elle
contracta vne amitié tres estroite & laquelle dura
plus de trente ans, luy escriuit iusques à seize lettres
qui se treuuẽt encore en son registre, dans lesquelles
il loüe tantost sa pieté enuers Dieu, puis la bonne education
de ses enfans. L’autre S. Gregoire qui viuoit de
son temps & qui souffrit vne rude persecution à son
suiet, l’appelle Princesse incomparable & sans pareille.
Dans vn Traité fait entre les Roys Childebert &
Gontran, elle est nommée pleine d’honneur & de
gloire. Voila le tesmoignage de l’antiquité, en faueur
de Brunchaut. Mais les siecles suiuans n’ont pas moins
reconnu son innocence & son merite que ceux qui
les ont precedés. Nous auons cette obligation à Bocace,
lequel luy donne place entre les Dames les plus
illustres du monde dont il a dressé les eloges. Paul Emile
la loüe d’auoir racheté ses petits enfans prisonniers
par vne riche rãçon, & dit qu’elle n’a esté blâmée
que par l’ẽuie que ses ennemis ont porté à la gloire de

-- 27 --

ses actions. Du Tillet tient pour fabuleux tous les
contes que l’on fait de la mort de ses enfans par poison
& de la sienne par vn supplice douloureux & infame.
Papirius Massonus adiouste qu’il est ou necessaire
d’auoüer que Brunchaut si hautement loüée
de S. Gregoire a esté vertueuse, ou qu’on est contraint
de dire que S. Gregoire qui la loüe, ne l’est pas.
Mariana : est-il croyable (dit il) que S. Gregoire de
Tours qui descrit auec tãt de liberté les crimes horribles
de Fredegonde Françoise d’origine, eust epargné
à dire les cruautez de Brunchaut Espagnole &
estrangere ? Mais pour quoy rapporter icy le tesmoignage
des hommes morts & qui ne sont plus ? N’auons
nous pas encore tant d’Eglises magnifiques, &
tant de riches Abbayes qu’elle a fondées, & qui nous
restent comme les illustres monumens de la pieté de
cette Reyne ? sans parler de l’Abbaye de S. Vincent de
Laõ, de celle de S. Medard à Soissõs, ny de celle d’Aulnay
pres Lyõ, ny de celle de S. Martin à Austũ & d’vn
bel Hospital hors de la ville qu’elle a orné de bastimens
& enrichy d’vn ample reuenu. Le Moine Aymoin
son ennemy declaré n’a il pas esté contraint de
dire qu’elle a fait bastir tant d’Eglises & doté vn si
grand nombre de Monasteres tant en Bourgogne
qu’en Austrasie ; qu’il est comme incroyable qu’vne
seule femme en aye peu tant faire & en tant de lieux,
& en si peu de temps, & parmy tant d’affaires. Apres
tout le iugement du grand Cardinal Baronius
est à mon auis fort à estimer en ce suiet, lors que parlant
de Brunchaut, il dit que si elle s’est peruertie, ce

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n’a esté que depuis la mort de S. Gregoire dont les
auis & les lettres luy seruoient de puissantes persuasions
à la vertu, & reprehensions ou d’empeschements
à ses fautes. Ce qui est de plus constant en cet endroit,
est que cette Reyne ayant vescu septante & trois ans,
apres sa mort son corps fut porté à Austun en l’Abbaye
de S. Martin qu’elle auoit fait bastir, & enterré
en vn tombeau que l’on veoit encore auiourd’huy
dans cette Eglise. On y treuua, il y a quelques années,
vne Vrne pleines de cendres, auec vne molette d’esperon,
qui sont de precieux restes de l’antiquité & des
marques presque certaines du supplice de Brunchaut ;
de laquelle pour bien iuger, il en faut laisser le
iugement à Dieu, auquel seul il appartient de discerner
les consciences & de donner l’approbation à la
vertu, & la condamnation aux crimes.

 

Gregor. Registr.
lib. 5.
Epist. §. 10s.
excellentiæ
vestræ
Christianitas
ita nobis
innotuit.
&c. [illisible] eps.

Gregor. Turon. 1. 3.

Pasquier en
ses recherches.

Erut puella
elegans opere,
venusta
aspectu, honesta
moribus,
prudens
consilio,
blanda alloquio.
Greg
Turon. Hist.
I.

Pulchra,
modesta, decens,
soleis
& grata,
benigna ingenio,
vultu,
nobilitate
potens. Fortunat.
Lib.
6.

Gregorius
Epist. 7. ad
Brunechil.

Glorsosissima
Regina.
Bocac. lib.
de claris
mulieribus,
c. 104.
Ea mulier
præterquam
quod ab
Gregorio
eius temporis
æquali
Pontifice
maximo
laudibus
effertur
ipsa, nepotesque
Reges
captiuos
sua pecunia
redemptos,
ades sacras
permultas
partim nouas
condidit,
partim
vetustate
collabentes
restituit & e.
Credibile est
cã externã
mulierem
alionorum
scelerũ stagrasse
inuidiâ.
Paulus
Æmilius
Hist. l. I.
Theodoricũ
dysenteria
quadã sublatum
alij
veneno putant,
annales
& historici
narrant
hoc loco
Brunechildis
mortens
& tragicæ
scelera quæ
magna & exparte
fabulosa
puto.
Du Tillet.
Apud hostẽ
inimitia
magnũ sæpe
crimẽ est :
multa sane
pictatis extant
monumenta
pro
Brunechilde
Gregorij magni
profero,
testimoniũ
cuius hæc
sunt, verba.
Plus
(inquit)
aliis Gentibus
gẽtem
Francorum
aspicias felicem
quæ
sic bonis,
omnibus
præditam
meruit habere
Reginam.
Igitur
aut Brunichilden
piã
fuisse oportet,
aut Gregoriũ
certè
impiũ. &c.
Pap. Mass.
hist.

An qui
Fredegũdis
scelera omnia
& dolos
exposuit,
externæ fœminæ
pepercisset ?
scelera
ea reafficta,
Brunechildi
arbitror
fœminæ
religiosæ piæque. Mariana hist. Hisp. lib. r. Ædificia sucra ab ipsa consitituta vsque ad
hoc tempus durantia ostenduntur, & incredibile videatur ab vna muliere in Austria tãtummodo, &
in Burgũdia regnante, tanta in tam diuersis Frãciæ partibus, cõstitui potuisse. Aymoin. hist. l. 4. c. I.
Risimus recentiorem auctorem qui conatus est Brunichildem excusare, Æthiopem lauans quæ ab
omnibus historiis sui temporis sacrilegia, sanguinaria & vbique nefari aconclamatur, nequesnim
Grego rij laudes crimina postea commissa purgant. Baron, ad anu. 657.

-- 29 --

III.
FREDEGONDE Vefue de Chilperic & Regente du Royaume,
durant la minorité du Roy Clotaire second
son fils.

FREDEGONDE fut vne simple Damoiselle
de naissance, originaire du village de Hãnecourt
en Picardie, d’autres disent de
Brabancourt en Artois. Son auancement
à la cour vint de ce que sa beauté luy
ayant fait treuuer place entre les filles d’hõneur de la
Reyne Audoere premiere femme de Chilperic, elle
deuint si absolument maistresse du Roy qu’elle sembloit
commander à celuy auquel chacun faisoit gloire
d’obeïr, loignant les artifices de l’esprit aux attraits
du visage, elle sceut regner si imperieusement
sur le cœur de ce Prince, qu’elle en deposseda sa fẽme
legitime, laquelle elle fit releguer au Mans, sous couleur
d’auoir cõtracté vne affinité spirituelle auec son
mari, en tenant elle mesme vn de ses enfans sur les
fonds au Baptesme : depuis elle fit encore chasser d’aupres
du Roy, & renuoyer en Espagne & mesme etrangler
sur le chemin Galsonde sœur aisnée de Brunchaut

-- 30 --

qu’il auoit épousée en secondes nopces, pour
deuenir enfin elle mesme publiquement sa femme
legitime. A ces crimes de diuorce & de scandale, elle
adiousta le meurtre de Sigebert Roy de Mets qu’elle
fit assassiner au siege de Tournay, pour preuenir la
mort qui luy estoit ineuitable : de là, en haine de Brunchaut
elle fit faire le procez à Pretextat Archeuesque
de Roüen par vn Concile de Prelats assemblez à Paris,
par lesquels elle le fit condamner a estre exilé dans
vne Isle deserte sur le bord de la mer Oceane en la
coste de Normandie. Pour asseurer le Royaume à son
fils, elle fit tuer premierement Meroüé fils-aisné de
Chilperic, faisant courre le bruit par tout qu’il s’estoit
tué luy mesme, pour ne tõber pas entre les mains
de son pere en cholere. Peu apres elle fit encore assassiner
Clouis le Ieune frere de Meroüé, ayant ordonné
à ses meurtriers de luy laisser le poignard dãs la playe,
pour que l’on creust qu’il s’estoit tué luy mesme de
desespoir. Audocre suiuit bien-tost ses enfans par la
mesme main qui les auoit frappez. Mais par vn amour
contraire à luy mesme, tandis que Chilperic
ayme Fredegonde, elle ayme vn Seigneur nommé
Landry de la Tour qui par la faueur de son Amante,
auoit obtenu les deux plus grãdes charges de la Couronne
de Duc de France & de Maire du Palais. Cét
amour profane & illegitime rendit tousiours depuis
la naissance de son fils Clotaire douteuse & incertaine,
iusques-là que les Princes d’Austrasie ne le voulurẽt
iamais reconnoistre pour le fils legitime de Chilperic.
Ce pendant par les artifices de ces deux Amans,

-- 31 --

ce Princes est malheuresement tué, lors qu’il pensoit
le moins à mourir. Il estoit à Chelles & disposoit tout
son train pour aller à la chasse, lors que sur le poinct de
partir, il entre tout botté dans la Chambre de la Reyne
pour la saluer : La treuuant seule qu’elle se peignoit,
& ayant les cheueux espars sur le visage, il s’approche
doucement, & sans dire mot, luy donne par
ieu vn petit coup de sa canne sur le derriere de la teste.
Elle qui pensoit que ce fust son Amant, accoustumé
d’vser enuers elle de semblables caresses. Vous
auez tort, Landry (dit-elle en sous-riant) vn genereux
Caualier doit tousiours frapper par le deuant, & non pas en
derriere. Estonné, confus, & pestant de colere d’auoir
esté luy méme present à son deshonneur, le Roy
part sans rien dire, & occupee moins son esprit à prendres
des bestes fauues à la chasse, qu’à se deffaire à son
retour de Fredegõde & de Lãdry, dont il appelle l’vn
ingrat & l’autre perfide. Mais elle reconnoissant la
faute qu’elle venoit de faire, appelle Landry, & luy
ayant raconté la surprise, resout de preuenir le Roy,
& de luy oster la vie pour sauuer la sienne. Comme
ce Prince reuenoit de la chasse, & se fust vn peu ecarté
de ses gens, pour rever à son malheur, il fut inuesti par
ses meurtriers, lesquels l’ayant tué auec le seul page
qui le suiuoit, ils fuient en Austrasie pour ietter sur
Brunchaut & sur son fils Childebert tout le soupçon
de cette mort. Cependant Fredegonde & Landry
font les inconsolables, l’vn l’appellant son bon mari,
& l’autre son bon maistre : & tandis que Landry court
dans la forest, pour suiure ceux qu’il sçauoit n’y estre

-- 32 --

plus ; Fredegonde se retire auec son Fils Clotaire dans
l’Eglise de Paris, pour asseurer sa personne, ou sa conscience.
Elle y est receuë par Renaut Euesque de Paris,
qui pouruoit à l’vne, & asseure l’autre.

 

I.
Regne de
Fredegonde.

De Serre.

Childesinde
ou Childerade.

Dés-lors elle se porta pour Tutrice de son fils, &
pour Regente du Royaume, appellant Gontran Roy
d’Orleans, oncle du Roy, pour partager auec elle
toute l’authorité de commander. Mais ce bon Prince
reconnoissant qu’il auoit à traicter auec vne femme
artificieuse & cruelle, à qui le meurtre & le parricide
des Rois n’estoient que des petits coups d’essay,
& ne passoient aupres-d’elle que pour des jeux ordinaires,
il laisse sagement à Fredegonde la tutele de
son fils, & à Landry le Gouuernement de l’Estat. Luy
se retire paisiblement en son Royaume, qu’il change
bien-tost en celuy du Ciel. Estant mort sans enfans,
ses Nepueus Clotaire Roy de Paris & de Soissons, &
Childebert Roy d’Austrasie & de Bourgogne, ou
plustost leurs meres Fredegonde & Brunchauld,
cruelles & imperieuses Riuales l’vne de l’autre, se
font vne guerre mortelle, où il ne s’agit pas tant de la
succession du Roy Gontran, que de vanger la mort
de Sigebert Roy d’Austrasie, & d’authoriser la naissance
de Clotaire qui passoit en ce temps pour vn enfant
supposé à Chilperic par Fredegonde. On querele,
on arme, on se bat rudement des deux costés.
Fredegonde qui voit son honneur & sa vie attaquées
en cette guerre par vne mesme atteinte, pour encourager
ses soldats par la presence de leur Roy, elle le
porte au milieu des escadrons armés, & le meine elle

-- 33 --

mesme à la guerre, bien qu’il n’eust alors que
trois mois seulement, ou comme d’autres tiennent
qu’il fust pour lors âgé de huict ou de neuf ans.
Montée sur vn cheual de bataille, elle se met elle-mesme
auec son fils à la teste de ses troupes, & leur
monstrant le veritable fils de Chilperic, & le seul legitime
heritier du Royaume, elle les harangue auec tãt
d’ardeur, qu’elle leur inspire à tous cette heureuse resolution,
ou de vaincre auec courage, ou de mourir
auec honneur. Pour reüssir encore plus asseurément
en son dessein, elle ioint l’artifice au courage, elle fait
attacher au col de ses cheuaux des sonnettes pareilles
à celles que l’on attache aux vaches, en les laissant
paistre au milieu des bruieres, pour surprendre
mieux les troupes de Childebert, dont elle se trouuoit
alors éloignée de plus de quinze lieues. Cette
armée plus forte par la presence du ieune Roy, & par
la remonstrance de sa mere, que par la valeur des soldats,
ou par la bonne conduite de leurs Chefs, part
la nuict à l’impourueu sans perdre temps, & veint
auec tant de promptitude, que les ennemis de Fredegonde
furent plustost deffaits qu’ils ne se furent reconnûs.
Ainsi Childebert par tout iusqu’à lors victorieux,
fut vaincu par vn enfant, & par vne femme,
surpris moins de la peur que d’vne prõptitude si extraordinaire,
qu’à peine croioit-t’il l’armée ennemie
estre sortie de Paris, qu’il apperceut la sienne entierement
défaite. Il perdit en cette occasion plus de vingt-mille
hommes, & beaucoup plus que tout cela, l’honneur
& la vie ; dautant que s’estant retire à peine en

-- 34 --

son païs, il y mourut de tristesse. Ses enfans voulurẽt
peu apres renouueller la guerre contre Fredegonde ;
mais ils la reconneurent aussi genereuse à former ses
desseins que leur pere l’auoit éprouuée resoluë à les
executer. Elle gagne sur eux vne seconde victoire
auec vn si grand succés, que peu de ses gens estans
morts en cette bataille, le cours de la riuiere d’Aurance
où ce combat fut donné, fut arresté par les
corps des vaincus. Ainsi Fredegonde en sa Regence
triomphe deux fois de toute la force d’Austrasie & de
Bourgogne, d’Orleans & de Soissons, de Childebert
& de ses enfans, & ce qu’elle estimoit beaucoup plus
que tout cela, de Brunchaut sa Riuale & son ennemie.
Mais sa ioye fut bien-tost interrompuë par la mort
qui luy osta la vie, iusqu’au milieu de ses triomphes.
Il est bien extraordinaire qu’vne si mechante femme
soit morte paisiblement, & au milieu de ses victoires,
& qu’apres tant de crimes horribles, dont elle tache
sa memoire, elle laisse par sa bonne conduite
son peuple paisible, son Estat florissant, son fils seul
& absolu Monarque des deux Frances.

 

II.
Regence de
Fredegonde.

Placuit cũctis
quod dixerat
Regina, & ex
consilij sententia
Regem adhuc
sugentem
matris vbera
ferrata sequũtur
agmina,
&c. Interea
Fredegundis
Clotarium filium
suis gestans
vlnis vsque
ad locum
certaminis
præcedebat exercitum,
&c.
Amoin lib. 30.
Histor.

Elle est enterrée
à S. Germain
des Prés.

Machiauel.
Des Princes
qui ont auancé
leurs affaires
par leurs
crimes.

Quelque loüange que ces Autheurs anciens
ayent donné à la force de son esprit & à la generosité
de son courage, il n’en est point, lesquels excusent ses
desseins d’ambition, sa conduite de tromperie, ses
mœurs de dereglement, & ses actions particulieres
de cruauté. Toute la posterité blasmera sa memoire
I. D’auoir fait estrangler Galsonde, seconde femme
de Chilperic. II. D’auoir opprimé Pretextat par la
lascheté de quelques Euesques qu’elle auoit attirés à

-- 35 --

son party. III. D’auoir fait mourir Meroüé fils de
Chilperic, & tous ses confidens, IV. Et depuis
encore Clouis son puis-né. V. & en suite leur mere
Audoere. VI. D’auoir attenté sur la vie de Brunchaut
par Cleric, qu’elle enuoya vers elle expressemẽt
pour ce sujet. VII. Et auquel elle fit couper les
mains & les pieds, pour auoir manqué son coup, &
n’auoir pas executé toute la cruauté qu’elle luy auoit
eniointe. VIII. D’auoir fait ietter le corps du petit
Clouis dans la Marne, d’où il fut tiré par vn pescheur,
& porté au Roy Gontran. IX. D’auoir empoisonné
deux cousteaux pour tuer Childebert & sa mere. X.
D’auoir attenté sur la vie du Roy Gontran, pour
s’asseurer de la Regence du Royaune, ainsi que le
confessa vn Prestre surpris dans vne Eglise auec vn
poignard pour le tuer. XI. De s’estre efforcée d’estrangler
sa fille Ragonde, pour ce qu’elle ne l’aymoit
pas. XII. D’auoir fait assassiner l’Euesque pretextat
en la grande Eglise de Roüen au iour de Pasques,
lors mesme qu’il officioit au seruice Diuin, & pour
repaistre ses yeux de la veuë d’vn si triste objet, de se
l’estre fait apporter demy-mort en sa chambre, feignant
de le vouloir guerir & consoler. Mais ce grand
hõme genereux iusques dãs la mort méme, eut encore
assés de sens & de vigueur en cette extremité pour
luy reprocher l’horreur de son crime, & luy representer
la verité de son innocẽce. XIII. D’auoir eu des priuautez
messeantes, & contre l’honneur auec Bertrand
Archeuesque de Bourdeaux, & auec Gontran
Boson grand Seigneur de France. XIV. D’auoir voulu

-- 36 --

corrompre par argent Gregoire de Tours, & de
l’auoir contraint de se iustifier en plein Concile d’vn
crime qu’il n’auoit pas commis. XV. D’auoir entretenu
des folles amours auec Landry, au preiudice de
l’honneur de son lict, & du repos de sa conscience.
XVI. D’auoir fait tuer le Roy Chilperic son mari.
XVII. Et empoisonné Childebert son nepueu.
XVIII. Vne simple Damoiselle, de maistresse du
Roy Chilperic deuenue sa femme, & Reyne ; & depuis
encore Regente en France, renuerse tout ce qui s’oppose
à ses desseins, & tuë indifferemment les Princes
& les Prelats qu’elle croit deuoir nuire à l’establissement
de sa fortune, & à la grandeur de son fils. Voyla
des crimes si horribles, & si fort extraordinaires,
qu’ils ne semblent rien meriter moins que cette prosperité
florissante, dont Fredegonde a ioüy durant
tout le cours de sa vie. Pour nous faire iuger que par
vne mesme prouidence Dieu permet souuent que les
meschans prosperent en cette vie, pour les rendre
eternellement malheureux en l’autre, & au contraire,
qu’il souffre quelquesfois que les gens de bien soyent
affligés sur la terre par des peines temporelles & passageres,
pour estre vn iour bien-heureux dans le Ciel ;
par des ioyes aussi parfaites & solides en leur possession,
qu’elles seront constantes & immortelles en leur
durée.

 

III.
Horrible meschanceté
de
Fredegonde.

Greg. Turon
l. 10. c. 27.

Et quis Chilpericum
Regẽ
interemit nisi
malitia sua ?
Gregor. Turo.
hist. lib. I.

-- 37 --

IV.
NANTILDE Vefue de Dagobert, & Regente du Royaume
durant la minorité de Clouis second son
fils.

NANTILDE fut vne Princesse yssuë du
sang des Goths, dont la beauté qui estoit
rauissante, surpassoit encore la Noblesse,
bien qu’elle fust Royale. Dagobert
ayant fait mourir vn Seigneur
nommé Bernulfe, sans estre coupable d’autre crime,
sinon qu’il fauorisoit contre luy Aribert son frere, il
repudia en mesme temps Gomatrude sa sœur qu’il
auoit espousée ; par cette specieuse raison qu’elle estoit
sterile, & incapable d’auoir des enfans. Ce crime fut
suiuy d’vn sacrilege, en ce qu’il tira du Cloistre Nantilde
ieune Religieuse, d’vne parfaite beauté, & d’vn
esprit encore plus excellent. Bien que ce desordre fust
seuerement repris par sainct Amand Euesque d’Vtrec :
Il ne laissa pas de l’espouser publiquement à la
face de l’Eglise, & en eut bien-tost vn fils qu’il fit appeller

-- 38 --

Clouis au Baptesme. Il auoit eu vn fils-aisné
d’vne autre de ses femmes, ou de ses maistresses nommée
Rentrude. Mais par vn exemple fameux & remarquable
à la posterité, il prefera à la succession de
la Couronne le cadet à l’aisné, contre les Loix fondamentales
de cette Monarchie. Et partageant ces
deux Royaumes par le conseil de Nantilde, dont l’authorité
auoit vn puissant empire sur son esprit, il
donna l’Austrasie à Sigebert son aisné, & laissa la
France à Clouis, soit qu’il vsast de ce choix par le merite,
ou par l’incapacité des personnes, ou par le seul
mouuement d’vne inclination libre & volontaire. Ce
partage si inegal entre les deux freres, lequel auoit
esté fait par ordre de leur pere Dagobert, & pendant
sa vie, fut inuiolablement maintenu par Nantilde
leur mere, apres son trepas.

 

I.
Regne de
Nantilde.

Fredegaire c.
57. sequent.
Aimoin. c. 17. l.
4.

Ce Prince apres auoir racheté ses pechés par
la profusion de ses aumosnes, & par la fondation
d’vn nombre presque infiny d’Eglises, & de Monasteres
qu’il fit bastir presque en toutes les Prouinces
de France, sentant en fin le dernier iour approcher,
auquel il deuoit rendre comte à Dieu de ses actions,
il se fit porter dans l’Eglise de sainct Denis qu’il auoit
fondée, & ayant là conuoqué l’Assemblée generale
des Estats de son Royaume, il leur recommanda son
fils & sa femme Nantilde, laquelle il declara deslors
Tutrice de Clouis, & Regente du Royaume.

Vn des premiers soins de cette Regente, fut de
cõseruer ces deux freres en paix, laquelle fut entre eux
d’autant plus inuiolable, qu’elle est peu solide entre

-- 39 --

tous les autres freres. Apres la mort de Dagobert qui
arriua le seiziesme iour de May en l’an six cents quarãte
huict, ils partagerent sans bruict, & sans trouble
l’vn contre l’autre, les grands thresors que leur pere
leur auoit amassé dans vn regne florissant & paisible,
& reseruerent à la Reyne Nantilde la troisiesme partie
de tout le bien qu’elle auoit acquis auec luy depuis
leur mariage. De-là la Reyne choisist Egon pour
Maire de son Palais, & apres luy Floquat qu’elle honnora
tousiours de sa faueur, & de sa protection contre
Guillebaut son Riual, & contre tous les puissans ennemis
qu’il auoit en Cour. Elle mena mesme le Roy
son fils iusqu’à Arles, ancien Siege des Roys de Bourgogne,
pour vanger les iniures de son Fauory, faisant
par vne mauuaise politique vne guerre d’Estat d’vne
querele particuliere. En fin cette Regente voyant
ses ennemis vaincus, ses seruiteurs appuyés, le regne
de son fils puissamment affermy, elle mourut dans la
mesme paix qu’elle auoit procurée à son peuple. Elle
est enterrée à S. Denys proche de Dagobert son espoux,
n’ayant point voulu estre separée à la mort de
celuy auquel elle auoit esté si intimement vnie pendant
la vie.

 

II.
Regence de
Nantilde.

-- 40 --

V.
BATHILDE Femme de Clouis second, & Regente en France
durant ses voyages.

BATHILDE fut vne Princesse de la maison
de Saxe, laquelle ayant esté prise en
guere par Bertinax Maire du Palais de
Clouis Il. Roy de France, elle trouua la
liberté iusques dans la prison, & son
bon-heur mesme dans sa propre disgrace. Comme
elle estoit doüée de toutes les perfections qui se rendent
aymables en celles de son sexe, elle fut elle-mesme
victorieuse de son vainqueur : elle deuint maistresse
de son Roy, elle captiua par la douceur de ses
attraits celuy dont elle estoit prisonniere par la rigueur
des armes. Clouis l’espouse auec le consentement
vniuersel de tous les Ordres du Royaume, la
trouuant assés digne d’estre Reyne, pour ce qu’elle
estoit belle, & qu’elle adioustoit à la grandeur de sa
naissance qui estoit Royale, les tesmoignages d’vne
probité de vie, laquelle estoit du tout extraordinaire.
Ce mariage qui fut fait dans toutes les formalités
requises, fut beny d’vne heureuse fecondité, qui leur

-- 41 --

donna cinq fils tout d’vne suite, dont les trois derniers
furent Roys de France apres leur pere, & successiuemẽt
l’vn apres l’autre : sçauoir Clotaire, Thierry
& Childeric. Les deux premiers eurent vn sort
bien contraire, & vne conduite de vie, dont les euenemens
furẽt si fort admirables, qu’ils semblent passer
toute la creance, & qu’au sentiment de quelques-vns
de nos Historiens, ils n’ont peu iusqu’à cette
heure trouuer place que parmy les Romans, & dan
la Fable. Ie les rapporteray neantmoins pour ce
qu’ils font à mon sujet, & qu’ils se trouuent encore
authorisés par les Archiues de l’Abbaye de Chelles,
& par la Legende de S. Pierre de Corbie, qui furent
fondées par cette Reyne.

 

I.
Bathilde Reyne.

Fredegaire.
Le B. Biner en
sa vie.

L’Histoire porte que par le conseil de la Reyne
Bathilde, le Roy Clouis II. fit le voyage de la terre
Saincte, laquelle il conquist presqu’à la seule veuë,
comme s’il eust fait la guerre par les regards : il prit
Ierusalem & les Saincts lieux sans opposition d’aucun
ennemy, & se rendit paisible possesseur de toute la
Palestine, auec la mesme facilité qu’il y estoit entré.
Il y regna sept ans entiers dans vne profonde Paix. Et
il eut demeuré encore plus long-temps dans ce païs
estranger, n’eust esté qu’il fut rappellé en France par
la discorde qui s’estoit mise dans sa maison. A son
depart il auoit laissé la Reyne Bathilde Regente du
Royaume, & Tutrice de ses enfans. Mais leur ambition
croissant auec l’âge, bien loing de conseruer
le respect pour leur mere, & l’obeïssance pour leur
souueraine, que se lassant d’obeyr à vne femme, ils

-- 42 --

resolurent par vn mesme attentat de la reduire sous
leur pouuoir, & de prendre eux-mesmes le Gouuernement
de l’Estat. Aussi-tost que le Roy Clouis fut
auerty de ce desordre, il part de Iudée, & reuient
promptement en France, autant pour vanger sa femme
que pour punir ses enfans. Eux que leur malice
sembloit peruertir, ajoûtent au crime de desobeïssance
contre Bathilde, la reuolte toute ouuerte contre
Clouis. Ils vont au deuant de leur Pere, & de leur
Roy, auec vne armée de trente mille hommes, plustost
pour luy empescher l’entrée de son Royaume,
que pour l’accueillir à son retour.

 

II.
Bathilde Regente.

Annales de
France.

Bathilde cependant s’oppose genereusement à
leur dessein, de sorte qu’ayant derriere eux l’armée de
la Regente, & en deuant celle du Roy, & dans le
cœur le reproche interieur de la conscience, qui leur
seruoit de supplice, ils furent aussi-tost vaincus par
leur propre crime, comme par la force des armes de
leur Pere, & de leur Mere, deuenus leurs communs
ennemis. Ils sont faits prisonniers de guere presque
sans combatre, & de-là estans menés à Paris, les Estats
du Royaume assemblés à ce sujet, se priuent volontairement
eux-mesmes du droit de les iuger, pour le
ceder à Bathilde, laquelle soustint en cette rencontre
le personnage de Mere, & de Reyne, de luge, & de
partie, de delatrice & d’offensée. Pour vn iuste chastiment
de tant de crimes, elle les declara dés-lors priués
du droit du Royaume, & de la succession à la
Couronne qui leur estoit echeuë par le droit d’aisnesse :
& pour que leur memoire fust à iamais esteinte

-- 43 --

auec leur posterité, ils furent enervés, cõme dit l’Histoire,
& rẽdus impuissans d’auoir iamais lignée. A cette
rigueur d’vne mere en cholere, suruint la seuerité
d’vn pere iustement offensé. Il commande qu’on luy
oste cét objet d’auersion & de mépris de deuant les
yeux, & qu’il ne peut souffrir, ny l’horreur de leur
crime, ny la honte de leur supplice. Par l’ordre de ce
Pere irrité, & de cette Mere iustement impitoyable &
cruelle, ils sont exposez seuls sur la Seyne, sans voile,
ny sans rame, dans vne miserable barque, qui sembloit
deuoir faire naufrage dés le Port. Mais la Iustice
de Dieu estant satisfaite de tant de supplices, sa
prouidẽce qui les conduisoit, les fit heureusement arriuer
en Normandie, au pied d’vn rocher, & tout proche
de la Cellule d’vn solitaire, à la persuasion duquel
Bathilde leur fit bastir en ce mesme endroit vne belle,
riche, & ample Abbaye, où ils passerent le reste
de leurs iours dans les regrets de leurs crimes passés, &
dans les exercices de leur vertu presente. Et c’est cét
euenement rare & singulier qui donna le premier
commencement à l’Abbaye de Jumiege, où cette Histoire
est receuë pour authentique, autant dans les
Archiues de sa fondation, comme dans le recit de sa
Legende.

 

Apres la mort de Clouis Bathilde se retira à Chelles,
pour pleurer son mal-heur, & le desastre de ses enfans ;
Voyant que son fils Clotaire III. regnoit en
paix, elle n’eut plus rien à souhaiter au monde, sinon
d’y viure en repos, & de ioüir de la tranquillité que sa
bonne conduite auoit procuré à tout le Royaume.

-- 44 --

C’est là que quittant la terre de veuë & d’affection,
elle n’a plus de soings ny de pensées que pour le Ciel.
Elle le preuient long-temps en desir pour le posseder
bien-tost en effet. Elle meurt en Saincte, apres
auoir vescu de mesme. Elle fut enterrée en cette Eglise
qu’elle auoit fait bastir, plustost pour seruir de sejour
à IESVS-CHRIST sur l’Autel, qu’à elle-mesme de
Tombeau. Les Miracles qu’elle y fait encore, n’empeschent
pas qu’on ne croye qu’elle n’en a iamais fait
de plus grand qu’elle-mesme. Là on voit vn notable
Epitaphe qui porte que Bathilde a esté plus illustre
dans le Monastere qu’à la Cour, & qu’elle n’est pas
moins prisable d’auoir esté simple Religieuse de
Chelles, que d’auoir esté REYNE REGENTE EN
FRANCE.

 

III.
Bathilde Religieuse.

-- 45 --

VI.
ALIX Vefue de Louys le Ieune, & Regente du Royaume,
premierement durant la maladie de
son mari, & la ieunesse de Philippes Auguste
son fils ; Puis pendant le voyage du
mesme Philippes Auguste en la Terre-Saincte.

ALIX ou ADELE fut fille de Tibaut
surnommé le Vieil, Comte de Champagne
& de Brie, & sœur de Tibaut
aussi Comte de Champagne, & de
Henry Comte de Blois, gendre de
Louys-le leune Roy de France. Elle fut mariée à ce
Prince estant desia sur le declin de son âge, & fut sa
troisiesme femme apres Eleonor, qu’il repudia en la
Terre-Saincte, & Constance qui mourut sans enfans.
Ayant demeuré quatre ans auec luy, sans auoir lignée,
le Roy & la Reyne, & auec eux toute la France eut
recours aux prieres pour la demander à Dieu ; On fit

-- 46 --

à ce sujet par tout le Royaume des vœux publics, &
des Processions solemnelles, afin qu’il pleust à Dieu
de benir le Mariage du Roy auec Alix, & de luy donner
vn successeur legitime, pour que l’Estat, à faute
de Princes du sang, ne tombast point en des mains
estrangeres. Le Ciel exauça les iustes desirs de ces
Princes, & de leur peuple. Deuant que l’année fust
passée, Dieu leur donna vn fils, lequel par le presage
de son nom, en reconnoissance de ce bien-fait du
Ciel, fut appellé AVGVSTE ET DIEV-DONNÉ.
Ce fut Philippes II. de ce nom, qui naquit le troisiesme
iour d’Aoust l’an mil cent soixante cinq, & lequel
par la sage conduite de sa vie, fit assés reconnoistre
qu’il estoit vn present que le Ciel faisoit à la France,
d’vn Prince egalement vaillant, comme il estoit
vertueux. Le Roy Louys le Ieune estoit alors en la
septante & neufiesme année de sa vie, en vn âge auquel
il auoit plus besoin d’estre gouuerné luy-mesme
que de gouuerner les autres. Pour cõble de miseres,
il fut atteint d’vne cruelle paralysie, laquelle auec
l’interdiction de tous ses membres, luy oste aussi en
mesme temps tout l’vsage de la parole, & vne partie
de sa raison. Tandis que pour le recouurement de
sa santé, il fait vn voyage en Angleterre au Tombeau
de S. Thomas Archeuesque de Cantorbie, & Martyr
que Dieu honnoroit de plusieurs Miracles ; La Reyne
declarée Regente en l’absence de son Mari, & durant
son indisposition, fait aussi-tost consacrer à
Reims, son fils PHILIPPES AVGVSTE par Guillaume
Archeuesque de cette ville, & oncle maternel du Roy.

-- 47 --

La ceremonie de ce Sacre fut si AVGVSTE, qu’auec vn
nombre infiny de Princes & de Seigneurs François,
Henry V. Roy d’Angleterre y assista en qualité de
Duc de Normandie, & comme vassal de la Couronne,
il soustint d’vn costé la Couronne, lors mesme que
l’Archeuesque la mit sur la teste du ieune Roy. Ce
fut en cette rencontre où le Priuilege de Consacrer
les Roys fut confirmé à l’Eglise de Réims par le Roy
Philippes Auguste, en faueur de l’Archeuesque Guillaume
son oncle. La ioye d’vne si belle ceremonie
fut bien-tost interrompuë par la mort du Roy Louys
le Ieune, lequel fut enterré en l’Abbaye de Barbeau,
autrement dite Port-sur-Seyne, qu’il auoit fait bastir
auec celle de Nieufport, & des dunes sur la Mer, en
reconnoissance de la naissance de Philippes son fils.
Alors ce ieune Prince sous la conduite de sa Mere, occupoit
tous ses soins à regler son Estat, sous les Loix
d’vne iudicieuse police.

 

I.
La premiere
Regence d’Alix.

Ayant consacré les premices de son regne par le
chastiment des blasphemateurs secrets, & des voleurs
publics, il bannist la Comedie & le jeu de la
Cour, & fit de tres-belles Ordonnances qu’on lit en
nostre siecle, & que le sien obserua. De-là il tourne
son zele contre les Iuifs, & contre les Cotereaux Heretiques,
dont il bannist les vns de son Royaume, &
en extermina les autres. Apres auoir humilié son oncle
Estienne Comte de Sancerre, & chastié Hunibert
sieur de Beau-jeu, lesquels par raison de son âge s’estoient
reuoltés contre luy, il espousa Isabeau Comtesse
de Hainaut, par le conseil d’Alix sa mere, & à la

-- 48 --

persuasion de Philippes Comte de Flandres & du
Vermandois.

 

Peu apres, sçauoir l’an mil cent nonante, il fit le
voyage de la Terre-Saincte auec Richard Roy d’Angleterre,
qui fut le troisiesme de ceux que nos Roys
ont fait en la Palestine ; Pendant lequel il laissa sa
mere Alix Regente du Royaume auec son oncle
Guillaume Archeuesque de Reims, Legat du S. Siege
en France, & Cardinal du titre de Saincte Sabine,
leur ayant sur tout recommandé l’education de son
fils-aisné Louys VIII. encore au berceau. Vn peu deuant
son depart, il fit son Testament auec la mesme
indifferẽce, comme si luy-méme a lloit mourir. Entre
autres beaus Reglemens qu’il vouloit estre inuiolablement
obserués en son absence : Il ordonna cettui-cy.
NOVS VOVLONS que la Reyne nostre tres-honorée
Dame & Mere, laquelle nous laissons Regente en nostre
Royaume, auec Guillaume Archeuesque de Reims
nostre tres-cher, & tres-fidele oncle, assignent certain iour
à Paris tous les quatre mois, où ils oyent les plaintes de nos
suiets, & leur faire droit sur icelle, selon l’honeur de
Dieu, & l’vtilité de nostre Royaume. Durant ce long
& penible voyage de Philippes, la Reyne gouuerna la
France auec vne douceur si charmante, qu’elle sembloit
luy donner la Souueraineté des cœurs & des esprits
aussi-bien que sa qualité luy donnoit l’Empire
sur les corps de ses sujets. Le contentement public ne
fut troublé que de l’absence de Philippes, & de la maladie
de son fils. Il est remarquable qu’ils furent tous
deux malades en mesme temps, & comme si la sympathie

-- 49 --

d’humeurs & de naturel, pouuoit agir malgré
la distance des lieux, on remarque que ces
deux Princes ressentoient en vn mesme temps les atteintes
d’vne mesme maladie, & d’vne pareille guerison.
La santé du pere en la Palestine, & du fils à
Paris, fut vn Miracle visible de S. Denys, & des Patrons
de la France, en ce que par l’ordre de la Regẽte,
on apporta leurs Reliques en Procession à Paris, dont
la seule veuë, & le bon-heur à toute la France. Le
retour de Philippes en France, fut suiuy bien tost
du depart de sa mere en l’autre monde ; Elle mourut
l’an mil deux cents & six, aussi paisiblement comme
elle auoit vescu dans le repos. Son corps fut porté à
Pontignon en Bretagne, aupres de celuy de Thibaut
son pere. Princesse autant glorieuse d’estre la mere
d’vn VICTORIEVX, que d’auoir esté la femme d’vn
mari TRIOMPHANT : Mais encore plus estimable
d’auoir eleué son fils dans la vertu, que de l’auoir
produit au monde par la naissance.

 

II.
Seconde Regence
d’Alix.

-- 50 --

VII.
BLANCHE Vefue de Louys VIII. & deux fois Regente ;
La premiere durant la minorité de son fils
S. Louys, la seconde pendant son premier
voyage en la Terre-Saincte.

BLANCHE fut fille d’Alfonse Roy
de Castille, & niepce de lean Roy
d’Angleterre : elle ioignit à cette
haute Noblesse vne beauté rauissante,
vn esprit excellent, & vne
vertu encore plus accomplie ; de
sorte que l’on peut dire qu’elle a esté l’vne des grandes
Princesses que l’Espagne aye porté, & qui aye iamais
gouuerné l’Estat en France. Elle fut recherchée
en mariage par le Roy Louys VIII. pour confirmer
l’Alliance qu’il auoit faite auec le Roy de Castille. Ce
Mariage receut cette benediction du Ciel, que la
Reyne Blanche apres la mort de Philippes son aisné,
accoucha d’vn fils qui fut nommé Louys au Baptesme,
& qui sanctifia depuis sa Couronne par la saincteté
de ses actions. Ce fut au Chasteau de Poissy en

-- 51 --

l’an mil deux cents vingt-cinq, le vingt-quatriesme
iour d’Auril qui est consacré par l’Eglise à la
memoire de sainct Marc l’Euangeliste, que naquit
ce grand Prince. Lequel en sa vie a merité des triomphes,
& à sa mort des Temples, & qui par le sentiment
d’vne humilité vrayement Chrestienne, se fit
appeller depuis du lieu de son Baptesme, LOVYS DE
POISSY. La naissance de ce Prince fut deslors sanctifiée
par vne action de pieté, dautant que Blanche
sa mere prenant garde que pour la consideration de
son repos, on ne sonnoit point les cloches de l’Eglise
de Nostre-Dame qui est dans l’enceinte du Chasteau,
elle se fit porter en vn autre endroit, qui en retient
encore auiourd’huy le nom de Grange aux Dames ;
où le grand Autel de l’Abbaye des Religieuses fut
basty depuis, en memoire d’vne si Religieuse humilité.
Sainct Louys passa doucement son premier âge
sous la sage & iudicieuse conduite de Blanche sa mere,
à laquelle il rendoit tant de tesmoignages d’amour
& de respect, qu’on peut dire en verité, que deslors il
fut Sainct dés l’enfance.

 

I.
Le Regne de
Blanche.

Aussi Louys VIII. en mourant, ordonna par vn
mesme Testament le Couronnement de son fils, &
la Regence de sa femme. Plusieurs grandes considerations
l’obligerent à faire choix de la Reyne pour
vne charge si importante, plustost que d’vn Prince
du sang Royal. La premiere fut par ce que l’experience
luy auoit fait connoistre que les Regens de cét
Estat auoiẽt quelquesfois aspiré à la Royauté, au preiudice
de leurs pupilles. D’ailleurs il iugeoit que s’il

-- 52 --

preferoit en ce choix vn Prince de sa maison, il choquoit
tous les autres ; s’il choisissoit vn Estranger, il
offensoit generalement tous les parens, outre qu’il
connoissoit les bonnes qualités de la Reyne sa femme,
iointes à vne affection particuliere pour son fils.
Auec cela, elle estoit encore ieune, belle & de bonne
grace, qui sont des qualités qui fauorisent beaucoup
l’empire des femmes. Et de vray l’euenement monstra
bien qu’il ne se trompoit pas. Elle gouuerna son
fils & le Royaume auec tant de prudence & de douceur,
que comme autresfois à Rome en memoire de
l’Empereur Auguste qui fut vn Prince singulierement
aymé du peuple, les Empereurs ses descendans
prirent tous le surnom d’Auguste, comme pour en
attirer sur eux le bon-heur de ce Prince, & la reputation
de sa vertu ; En France toutes les Reynes-Meres,
apres le decés de leurs maris, veulent estre nommées
BLANCHES par vne honnorable memoire tirée du
bon gouuernement de cette sage Princesse. S. Louys
auoit à peine douze ans, lors qu’elle en prit la tutele
auec la Regence du Royaume. L’vn de ses premiers
soins, fut de pouruoir à l’institution de son fils, auquel
elle donna pour Maistres, & pour directeurs les
hommes les plus renommés de son temps en probité
de vie, & en eminence de doctrine. Aussi comme ce
ieune Prince auoit naturellement toutes les inclinations
portées à la vertu, il ne fut pas bien difficile à
luy en former les habitudes, autant par l’instruction
de la parole, que par l’exercice des actions. La Reyne
sa mere luy seruit elle-mesme d’vn grand exemple de

-- 53 --

vertu & de bonne conduite, luy protestant souuent,
qu’encore qu’elle l’aymast plus que sa propre vie, elle eust
mieux aymé le voir mort, que de le voir offenser Dieu d’vn
seul peché mortel. Et de vray cette saincte remonstrance,
fit depuis vne si forte impression dans son cœur,
& luy graua si profondément en l’ame l’horreur du
peché, que l’on croit auec quelque apparence de verité,
que dans tout le cours de sa vie il ne s’en rendit
iamais coupable, sur tout de ceux qui nous priuent
entierement de la Grace, & de l’amitié. de Dieu. La
seconde de ses pensées en sa Regence, fut d’executer
l’ordre du Roy defunct son espoux, lequel en mourant
auoit recommandé que l’on Consacrast son fils
au plustost. Pour ce sujet elle part de Paris auec le
ieune Roy, accompagné d’vn grand nombre de
Princes, de Seigneurs & de Prelats de son Royaume,
& le fait Sacrer le premier iour de Decembre en l’an
mille deux cens vingt-deux, par l’Euesque de Soissons
Suffragant de l’Archeuesque de Reims, dont le
Siege vacquoit alors. De-là elle s’oppose vigoureusement
au soûleuement de quelques Seigneurs qui
s’efforçoient de broüiller dans l’Estat, prenant auantage
de la ieunesse du Roy, & de la foiblesse d’vne
femme. Mais elle leur fit bien-tost iuger par l’essay,
que sous vn visage de femme elle auoit vn courage
d’homme, & que son fils encore enfant, appuyé de
l’assistance Ciel, valoit plus luy seul que des armées
innombrables d’ennemis. Ayant domté Raymond
Comte de Toulouse, qu’elle reduisit au poinct de
quitter le party Albigeois, pour suiure celuy de

-- 54 --

Dieu, & du Roy, elle maria son second fils Alfonse
auec la fille de ce Comte, nommée Ieanne, pour cimenter
plus fortement leur accord par l’interest de
cette alliance. Peu apres elle sceut demesler vne intrigue
que les Princes du sang, Philippes Comte de
Clermont & de Boulongne, oncle paternel du Roy,
Thibaut Comte de Champagne son cousin, Hugues
Comte de la Marche son allié, Hugues de Chastillon
Comte de S. Paul, Simon Comte de Ponthieu, Pierre
Comte de Bretagne, & Pierre de Dreux son frere
tous associés dans vn mesme party, auoient formé
contre le Roy mineur, & contre sa Regence. Les
ayant vaincu par la maturité du conseil, elle les deffit
aysement par la force des armes. Le bon-droit l’emporta
en cette rencontre sur l’iniustice. Aussi ceux
d’entre les coniurés que la Regente ne peût flechir
par la douceur d’vn accommodement, elle les domta
par l’effort de la guerre. Le Comte de Bretagne fut
depoüillé de ses Estats, le Comte de la Marche fut
assés heureux de n’estre que prisonnier, & d’auoir racheté
sa vie par vne riche rançon. Enfin tous les autres
ennemis furent, ou pacifiés ou vaincus.

 

II.
La premiere
Regence de
Blanche.

Pasquier en
ses Recherches.

Matt. Paris.

Ainsi la Regence de Blanche estant asseurée, le
regne de S. Louys affermy, elle luy fit espouser Marguerite
fille du Comte de Prouence, Raymond Berenger,
Princesse doüée de toutes les grandes qualités
que l’on peut rechercher en vne Reyne ; Et cela
auec vn si parfait contentement de part & d’autre,
que comme elle aymoit vniquement le Roy, elle en
estoit aussi singulierement aymée.

-- 55 --

En ce temps Blanche quitta la Regence à son fils
aussi-tost qu’il eut atteint l’âge capable de commander ;
Et bien qu’elle eut alors changé l’employ des
affaires publiques en vn exercice continuel de deuotions
& de prieres, Louys & le peuple ne laisserent
pas de l’aymer, & de l’honorer tousiours tres-particulierement,
l’vn pour les soins de sa bonne education,
& l’autre pour le bon-heur de sa sage conduite.
Il n’est pas de mon sujet de rapporter icy les grandes
actions de ce Sainct Roy, qui furent toutes de vertu
ou de Miracle, & que le succés ne rendoit pas moins
glorieuses que leur difficulté les faisoit estre heroïques.
Il me suffit de dire en cette rencontre, que dans
toute la conduite de ses desseins, & dans le but de
toutes ses actions ; dans le peril de ses guerres, & dans
les soin des affaires les plus importantes de son Estat,
il eut tousiours la Reyne Blanche sa mere pour confidente,
ou pour associée, & que la gloire de l’vn estoit
tousiours heureusement confonduë dans celle de
l’autre.

Dans le cours de tant de glorieuses entreprises. Ce
Sainct Roy partant pour aller à la Terre-Saincte, institua
sa mere Regente vne seconde fois en France, &
luy donna pour ce sujet des lettres dattées de l’Hospital
sous-Corbeil en l’an mille deux cens quarante-six
au mois de Iuin, auec vn plein pouuoir de disposer
absolument, tant des Charges seculieres en ce
Royaume, que des Benefices Ecclesiastiques. Elle
l’accompagna de presence corporelle iusqu’à Lyon :
mais elle le suiuit dans tout son voyage d’affection &

-- 56 --

de pensée. Par vn mal-heur deplorable à la France,
ce Sainct Roy ayant esté pris des Sarrasins en la Palestine,
la Regente en fut d’autant plus sensiblement
touchée, qu’elle aymoit son fils plus que toutes les
meres du monde n’ayment leurs enfans, & encore
non pas tant pour ce qu’il estoit son fils, que pour ce
qu’il estoit parfait. Aussi la violence de sa douleur la
conduisit bien-tost au tombeau, n’ayant pas voulu
suruiure à la captiuité de son fils, qu’elle estimoit digne
d’vn meilleur sort que celuy que la prouidence
luy faisoit souffrir. La nouuelle de cette mort fut
portée à S. Louys vn peu de temps apres sa deliurance
par le Cardinal de Rome Legat du Pape à la Terre-Saincte,
& apres auoir tesmoigné d’abord au recit
de cette nouuelle les sentimens veritables d’vn bõ fils
vers vne si bonne mere ; il parla en Sainct, & agist en
Chrestien ; s’estant ietté à genoux il dist ces pitoyables
paroles. Ie vous rends graces (ô mon Dieu !) de ce
qu’il vous a pleu de me prester Madame ma tres-chere
mere, iusques en ce temps. Il est vray que ie l’aymois
plus que toutes les choses du monde, comme elle le
meritoit aussi : mais puis que vous me l’aués ostée, vostre
Sainct nom soit beny. Il auoit receu peu auparauant
vn puissant secours d’hommes & de deniers que la
Regente, qui n’auoit point encore perdu le cœur
dans cette consternation publique luy auoit enuoyé,
& qui luy seruit depuis pour le renfort de son armée,
& pour le payement de sa rançon. Mais comme les
affaires ne paroissent iamais de loin ce qu’elles sont
de prés, pour haster le secours, & preuenir son retour,

-- 57 --

il auoit despesché en France Alfonse & Charles ses
deux freres, lesquels arriuerent assés à temps pour assister
à la mort de leur Mere, & luy fermer les yeux
qu’elle n’auoit iamais ouuerts que pour leur protection,
ou pour leur defense. Dans vn sentiment partagé
de douleur & de ioye, cette Saincte Reyne les
eleuant encore vers le Ciel, leur donna à tous deux sa
benediction, & mourut sur leur sein, & comme entre
leurs bras, l’an mil deux cẽts cinquante deux. Elle
leur laissa en suite auec le soin de Philippes son petit
fils, la Regence du Royaume. Son corps fut porté en
l’Abbaye de Maubuisson proche de Pontoise, qu’elle
auoit fait bastir auec celle du Lis prés de Melun ; où il
repose auec vn prejugé presque certain de la gloire
de son ame. Il se trouue des Autheurs qui disent que
cette Saincte Reyne, cinq ou six iours deuant son
trespas prit l’habit des Religieuses de Maubuisson
de l’Ordre de Cisteaux, qu’elle y fit les vœux de Religion,
& qu’elle est encore mise au rang des Sainctes
de cét Ordre. Certainement dans quelque estat
qu’elle mourust de Religieuse ou de Reyne, toute la
conduite de ses actions nous fait assés iuger que la
tranquillité de la mort procéde ordinairement de la saincteté
de la vie, & qu’en l’vn & en l’autre le bon-heur est
tousiours vne recompense inseparable de la Vertu : Comme
il paroist en l’Epitaphe suiuant consacré à l’heureuse
memoire de ceste illustre Princesse.

 

III.
La seconde
Regence de
Blanche.

Nangis.
Collenutius.
Chronique de
S. Denis.

Ioinuille. c. 44.

Vigner.

Le Commentateur
de l’Histoire
de S.
Louys, escrite
par Ioinuille.

-- 58 --

EPITAPHIVM
REGINÆ BLANCÆ.

 


Ex te Castella ! Radians vt in athere stella,
Prodijt hæc Blanca, quam luget natio Franca,
Rex pater Alfonsus, Ludouicus Rex quoque spõsus,
Quo viduata REGENS agit, vt vigeat requiescẽs.
Hinc peregrinante nato benè rexit, vt ante :
Tandem se Christo cœtu donauit in isto,
Cuius tuta malis, viguit gens Franca sub alis
Tanta prius, lalis jacet hîc pauper Monialis.

 

Iacet ad Pontæsiam in Abbat. Maubuissonij, sepulchro
æreo condita in medio sanctimonialium
choro.

-- 59 --

VIII.
IEANNE De Nauarre, femme de Philippe le Bel, & Regente
pendant ses voyages hors du Royaume.

IEANNE DE NAVARRE fut fille
vnique, & heritiere vniuerselle
de Henry Roy de Nauarre Comte
de Champagne & de Brie, &
d’Isabeau fille de Robert Comte
d’Artois, & frere de sainct Louys.
Elle fut mariée à Philippes IV Roy de France, dit
le Bel, auquel elle apporta le Royaume de Nauarre
par son mariage, dont il porta le nom & les Armes
deuant le decés de son pere. Ils vescurent ensemble
en grande paix & vnion, autant conformes de volontés
& de naturels qu’ils estoient semblables d’inclinations
& de desirs. Tandis que ce Prince dressoit
à la Iustice ce superbe bastiment du Palais à Paris, où
il establist depuis le sejour arresté du Parlement ; cette
Princesse compagne inseparable de ses actions, s’occupoit
à bastir aux hommes d’estude le beau College,
qui de son nom s’est appellé de Nauarre, & qui la
reconnoist encore auiourd’huy, comme sa Fondatrice.

-- 60 --

Elle eut de Philippes le Bel trois fils egalement
beaus comme luy, & sages comme elle. Dans les diuers
voyages que la necessité de ses affaires l’obligerent
de faire en Flandres, & hors des frontieres de son
Estat, il establist tousiours en sa place la Reyne Ieãne
sa femme Regente du Royaume, où elle fit regner
par sa bonne conduite l’abondance auec la paix. Vn
seul deplaisir trauersa son bon-heur. Ce fut de voir
le deshoneur dans sa maison, & ses trois fils honteusement
deshonorés par l’incontinence de leurs femmes,
lesquelles estans surprises dans l’action mesme
de leur crime, ne peurent nier qu’elles ne fussent coupables.
Aussi l’vn des premiers soins de cette Reyne,
& des plus importans emplois de son ame en cette affaire,
fut de chastier seuerement les corrupteurs de ses
brus, & leur donner à elles-mesmes les grilles pour
prisons, & des Monasteres pour leurs supplices. Peu
apres, sçauoir en l’an mille deux cẽts nonante-quatre
le Roy Philippes le Bel estant au bois de Vincennes,
ordonna que la Reine Ieanne son espouse seroit Regente
du Royaume, & tutrice de ses enfans, tãt qu’elle
demeureroit en viduité, & luy substitua en cette
charge Charles de France Comte de Blois son frere,
voulãt qu’il obeïst immediatement à la Reyne seule,
& qu’il commandast absolument au reste du Royaume,
comme associé à la Regence. Mais cette volonté
du Roy n’eut point d’effet, dautant que le Roy reuint
en santé, & la Reyne mourut auparauant son
mari, asses heureuse d’auoir eu l’honneur de la Regence,
sans en auoir les peines.

 

Testament de
Philippes le
Bel.

Belle-Forest.

-- 61 --

IX.
IEANNE De Bourbon femme de Charles V. & Regente
du Royaume par son Testament.

IEANNE DE BOVRBON fut fille de
Charles Duc de Bourbon, Princesse
d’vne excellente beauté, & d’vn esprit
capable de grandes affaires. Elle fut
mariée au Roy Charles V. surnommé
le Sage, lequel ne dementit point la verité de son
nom en ce qu’il la prefera à l’vn que heritiere de
Flandres, & en elle à toute la commodité de son
Royaume. Il l’ayma encore depuis auec vne passion
si extraordinaire en vn homme sage, qu’en toute
autre elle eust passe pour vne folie il en eut deux
fils & vne fille. Charles VI. naquit le cinquiesme
Decembre en l’an mil trois cens septante & vn, &
fut tenu au Sainct Baptesme par Charles Duc de
Montmorancy, & baptise par Des sormans Euesque
de Beauuais, & Chancelier de France. Louys

-- 62 --

fut Duc d’Orleans. La fille fut Isabeau mariée à Richard
Roy d’Angleterre. Ce sage Prince reconnoissant
en sa femme, vn esprit iudicieux & propre à gouuerner
vn Royaume, il prenoit d’ordinaire son auis
dans les affaires les plus importantes de son Estat.
Aussi dans le peu de santé qui luy restoit depuis son
empoisonnement par le Roy de Nauarre, & se
voyant à la fin de sa vie, lors qu’il ne deuoit estre
que dans son commencement, il ordonna estant à
Melun en l’an de Grace mil trois cens septante quatre,
que la Reyne Ieanne de Bourbon sa femme
seroit Tutrice principale, & Regente souueraine en
sa place, tant du Royaume que de ses enfans, &
auec elle Philippes Duc de Bourgogne frere du
Roy, & Iacques Duc de Bourbon frere de la Reyne.
Mais le changement des affaires, & l’ambition
des oncles du Roy mineur, violerent cette Ordonnance.
Outre que, lors mesme que Charles formoit
ce dessein, la Reyne luy fut subitement rauie
par vne mauuaise couche. Cette mort auança la
sienne, & l’on remarqua que depuis la mort de sa
femme, il ne porta plus de santé : de sorte que se
trouuant affoibly plustost par le poids des grandes
affaires, que par la longueur de son âge, il pourueut
à la minorité de son fils, auec la mesme sagesse
qu’il auoit gouuerné l’Estat. Dans cette disposition
d’esprit, & estant au lict de la mort, il fait
appeller en sa Chambre, Louys Duc d’Anjou,
Iean Duc de Berry, & Philippes Duc de Bourgogne
ses freres, & Iacques Duc de Bourbon frere de

-- 63 --

la defuncte Reyne y fut ajousté en sa consideration.
Leur ayant d’abord recommandé ses enfans
& son peuple, & donné des auis necessaires en cette
rencontre pour le gouuernement de son Estat, il
leur laissa la tutele de son fils, & la Regence du
Royaume. Mais helas que de confusion dans cette
minorité ! Le Regent est trauerse aussi-tost par ses
associés qui pretendent d’auoir auec luy vne égale
authorité de commander ; & luy-mesme abusant
imperieusement de la puissance qui luy est commise,
il veut commander en Roy, & non pas en
Regent, siecle de confusion & d’horreur ! où celuy-là
est Roy ou Regent en France, lequel est moins digne
de regner.

 

Testament de
Charles V.
Belle-Forest
en son hist.

-- 64 --

X.
ISABEAV De Bauiere femme de Charles VI. & Regente
en France durant sa maladie.

ISABEAV DE BAVIERE fut fille d’Estienne
Duc de Bauiere, sœur de Louys,
& niepce de Guillaume aussi Duc de Bauiere.
Elle fut mariée au Roy Charles
VI. par l’ordre de Charles V. dit le Sage,
lequel ordonna en mourant que cette alliance fut
preferée à celles d’Angleterre & de Lorraine qui luy
estoient presentées, en dessein d’egaler en Allemagne
par cette Alliance le credit que Richard Roy
d’Angleterre & l’Empereur Venceslas y pouuoient
auoir, l’vn par sa dignité d’Empereur, & l’autre par
son mariage auec la fille du Roy de Boheme. La
celebrité des nopces de Charles & d’Isabeau fut faite
à Amiens auec vne ioye incroyable de toute la Cour,
sur tout de Louys Duc d’Anjou alors Regent en
France, & de ses trois associés au gouuernement de
l’Eatat : sçauoir Iean Duc du Berry, Philippes Duc

-- 65 --

de Bourgogne, & Iacques Duc de Bourbon ; Cette
Princesse faisant alors esperer à la France autant de
bon heur de son esprit iudicieux, & de son naturel
facile & accommodant, qu’elle luy apporta depuis
de mal-heurs par son mauuais courage, & par sa conduite
imperieuse & embarassée. Elle fit son entrée à
Paris auec vn appareil si pompeux & si auguste, qu’il
sembloit plustost auoir l’apparence d’vn triomphe,
que la suite d’vn voyage. Entre autres magnificences
de cette entrée, on dit que le Pont-au-Change
fut tout tendu de taffetas bleu semé de fleurs de Lis
d’or, & que dans le moment que la Reyne passa en ce
quartier, vn homme volant des tours de Nostre-Dame
vint fondre sur elle, & luy mit vne Couronne
d’or sur la teste. Comme cette Princesse estoit doüée
d’vne intelligence iudicieuse à former les desseins des
grandes affaires, & d’vn courage encore plus fort à les
conduire heureusement à l’issuë qu’elle en souhaitoit,
elle se mesla deslors fort auant dans l’intrigue, &
s’interessa dans le gouuernement de l’Estat pendant
la ieunesse de son mari, dont par vn exemple fameux
d’ambition & d’auarice, on prolongea la minorité
iusqu’à l’âge de dix-huictans ; vsant ainsi fauorablement
des diuisions des Ducs d’Anjou & d’Orleans, de
Bourgogne & de Bourbon, qui dans ce siecle de trouble
& de confusion, furent chacun à leur tour l’vn
apres l’autre Regens en France. Depuis encore dans
le regne absolu de Charles VI. Le démeslé de cette
Reyne Isabeau de Rauieres auec Valentine Duchesse
de Milan, & femme de Louys Duc d’Orleans, c’est

-- 66 --

à dire les quereles d’vne Alemande auec vne Italienne,
firent d’estranges broüilleries à la Cour, & de
cruelles intrigues dans l’Estat ; l’vne fauorisant le
party Bourguignon, & l’autre celuy de la maison
d’Orleans, à laquelle elle estoit alliée. En ce temps
Dieu affligea la France par la maladie de son Roy
Charles VI. auquel en partie les mouuemens d’vne
cholere furieuse & enragée contre les meurtriers de
son frere le Duc d’Orleans, en partie l’atteinte d’vne
peur soudaine & impreueuë à son voyage de Bretagne,
osterent tout l’vsage du sens & de la raison, & le
ietterent dans vne interdiction d’esprit si horrible,
qu’il ne se connoissoit plus, ny entant qu’homme, ny
comme Roy ; & bien loin de gouuerner vn Royaume,
qu’il ne pouuoit pas seulement se conduire luy-mesme.
Bien que dans le premier effort de cette
maladie, il n’eust aucun relasche de son mal, il s’amoindrît
depuis par des interualles reglés qui le mettoient
quelquesfois dans vn estat metoyen entre la
folie & le bon sens. L’ordre que l’on donna au gouuernement
du Royaume dans cette conioncture
d’affaires, fut de laisser la direction de la santé & de la
personne du Roy à la Reyne Isabeau de Bauieres, &
de donner le gouuernement de l’Estat à Philippes
Duc de Bourgogne, sous le titre de Lieutenant General
du Royaume. Ce reglement dura iusqu’à la
maiorité du Duc d’Orleans frere vnique du Roy, lequel
apres l’eloignement du Duc de Bourgogne,
partagea auec la Reyne sa belle sœur tout le Gouuernement
de la France, soit public ou domestique.

-- 67 --

Depuis encore cette Princesse gouuerna coniointemẽt
l’Estat auec Charles le Dauphin son fils, plustost par
diuisiõ de puissances, que par vne vnion bien estroite
de volontés. Ce fut en ce miserable siecle, où la France
se veid diuisée en deux partis contraires de Bourguignons
& d’Armagnacs ; où la mort d’vn Duc d’Orleans
fut vangée par le meurtre d’vn Duc de Bourgogne
qui l’auoit faite. Objet affreux ! spectacle horrible,
broüillerie & meslange d’affaires detesté de
toute la posterité ! Vn oncle meurtrier de son nepueu,
deux proches parens assassins l’vn de l’autre, vne mere
ennemie de son fils, la Regente contraire au Dauphin,
Isabeau de Bauieres animée contre son propre
sang, & contre Charles VI. le legitime heritier de cette
Couronne ; Femme cruelle, Mere denaturée, Regente
impitoyable ! Tantost elle est attachée au party
d’Orleans, & puis à celuy de Bourgogne, quelquesfois
elle s’entremet de la paix entre les partis, d’autresfois
elle enflamme la guerre ; aussi inconstante en ses
inclinations qu’obstinée à ses interests. Son esprit est
atteint d’ambition, lors qu’il n’est plus touché d’auarice,
& son cœur tousiours cruellement diuise entre
l’amour de ses ennemis, & la haine de ses enfans ; Ou
plustost il s’vnit tousiours entre le desespoir du
pardon, & le desir de la vengeance. Il n’est pas
ayse de dire quel fut le veritable sujet de la rupture
de la Reyne Isabeau, auec Charles le Dauphin son
fils. Les vns l’attribuent au scandale de ses amours
auec vn ieune Seigneur nommé Louys Bourdillon,
les autres à vne secrette auersion qu’elle auoit tousjours

-- 68 --

euë contre Charles qui estoit le III. Dauphin
qu’elle auoit veu entre ses enfans, apres Louys & Iean
ses aisnés. Quelques-vns à la bisarrerie de son esprit
aussi changeant à aymer ce qu’elle auoit vn peu auparauant
hay, comme il estoit leger à hayr ce qu’elle
auoit autresfois vniquemẽt aymé. D’autres à la hayne
irreconciliable du Connestable d’Armagnac, fauory
de Charles, & ennemy de cette Princesse. Mais
certainement quelque cause qu’ayt eu vne si cruelle
dissension, il est certain que Charles ayant relegué à
Tours sa Mere la Reyne Isabeau, pour qu’elle ne
peût point nuire à ses affaires, Elle en fut tirée par le
Duc de Bourgogne, & en suite declarée Regente du
Royaume en sa place de son fils, auec vn Seau remarquable,
où elle fit grauer son Image animée de ces
mots. C’est Le Seau de la Souueraineté du Roy. Iamais
la France n’auoit veu dans vn mesme temps vn Regent
& vne Regente, & tous deux opposés l’vn à l’autre,
sinon en cette rencontre, ou par vn exemple de
rigueur remarquable à la posterité, elle veid vne Mere
cruellement armée contre son propre sang, faire la
paix & alliance auec son ennemy, pour declarer la
guerre à son propre fils, & preferer vn gendre à vn fils
au droict de la succession à la Couronne. Et c’est ce
que fit le crime de cette mauuaise Mere, lors qu’ayant
marié sa fille Catherine à Henry V. Roy d’Angleterre,
elle abusa si fort de la folie & de la credulité de son
mari Charles VI. egaré de son sens, que de luy faire
desheriter le legitime heritier de ce Royaume, pour
subsister en sa place l’ancien ennemy de l’Estat.

 

I.
Le regne d’Isabeau.

II.
La Regence
d’Isabeau.

-- 69 --

L’acte en fut fait à Troyes en Champagne le 21.
iour de May l’an 1420. En ces termes, Que pour establir
la Paix aux deux Royaumes de France & d’Angleterre,
& en consideration du mariage de Catherine de France
auec Henry VI. Roy d’Angleterre, Il le declaroit Regent
du Royaume pendant son viuant, & Roy apres sa mort, &
que Charles son fils pour ses crimes de rebellion & desobeyssance,
seroit exilé du Royaume à perpetuité, & exclus
de la succession à la Couronne. Le Dauphin appelle de
cét Arrest à Dieu, & à son espée ; & l’vn & l’autre le
restabliront vn iour en l’Estat d’où il est maintenant
chassé par la cruauté d’vne mere furieuse & enragée,
& par les fourbes d’vn oncle artificieux, & cependant
Henry Roy d’Anglerre se met en possession
de la Couronne, auec d’autant plus de facilité, que
personne ne luy resiste. Il est receu à Paris, & salüé
comme Roy de France, à la mort de Charles VI. laquelle
fut bien-tost suiuie de celle d’Isabeau sa femme.
On dit qu’elle mourut de joye de s’estre bien
vangée de son fils, & de voir l’Anglois estably Roy
de France en sa place ; deuant plustost mourir de regret
d’auoir si cruellement affligé l’Estat par sa mauuaise
conduite. Elle fut enterrée à S. Denys sans pompe,
& sans honneur. Femme cruelle, mere denaturee,
Reyne du tout indigne du Sceptre. Elle qui auoit fait
tant de bruit pendant sa vie, meurt sans autre memoire
que d’auoir trop vescu pour la France, assez
pour ses enfans, & trop peu pour elle-mesme.

Iuuenal. [illisible]
Vesins
Froissard
Belle-Forest
Mon[illisible]
[illisible]

-- 70 --

XI.
ANNE De France, sœur de Charles VIII. Regente
du Royaume dans sa minorité, & durant
son voyage de Naples.

ANNE DE FRANCE fut fille de
Louys XI. & sœur aisnée de Charles
VIII. Roys de France. Elle fut accordée
premierement à Nicolas Marquis
du Pont, & fils aisné du Duc de
Lorraine, puis mariée à Pierre de Bourbon Seigneur
de Beau-jeu, qui fut Duc de Bourbon par le decés de
Iean son frere aisné. Ce Prince de Gouuerneur
du Roy Charles VIII. du viuant de son pere, fut son
Tuteur & Regent du Royaume apres son trepas.
Mais bien qu’il en portast la qualité par l’ordre du
feu Roy, & par le consentement des Estats, sa femme
Aune de France sœur du Roy en possedoit effectiuement
toute l’authorité. Cette Regence commença
heureusement par le Sacre du Roy à Reims, & par la
punition de quelques Financiers qui s’estoient enrichis
sous le feu Roy, par la ruine du peuple. Le Roy
croissoit de iour à autre en santé de corps, & en force

-- 71 --

d’esprit : de sorte, qu’entrant dans sa quatorziesme
année, où la minorité des Roys expire, pour terminer
les differens des Princes, Pierre Duc de Bourbon,
& Louys Duc d’Orleans, que l’ambition ou l’auarice
faisoit contester de la Regence du Royaume, les
Estats Generaux assemblés à Tours ordonnerent sagement
qu’il n’y auroit point de Regent en France :
Mais qu’Anne de France femme de Pierre de Bourbon
Seigneur de Beau-jeu, saur du Roy, auroit le Gouuernement
de la personne de sa Majesté, suiuant la volonté du
Roy Louys XI. son pere, & que d’ailleurs toute la direction
des affaire politiques seroit au Conseil d’Estat composé indiuisiblement
des Princes du sang, & des principaux Officiers
de la Couronne. Le Duc d’Orleans qui se voyoit
frustré de son dessein par cette Ordonnance des
Estats, ne se peût empescher de tesmoigner le mescontentement
qu’il auoit de ce rebut en sa retraite
de la Cour, & sortant de Paris, de preuenir ainsi la
mauuaise volonté de la Gouuernãte du Roy, laquelle
auoit donné ordre de l’arrester. Et il est sans doute
que sa ligue grossie des Ducs d’Angoulesme, & du Sire
d’Albret, eust cause de grands troubles dãs l Estat,
n’eust esté qu’elle fut estouffée dans sa naissance par
la conduite de cette sage Princesse, & par la resolution
de son mari deuenu Connestable depuis l’assemblée
des Estats. Il est vray que l’ambition ou l’opiniastreté
de cette Princesse fut visible, en ce que dans
vne Conference d’accord qui fut tenuë à Alençon,
pour pacifer tous les differens des Princes ligués, elle
ne voulut en rien du tout relascher de l’authorité

-- 72 --

qu’elle auoit vsurpée en l’administration des affaires
d’Estat, sous ombre du Gouuernement de la personne
du Roy qui luy auoit esté confiée, & qui dans vn
âge de plus de quinze ans, ne parloit encore que par la
voix de sa Gouuernante, & n’agissoit que par son organe.
Tout eclate donc en vne guerre ciuile qui fut
presque aussi tost finie qu’elle auoit esté commancée,
par l’accommodement du Duc d’Orleans auec le
Roy, & par la reconciliation des Princes auec la Regente.
Mais comme cét accord estoit peu solide, aussi
fut-il de peu de durée. Les Princes renouuellerent
leur ligue aussi tost que leur me contentement se renouuella.
Le Duc de Bretagne qui s’y ioint, grossit
la partie de plus de la moitié. Mais sa ionction à la ligue
des Princes ne seruit qu’à croistre l’honneur de la
victoire que le Roy & sa Gouuernante remporterent
à S. Aubin sur le Duc d’Orleans, & sur le Duc de Bretagne
vnis ensemble. La paix qui suruint en suite de
cette guerre, fut d’autant plus fortement affermie,
qu’elle fut authorisée par le mariage du Roy Charles
VIII. auec Anne fille & heritiere vnique du Duc
de Bretagne, laquelle luy apporta cette Duché pour
fruict de sa victoire, & de leur mariage.

 

I.
Anne Gouuernante
du
Roy.

Cependant Charles entreprenant le voyage de
Naples, ordonna en son absence Pierre de Bourbon,
& sa sœur Anne Regens en France. Là tandis que ce
ieune Prince par tout victorieux s’asseure de Milan,
pacifie Florence, rauit Rome, prend Naples, estonne
toute l’Italie, & que toutes les villes ausquelles il passe,
ou l’embrassent comme amy, ou luy obeyssent

-- 73 --

comme vainqueur ; Ce Prince & sa femme maintiennent
toutes les parties de l’Estat en vne profonde
paix, d’autant plus agreable qu’elle estoit dans le
trouble de toutes les Prouinces de l’Europe. Au retour
du Roy en France, Anne l’accueillit, & comme
frere, & comme Souuerain ; & allant au deuant de luy
iusques sur les frontieres, elle le receut comme le Conquerant
de Naples, & comme le Heros victorieux de
l’Italie. Ce Prince n’ayant pas long-temps suruescu
à sa victoire, & estant mort par vn accident aussi funeste
à la France qu’il fut impreueu à luy-mesme.
Cette sage Princesse entre les bras de laquelle il expira,
le suiuit bien-tost au trespas, comme elle l’auoit
tousiours accompagné pendant sa vie. Elle mourut
plus chargée de merites que d’années, & encore
moins regrettée des siens que pleurée vniuersellement
de toute la France, qui perdoit en elle vne Protectrice
egalement puissante, & affectionnée.

 

II.
Anne de France
Regente.

-- 74 --

XII.
LOVISE De Sauoye Mere de François I. Regente pendant
ses voyages d’Italie, & durant sa
prison en Espagne.

LOVYSE DE SAVOYE fut fille de
Philippes de Lagey fils aisné d’Amedée
Duc de Sauoye, & de Marguerite
de Bourbon, fille de Pierre Il. Duc
de Bourbon. Elle fut mariée à Charles
Comte d’Angoulesme descendant du Roy Charles
V. pere de Louis Duc d’Orleans son ayeul. Entre
autres enfans, elle en eut vn fils, qui fut François,
premierement Duc de Valois & d’Angoulesme, puis
Roy de France. Ce fut par son auis, & par sa conduite
que ce Prince espousa Claude de France fille vnique
de Louys XII. auquel il succeda de droict à la
Couronne. On trouue vn Testament de ce Roy
Louys XII. fait en l’an mil cinq cents cinq, le dernier
iour de May, par lequel ce Prince iudicieux ordonna
qu’apres sa mort, & durant la minorité de François
Duc de Valois le legitime heritier de la Couronne,
la Regence du Royaume seroit diuisée entre la Reyne

-- 75 --

Anne son espouse, Louyse de Sauoye Mere de
François, & qu’auec elle, le Cardinal d’Amboise, le
Comte de Neuers, le Chancelier, & quelques autres
Seigneurs tiendroient le Conseil Souuerain. Mais ce
Testament n’eut point d’effet, dautant que lors que
Louys XII. mourut, François I. de ce nom qui luy
succeda à la Couronne, estoit maieur, & ainsi il n’y
auoit plus de lieu à la Regence. Neantmoins il est
certain que Louyse de Sauoye eut tousiours grande
part au Gouuernement des affaires publiques durant
tout le regne de son fils, lequel auoit vne confiance
tres-particuliere en sa bonne conduite, & conserua
tousiours enuers elle durant toute sa vie, vn amour
cordial, & vn respect inuiolable.

 

I.
Louyse designée
Regente.

Aussi dés son premier voyage d’Italie il la laissa
Regente en France, auec vn pouuoir absolu dans l’Estat ;
& à son depart il luy donna en proprieté les Duchés
d’Anjou & du Maine. Ce choix que le Roy fit
de sa mere pour le Gouuernement du Royaume fut
approuué generalement de tous les Princes ; chacun
d’eux connoissant son merite, & d’ailleurs demeurant
assés content de n’auoir pas le mécontentement
de se voir en ce choix postposé à vn autre, auquel
il s’estimoit superieur en authorité, ou egal en
naissance. Aussi durant que François fait vne sanglante
guerre en Italie, qu’il domte les Suisses, &
prend Milan, la Regente maintient la France en vne
profonde paix, & occupe tous ses soins à regler la Iustice
& les Finances, la Cour & les Prouinces, la Noblesse
& les Ecclesiastiques. Dans ce siecle de guerre

-- 76 --

& de ligues, où la France se veid opposer à elle
seule, toute l’Europe armée, & où François I. eut
à combatre, en Charles-Quint Empereur, vn riual
lequel auoit par tout des sujets, ou des alliés ; La
Regente assista tousiours son fils en ce qu’elle peût,
d’argent, & de conseil, de vœux & de desirs. Deux
seules taches, au rapport de nos Historiens ont soüillé
sa Regence & sa vie ; L’vne est qu’en ce temps
elle fut cause de la perte du Royaume de Naples
conquis par Odet de Foix, Seigneur de Lautrec,
l’vn des Heros de ce siecle ; en luy retenant par
vne secrete hayne, quatre cents mille escus que le
Roy luy faisoit tenir pour la subsistence necessaire
de ses troupes. L’autre est que l’amour extréme
qu’elle auoit eu pour Charles de Bourbon Connestable
de France, dont elle auoit esté refusée dans
ses recherches de mariage, s’estant tourné en vne
haine mortelle, elle luy suscita tant de quereles,
ou en empeschant qu’il n’eust entrée au Conseil
du Roy, ou en luy intentant des procés pour la
succession de sa femme Susanne, qu’elle contraignit
en quelque façon ce Prince de prendre le party
de Charles-Quint Empereur l’ennemy declaré
de cét Estat ; & fut cause, qu’estant iustement irrité
de ses mespris, apres auoir declaré la guerre à son
propre pays, il la denonça au Pape, & mourut en
prenant Rome, où il fut tout à la fois, & victorieux
& vaincu. Cependant apres la Iournée de Pauie, fameuse
par la deroute des François, & par la prise de
leur Roy, Louyse de Sauoye, laquelle estoit vne seconde

-- 77 --

fois Regente de l’Estat, conuoqua à Lyon vne
assemblée des Estats Generaux, pour deliberer & resoudre
des moyens de procurer la liberté au Roy, &
pouruoir à la defense du Royaume. Le premier &
principal soin de cette Princesse fut d’enuoyer aussi-tost
des Deputés en Espagne, pour traicter de la rançon
du Roy, dont l’elargissement fut conclud au
Traicté de Madrid, & relasché en suite aussi tost que
ses deux fils, François le Dauphin, & Henry Duc
d’Orleans furent receus en sa place pour ostages. Ainsi
comme cette Princesse auoit heureusement reüssi
dans sa premiere Regence, son Gouuernement dans
la seconde, parut de-là si iudicieux & si sage, que le
titre de REGENTE luy fut tousiours continué depuis
le retour de son fils en France, & mesme durant
tout le cours de sa vie. Elle mourut presque au mesme
temps, que pour cimenter la Paix de la France
auec l’Espagne, François I. espousa Eleonor sœur de
Charles-Quint, & doüairiere de Portugal, faisant iuger
dans toute la conduite de sa vie QVE L’AMOVR
DES FEMMES, ET LEVR HAINE sont tousiours
irreconciliables.

 

II.
Louyse Regente.

De Serres.
Duplex soustient
les memoires
du Bellay.

Ferron.
Guill. du Bellay
P. Ioue
F. Belcar.
Du Tillet.

-- 78 --

XIII.
CATHERINE De Medicis femme de Henry II. & trois
fois Regente en France, pendant le voyage
de Henry II. en Alemagne, dans la
minorité, & dans la maladie de son fils
Charles IX. & attendant le retour de Henry
III. de Pologne en France.

CATHERINE DE MEDICIS fut fille
de Laurent de Medicis Duc d’Vrbin,
& de Magdeleine fille & heritiere
de Iean de la Tour, Comte de
Bologne, & niepce du Pape Leon X.
de cette maison de Medicis. Elle fut mariée à Henry
II. qui ne portoit alors que la qualité de Duc
d’Orleans, & qui depuis fut Dauphin & Roy de
France, apres la mort de François son frere aisné ;
Leurs nopces furent celebrées à Marseille, en presence
du Pape, & du Roy, qui confirmerent leur amitié
par cette alliance. Le motif de ce mariage fut que

-- 79 --

le Roy esperoit que l’amitié & l’alliance du Pape luy
seroit vtile au recouurement du Royaume de Naples,
du Duché de Milan, & de la Seigneurie de Gennes,
qui estoient les trois pierres precieuses que Philippo
Strozzy Gentil-homme Italien dist alors aux
Tresoriers de l’Epargne, deuoir composer la dotte de
la Reyne Catherine, mieux que les cent mille escus,
& les Duchés de Regio & de Modene qu’elle apportoit
à la Couronne. L’amour & l’estime de Henry II.
enuers cette Princesse, furent si remarquables, que
partant pour son voyage d’Alemagne, il l’establist en
sa place Regente du Royaume, auec commandement
à tous les Gouuerneurs des Prouinces, & des
places particulieres, de luy obeyr de mesme qu’au Roy,
s’il eust esté present. Et pour la soulager d’vne partie du
poids des affaires, il establist vn Conseil aupres d’elle,
auquel l’Admiral Annebaut deuoit auoir la principale
authorité. Là tandis qu’il prend Mets, qu’il s’asseure
de Toul & de Verdun, que par tout il se fait de
nouueaux subjets, ou qu’il domte les rebelles, qu’il
protege les Princes opprimés, ou qu’il domte les
insolens, tout est paisible dans le Royaume par la sage
conduite de Catherine qui gagne les vns par les
biens-faits, flechit les autres par les menaces, & dispose
absolument des vns & des autres par l’adresse
de sa bonne conduite. Mais elle ne s’occupe pas seulement
à la Police Ciuile, elle agit aussi vigoureusement
dans les affaires de la guerre. Les troupes de
Marie Reyne de Hongrie & Gouuernante des Pays-bas,
se preualans de l’absence du Roy, estoient alors

-- 80 --

entrées en Champagne, & desoloient vniuersellemẽt
les villes & les bourgades. Cette Reyne aussi courageuse
dans les perils de la guerre qu’elle estoit iudicieuse
dans les affaires de la paix, s’oppose à elles,
auec vne resolutiõ qui surpassoit l’âge & le sexe, & recogne
les troupes dans leur païs, auec la méme promptitude
qu’elles en estoient sorties pour entrer en
France. Son mariage auec Henry II. luy auoit donné
dix enfans, cinq sils, & autant de filles ; dont elle en
veid trois regner successiuement l’vn apres l’autre :
sçauoir François II. Charles IX. & Henry III. &
deux de ses filles Reynes ; l’vne de France, & l’autre
d’Espagne ; sçauoir Marguerite mariée à Henry IV.
& Isabeau mariée à Philippes II. Ce fut dans l’appareil
de ces nopces, où le Roy son mari luy fut miserablement
enleué par vn accident aussi funeste qu’il
estoit extraordinaire. On auoit conclud la Paix auec
l’Espagnol, & pour la rendre plus durable, auec la
reddition de plus de quatre-vingt places ; Henry luy
auoit donné encore l’vne de ses filles, afin de lier
cette alliance par vn nœud plus fort & plus inuiolable !
Mais la réioüissance de la Paix, & l’eclat de ses
nopces furent subitement changées en vn deüil public,
& en vne pompe funebre à cause de la mort du
Roy tué d’vn eclat de lance, par le Comte de Montgommery,
que ce Prince auoit obligé de jouster contre
luy dans le Carrousel qu’il auoit fait dresser à la
porte de S. Anthoine, pour tesmoignage du contentement
public, & de sa joye particuliere. La Reyne
inconsolablement affligée d’auoir perdu le Roy son

-- 81 --

mari, & de se voir chargée d’vne si nombreuse lignée,
dont à peine l’aisné pouuoit ayder au plus petit ; Elle
eut encore ce sẽsible deplaisir de se voir, elle & le Roy
François II. son fils, inuestie par les Princes de la maison
de Guise, & en mesme temps attaquée de leurs
riuaux, Anne de Montmorency Connestable, & de
Gaspar de Colligny Admiral de France. Ce furent
alors trois partis contraires formés dans l’Estat, dont
celuy du Roy paroissoit le plus foible en authorité,
bien qu’il fust le plus fort en raison. Le Duc de Guise
pour les Catholiques, l’Admiral pour les Religionaires,
& le Connestable pour soy-mesme, agissoient
dans l’Estat, autant in dependemment du Roy, comme
par opposition de l’vn à l’autre. Tout ce que peût
faire en cette conioncture, cette sage & iudicieuse
Reyne, fut de rendre veritable la deuise de sa maison,
De les diuiser tous ensemble, pour se les vnir plus fortement,
& ainsi regner elle seule absolument, & posseder
tout le credit, par l’amoindrissement de leur authorité
partagée entre plusieurs. Certainement elle
fit beaucoup, puis qu’elle sceut preseruer son fils, &
toute la Cour de la coniuration d’Amboise, où auec
la mort du Roy, les Heretiques ne destinoient rien
moins que le changement de l’Estat, & toute la perte
du Royaume.

 

I.
Le regne de
Catherine de
Medicis.

II.
La premiere
Regente.

Diuide vt regnes.
In heroïcis
symbol.

Depuis la mort de François II. enleué de ce
monde en la seiziesme année de sa vie, & à l’aduenement
à la Couronne de Charles IX. son II. fils, la Reyne
par le consentement vniuersel de tous les Ordres
du Royaume, fut declarée Tutrice du Roy, encore à

-- 82 --

l’âge de neuf ans, & Regente en France dans vne
estrange broüillerie de Religion & d’Estat, d’intrigues
& d’affaires ; Veu mesme que par le préjugé du
Roy Henry II. qui l’auoit establie Regente durant
son voyage d’Alemagne, elle deuoit auoir en cela la
preference sur tous les autres Princes. Aussi n’eut-elle
pour opposans à ce dessein qu’Antoine de Bourbon
Roy de Nauarre, & Henry Prince de Condé, lesquels
estans les Princes les plus proches du sang Royal, ne
vouloient point souffrir le Gouuernement d’vne
femme estrangere, & n’aspiroient à rien moins qu’à
diuiser la Regence, ou l’envahir toute entiere. Mais
ils en furent deboutés encore moins par l’Ordonnance
des Estats Generaux, que par l’addresse, & par
la resolution de Catherine, qui sceut encore en cette
rencontre vser iudicieusement de la verité de sa deuise :
Sçauoir, de les diuiser entre-eux, pour les affoiblir,
& se fortifier d’autant plus par l’imbecillité de ses ennemis.
Comme elle estoit doüée d’vne intelligence tres-parfaicte,
& d’vne conduite dans les affaires d’Estat, du
tout extraordinaire en celles de son sexe, elle se démesla
tousiours auec tant d’accortise & d’adresse de
toutes les intrigues de Cour, que suiuant l’occurence
des affaires, elle sceut diuiser les Princes, ou les reconcilier
ensemblement ; broüillant ainsi, ou racommodant,
comme elle vouloit, le Roy de Nauarre auec le
Prince de Condé, le Connestable auec l’Admiral, le
Duc de Guise auec les Seigneurs de Chastillon, les
Catholiques auec les Religionnaires. Et certainement,
bien que cette Princesse soit vniuersellement

-- 83 --

loüée de n’auoir esté dans toute sa conduite, ny malicieuse,
ny cruelle ; sa procedure a esté blasmée par
quelques vns d’artifice & d’ambition ; & que pour
s’accommoder à la qualité des personnes, ou au rencontre
des affaires, elle paroissoit souuent inégale.
Mais au iugement de la posterité, elle paroistra du
tout inexcusable d’auoir authorisé l’heresie par le
credit qu’elle donnoit aupres de sa personne, à ses
Protecteurs, & d’auoir soûmis au Colloque de Poissy
la decision des articles de la Foy à vne assemblée,
confuse de Predicans, & de Ministres ; plustost que de
la reseruer au Iugement de l’Eglise, & à la determination
des Corciles ; En cela seulement excusable que
pour l’accommodement de ses affaires, elle auoit la
conduite Huguenotte, & la creance Catholique.
Aussi fut-ce en ce siecle d’horreur, où par la minorité
du Roy, & par la foiblesse d’vne femme ; l’Heresie
s’establist en France, & auec elle la guerre & la confusion ;
Où l’on veid dans diuers euenemens le Roy de
Nauarre tué au Siege de Roüen, le Prince de Condé
pris à la bataille de Dreux, & tué à celle de Iarnac,
François Duc de Guise assassiné par Poltro au Siege
d’Orleans, vn Connestable, & vn Mareschal de France,
l’vn pris, l’autre tué, & generalement par toute la
France le desordre, & la misere, le trouble auec la
pauureté, la profanation & l’iniustice. Horrible
Estat de la France diuisée contre elle mesme ! En ce
temps de ligues & de troubles, ce fust assés-tost pour
son contentement que le Roy Charles IX. fut declaré
maieur, autant par l’auancement de son âge, que

-- 84 --

par la demission volontaire de la Reyne, laquelle auec
le titre de Regence, ne quitta pas l’Intendance
des affaires. Il est icy remarquable que la declaration
de la maiorité du Roy, fut verifiée au Parlement de
Roüen le quinziesme d’Aoust mil cinq cents soixante
trois, au preiudice de celuy de Paris, lequel s’en
estant plaind au Conseil, ne receut point d’autre satisfaction
de cette iniure, sinon que le Roy n’estoit
point obligé d’enuoyer ses Edicts à vn Parlement,
plustost qu’à vn autre, & qu’il ne luy auoit commis
que l’administration de la Iustice ; & non point la direction
des affaires de l’Estat. Mais à iuger de cette
procedure par la raison qui la conduisist alors, il est
certain que la necessité pressante des affaires du
Royaume, obligea la Reyne d’en vser ainsi, & de
changer le titre de Regente, en celuy de Surintendante
de l’Estat ; pour se degager des promesses qu’elle
auoit faites au Prince de Condé, de luy donner la
charge de Lieutenant General de tout le Royaume,
en la place du Roy de Nauarre son frere, & par cét
expedient de la maiorité du Roy, éconduire honestement
le Prince, & se seruir d’excuse à elle
mesme.

 

III.
La seconde
Regence.

Franc, Beau-[illisible]
Eues. de
Meis.
I. Aug. Thuanus.

Duplex.
Iean de Serre.
I. Le Frere.
Manuisiere.
I. Aug Thuanus.
Manuisiere.
Aubigny.

De-là la Reyne conduisit le Roy dans toutes les
bonnes villes de son Royaume, en apparence, autant
pour soulager les miseres de son peuple opprimé
par la guerre, que pour le faire obeyr aux Edicts de
Pacification & d’accord : Mais en effet, pour reconnoistre
dans les Prouinces les forces des Catholiques,
& de ceux de la Religion, & traicter en suite auec le

-- 85 --

Roy d’Espagne, sous pretexte de l’entreueuë du Roy,
& de sa fille Isabeau mariée à Philippes II. Cette visite
du Royaume fut suiuie de la retraite du Roy, de
Meaux à Paris, où le dessein des Heretiques, d’enleuer
le Roy, fut eludé par la vigilance actiue, & par la
conduite iudicieuse de cette Reyne, laquelle durant
tout le regne de son fils, fut tousiours si puissante à sa
Cour, qu’il ne s’y passoit aucune affaire importante
que par son aueu, ou par sa conduite, son credit y
estoit fortifié par le Chancelier de Birague, & par les
Seigneurs de Gondy, qu’elle auoit tires d’Italie pour
les amener en France. Dans ce haut appareil de puissance,
où sa fortune se trouuoit alors eleuée, autant
victorieuse de ses ennemis, qu’elle estoit superieure à
tous ses riuaux, elle fit le mariage de son fils Charles
IX. auec Elisabeth d’Autriche fille de l’Empereur
Maximilian, dont la celebrité, & la consommation
furent faites à Mezieres, auec vne joye incroyable
de toute la France, de mesme qu’au contentement
parfaict des deux partis. Il est estrange que les
ennemis de cette Reyne l’ont accusée d’auoir aymé
desordonnément Henry son III. fils, alors Duc
d’Anjou, & depuis Roy de Pologne, & de France ; Et
que pour le faire regner successiuement apres ses
deux aisnés qu’elle n’aymoit pas, elles les auoit tous
deux fait mourir par poison, bien qu’elle eust tousiours
esté Regente, mesme durant qu’ils estoient
Roys maieurs, & absolus sur leurs peuples. Ces sages
Princes ont eu des sentimens bien contraires, &

-- 86 --

sur tout Charles IX. lors que dans les plus cruelles
atteintes de sa maladie, il semble oublier toute sa
douleur, pour ne se souuenir que de l’Estat, & de sa
Mere, en la declarant Regente pour vne troisiesme
fois pendant la violence de son mal, qui ne relaschoit
point dans sa longueur, & qui le rendoit a lors incapable
d’auoir d’autres soins, ny d’autres pensées, que
du sentiment de son mal, ou du recouurement de sa
santé. Ne se contentant pas de l’auoir eleuée à cette
haute charge qu’elle auoit desia si dignemẽt exercée ;
Il luy en fit expedier des Lettres du grand Seau, lesquelles
furent en suite verifiées en Parlement auec
ces termes honorables, La Reyne a accepté la Regence,
priée de ce faire par le Duc d’Alençon, le Roy de Nauarre,
le Cardinal de Bourbon, &c. Commissaires de la
Cour à ses fins deputés deuers elle. Signe trop apparent,
qu’elle auoit souhaité cette Regence pour tromper
artificieusement le party des Heretiques, lesquels se
promettoient de la mort du Roy vn notable auancement
à leurs affaires, sous le Gouuernement du Duc
d’Alençon, ou sous le regne de Henry III. alors en
Pologne. En vertu de ces Lettres, & par la force de
la volonté du Roy, qui par le mesme Arrest auoit fait
sa Mere Regente, par lequel il auoit declaré son frere
Henry vray & legitime successeur de sa Couronne ;
Elle prit en main le Gouuernement de l’Estat durant
sa maladie, qui traisna plus de huict mois, &
commença sa Regence par la dissipation de la ligue
des Malcontans, où le Duc d’Alençon son IV. fils, &

-- 87 --

le Roy de Nauarre furent arrestés, le reste des coupables,
ou exilés, ou punis. Vn des plus funestes emplois
de sa Regence, fut de rendre les deuoirs funebres
à son fils Charles IX. & d’appeller aussi tost
Henry III. de Pologne pour le mettre en possession
du Royaume, dont la succession luy estoit echeuë par
la mort de son frere, & duquel par vne certaine anticipation
du futur, elle auoit dit en partant de France,
qu’il n’y seroit pas long temps. En effet, l’année expirée,
il rentra en France au mesme iour qu’il en estoit
sorty. Mais il en estoit sorty subject du Roy, & il y
entra comme vn Monarque absolu. Durant cét interregne,
& cette longue suspension de l’authorité
Royale ; le second soin de la Regente, fut qu’ayant
auerty le Roy de Pologne de la mort de son frere, elle
le pria de reuenir au plustost en France, & en attendant
de son retour, de confirmer la Regence que le
feu Roy luy auoit deferée. Ce Prince fit l’vn & l’autre
par ses Ambassadeurs, & s’estant luy-mesme echappé
de Pologne, il arriue en France heureusement,
où la Reyne estant allée au deuant de luy iusques au
Pont de Beauuoisin, premiere ville de France sur les
frontieres, elle eut autant de ioye au retour de ce
cher fils, qu’elle auoit ressenty de tristesse à son depart.
D’abord elle luy remet auec la Regence la liberté
du Duc d’Alençon, & du Roy de Nauarre,
qu’elle auoit fait arrester, pour ce qu’ils broüilloient
dans l’Estat. De-là elle eut vn sensible deplaisir, de
voir ces deux freres, les seuls fils qui luy restoient au

-- 88 --

monde, si mal ensemble, que l’vn ne cessoit de conspirer
contre la vie de l’autre ; & que le Duc d’Alençon
s’en durcissant par le pardõ de ses fautes, il faisoit
d’autant plus de mal que son frere luy faisoit de graces.
Enfin par le respect particulier que le Roy Henry
III. conserua tousiours pour sa Mere, elle eut autant
de part à toutes les affaires durant son regne,
comme si elle eust esté encore Regente. Et ainsi elle
suiuit par tout la fortune de son fils, soit à la prosperité,
ou dans le mal-heur, dans la paix, ou dans la guerre,
dans les succés heureux, ou dans la disgrace. Enfin
plus consommée de soins que de vieillesse, & ayant
vn ieune & fort esprit dans vn corps vsé, & de soixante
neuf années, elle tombe malade d’vne fievre lente,
qui par de foibles commencemens passant à de grãds
progrés, luy osta peu à peu la santé auec la vie. Ce fut
à Blois le cinquiesme iour de Ianuier en l’an mil cinq
cents octante neuf, d’où elle fut apportée long-temps
apres à S. Denys. Il n’est pas vray que les iours luy
ayent esté auancés par poison, dont aucune marque
ne parut sur son corps, apres sa mort. Il est
aussi faux d’asseurer qu’elle, mourut de l’affliction
qu’elle conceut du meurtre des Princes de Guise,
& du mauuais gouuernement de son Fils ; dautant
que les vns luy estoient alors indifferens, & l’autre
estoit encore assés heureux, pour n’estre pas regretté.
Il est plus veritable de dire que cette Princesse
a esté vne des grandes Reynes que la France aye
iamais eu. Et certainement elle auroit esté du tout

-- 89 --

parfaite, si l’ambition de regner, & l’enuie d’estre
aymée plus que tous les fauoris de ses enfans, ne
luy eussent fait quelquesfois oublier tous les interests
de la Religion, & tous les deuoirs de la Iustice :
Enfin de tant d’euenemens d’vne vie si intriguée,
l’on doit iuger qu’il est souuent nuisible
à vne femme d’auoir trop d’esprit, & qu’vne
Pieté, modeste & sincere est tousiours plus à priser en
vne Princesse, qu’vne intelligence artificieuse & hautaine.

 

I. Aug. Thuanus
l. [illisible]

III.
La troisiesme
Regence.

-- 90 --

XIV.
MARIE De Medicis vefue de Henry IV. Tutrice de
Louys XIII. son fils, & Regente du
Royaume.

MARIE DE MEDICIS fut fille de
François de Medicis Grand-Duc de
Toscane, & de Ieanne d’Austriche,
& niepce de Ferdinand aussi
Grand-Duc de Toscane. La reputation
des grandes qualités de cette
Princesse porta le Roy Henry IV. de ce nom surnommé
le Grand, à la rechercher en mariage. Il enuoya
pour ce sujet à Florence Roger de Bellegarde
Grand-Escuyer de France pour l’espouser en son
nom. La ceremonie des nopces fut faite par le Cardinal
Aldobrandin venant de Rome, pour estre Legat
en France, & en presence du Grand-Duc de Toscane,
du Duc & de la Duchesse de Mantoüe, & de toute la
Cour de Florence ; Et au mesme temps le fils-aisné du
Grand Duc fut aussi baptisé, & leué aux Saints-Fonds
de Baptesme par l’Ambassadeur de la Seigneurie de
Venise. La réioüissance de cette Cour fut si extraordinaire,

-- 91 --

que sans parler de la representation des Comedies,
& de la magnificence des festins, la despense
d’vn seul Ballet, & d’vn concert de Musique, fut estimée
iusqu’à soixante mille escus. La Reyne au sortir
de Toscane, vint par mer en France, & estant heureusement
arriuée à Marseille, elle y fut receuë
auec vn grand accueil par le Duc de Guise, Gouuerneur
de Prouence, & par les Cardinaux de Ioyeuse,
de Gondy, & de Sourdis, & en suite par les deux
principaux Officiers de cette Couronne, le Connestable
& le Chancelier, que le Roy y auoit enuoyés
expressément pour faire compliment à la Reyne à
son heureuse arriuée. De-là elle passa en Auignon,
puis à Lyon, où le Roy la vint trouuer, & consommer
auec elle son mariage. Cette alliance fut authorisée
du Ciel, duquel elle receut cette benediction qu’au
bout des neuf mois, la Reyne accoucha d’vn fils,
qui fut Louys XIII. Roy Tres-Chrestien apres son
Pere. Elle eut en suite vne heureuse posterité de deux
autres fils, & de trois filles. Le second fils ne vescut
pas. Le troisiesme est Iean Gaston de France, auiourd’huy
Duc d’Orleãs. L’aisnée des filles fut Elisabeth-Marie,
depuis mariée à Philippes IV. Roy d’Espagne.
La seconde Christine mariée à Victor Amedée
Duc de Sauoye, & la troisiesme Henriette, mariée à
Charles dernier Roy de la Grande-Bretagne. Dans
ce grand projet que le Roy Henry IV. auoit formé
peu auparauant son trespas de sortir hors du Royaume,
pour aller (comme l’on croit) à Iuilliers, & delà
où sa fortune le deuoit conduire, il auoit destiné

-- 92 --

de laisser la Regence à la Reyne, auec le Gouuernement
absolu & vniuersel de toutes les affaires du
Royaume. Et pour donner plus d’authorité à cette
nouuelle charge, il la fit Couronner & Sacrer dans
l’Eglise sainct Denys par le Cardinal de Ioyeuse, auec
vn appareil digne du premier Monarque du monde,
& de la plus auguste ceremonie qui se soit veuë depuis
long-temps en France : Mais helas que les desseins
des hommes sont trompeurs ! Tandis que ce
Grand Prince luy preparoit vne entrée triomphante
dans Paris, & en titre de Reyne, & en qualité de Regente,
vn miserable parricide priua d’vn mesme
coup le Royaume d’vn Grand Roy, & la Reyne de ce
triomphe. Ce Prince est malheureusement tué
dans son carrosse, lors mesme qu’il estonnoit toute
l’Europe, par l’effort de ses armes, apres auoir vaincu
la France par elle mesme, bien qu’elle soit plus insurmontable
que le monde tout entier. La ioye de Paris
est changée subitement en deüil, & l’entrée de la
Reyne aux funerailles du Roy.

 

I.
La regence de
Marie de Medicis.

Ce fut le 14.
May en l’an
1610.

Louys XIII. ayant recueilly la succession des deux
Couronnes de France, & de Nauarre, qui luy estoient
écheuës par le trepas de son Pere, dautant qu’il n’estoit
a lors âgé que de huict à neuf ans, & que dans
cette foiblesse, il auoit plus besoin d’estre gouuerne
luy-mesme, que de gouuerner les autres ; la tutele
du Roy, & la Regence de l’Estat est deferée à la
Reyne sa mere, par le consentement vniuersel de
tous les Ordres du Royaume. Cét Ordre qui sembloit
auoir esté porté par le feu Roy pendant sa vie,

-- 93 --

fut en suite confirmé par le Parlement, & par le
Conseil, apres sa mort, & authorisé depuis par l’applaudissement
de Paris, & de toute la France. Le
commencement de ce regne, & de cette Regence fut
consacré par le Sacre du Roy, dont la ceremonie fut
faite le dixseptiesme iour d’Octobre, en l’an mil six
cents dix, en l’Eglise de S. Remy de Reims, selon la
coustume, par le mesme Cardinal de Ioyeuse, lequel
auoit consacré à S. Denys la Reyne sa mere. La
punition de quelques Seigneurs coupables par l’auis
de la Regente, acquist en suite au jeune Roy le surnom
de IVSTE, qu’il a depuis si glorieusement soustenu
par la sainteté de ses actions, & par l’equité de
toute sa conduite. On traicta en suite d’vne double
alliance du Roy auec ANNE D’AVSTRICHE Infante
d’Espagne, & de Philippes IV Roy d’Espagne,
auec Elisabeth de France, sœur du Roy, autant pour
le bon-heur de la France, que pour le repos de l’Espagne.
La celebrité de ces nopces fut depuis de part &
d’autre celebrée à Bourdeaux, & à Madrit, en l’année
mil six cents quinze. Mais tandis que la Regente
fortifie son credit par cette alliance auec les Estrangers,
elle voit naistre en vn moment des troubles,
& des emotions ciuiles dans l’Estat, par lesquelles on
s’efforçoit beaucoup de l’amoindrir. Les Princes
mescontens de voir des Estrangers auancés dans les
charges par l’eloignement, ou par la disgrace des
Seigneurs François, mettent vne armée en campagne,
pour gagner par la force des armes ce qu’ils n’auoient
peu obtenir par la douceur des remonstrances.

-- 94 --

Il sont preuenus par la Reyne, qui pour ne point
aigrir le mal par la violence du remede, leur accorde
plus qu’ils ne demandent, & tousiours plus qu’elle
mesme ne desire. La prison des vns, & l’eloignement
des autres ne seruit de puis qu’à vnir plus fortement
leurs interests, en diuisant leur puissance. Cependant
le Roy ayant atteint l’âge de treize ans accomplis, est
declaré majeur, suiuant l’Ordonnance de Charles V.
dit le Sage, & cette Declaration verifiée au Parlement
par le Roy seant en son lict de Iustice, &
confirmée encore depuis en l’assemblée Generale des
Estats tenuë à Paris, en presence d’vn nombre presque
infiny de Princes & de Prelats, de Seigneurs & de
Gentils-hõmes, Mais en quittant la qualité de Regẽte,
la Reyne ne quitta point le Gouuernement des affaires
publiques : elle s’y intrigue auec plus d’empressement
que iamais, par la deposition des anciens Officiers
de la Couronne, & par l’auancement des nouueaux ;
iusque-là, que de rendre sa conduite importune
à son Fils, & celle du Marquis d’Ancre, son Fauory,
odieuse à toute la France. Apres auoir reietté
les remonstrances du Parlement, offensé les Princes,
foulé le peuple, mécontenté la pluspart des subjects
du Roy ; Elle voit le Royaume cruellement diuisé
entre deux partis qu’elle ne peût plus vnir, & elle enfin
reduite au poinct de voir le plus intime de ses fauoris
tué iustement par le commandement du Roy,
comme vn iniuste & illegitime vsurpateur de sa puissance.
La mort du Marquis d’Ancre est suiuie peu
apres de la retraite de la Reyne à Blois, & de-là à Angoulesme ;

-- 95 --

Puis au Pont de Cé, où par vn exemple
remarquable à la posterité, la France veid la mere
armée contre son fils, & deux estendars contraires
portans les mesmes fleurs de Lis. Cette rupture entre
le Roy & la Reyne sa Mere, qui deuoit apparemment
causer la diuision de tout l’Estat, fut heureusement
appaisée, lors mesme qu’elle sembloit deuoir
faire plus de bruit. La conduite de l’Euesque de Luçon,
depuis Cardinal Duc de Richelieu, qui seruit
d’entremetteur à cét accommodement, parut deslors
si iudicieuse, & si actiue, qu’ayant rendu aysée
l’issuë d’vne affaire, dont le projet paroissoit hardy, &
la conduite tres-embarassée, il fit bien-tost iuger
qu’il estoit capable de faire le destin de l’Europe, puis
qu’il sçauoit si sagement conduire la fortune des
Roys. Et certainement il est bien estrange que la
feuë Reyne-Mere qui le produisit alors, & l’introduisit
dans le Conseil du Roy, aye fait depuis tous
ses effors pour l’en chasser. Par vne inconstance d’esprit
qui destruit elle mesme ses propres ouurages, elle
ne pût souffrir aupres du Roy ce seruiteur qu’elle
luy auoit donné, possible pource qu’il estoit trop fidelle,
& l’ayant fait elle mesme tout ce qu’il estoit,
elle n’obmit rien alors de force ny d’artifice, pour
ruyner sa fortune & celle de l’Estat, à laquelle elle estoit
inseparablemẽt vnie. Mais il est encore bien plus
émerueillable que l’establissemẽt de la fortune de cet
hõme aupres du Roy, par vn sort cõtraire à luy-méme
aye esté seul la cause de l’eloignement de sa Mere &
de toutes ses disgraces. Ce fut le sujet de sa sortie de

-- 96 --

Compiegne, & de sa retraite en Flandres, preferant
de viure eloignée de la Cour & de son fils, plustost
que d’estre presentée à vn Ministre fidelle qui n’auoit
pour elle que des sentiments de respect & de reconnoissance,
en qualité de sujet & d’obligé. Ce païs où
elle se retire, ne luy est point estranger ; elle y trouue
par tout des Alliez ou des Proches L’Archiduchesse
& les Seigneurs de Flandres la reçoiuent auec l’accueil
que meritoit le rang de sa dignité de Regente,
& la qualité qu’elle porte de mere de quatre Roys :
mais comme il arriue souuent que la fortune manquant,
l’on manque d’amis, l’argent ne luy venant
plus de France, & tirant peu d’assistance des Estrangers,
elle est contrainte de retrancher de sa Cour tout
ce qui paroist y estre de superflu, & ne garder seulement
que ce qui luy est du tout necessaire ; la rigueur
de son sort l’obligeant de changer le train d’vne
grande Reyne en la suite d’vne personne particuliere.
De là elle passe en Hollande, où elle reçoit plus de
complimens que de secours ; elle donne iusqu’en Angleterre,
où elle espere de trouuer aupres de la Reyne
sa fille vne assistance que la Frãce luy refuse & qu’elle
ne peut point auoir de ses autres parens. Mais comme
la plus ample fortune & la puissance la plus absoluë
est tousiours limitée, lors qu’il s’agit de donner,
il arriue souuent que la volonté passe le pouuoir, &
qu’vn present, lequel est agreable à faire vne fois, deuient
importun dans la continuë. Enfin cette Reyne
estant lassée de tout le monde, qu’elle auoit elle mesme
lassé, elle cherche vn païs en tout l’Vniuers, pour

-- 97 --

y faire son sejour, & ne le trouue pas : elle qui disposoit
autresfois absolument de toutes les puissances
du monde, elle qui n’auoit point d’enfans qui
ne fussent couronnés, elle qui auoit entre tous
les Monarques de l’Europe des fils ou des gendres,
elle qui trouuoit par tout des peuples subjets ou
tributaires, elle se veid presque releguée du monde
tout entier, & n’ayant peu trouuer vn endroit asseure
dans tous les Estats de ses enfans, pour y viure arrestée,
elle trouue hors de leurs domaines vn endroit
inconneu pour y mourir en repos ! Adorable
conduite de la Prouidence, laquelle afflige les gens
de bien de la mesme main, dont elle punit les mechans.
Batuë moins de l’orage de la mer, que de la
tempeste de la fortune, accompagnée par tout de son
mauuais sort, iettée au sortir d’Angleterre sur vne miserable
coste de la mer, elle arriue enfin au terme de
sa vie, & trouue au riuage de Hollande le port asseuré
de son salut. Elle mourut à Cologne auec cette
seule satisfaction d’esprit, que Dieu la proposoit au
monde comme vn illustre exemple de sa vanité. Son
affliction luy auoit esté long-temps auparauant predite
par la Pasithée, vne saincte fille qu’elle auoit
amenée d’Italie en France, lors que luy disant Adieu
pour retourner en son pays, par esprit de Prophetie
& de Miracle, elle luy laissa vne grande & rude croix,
comme le partage que Dieu destinoit de luy faire vn
iour dans la communication de ses souffrances. Mais
ce qu’elle eut peine de croire alors dans on eclat, elle
l’a bien eprouué depuis dans son malheur, n’estre

-- 98 --

que trop veritable. Dans ce delaissement vniuersel
de toutes choses, elle fit vn Testament, où sa liberalité
est beaucoup plus remarquable que sa richesse, &
où il paroist assez que dans cét estat d’affliction où
son malheur l’auoit reduite, elle auoit plus à receuoir
qu’à donner, & que cette haute dignité de Regente
& de Reyne où elle estoit eleuée, ne seruoit
alors qu’à la rendre plus indigente. Son corps fut apporté
peu de temps apres à S. Denys, où il fut enterré
sans grand appareil, toute sa gloire luy estant reseruée
dans le Ciel. Certainement on ne peut nier
qu’elle n’aye esté vne des grandes Princesses de l’Europe
en son temps, & qu’en elle vn esprit iudicieux,
vne beauté majestueuse, vn courage heroïque, vne
constance insurmontable, vne Pieté tres solide ne se
soient accordés ensemble pour faire vne grande Reyne,
& vne Princesse du tout accomplie. Outre que
la France luy demeurera eternellement redeuable de
Paris restera à iamais son obligée de ce riche, ample
& magnifique Palais d’Orleãs, l’vne des plus belles
maisons de l’Europe, & de quantité de lieux de
Deuotion, qu’elle a fait bastir en ses Faux-bourgs,
ou dans l’enceinte de ses murailles, ausquels elle a
laissé vn monument eternel de sa Pieté, & de l’honneur
que l’on doit rendre à Dieu. Aussi vne si
grande vertu sembloit bien meriter vn sort plus
heureux. Mais Dieu ne iuge pas des hommes comme
les hommes mesmes. Ayant vescu comme la
plus puissante, & la plus somptueuse Reyne du monde,

-- 99 --

Mere ou belle-Mere de la pluspart des Roys de
l’Europe, de France, d’Espagne, d’Angleterre, & de
Sauoye ; elle mourut dans vn sort egal à la plus simple
femme de son Royaume. Illustre document, instruction
sensible, exemple fameux à la posterité,
Que la grandeur du monde est passagere, & que tout
ce pompeux eclat de Puissance & de Maiesté qu’on adore
aux Reynes, à la Cour, n’est qu’vne specieuse vanité
aussi peu solide en son existence qu’elle est peu durable
table dans son Cours.

 

II.
La regence de
Marie de Medicis.

Arrest de l’an
1610. Le Roy
seant en son
lict de Iustice.

Elle mourut
le 3. Iuillet de
l’an 1642.

-- 100 --

XV.
ANNE D’Austriche vefue de Louys XIII. & Tutrice
de Louys XIV. & Regente en France.

ANNE D’AVSTRICHE est fille aisnée de
Philippes III. Roy d’Espagne, & de
Marguerite Archiduchesse d’Austriche,
Petite-fille de plus de six Empereurs,
& d’autãt de Roys de la méme
maison. Il est remarquable qu’elle naquit l’année méme,
& au méme mois, & cinq-iours auparauant que le
Dauphin de Frãce, qui deuoit estre son espoux ; par vn
preiugé certain qu’ils deuoiẽt estre ioints d’affection
durant tout le cours de leur vie, puis qu’ils auoient
esté deslors si heureusement vnis par le rencontre de
leur naissance. Cette alliance qui deuoit estre double,
sçauoir de Louys XIII. Roy de France, auec l’Infante
d’Espagne Anne d’Austriche, & de Philippes
IV. Roy d’Espagné, auec Elisabeth fille de France,
fut traitée reciproquement de part & d’autre dés l’an
mil six cents douze, par le Duc de Pastrane à Paris, &
par le Duc de Mayenne à Madrit, & les articles estans

-- 101 --

mutuelement accordés, elle fut terminée en suite
l’an mil six cents quinze par le passage de la fille de
France en Espagne, & par l’entrée de l’infante d’Espagne
en France. Cét eschange fut fait à S. Iean de
Lus le neufiesme iour du mois de Nouembre sur la
riuiere de Bidasse, qui separant ces deux grands
Royaumes, seruit en cette rencontré à vnir les Princes
qui leur commandent, & sembla par respect arrester
le cours de ses eaux, pour considerer au passage ces
deux grandes Princesses. Les nopces du Roy Catholique
auec la fille de France, furent celebrées à Bourges
par le Duc de Lerme, au mesme temps que celles du
Roy & de la Reyne furent faites à Bourdeaux : auec
vn si grand concours de Noblesse, qu’on ne sçauoit
lequel des deux admirer le plus, ou son nombre, ou
son eclat ; & qu’en ce temps les Ioustes & les Tournois,
le Carrousel & les courses de Bagues, le Ballet &
la Comedie, les feux de joye, ou les arcs de triõphe ne
passerent plus entre-eux, pour vn diuertissement passager ;
mais comme vn employ ordinaire. L’amour
du Roy vers vne si bonne, si sage, & si vertueuse
Princesse parut depuis du tout extraordinaire en ce
que dans vne maladie dangereuse, dont elle fut accueillie
quelques années apres, il en ressentit si violemment
les impressions & les atteintes, qu’il sembla
partager auec elle toute sa douleur, ou la prendre en
luy-mesme toute entiere. Sa santé fut depuis employée
à de si saincts exercices, que la visite des Cloistres
& des Hospitaux diuisoit tout son temps, & ne
partageoit point son cœur. Tandis que le Roy son

-- 102 --

mari, que la Pieté a fait surnommer le IVSTE, & à
qui la valeur eust fait porter aussi iustement le Titre
de VICTORIEVX, apres auoir domté les Rebelles
de son Royaume, porte ou chasse la guerre de tous
les pays, la Reyne luy gaigne des batailles par ses ieûnes,
& luy donne des victoires par ses prieres. Il court
d’vn bout de son Royaume à l’autre, pour secourir ses
voisins, ou pour domter ses ennemis, & elle ne frequentant
que des Religieuses & des Eglises, prie continuellemẽt
pour la conseruation de santé, ou pour la
prosperité de ses armes. Tandis qu’il effraye l’Italie,
qu’il secourt l’Alemagne, qu’il domte la Flandre,
qu’il bat l’Espagnol par tout où il a des Villes & des
Prouinces, cette vertueuse Reyne demeure assiduëment
prosternée deuant les Autels, où elle luy acquiert
plus de subjects par le Chapellet, & auec ses
heures, que les boulets & les canons ne luy tuent en
guerre d’ennemis. Sollicitant sans cesse le Ciel d’vne
ardente priere, dont la ferueur ne relasche point dans
la continuë ; elle obtient de luy la naissance de cét
enfant Miraculeux ; dont la vie doit estre autant admirable
que la naissance a paru extraordinaire. Plus
de vingt ans de mariage s’estoient desia passés, que la
Frãce attẽdoit encore vn successeur à son Roy qui fust
semblable à luy, & qui se rendist le digne heritier de
la Couronne de Charlemagne, & de S. Louys. Lors
mesme qu’vn si long-temps d’absences & de sterilités
faisoient croire sa Cõception eloignée, & sa Naissance
du tout impossible, il nacquit le cinquiesme
iour de Septembre de l’an mil six cents trente huict ;

-- 103 --

& receut tant d’applaudissemẽs de tout le Royaume
à son entrée au monde ; qu’il fit deslors iuger, qu’il
seroit vn iour les delices de la France, & tout le bonheur
de l’Europe. Mais comme les plus beaux iours
sont suiuis quelquesfois des plus obscures nuicts, &
que les euenemens les plus agreables precedent souuent
les accidens les plus funestes, la naissance de ce
fils fut suiuie quelques années apres de la mort de
son Pere, auec lequel le bon-heur, & auec qui l’on dit
que la Iustice & le courage parurent se renfermer
dans vn mesme tombeau.

 

I.
Le Regne de
la Reyne.

Mathieu.
Duplex.

La Reyne declarée Regente par sa derniere volonté,
prend en main auec la Tutele de son Fils, le
Gouuernement de l’Estat ; mais dautant que cette
Declaration du feu Roy en faueur de la Reyne, estoit
faite auec quelque restriction de son authorité, l’obligeant
à la rigueur de deux voix seulement dans le
Conseil, & à la conseruation dans l’Estat de trois Ministres
qu’il appelloit non destituables. Elle remonstra
sagement à l’Assemblée Generale du Parlement
composée des Princes, Ducs & Pairs de France, & de
tous les gens de longue-Robbe ; que les bornes de
cette puissance si fort limitée la declaroient Regente,
& ne la faisoient pas. Ils iugerent d’abord sa proposition
si iuste, & sa demande si raisonnable, qu’ils l’authoriserent
tous d’vn commun consentement aussi-tost
qu’elle l’eut enoncée, & declarerent en suite par
Arrest qu’elle seroit seule Regente Souueraine & absoluë
en France, & qu’elle partageroit toute l’authorité

-- 104 --

de commander auec Iean Gaston de France Duc
d’Orleans estably du feu Roy son frere, comme Lieutenant
General du Royaume, tant pour le reglemẽt
de la Police, que pour le bon ordre de la guerre. Et
c’est sous la douceur de cette conduite, que nous
auons tousiours vescu depuis ; & que le conseil, où
Louys de Bourbon Prince de Condé fut depuis appellé
pour y presider, comme le Chef, & le Cardinal
Mazarin estably comme principal Ministre, a tousiours
rendu la France, ou heureuse & florissante dans
son peuple, ou victorieuse & triomphante de ses
ennemis. Le bon-heur de cette Regence commença
par le Baptesme du ieune Roy, qui par l’heureux
presage de sa naissance, ne portoit point encore
d’autre nom que celuy de DIEV-DONNÉ, qu’il a
tousiours conserué depuis, qu’il remplit encore glorieusement
par la bonté de son naturel, & par l’innocence
de ses actions. La Reyne fit cét honneur au
Cardinal Mazarin, & à la Princesse de Condé de leur
faire nommer son Fils, & de le tenir sur les Saints
Fonds au Baptesme ; pour les engager d’autant plus,
l’vn à le seruir fidelement, & l’autre à l’aymer auec
plus de tendresse. Il fut nommé Louys, pour l’obliger
aux exemples de son Pere, & de ses ancestres, par
le presage de son nom, comme il y estoit desia assés
puissamment engagé par le deuoir de sa naissance, &
par l’interest de sa Couronne. Aussi pour reüssir encore
plus heureusement dans le soin de son education,
estant sorty de la conduite des femmes, il passa
sous la direction de Henry de Nefuille Mareschal

-- 105 --

de Villeroy, auquel la Reyne fit cét honneur de le
donner à son fils pour estre son Gouuerneur, & pour
former la ieunesse de celuy dont la vie doit estre le
bon-heur de l’Vniuers. Et certainement, à voir en
ce ieune Prince vn Esprit qui anticipe le temps & les
années, vn Courage qui surpasse celuy d’vn homme,
vn Naturel si charmant, que la vertu semble luy estre
cõme d’habitude, vn Bon-heur qui luy a donné des
victoires dés le berceau, tant de grace au parler, tant
de retenuë dans le silence, tant d’agreémens au visage,
tant d’innocence dans ses actions, tant de bien-seance
en ses mœurs, tant de perfections au corps &
en l’esprit ; Il est aysé de iuger que toutes ces Royales
qualités sont en luy, plustost vne inclination du naturel
qu’vn effet de la culture ; & qu’il est par tout vn
don du Ciel, & vn present que Dieu a fait à la France,
pour la rendre bien-heureuse. Aussi comme il
n’est point auare de ses faueurs à ceux qui s’efforcent
de les meriter, la naissance du Roy fut suiuie de
celle d’vn second Fils, lequel a esté nommé Philippes
au Baptesme, & porte la qualité de Duc d’Anjou,
Prince d’vn esprit si rare, & d’vn naturel si charmant,
qu’il fait croire que cette seconde benediction du
Ciel au mariage de la Reyne n’est qu’vne confirmation
de la premiere. Mais si l’on doit auoüer que la
naissance du Roy fut vn bien-fait du Ciel, on ne peut
pas nier aussi que sa vie ne soit vn espece de Miracle,
qui pour estre sensible, n’en est pas moins extraordinaire ;
En ce que sur la huictiesme année de son âge,
la petite verole, cette laide & cruelle maladie qui
procede aux enfans de l’impureté d’vn sang qui leur

-- 106 --

a seruy de nourriture dans le sein maternel ; l’ayant
mis en vn peril eminent de sa vie, elle ne peût estre
asseurée qu’apres que la Reyne eut formé le dessein
d’vn voyage de deuotion à Nostre-Dame de Chartres ;
où par vn vœu solemnel & public, à peine eut-elle
offert ce cher Fils sur les Autels, que l’on veid
naistre l’esperance de sa guerison, iusques dans le desespoir
mesme de sa vie. De vray, il est apparemment
visible que la benediction de son mariage, aussi bien
que le succés heureux de ses autres entreprises ne sont
que les effets de sa Pieté, & des recompenses solides
de sa vertu. Tout Paris a veu auec admiration la
Reyne seruir de suiuante à IESVS-CHRIST dans
l’Hostie, & prier Dieu auec tant de deuotion, que sa
seule veuë en donnoit aux autres. Sans parier de la
profusion de ses aumosnes, où elle a donné en vn seul
iour quinze mille escus que le feu Roy destinoit pour
estre employés en vn Balet ; ny de ses voyages reglés à
l’Autel de Nostre-Dame de Paris, où elle semble
rendre toutes les sepmaines à la Vierge le tribut de
sa vie, & l’hommage de sa Couronne. Ne la void on
pas souuent preferer la solitude d’vn Cloistre & d’vne
Cellule Religieuse au Val de Grace, à toute la pompe
du Palais Royal, & aux delices de la promenade &
du Cours ? Mais tandis que tout est en paix à la Cour,
on ne laisse pas de faire la guerre à la campagne. La
France estoit encore en deüil de la mort de son
Roy, lors que ses cyprés furent subitement changés
en lauriers, & sa tristesse en réioüissance. Le
Regne de Louys XIV. & la Regence de la Reyne
commencerent heureusement par la victoire de Rocroy,

-- 107 --

l’vne des plus signalées de nostre temps ; où
le Prince de Condé dans son premier coup-d’essay
surpassa toute l’experience des plus grands Capitaines
de l’Europe. Toute la Flandre fut vaincuë dans
son Gouuerneur Francisco de Mello, qui laissa au
vainqueur sa canne de cõmandement pour vne marque
honorable de sa deffaite. Depuis cette memorable
Iournée, à peine y a-il eu vne Cãpagne qui n’aye
esté glorieusement marquée de la prise de quelque
Place importante, ou du gain de quelque fameuse bataille.
La prise de Thionuille fut suiuie de celle de
Philisbourg, & le combat de Nortling fameux par la
mort ou par la prise de ses deux Chefs, fut anticipé
par l’atta que de Fribourg, où auec les rochers nostre
armée eut à combatre les Elemens. Grauelines se rẽdit
en suite. Bourbourg & Furnes, Courtray & Armentiers,
Lens & Bethune ont acreu nos Frontieres
du costé de Flandres ; Portolongone du
costé d’Italie ; Tortose en Catalogne ; Par tout les
armes de la France paroissent en cette Regence victorieuses
ou inuincibles. Aussi ce siecle que l’on peut
iustement appeller en France l’âge des Heros & des
sages Politiques, a donné de si grands hommes à l’Estat,
soit en courage, ou en bonne conduite ; que cette
parole notable a esté receuë pour vn dire commun
parmy les Estrangers, que comme la Sagesse d’Espagne
est passée en France, la valeur y est tousiours demeurée
comme domestique, ou comme hereditaire, pour faire
vn heureux melange de deux qualités si fort incompatibles
en vne seule personne. Mais comme la Paix
est tousiours beaucoup plus estimable que la guerre

-- 108 --

qui la regarde comme sa fin, & qui la poursuit comme
sa recompense, l’vn des premiers soins de nostre
vertueuse Reyne a esté d’enuoyer ses Plenipotentiaires
à l’assemblée de Munster, où elle se traite ; pour la
procurer à son peuple, aussi auantageuse comme elle
est desirée. Et certainement dans ces dernieres emotions ;
qui ont semblé diuiser la France d’auec elle-mesme,
cette sage Princesse est loüée d’auoir heureusement
pacifié les troubles de Paris ; où apres
auoir rendu le repos à son peuple, elle luy fait esperer
bien-tost vn siecle de bon heur, & vn âge de Paix aussi
durable, comme elle sera vniuerselle.

 

II.
Le Regne de
la Reyne.

L’Autheur a
fait vne petite
Piece qui n’a
point esté imprimée,
qui
porte pour titre.
Eloge de
la Pieté de la
Reyne, touchant
sa deuotion
enuers
la Vierge. Au
sujet de son
dernier voyage
de Chartres.

Tutti Marti
Francesi sonne
mortiè tutis
saui spanisoli.

De toute la conduite de la Reyne, qui par la douceur,
& par l’innocence de ses actions s’est iustement
acquis la qualité de Vertueuse, & de Bonne, il
est aisé d’inferer qu’il est vray que le bon-heur des entreprises
est tousiours vne recompense de la Vertu, & que
pour estre heureux, il faut bien viure.

AD EFFIGIEM REGIS LVDOVICI XIV.

 


Heroas Francos, quodcumque est Nobile terris,
Austriacosque vno cernis in ore Deos.
Materno, Patris hic animus, cum sanguine certat,
Gallicaque Hispanæ gloria iuncta nitet.
Discordes inter populos hic fœdus amicum
Iungitur & bello pax sociata viget.
Incassum Europæ Moderamina tentat Iberus :
Non aliàs dominum veriùs orbis habet.

 

FIN.

-- 109 --

Il n’y auoit rien de toutes ces choses qui ne
nous promit vn bon-heur durable & asseuré, &
nos esperances n’auroient point esté vaines, si les
choses les meilleures n’estoient sujettes à changer,
en de tres-mauuaises, par l’abus qu’on
fait de leur vsage : la prosperité aueugle, & cét
aueuglement est suiuy de l’insolence, de là sortant
comme de leurs sources, toutes les autres passions
qui sont comme des bourasques impetueuses,
qui viennent troubler le calme, & la tranquilité de
nos plus beaux iours.

La Reyne s’estoit acquis vn Empire parfaitement
absolu, sur l’esprit des François, & s’estoit
renduë la plus puissante Souueraine du monde ;
rien ne trauersoit son pouuoir, tout faisoit ioug
à son Authorité, elle triomphoit sans contredit
de nos libertez que nous soûmettions tres-volontairement
à vne domination estrangere, sous
esperance d’vne paix generale, qu’elle auoit fait
auorter au point de sa naissance, & tout d’vn coup
elle voulut faire voir son impuissance, au maniment
des affaires d’Estat, au temps qu’elle en
sembloit plus digne & plus capable : la ialousie,
la hayne, la vangeance, & la maudite ambition
s’emparerent de tout son esprit, & les pernicieuses
sugestions du Cardinal Mazarin, qui la vouloit
flatter en toutes choses, alluma si bien toutes
ces peruerses passions, qu’elles n’ont pû encor
s’esteindre par le sang d’vne infinité de personnes,
elle fut persuadée par les conseils de ce mauuais

-- 110 --

Ministre de prendre vne année des gages des
Officiers de Iustice, d’établir vn semestre dans
tous les Parlements de France, dont on vendoit
les Offices, autant que celles d’ancienne creation,
afin de les rendre en tout égales, moyens à ce
que luy promettoit ce fauory d’amasser des sommes
immences, & dequoy appuyer long-temps
la domination prodigieuse qu’elle s’estoit acquise.
Cette bonne Princesse, dés lors plus auide, que
iamais de regner, se laissa facilement aller à cette
iniustice, sans considerer que se défaut à tousiours
esté l’escueil des plus hautes puissances. Pour
venir à bout de ce mal-heureux dessein, il falut
employer le pouuoir d’vn Roy mineur, qui donnoit
beaucoup de poids, & tout le bransle, à cette
affaire : la Declaration fut dressée des volontez
de leurs Maiestez, & portée au Parlement de Paris,
contre laquelle les plus des-interessez reclamerent
d’abord, & se plaignirent assez hautement
de cette exaction. La Reyne, à qui l’on persuada
fort facilement, que c’estoit chocquer son Authorité
en conceu des ressentiments, qui coururent
bien-tost à la vangeance. Il ne falloit plus
qu’vn temps propre pour la faire esclatter, & il se
presenta fauorablement, peu apres au grand contentement
de son esprit ambitieux, & preuenu
par les artifices du Cardinal Mazarin.

 

L’heureuse nouuelle de la victoire du Prince de
Condé, remportée à Lens sur les Espagnols, anciens
ennemis de cette Couronne, obligea leurs Maiestez

-- 111 --

d’en aller rendre grace à Dieu dans l’Eglise
nostre Dame de Paris, & sous pretexte de faire plus
d’honneur au Roy, l’on fit mettre les Suisses &
tout le Regiment des Gardes sous les armes. La
Ceremonie estant acheuée, & leurs Maiestez à peine
s’estant retirées dans leur Palais Cardinal, ces
troupes furent employées à forcer deux ou trois
logis de Conseillers, qu’on vouloit prendre prisonniers,
acusez de rebellion, pour auoir dit leurs
sentimens auec liberté, & en gens d’honneur,
sans interest & sans flatterie. Les sieurs de Blanmenil
& Broussel furent enleuez dans vn carrosse,
& bien accompagnez de Gardes pour les
conduire ; mais cette façon inconsiderée & rigoureuse
d’agir ayant allarmé tout Paris, chacun courut
aux armes, & en vn instant on vit Paris tout
souleué en faueur de Broussel, qu’ils vouloient rauoir
a quelque prix que ce fust, le nommant le Pere
de la Patrie, le veritable appuy de la liberté publique,
& luy donnant mille autres titres d’honneur
& de gloire. Incontinent on poussa les Suisses
qui furent contraints d’abandonner le Pontneuf
& se retirer deuant les galeries du Louure au
bout du pont Rouge, & le Regiment des Gardes
occupa toutes les auenuës du Palais Cardinal.

 

Cependant par le Conseil du C. M. la Reyne
fit emmener les prisonniers au loin hors de Paris,
pour oster à cette populace emeuë l’esperance de
les r’auoir, & luy faire poser les armes qu’elle auoit
prises auec tant de chaleur & de precipitation.

-- 112 --

La nuict se passa dans ces allarmes, qui donna conseil
aux vns & aux autres. L’obstination s’accrut
dans l’esprit du peuple, & le desir du chastiment,
dans celuy de la Reyne. Le lendemain matin l’on
enuoya le Chancelier passer sur le Pont-neuf,
afin qu’il essayast d’appaiser cette esmeute par sa
presence ; mais au lieu de faire l’effect qu’on s’en
promettoit, il fut poursuiuy par la populace, &
sur le point d’estre sacrifié à leur fureur, si le Mareschal
de la Mesleraye, auec les cheuaux legers de la
Garde, ne le fust venu retirer de l’Hostel de Luyne,
où il estoit en tres grand danger de la vie.

 

Ce Mareschal obeïssant au desir de la Reyne,
commanda les Suisses pour venir passer du Fauxbourg
S. Germain dans la Ville, & se saisir des
auenuës du Pont-neuf, pendant qu’il couroit du
costé de la Greue auec quelque Caualerie ; mais les
vns & les autres furent si vertement repoussez,
qu’il ne leur prit plus enuie d’y retourner. Cependant
le Bourgeois trauaille à se barricader en telle
sorte, qu’en peu d’heures, l’on vit Paris fortifié, &
le Palais de leurs Maiestez inuesty de gens armés
qui demandoient à haute voix Monsieur de Broussel.
Il n’y auoit point d’autre moyen d’appaiser ces
desordres que de le rendre au plus viste. Son Fils
la Louuiere fut enuoyé dans vn carrosse du Roy
pour le r’amener en cette Ville, de laquelle il estoit
desia esloigné de plus de quatorze lieuës ; il reuint
au grand contentement de tout le peuple, vn iour
apres n’ayant point voulu poser les armes, qu’il ne

-- 113 --

vit tout a fait en liberté. Cét eschec à l’ambition
de la Reyne & aux desseins du C. M. irrita puissamment
leurs esprits contre Paris, outre qu’il est
probable que desia il estoit remply de ialousie des
auantages du Prince de Condé, qu’ils destinoient
aussi des lors à leurs vangeances.

 

La Reyne se retira quelque temps apres à Ruel,
auec le Roy & toute sa Cour, attendant la venuë
du Prince de Condé qui auoit ordre de reuenir au
plustost, ayant preparé, là, tous les artifices desquels
elle se seruit à son arriuée, pour l’engager
dans la resolution qu’elle auoit prise du blocus de
Paris.

Il arriua bien-tost apres à Ruel, ou le dessein
tres pernicieux à la France fut pris d’assieger sa
Capitale, leurs Maiestez retournerent à Paris sur
la fin du mois de Nouembre, ayant oublié en apparence
tout le passé, Monsieur le Prince y reuint
aussi, qui fut accueilly de tout le Monde, comme
guerrier Triomphant, duquel on esperoit tout
appuy & toute faueur : mais la Reyne ayant dessein
de se vanger de Paris, & pour cet effect ayãt donné
l’heure à toute la Cour de la suiure, partit à minuict
de Paris le 6. Ianuier 1648. le iour de la Feste des
Roys, enleua le Roy de Palais, qui fut suiuy à l’instant
du Duc d’Orleans, du Prince de Condé, &
de tous les autres Princes & Seigneurs qui en estoient
auertis, les troupes furent mandées de toutes
parts, & aussi tost és enuirons de Paris, se saisirent
de toutes ses auenuës, on reprend les armes

-- 114 --

aussi-tost en cette malheureuse Ville, qu’on tachoit
par tous moyens d’affamer ; mais comme la
chose ne se trouua point si facile qu’on se l’estoit
figurée, apres trois mois de blocus, à force de remonstrances
on flechit l’esprit de la Reyne, qui ne
pouuoit aussi bien exercer sa vangeance au poinct
quelle le desiroit la reseruant à la faire éclatter par
des moyens bien plus funestes & damnables,
qui furent les guerres ciuiles quelle a allumées
dans toutes les Prouinces, se promettant que le
cœur du Royaume ne sera point exempt de l’embrasement
de toutes ses autres parties.

 

Elle se retira à Compiegne pour quelque temps,
& le Prince de Condé en Bourgogne, & enfin s’estant
reioins, ils r’amenerent le Roy à Paris, où elle
commença de faire voir son ambition par de
nouueaux troubles qu’elle y fit naistre par l’assistance
des mauuais Conseils du C. M. La puissante
ialousie qu’elle eut des Princes de Condé & de
Beaufort, ausquels elle ne vouloit point de bien,
parce qu’ils estoient capables de faire obstacle à
ses ambitieux desseins, luy suggera des intrigues
pour les diuiser d’ensemble, & les perdre tous
deux, par apres le Cardinal Mazarin luy donna vn
expedient qui estoit de supposer vn assassinat en
la personne de Monsieur le Prince, & d’en rendre
complices Monsieur de Beaufort & le Coadiuteur
qui commençoient deslors à s’entriguer dans
les affaires de l’Estat, la chose reussit comme elle
se l’estoit promise, quelques coups tirez sur le carrosse

-- 115 --

de Monsieur le Prince : où il n’estoit pas, sur
l’auis que luy auoit fait donner le C. M. par le
Maréchal de Grammont du dessein qu’on auoit
sur sa personne, on poursuiuit aussi Monsieur de
Beaufort le Coadiuteur & la Boulaye au criminel,
ne s’y trouuant point de preuues manifestes, &
Monsieur le Prince estant assez diuisé pour n’estre
plus secouru de ceux qu’il auoit rendu ses ennemis ;
la Reyne choisit son temps de le faire arrester
auec les Princes de Conty & Longueuille, ny
ayant personne qui sopposast à cette violence
quoy quelle fut tout a fait injuste & purement
passionnée ainsi qu’il a paru par vne Declaration
Authentique de son innocence.

 

Cette effroyable entreprise, estonna toute la
France & fit souleuer la Guyenne qui ne pouuoit
plus souffrir les extorsions iniques du sieur d’Espernon
son Gouuerneur, la Reyne accourut auec
vne armée pour commencer sa vengeance par la
desolation de cette Prouince, Bourdeaux receut
heureusement vne amnistie parce quelle ne le pût
forcer, & leurs Maiestez estant de retour à Paris
apres auoir fait transferer les Princes prisonniers
à Marcoussi, & de la au Havre de grace, le Cardinal
Mazarin se creut tout a fait Maistre du Royaume,
excepté Monsieur de Beaufort, qui ne se voulut
iamais abaisser iusqu’à le vouloir voir, quelque
commandement que luy en fit la Reyne.

Ce puissant Ministre pour mieux establir son
authorité, voulut aller luy mesme gaigner la Bataille

-- 116 --

de Retel, ce qu’il fit par ses fourbes ordinaires,
ayant obligé par argent le Gouuerneur de cette
Ville à manquer de parole au Mareschal de Turenne,
auquel il promettoit à l’instant qu’il liureroit
la place au C. qu’il la tiendroit encore plus de
huict iours contre les assiegeants.

 

Cette lacheté ayant reussi au M. il reuint en
triomphe retrouuer la Reyne, qui luy fit vn tres
fauorable accueil, elle se crut pour lors toute puissante,
pour se vanger de tout ceux qui s’estoient
opposez à ses desseins, & desia elle en meditoit la
perte, quand Dieu fit naistre de nouueaux troubles
du costé quelle en attendoit le moins, l’innocence
des Princes prisonniers demandoit Iustice,
chacun en fut touché de compassion, & le Parlement
sollicité par leurs plaintes, qui auoient penetré
à trauers des murs de leur prison, prit leur
cause en main, aussi bien que tout le peuple qui
se mit à declamer contre les malices inouyes du fauory
de la Reyne, l’Arrest fut donné de la liberté
des Princes, & celuy d’exil contre le Card. M.
qui estoient les deux coups qui pouuoient affliger
le plus sensiblement cette ambitieuse Princesse.
Elle vit tout d’vn coup ceux qu’elle auoit opprimez,
en estat de s’en pouuoir ressentir, s’ils eussent
voulu se preualoir de l’affection des peuples, & le
plus ferme appuy de sa tyrannique domination
esloigné de ses Conseils & de son Estat, auec peu
d’esperance de l’y pouuoir r’appeller.

Elle ne perdit point courage pour cela, elle se

-- 117 --

promit qu’elle pourroit se deffaire du Prince de
Condé, par quelque voye que le temps & l’occasion
luy feroient naistre, & que par ce
moyen elle pourroit r’auoir le plus confident Ministre
de ses Passions. Elle releua son espoir sur
cette pensée, & se mit en deuoir de venir à bout
de ce qu’elle proiettoit en elle mesme, pour cét
effect elle traitta le Prince de Condé, auec beaucoup
de froideur & d’empire, elle luy refusa sa Place
dans les Conseils du Roy, elle en fit autant à S. A.
R. afin de les obliger à se ioindre pour combatre
ses intentions esperant par la faire naistre vne
guerre Ciuile, qui luy donneroit tout moyens d’execer
longuement ses violẽces. Elle ne reüssit que
trop bien dans ses plus mauuaises entreprises, ces
Princes estonnez de ces constants rebuts font alliance
estroite sur la connoissance qu’ils ont que
le. M. regne plus absolument que iamais, dans l’esprit
de la Reyne qui medite de les perdre pour le
r’appeller à elle, elle fait assembler la nuit dans
son Palais, les principaux Officiers de la Couronne,
les oblige à son party, par des serments inuiolables,
donne des ordres aux Officiers des gardes
& des cheuaux legers, de se tenir sous les aimes
pour quelque grande execution, dequoy le Prince
de Condé estant auerty, car elle en faisoit
tenir autour de son Palais, sur les diuers rapports
qu’on luy fait que la Reyne, à dessein sur sa
personne, il sort de Paris, & se retire à son Chasteau
de sainct Maur, faisant en cela tout ce que

-- 118 --

l’on souhaittoit de luy, quoy qu’on luy assure
de la part de la Reyne qu’il peut retourner à
Paris sans apprehension d’y receuoir aucun mauuais
traittement, il se deffie d’autant plus de sa
bõne volonté neantmoins le Tellier, & Seruient,
estans esloignez des Conseils du Roy, comme
ceux sur lesquels on reietta toute la faute, comme
estant creatures du C. M. Monsieur le Prince
reuint à Paris : mais tousiours auec la deffiance de
la Reyne qui estoit tout ce qu’on pretendoit de
cette intrigue.

 

A mesure que la Maiorité approcha qui n’estoit
plus guere esloignée, on augmenta, par tous
les artifices possibles, ces soubçons dans l’esprit de
Monsieur le Prince, si bien que n’ayant point osé
se trouuer à la Majorité du Roy le 5. Septembre
1650. il partit de Paris pendant cette celebrité
pour se retirer en Berry, & de la en Guyenne, s’il
estoit pressé dont le gouuernement luy auoit esté
donné en eschange de celuy de Bourgongne, qu’il
auoit cedé au sieur d’Espernon.

Ce départ precipité, fit bien-tost resoudre la
Reyne à le poursuiure, & luy oster les moyens de
luy pouuoir faire aucun obstacle au retour du
C. M. qu’elle auoit resolu, quoy qu’il en d’eust
couster à la France, elle le fit bien-tost sortir de
Bourges, puis de Mouron, & enfin le poussa iusqu’à
Bourdeaux ou se voyant obligé de pouruoir
à sa seureté, il fit quelques leuées de troupes mal
aguerries, auec lesquelles il para aux efforts que

-- 119 --

le Comte d’Harcourt fit auec les meilleures troupes
du Royaume, pour tascher de le reduire aux
extremitez de la fuitte, ou de la prison, tout cela
ne s’executa qu’auec vne desolation generale des
Pays d’Aunis, d’Angoumois, Poitou, Berry, Limosin,
haute & basse Guyenne, Perigord, & autres
Prouinces, dont la substance, & le sang ont
esté épuisez iusqu’à la derniere goutte.

 

Cependant la Reyne, ne pouuant plus retenir
la violente passion, qu’elle auoit pour le retour du
C. M. luy fit tenir quantité d’argent, afin de
leuer tant de troupes qu’il voudroit, pour la seureté
de son passage iusqu’à Poitiers, où elle l’attendoit
en bonne deuotion. Fatale reünion qui à diuisé
toute la France, & a introduit les estrangers
au pillage, & au saccagement de ce miserable
Royaume.

Le Cardinal reuint dont à la teste de six mille
estrangers, portant le fer, & le feu dans la France,
qu’il trauersa presque d’vn bout, à l’autre, sans
d’autre opposition que de foibles Arrests du Parlement,
portant la proscription de sa teste, qui
est encor de nulle valeur iusqu’à present : mais non
pas sans des desordres, qui ont estalé l’horreur,
pour seruir de déplorable objet à plus d’vn siecle.
Le voila encor plus puissant que iamais, & la Reyne
appuyée de tant de forces, ne parle plus que
d’exterminer, & n’a fait autre chose depuis,
Tours, Bloye, Poictiers, Angers, & en suitte Paris,
en ont bien ressenty les funestes effects, malgré

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tout le courage de ce Prince, qui pourroit venir à
bout de tout, s’il estoit fortement seconde, & que
chacun y allast de mesme sorte.

 

Mais que nous sommes esloignez de nos attentes,
& que le cours de nos miseres, va prendre encor
vne longue suitte par l’obstination de cette
Princesse, à se vanger autant sur l’innocent, que
sur le coupable, elle paroist plus fiere que iamais,
dans la certitude qu’elle à, qu’elle n’a enuoyé le
Mazarin hors du Royaume, que pour luy leuer de
nouuelles troupes, & luy amener, quand elle voudra
qu’il reuienne, pour acheuer nostre desolation.

Cela n’est point sans fondement, tout le monde
sçait bien qu’il a laissé aupres de la Reyne son
Secretaire nommé Ondedei, homme Italien ; c’est
a dire, Fourbe, auquel il laisse pleine authorité de
brouiller les affaires de France selon ses desseins
ordinaires. Le Cardinal mesme a dit en partant à
tous ses amis, qu’ils se pouuoient adresser a son Secretaire
en son absence, qu’il luy laissoit le secret
des affaires, qu’il le laissoit tout puissant aupres
de la Reyne, que pour luy il reuiendroit bien-tost,
en estat de se pouuoir faire obeyr, malgré
tous ceux qui s’y veulent opposer, cela donne assez
a connoistre qu’il va chercher de nouueau renfort,
& qu’il pretend de se rendre bien-tost en
estat de nous faire encore plus de mal ; que par le
passé. Miserables que nous sommes, de ne pouuoir.
nous depestrer des mains estrangeres qui ont

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iuré nostre perte & nostre ruyne, que nous ne
sçaurions preuenir malgré tous nos efforts, & toute
l’opposition que nous nous efforçons d’y apporter
depuis si long-temps, que nous combattons
sa tyranie.

 

Il n’y a qu’vn moyen, de preuenir nostre derniere
ruine, que ie diray hardiment quelque disgrace,
que i’en puisse encourir, ie dois cét aduis
à ma languissante patrie, en arriue ce qu’il pourra
& qu’elle perisse apres faute de l’auoir mis en vsage,
ce ne sera pas du moins, faute d’en auoir eu la
connoissance.

Personne ne doute, qu’il n’y ayt vn suffisant
appanage donnez aux Reynes de France, apres la
perte des Roys, leurs maris, lors que le successeur
est en majorité & censé capable de gouuerner
son Estat par luy mesme, il n’a point esté estably
qu’à cette condition qu’elles se retireroient du
maniment de l’Estat, & pour l’obseruation de la
Loy Salique, qui donne tout le gouuernement aux
masles, & de plus il seroit fort inutile, si les Reynes
n’y deuoient iamais estre reduites, il faut donc
qu’elles y soient obligées en quelques rencontres,
cela n’arriue point qu’apres la perte de leur espoux
c’est donc le temps qu’elles y doiuent estre reduittes,
& quand est-ce que la Reyne pretend de
s’y retirer si a l’aage qu’elle à, apres la mort de
son espoux, & la Declaration d’vn Roy majeur,
elle persiste encor auec opiniastreté à vouloir
gouuerner souuerainement au plus grand prejudice

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de la Monarchie Françoise, où est cette deuotion
passée, qui luy a fait aymer autres-fois
la solitude & la retraitte, auec tant d’empressements,
oserons nous la nommer hypocrisie ; non
si elle fait voir qu’elle à vne bonne fin, mais si
elle meurt dans cette prodigieuse ambition de
regner, mesme par les plus tyranniques violences,
toutes ses vertus ne s’en yront’elles pas en fumée,
elle y est interressée plus que personne.

 

Que si elle le refuse aux sentiments Chrestiens
qui luy appelle, elle ne le pourroit refuser aux
Estats Generaux, qui sont establis pour fondement
inebranslable de cette Monarchie, leur assemblée,
si les plus zelez pour le bien public l’auoient
tenuë auec bon dessein, seroit sans doute
vn changement merueilleux de tous nos maux
en de plus grands biens, chacun s’en tiendroit a la
Iustice de leurs Arrests, & la Reyne mesme si
soumettroit volontiers quand elle reconnoistroit
que la tranquilité, & le repos de tant de peuples
qui gemissent sous le fais insupportable de sa Quenoüille
seroit l’heureuse fin, de tant de desordres
qu’elle doit souhaitter, demander à Dieu, & y
trauailler efficacement, par la charité Chrestienne,
qui doit couronner son gouuernement.

FIN.

SubSect précédent(e)


Dubosc-Montandré, Claude [?] [1652], LE SCEPTRE DE FRANCE EN QVENOVILLE Par les Regences des Reynes, faisant voir par de naifues representations d’Histoires. I. Les desordres du pouuoir absolu des femmes en France, par. II. La mauuaise Education des Roys. III. La pernicieuse conduitte de l’Estat. IV. Les horribles factions qui s’y sont esleuées, & qui ont souuent mis cette Monarchie à deux doigts de sa ruine. V. Et le moyen infaillible de remedier à tous ces desordres, si l’on veut s’en seruir efficacement & dans l’vsage des Loix Fondamentales. , français, latin, italienRéférence RIM : M0_3598. Cote locale : B_4_8.