Dubosc-Montandré, Claude [?] [1652], LE COVP D’ESTAT DV PARLEMENT DES PAIRS, OV LE PRINCE CONVAINQVANT le Mazarin par la raison, & par l’Histoire. I. Que le Parlement des Pairs a eu le pouuoir de transferer l’exercice de l’Authorité Souueraine, entre les mains de son Altesse Royalle. II. Qu’il a deub se resoudre à ce transport par les necessitez de l’Estat. III. Qu’il n’est point d’authorité qui puisse en casser l’Arrest, que par vne vsurpation aussi insolente, que Tyrannique. IIII. Que les nouueautez du gouuernement iustifiées par les nouuelles conionctures d’Estat, ne sont pas des coups de caprice. V. Que son Altesse Royalle en qualité de Lieutenant general absolu, peut faire la Paix generale, sans que la Cour ait aucun droict de s’y opposer, & que les Princes Estrangers ayent seulement vn pretexte pour n’y consentir point. , françaisRéférence RIM : M0_802. Cote locale : B_5_3.
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LE COVP D’ESTAT DV PARLEMENT
des Pairs

LE pouuoir que les Francs donnérent à Pharamond
à la naissance de leur Monarchie,
doit estre la regle de la Royauté Françoise,
& le terme de son ambition : D’empieter
vne authorité qui soit plus despotique, que celle qui
fut deferée à ce premier Monarque par la liberté des
suffrages de ses autres subiets ; Ie soustiens hardiment
que cela ne se doit point, & que les Souuerains qui
s’emportent iusqu’a ce déreglement par les caprices
de leur ambition, mettent leurs vassaux en droit de se
pouuoir restablir dans la mesme liberté qu’ils auoient
auant l’establissement de Pharamond.

Il est sans doute qu’vn peuple libre qui ne regle la
Police de son gouuernement, que par la pluralité des
suffrages de ceux qui le composent ; ne soubmet sa liberté
à la disposition d’vn Monarque, qu à dessein
d’en faire l’oracle de tous ses arrests, & l’arbitre souuerain
de tous les differents, que la necessité du commerce
fait naistre dans la vie ciuille.

Les curieux ont appris de l’Histoire, que nos Francs
auant leur entrée dans les Gaules ; ne resoluoient rien
que dans le Champ de Mars, c’est à dire dans le poste
qu’ils auoient choisi pour se camper : Et comme c’estoient
des peuples belliqueux qui n’aspiroient qu’à
la conqueste d’vn lieu avantageux, dans lequel ils
pussent asseoir leurs fortunes errantes ileurs Loix n’estoient

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point encor soumises à l’independance d’vn
Souuerain : Tellement que ces premiers Roys des
Francs, dont les Histoires, ou bien plutost les Romans
nous parlent, auant l’establissement de Pharamont,
n’auoient qu’vne simple apparence de Royauté,
qui ne leur donnoient autre droit, que celuy de
tenir le premier rang dans leurs assemblées, appellees
par les Annalistes, Iudicium Francorum, pour y prononcer
le resultat de leurs deliberations.

 

Apres que ces francs eurent passé le Rhin, & que,
s’estant fait iour auec leurs épées dans les Gaules, ils
purent iuger qu’ils auoient enfin rencontré l’obiet de
leurs esperances dans la terre du plus beau sejour qui
fut dans le monde : La conclusion de leur premiere
assemblée, fut d’y terminer leurs courses guerrieres,
quoy qu’à dessein neantmoins d’estendre les bornes
de cette premiere conqueste, par des entreprises de
plus haute importance, qu’ils mediterent deslors sur
le voisinage des Gaules.

Mais comme la forme de leur gouuernement precedant
ne leur sembloit pas assez releuée, dans l’idée
qu’ils auoient de jetter les fondements d’vn plus bel
Empire, ils se resolurent dans leur premiere assemblée.
de le rendre vn peu moins Democratique, ou
plutost de l’en retirer tout à fait, pour le mettre plus
souuerainement entre les mains d’vn Monarque ; auquel
neantmoins ils voulurent faire entendre qu’il
estoit en quelque façon Aristocratique, par la continuation
de ces premieres assemblées, qui ne furent
iamais interrompuës.

La raison pour laquelle Pharamond fut destiné à

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ce superbe rang, n’est que trop connuë des moins doctes ;
& tout le mõde sçait que la valeur qu’il auoit fait
éclater par dessus tous les autres dãs le passage du Rhin ;
que la prudence qui le faisoit admirer comme vn des
plus vigoureux, & des moins precipitez dans ces entreprises ;
que la debonnaireté qui le faisoit regarder comme
vn des plus capables de leur imposer le ioug Monarchique,
sans le faire aucunement degenerer en tyrannie ;
& que cette ardeur heroïque, qui l’animeroit
d’autant plus viuement à secouër le ioug de la puissance
Romaine, que plus il y estoit obligé par le motif de
vanger les mauuais traittements que son pere Marcomir
en auoit receu ; furent les raisons pour lesquelles il
fut esleué sur le bouclier préferablement à tous autres,
& reconnu par cette ceremonie, pratiquée du depuis
pour le premier & veritable Monarque des François.

 

Cependant, ces assemblées des Francs pratiquées auant
leur establissement dans les Gaules, ne s’interrompoient
point ; & tous nos Historiens sont d’accord, que
dans la premiere race de nos Roys, qui est celle des Meroüingiens,
elles faisoient vne fois tous les ans, auec
vne seuerité si estroite, qu’il n’estoit pas possible de s’en
dispenser, à moins d’vne excuse qui fust iugée valable
& tres-legitime.

Il est vray que pendant cette premiere race de nos
Roys, tous les Francs se trouuoient dans les assemblées,
parce que l’estenduë de leur petite Monarchie estoit
fort bornée : Mais depuis que les premiers Carlouingiens,
c’est à dire, les premiers Roys de la seconde race,
eurent estendu les limites de leur estat, par leur conquestes ;
l’incommodité d’assembler tous les subjets,

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obligea les Souuerains de n’appeller que les principaux
de leurs Estats à ces assemblées qui se faisoient à la verité
tous les ans vne fois, mais pour lesquelles neantmoins
on ne choisissoit pas vn lieu determiné, comme
le Campus Martius, ou le Champ de Mars de la premiere
race.

 

Il faut encor remarquer suiuant ce que Paul Emile
& les Annales de Mets en rapportent, que pendant la
premiere race de nos Roys, ces assemblées de Francs,
sembloient plutost des armées rangées en bataille,
que des Conseils establis pour des deliberations publiques,
parce qu’il faloit selon les Loix de ces assemblées,
que tous ceux qui les composoient, fussent armez de
pied en cap ; & qu’il falloit outre cela, qu’elles ne se
fissent iamais à l’imitation des Romains, que dans le
Champ de Mars, c’est à dire, dans vn lieu champestre,
esloigné du commerce des Villes.

Ces assemblées changerent de posture en la seconde
race de nos Roys, & comme elles furent renduës ambulatoires
par la necessité des affaires d’Estat, on ne les
tenoit presque plus que dans les villes ; si les personnes
armées n’en estoient point exclües, elles n’y estoient
du moins necessaires ; la Robe & l’Epée commencerent
à symboliser ensemble ; & cét esprit vn peu farouche
che dans les assemblées qui ne se faisoient que dans les
champs, fut en quelque façon appriuoisé à vne humeur
plus raisonnable dans les villes.

La race des Capetiens, qui est la troisiesme race, &
la souche des Roys d’aujourd’huy, continua. Pendant
ie ne sçay combien de temps ces assemblées, soubs le
mesme nom ; iusqu’à ce que soubs Philippe II. fils de

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Louys VII. dit le Ieune, elles prirent le tiltre de Parlement,
qui fut enfin rendu sedentaire, soubs Philippe
IV. pendant qu’il estoit aux prises auec Boniface IIX.
Louys le Mubin ou le Hutin, fit l’honneur à ce Parlement
de luy donner son propre Palais ; dans lequel
mesme, comme il se continuë encor aujourd’huy, il
donna logement à celuy qu’il nomma pour y Presider
en sa place ; parce que nos Roys commençoient deslors
à se voir distraits de tant d’affaires, qu’il ne leur estoit
pas possible d’y estre tousiours present lors qu’on delibereroit
des affaires publiques, & particulieres, desquelles
il commença de connoistre soubs le regne de
ce Hutin ; Au lieu qu’auparauant tous les differents des
particuliers ne se vuidoient que par le iugemẽt de deux
ou trois Prudes choisis par le Roy pour cette intention.

 

Il est constant par la fidelité de cette deduction, authorisee
par ler apport de toutes les Histoires ; & par les
monuments venerables de toute l’antiquité ; que toutes
les affaires d’Estat estoient Souuerainement traitées
dans cette Assemblée des François ; Et que les Roys
n’auoient autre droit que celuy d’y Presider auec vne
dependance si soumise à l’authorité de l’Assemblée,
que leurs Declarations Royalles n’estoient autres que
les resultats de ce qui auoit esté conclu dans ces deliberatiõs
Publiques. Aussi voyons nous encor auiourd’huy
en suite de cette coustume essentielle au Gouuernemẽt
Monarchique de cet Estat, que cette Assemblée des François
entendüe par le nom de Parlement, a le pouuoir absolu
de connoistre des volontés du Roy, pour les verifier
comme telles, suppose qu’il les juge aduantageuses
au bien Public ; Et que les Peuples ne sont nullement

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obligés de s’y soumettre à moins qu’il ne leur soit euident
par vn Arrest de cette Assemblee où de ce Parlement
qu’elles sont iustes & legitimes.

 

Les conquestes de nos Roys ; & sur tout celles de la
seconde race, venant à estendre les limites de la Monarchie
Françoise, il a fallu necessairement que nos Souuerains,
ait communiqué ce pouuoir de connoistre des
affaires Publiques & particulieres à d’autres Parlemẽts
qu’à celuy de Paris, lesquels neantmoins n’estant que
les ruisseaux emanés de cette source, ne semblent estre
en pouuoir de resoudre aucun affaire d’Estat, qu’apres
que le Parlement de Paris leur en aura frayé le chemin
par son exemple ; Et c’est en cette conioncture qu’ils ne
sont point en estat d’y pouuoir contredire à moins
qu’ils ne soient en dessein d’empieter vne authorité separée
d’auec le pouuoir de celuy, dont ils ne sont que
les simples escoulements.

Aussi voyons-nous que c’est dans le Parlement de Paris,
comme dans la veritable Assemblée des François, que se resoluent
toutes les affaires publiques ; Et que les Roys mesmes pour
estre reconnus absolus ou Majeurs par leurs Peuples, viennent
en emprunter vn Arrest, qui iustifie l’exercice de l’authorité
Souueraine entre leurs mains : C’est dans ce Parlement que nos
Roys ont auiourd’huy leur lict de Iustice, jadis representé par
l’exemple de cet Auguste Tribunal, sur lequel leurs predecesseurs
auoient coustume d’estre esleuez au champ de Mars dans
l’assemblée generale des François, dans la premiere & seconde race,
& dans le commencement de la troisiesme race de nos Roys, &
qui y president aujourd’huy auec la mesme authorité, qu’ils
presidoient pour lors sur ces Tribunaux Champestres, lors que
tous les François dans la premiere race ; & les principaux dans
toute la seconde, & dans le commencement de la troisiesme,
se trouuoient dans ces assemblées generales, pour y decider
souuerainement & coniointement auec leur Souuerain de toutes
les affaires d’Estat.

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Apres l’establissement de ces presupositions, que les seuls
ennemis de la verité pourront reuoquer en doute, puis qu’il
sufit de s’en raporter au tesmoignage des yeux pour en estre
conuaincu ; i’entre sans peur dans le raisonnement sur lequel
ie dois establir la verité de ma premiere proposition ; &
ie soustiens sans crainte d’estre contredit par aucun raisonable.

I. Que le Parlement à peu & deu mettre l’Authorité Souueraine
entre les mains de S. A. R. & qu’il n’est point d’Authorité
qui puisse en casser l’arrest que par vne vsurpation
aussi insolente que tyrannique. Ie m’en vay commencer mon
raisonnement par les preuues, par lesquelles il l’a peu.

Par les presupositions precedentes, tirées de tous les sacrées
deposts de l’histoire ; il est euident que l’Authorité Souueraine,
à esté bien plus tard entre les mains des Roys qu’entre
celles du Parlement ou de lassemblée des Francs ; & que
les Monarques qui en ont esté les depositaires depuis onze
cents ans ne l’ont reçeuë que de cette mesme assemblée des
François, lesquels en la leur communiquant librement,
n’ont que trop tesmoigné, qu’il ne tenoit qu’a eux de sela
conseruer ; & qu’ils ne la deferoient à vn autre, que pour en
brider les desreglements, lors qu’il viendroit à s’y laisser emporter
par les boutades de son ambition.

Cette consequence n’est que trop infaillible, si ceux qui
s’en tebuteront d’abord veullent considerer ? qu’apres le
choix de Pharamond, cette assemblée des François se faisoit ny
plus ny moins pour la decision de toutes les affaires publiques,
& que les Roys, suiuant le rapport de tous les Historiographes
auoient autre droit que celuy d’y estre esleués
sur des tribunaux, pour y prononcer auec plus d’Authorité
le resultat de toutes leurs deliberations. Si cela n’est vray

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qu’on conuainque de fausseté toutes les histoires.

 

Cela estant ; il n’est que trop vray que les Parlements des
Pairs qui represente auiourd’huy cette Assemblée generalle
des Francois, à le pouuoir de mettre l’exercice de l’Authorité
Souueraine entre les mains de celuy qu’il en iugera le plus
capable ; & que c’est à luy seulement de iuger de la necessité
de cette trãslation du pouuoir Souuerain, sans que personne
soit en droit d’en empieter l’Authorité, puis que le Parlement
en representant cette Assemblée generalle des Francs represente
par consequent tous les François, lesquels y estoient
tous appellés sans aucune exception dans la premiere race,
& les principaux d’entre eux dans la seconde & dans le commancement
de la troisiesme : & puis que les Roys ne tiennent
leur pouuoir que de l’Assemblée des Francs appellée du
depuis Parlement sous Philipe Auguste, & renduë sedentaire
dans Paris sous Philippe le Bel, n’est-il pas constant que la
disposition de l’Authorité Souueraine est entre ses mains,
lors que les necessités d’Estat exigent quelque nouueauté
pour la tranquillité des peuples : patience mon Lecteur.
Encor vn raisonnement : ie vous contenteré puis apres par
l’histoire.

S’il arriuoit par malheur que toutes les branches Royalles
de la maison de Bourbon, vinssent à defaillir, comme il
se peut, dans les reuolutions de l’Estat : N’est-il pas vray
que la iustice feroit retomber tout le droit de l’Authorité
Souueraine en la disposition du Parlement des Pairs ; &
que ce seroit absolument à luy, comme à celuy qui represente
cette Assemblée generalle des Francois, d’en disposer
en faueur de celuy qu’il en iugeroit le plus capable ; le
sçay bien que les ennemis de ce sentiment voudroient
conuoquer en cette conioncture, vne assemblée plus generalle

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de tous les Estats de la Monarchie, afin de
donner vn peu plus d’éclat à ce nouueau procedé ; &
qu’ils iugeroient que le Parlement des Pairs n’estant
plus qu’vn petit abregé de tout le corps de l’Estat apres
la grande estenduë de son Empire, son authorité ne seroit
pas generalement respectée dans le choix qu’il
pourroit faire de quelque personage de merite, pour
l’asseoir sur le trone.

 

Quoy que iene desaprouue pas ce sentiment ie iuge
neantmoins qu’il est en quelque façon erronée, puis
que si l’on considere comme il faut la nature du Parlement
des Pairs, il est éuident qu’estant vn abregé de
tout ce qu’il y a de choisi dans l’Estat, & qu’ayant outre
cela l’authorité Souueraine entre ses mains par le
consentement general des François, il ne peut par consequent
point estre de differend de quelque haute importance
qu’il soit, qu’il ne puisse souuerainement decider.

Pour soustenir ce raisonnement il faut que i’aye recours
à l’histoire. Le quatriéme Roy de la premiere race
ne fut chassé de l’Estat que par vn Arrest porté contre
l’iniustice de ses déportemens par l’Assemblée generalle
des François, appllée du depuis Parlement des Pairs.
Et Chilperic le dernier des Roys de cette mesme premiere
race ne fut frustré de la succession du Trone, qui
estoit legitime dans sa maison, que par l’Arrest de cette
assemblée generalle ou du Parlement porté en faueur
de Pepin, lequel ayant esté iustement reconnu
plus capable que son predecesseur pour releuer les affaires
de cette honteuse décadence, où la stupidité des
derniers Meroüingiens les auoient laissez insensiblement

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glisser, fut éleué sur le bouclier & sur le trosne,
au preiudice mesme du droict hereditaire de Chilperic.

 

Le mesme Parlement sur la fin de la seconde race
declara Charles fils de Louys d’Outre-mer, indigne
d’occuper le trosne François, pour auoir pris le Duché
de Lorraine en foy & hommage de l’Empereur Othon
II. & pourueu par mesme iugement à la succession de
la Couronne en faueur de Huges Capet, lequel à la verité
ne se contentant pas de cét Arrest, parce que l’étenduë
de l’Estat sembloit exiger vn adueu plus authentique ;
voulut affermir dans sa maison la possession
de la Maiesté par le suffrage des Estats generaux.
Mais il est à remarquer dans l’Histoire, que l’Arrest
des Estat generaux fut conceu dans les mesmes termes
que celuy du Parlement ; & que cette auguste Assemblée
tesmoigna par cette esgalité d’expression,
qu’on ne deuoit point appeller de l’authorité du Parlement
des Pairs, puisque depuis la fondation de la
Monarchie il auoit esté le veritable depositaire du la
Royauté.

Raisonnons en Philosophes, & concluons de plus
grand au plus petit comme ils parlent, que puisque le
Parlement des Pairs a eu le pouuoir de transferer le
Sceptre François d’vne famille dans vne autre ; il peut
donc à plus forte raison le conseruer en celle qui le
possede auec tant de Iustice ; Et le rauir pour quelque
temps à la iouyssance d’vne main, dont la foiblesse sert
de pretexte à la Tyrannie, pour en abuser insolemment
au gré de son caprice.

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Mais pour donner des raisonnements, qui soient vn
peu plus sensibles & moins difficilles à estre conçeus :
N’est il pas vray que le Parlement des Pairs pouuoit s’oposer
efficacement à la Declaration de la Majorité ; &
quand il eut encor prolongé la Minorité iusqu’à l’age de
21. an, & mis la Regence entre les mains de S. A. R. qu’il
n’eut fait que ce que les sçauans dans les affaires d’Estat,
n’eussent iamais peu raisonablement contredire : Faut-il
donc s’estonner s’il a fait aujourd’huy ce qu’il pouuoit
faire pour lors, & s’il s’est donné à des raisons qui ne luy
sembloit pas alors assez pressantes, pour l’establissement
de cette nouueauté.

Mazarins ; vous ne contesterez pas cette authorité de
s’oposer à la majorité des Roys, au Parlement des Pairs, si
vous considerez, que les peuples n’ont deub reconoistre
le Roy majeur, qu’en consequence de l’arrest du Parlement
des Pairs ; & que cet arrest n’ayant peu estre porté
par cette auguste assemblée, qu’apres vn examẽ prealable
de sa iustice ou de son iniustice, il est oit par consequent
en sa liberté de ne le porter point, si toutefois il s’y fut
senty obligé par quelque raison d’Estat.

C’est vne erreur de croire que les Parlemens verifient les
Declarations des Roys, par vne necessité d’obeisiance,
plustost que par vne liberté de iustice. Verifier les volontez
du Roy, c’est tesmoigner par vn adueu solemnel qu’elles
sont iustes & legitimes : Peut-on donc exiger sans
tirannie, que le Parlement des Pairs qui n’est auiour d’huy
qu’vn abregé de cette ancienne assemblée generale des françois
donne vn aueu de iustice, à des volontez qui luy paroistront
pour iniustes ? & ne seroit-ce pas renoncer au
droit qu’il d’examiner les Declarations des Roys, pour

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complaire seruilement à leur tyrannie.

 

C’estoit du moins le sentiment de Louys XI. lors qu’il
remercia le Parlement de ce qu’il auoit refusé de verifier
vn de ses Edits contraire au repos de ses peuples ; & que
mesme il enioignit en mourant à son successeur de ne
rien entreprendre que par l’aduis du Parlement des Pairs,
voulant mesme que la remonstrance qu’il luy en auoit
faite, fut mise dans les registres de la Cour. L’histoire de
France fait remarquer plusieurs semblables deferences
dans les vies de Charles V. de François I. & de Henry III.
que ie ne touche pas plus au long ; pour conclure de tant
d’inuincibles antecedens, que le Parlement des Pairs n’est
pas auiourd’huy moins absolu, qu’il l’estoit le premier
iour de la majorité du Roy ; & que s’il pouuoit reculer
pour lors à sa verification, pour des considerations d Estat ;
il peut auiourd’huy suspendre cette authorité, pour
en defferer l’exercice à quelque autre, suposé qu’il s’y sente
obligé par quelque nouuelle & importante reflection.

II. Le Parlement n’a pas encor moins deub qu’il a peu
transferer l’exercice de l’authorité souueraine à la prudence
de S. A. R. & ie soustiens qu’il se fut bien oublié du
soin qu’il doit aux necessitez de l’Estat, s’il eut encor differé
de s’oposer à nos desordres par la iustice de cét establissement.

Pour la premiere preuue de cette verité, ie dis que le
Mazarin abusoit si insolemment de cette authorité souueraine,
sous pretexte qu’il auoit vn Roy majeur, qu’il
nous faisoit regarder ses caprices particuliers, comme les
volontez Souueraines de celuy dont il captiuoit la simplicité
par ses artifices, & dont il surprenoit le pouuoir
par ses impostures ; & dans ce desreglement d’authorité

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qui ne peut estre iuste à moins qu’elle ne soit conforme à
toutes les volontez du general de l’Estat, il s’emportoit à
des extrauagances dautant plus criminelles, que plus il
estoit conuaincu de se seruir d’vn bras innocent, pour
l’affermissement de sa tirannie.

 

Dans cette conioncture, le Parlement qu’on ne peut
nier estre le depositaire, & comme le Tuteur perpetuel
de l’authorité Souueraine, a iustement crû qu’il estoit de
son deuoir de prendre vne plus entiere connoissance de
tout ce qui se passoit ; & comme il a veu que la Royauté
ne seruoit plus que d’instrument à la tyrannie de ce Ministre,
par la liberté qu’il auoit de s’en preualoir à l’auantage
de toutes ses mauuaises intentions, il n’a peu differer
plus long temps l’execution du dessein qu’il auoit de rauir
à ce boutefeu, la torche dont il se seruoit, pour porter
l’embrazement dans les quatre coings de l’Estat ; & de
transferer à de plus fortes mains l’exercice de cette authorité
Souueraine, dont cét insolent prostituoit l’innocence
à la honte de ses peruerses intentions, par la complaizance
qu’il trouuoit dans la personne du ieune Monarque
que nos Loix en auoient pourueu.

Ainsi pour le frustrer de cét auantage qu’il empruntoit
d’vn si glorieux pretexte, & pour arracher aux peuples le
scrupule qu’ils auoient de luy des-obeir, par ce que ses
commandemens portoient du moins apparemment, la
qualité de Souuerains ; le Parlement s’est senty obligé par
toute sorte de raisons d’Estat, d’oster à nostre ieune Monarque,
l’exercice de son Authorité Royalle pendant
qu’il seroit entre ses mains, & de la transferer entre celles
de S. A. R. pour le mettre en estat de pouuoir trauailler
auec quelque sorte de succez à l’eslargissement de sa

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Maiesté.

 

Par ce coup d’Estat le Mazarin & ses Partizans sont
reduits à ne pouuoir plus se seruir de la parolle du Roy,
que par fiction ; & s’il est vray que les Loix fondamentalles
de ce Royaume peuuent estre esbranlées que par
attentat ou par tirannie. N’est il pas encor plus vray que
le Parlement des Pairs, estant le depositaire de l’authorité
Royalle par vne de ces Loix, est par consequent en
droit d’en pouuoir suspendre l’exercice, selon qu’il s’y
voit obligé par les necessitez de la Couronne : & puis
qu’il n’estoit point de moyen plus asseuré, que celuy de
declarer le Roy captif, pour soustraire au Mazarin, les
Partizans que la lacheté luy faisoit encor rencontrer parmy
les interessez & les françois bastards, le Parlement
pouuoit il en aucune façon se dispenser d’en prononcer
l’arrest, & de hazarder encor l’asseurance moralle qui
paroissoit dans l’apparence de ce dernier remede, pour
tacher de guerir les maladies de l’Estat.

Nous auons desia veu que les peuples ne sont nullement
obligez de reconnoistre les volontez Royalles, à
moins qu’elles ne soit premierement verifiées par arrest
du Parlement des Pairs, & puis en suitte par les arrests de
toutes les autres Cours Souueraines. C’est pourquoy ie
me persuade assez raisonnablement que le Mazarin n’estant
plus en estat de faire retentir que des volontez de
Roy toutes nuës, sans les accompagner de la necessité
indispensable de leur verification, ne peut par consequent
point esperer de faire receuoir ses caprices, lors
mesme qu’ils seront le plus superbement reuestus de ce
faux pretexte de Roy, qu’auec grand mespris,

Ainsi ie soustiens qu’apres cét Arrest solemnel porté

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auec tant de Iustice en faueur de son A. R. Mazarin ne
peut conseruer dans son Party, que tout ce qu’vne honteuse
lascheté aura deuoüé à sa seruitude ; Puis que le
Parlement de Paris, qui fait reconnoistre ou mesconnoistre,
les Roys dans l’exercice de leur Souueraineté,
selon qu’il s’y voit obligé par des raisons d’Estat ; en a
transferé le pouuoir à des mains plus fortes, que celles
dont la foiblesse seruoient de joüet à l’insolence de ce
Ministre. Et s’il est quelque Grand veritablement genereux
au préz de la Majesté, qui vueille se donner le loisir
de considerer sans passion, le pouuoir & l’Authorité du
Parlement des Pairs, il ne reculera point de se soumettre
à ce grand Coup d’Estat ; & de diminuer par sa retraite,
le grand nombre de ceux que le Mazarin croit estre engagez
à son Party par la necessité que leurs charges leur
imposent de ne bouger point d’auprés de sa Majesté.

 

Quand le Parlement n’auroit rien gagné que la conuiction
interieure de ceux qui sont tant soit peu versez
dans les affaires de la Monarchie, n’auroit-il pas de beaucoup
esbranlé le Party Mazarin, puis qu’il auroit osté la
creance aux principipaux de ses arboutans, que le pretexte
de soustenir l’authorité Royale ne pourroit plus
passer desormais apres cét Arrest ; que pour vn veritable
dessein de la renuerser ; Et quand ce mesme Arrest n’auroit
seruy qu’à jetter tous les Peuples dans le Party de
Messieurs les Princes, entre les mains desquels ils sont
obligez de croire que l’exercice de la veritable Authorité
Royale se trouue, puis que suiuant les Loix Fondamentales
de cét Estat, ils ne doiuent les respects de leur
soumission qu’aux Ordres de celuy, que le Parlement
leur fait reconnoistre pour leur Souuerain ; Cette

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Illustre Cour Souueraine & la source de toutes les autres,
pouuoit elle bien se dispenser apres tant de Prieres,
tant de Supplications, & tant de remonstrances
auortées sans aucun fruit, d’auoir recours à ce dernier
remede dans la derniere des extremitez, & de retirer
l’exercice de l’authorité Souueraine, mesme d’entre les
mains d’vn Majeur, pour la luy mettre à l’abry, sous lœconomie
d’vn autre qui ne la retiendra qu’autant de
temps qu’il faudra pour la sauuer.

 

III. Si j’aiouste dans ma troisiesme Proposition, qu’il
n’est point d’authorité qui puisse casser cét Arrest du
Parlement des Pairs, qu’auec vne vsurpation insolente &
tyrannique, ie pẽse que ie le puis aduancer, Parce que ie
me vois appuyé de toutes les Loix Fondamentales de cét
Estat, & que la raison ne me fait point aprehender d’estre
contredit par aucun homme de Sens.

S’il n’est point de corps qui soit plus Souuerain & plus
independant dans l’Estat que celuy du Parlement des
Pairs, il n’en sera donc point qui puisse attenter à casser
son dernier Arrest, que par vne vsurpation insolente
& tyrannyque ; Parce que cette iuste authorité de
pouuoir casser vn Arrest, marqueroit infailliblement
quelque sorte de Superiorité, & comme vne espece d’ascendant
par dessus les Ordres de celuy qu’il traiteroit
auec ce mespris.

Est-il de François, quelque bien versé qu’il soit dans les
afaires de cét Estat qui reconoisse quelque authorité Superieure
à celle du Parl. des Pairs ; & qui ne sçache que les
decisions de cette Cour Souueraine lors principalemẽt
qu’elles sont concluës par la participation des Princes du
Sang des Ducs & Pairs de la Couronne, passent en des

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Loix d’Estat, que la France a tousiours regardé depuis
onze siecles comme les plus fermes fondemens du
Thrône & les veritables apuis de la Couronne.

 

Ie ne conteste pas, parce qu’il n’importe point à mon
dessein, qu’vn Roy Majeur ne puisse casser mesme au
gré de son bon plaisir comme il parle, Vn Arrest du
Parlement, porté dans des affaires particulieres : nous le
voyons tous les iours dans le Triomphe des Graces qu’il
eslargit, pour aracher au suplice des Pauures criminels,
& pour empescher en leur faueur l’execution des Arrests
des Cours Souueraines : Et certainement il est de
l’Authorité Royale, que celle de ses Parlemens, luy soit
aueuglement soumise en plusieurs rencontres ; Et que
pour vne plus parfaite marque de sa Souueraineté, le
Roy, puisse tesmoigner à ses suiets les plus esleuez, en
choquant mesme directement leur pouuoir, que tous
les aduantages qu’ils ont, ne sont que des escoulemens
emanés ou des rayons de splendeur esclos de la source de
sa Maiesté.

Mais ie soustiens bien, & ie suplie le Conseil de se
taire en ce point, qu’vn arrest porté par le Parlement de
Paris auec la participation des Princes du Sang & des
Ducs & Pairs & de la Couronne & porté dans vn afaire
d’Estat est au dessus de toute authorité Souueraine, ou
bien plustost que c’est l’Authorité Souueraine mesme ;
Et que le Roy qui voudroit attenter à le casser par son
seul caprice (ie parle par son seul caprice, parce qu’il ne
le peut pas par conseil, puisque les Princes du sang qui
doiuent composer ce conseil ont esté de la partie) s’oublieroit
sans doute de la seule obligation qu’il a de ne

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pouuoir rien entreprendre ou destourner qui soit important
à l’Estat, que par la deliberation Souueraine de
ce Parlement des Pairs, dans lequel il a son lit de Iustice,
represente autrefois dans l’assemblée generalle des François,
par cét auguste Tribunal, que nos Ancestres esleuoient
dans le Champ de Mars, pour y faire asseoir nos
anciens Roys ses predecesseurs.

 

Ie voudrois bien demander à quelque honeste homme,
si toutefois il s’en trouue quelqu’vn dans le Party
M. quel estoit autrefois le pouuoir de cette Assemblée
des Francs representée auiourd’huy par le Parlement des
Pairs ; ou du moins, qu’elle estoit l’authorité des Roys,
lors qu’assis sur ces Tribunaux esleuez dans les Champs
de Mars, ils y presidoient auec tant de Maiesté : Ces derniers
estoient-ils bien si puissans, que les Assemblées ne
peussent resoudre, que ce qui seroit au gré de leur passiõ ;
Où ces assemblées auoient-elles quelque pouuoir de resoudre
absolument sur les affaires publiques. sans que
les Souuerains s’y peussent opposer par les seuls obstacles
de leur authorité : Ie ne veux rien decider, Mazarin
qui que tu sois, rapportons-nous en tous deux à l’histoire,
& nous scaurons que dans la premiere race, cette assemblee
des Francs qui se faisoient à toute sorte de rencontres,
decidoit souuerainement, le Roy present où
non present, toutes les affaires d’Estat ; Et que dans la
seconde race & dans le commencent de la troisiesme,
comme ces assemblées ne se faisoient qu’vne fois l’année
on y resoluoit les affaires importantes lors que le Roy
n’y estoit pas, auec la mesme souueraineté que s’il y eust
esté present.

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Et si tu veux te rendre à la raison, tu connoistras que
cete indiference de la presence du Roy dans ces assemblées,
n’estoit point vn mespris de sa Royauté ; parce
que la Royauté n’ayant point d’autre fondement que
celuy de l’intelligence des peuples vnis par vne cõformité
d’intentions pour la reconnoistre & pour s’y soumettre ;
il n’estoit point absolument necessaire que les
Roys fussent presens à ces assemblées, puis qu’ils ny
pouuoient pretendre aucune resolution par vn coup
d’authorité despotique ; & puis que le resultat souuerain
de leurs deliberatiõs, n’estoit autre que la pluralité
des suffrages de ceux qui s’y estoiẽt rencontrés ; & pour
l’executiõ desquels les Roys estoit obligés de faire agir
cette Authorité Souueraine qu’on leur auoit mis en
main. Voila à peu pres en quoy consiste la Royauté.

Le Parlement des Pairs (c’est à dire le Parlement de
Paris, les Princes du Sang, les Ducs & Pairs de la Couronne)
represente auiourd’huy cette ancienne Assemblée
generalle des François : il resout aussi bien qu’elle
& aussi souuerainement qu’elle, sur les affaires d’Estat ;
il aprouue, il casse les traités & les alliances contractées
auec les estrangers. Le Roy y à son lit de Iustice comme
ses Predecesseurs auoit leur tribunal esleué dans le
Champ de Mars sa presence n’y est pas absolument
necessaire, quoy que neantmoins les affaires s’y resolouent
auec plus de Maiesté, lors que le Roy y est present :
cette mesme presence ny porte point d’empechement ;
comme son absence n’altere en aucune façon
le droit que l’assemblée à de decider souuerainement
sur les affaires d’Estat : ainsi c’est sans crainte d’aucune

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authorité superieure que le Parlement des Pairs
porte ses arrests sur les affaires publiques, puis qu’à le
bien prendre l’Authorité du Parlement des Pairs & celle
du Roy n’est qu’vne mesme chose ; & qu’on ne peut
attenter à cette Authorité du Parlement des Pairs, sans
attenter à mesme temps à l’authorité du Roy : Si la raison
en est éuidente, l’histoire en fortifie encor plus inuinciblement
la verité.

 

Lors que Charles le bien aymé poussé par les suggestions
insolentes d’Isabeau de Bauiere sa femme,
destina la succession du throsne à Henry V. Roy d’Angleterre
son gendre, au preiudice du droit inuiolable
de Charles le Victorieux : N’est ce pas le Parlement
des Pairs, qui cassa cette declaration Royalle par vn
arrest contraire, & qui fit voir par ce coup d’Authorité
que la veritable Authorité Royalle & Souueraine est
entre ses mains lors qu’il est question de iuger des affaires
d’Estat. Lors que Francois premier estoit à Madrid
dans les prisons de Charles Quint, ne protesta til
point à cet Empereur qui luy proposoit des conditions
insolentes pour l’eslargissement de sa liberté, qu’il ne
pouuoit rien tenir, quelque chose qu’il luy promit, si
le Parlement des Pairs auoit aucune raison de s’y oposer ?
Le mesme Parlement des Pairs dans l’histoire de
Frãce n’estoit-il point à la veille de rauir la Regence de
l’Estat à Louyse de Sauoye que le Roy son fils neantmoins
luy auoit laisse lors de son depart pour la conqueste
du Milanois ; pour la donner à Charles Duc de
Vandosme, si quelques considerations particulieres
n’eussent obligé ce premier Prince du Sang de ny consentir

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point ? Henry Troisiesme ne tesmoigna-t’il point
auant qu’il fust assassine par vn Moine, que les malheurs
de son gouuernement ne pouuoient que du
mespris qu’il auoit fait de se regler sur la conduite du
Parlement des Pairs, reconnu par tout l’Estat, pour
le Trone infaillible, & pour le veritable depositaire
de la Royauté ? & de nos iours Louys le Iuste
n’ayant laisse la Regence à Anne d’Austriche qu’à cõdition
qu’elle se conduiroit par l’experience de trois
Ministres, qu’il appelloir non destituables, le Parlement
des Pairs n’a-t’il pas choqué par Arrest cette derniere
volonté du plus iuste de nos Roys, pour mettre entierement
la Regence entre les mains de la Reyne, &
dans l’independance de toute sorte de Ministre.

 

Ce dernier coup d’authorité du Parlement des Pairs
est il iuste, Messieurs les Mazarins, vous n’auez garde de
le contredire parce qu’il vous est aduantageux ! Ouy,
ouy, il est iuste, parce que l’authorité qui la voulu en
estoit legitime, quoy que les succes n’ayãt que trop fait
connoistre qu’il estoit imprudent : mais enfin on se peut
tromper, & les apparences les plus belles ne sont pas
tousiours suiuies des meilleurs effets : Pouuez vous donc
maintenãt resister à tant d’euidences ? pouuez vous croire
sans rougir de vostre croyãce qu’il y ait d’authorité
qui soit superieure à celle du Parlemẽt des Pairs ; & que
ce dernier Arrest porté pour la translation de l’Autorité
souueraine puisse estre cassé qu’auec attẽtat ; puis que le
Roy ne peut point auoir de volonté contraire à celle [illisible]
Parlement des Pairs ; & tu verras que les affaires [illisible]
ne sont pas de ton gibier ; & tu cõnoistras que le [illisible]
ne contractent point chez toy auec leurs [illisible]

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respecteras vn pouuoir sur lequel tu ne peux entreprendre
qu’auec insolence & auec attentat.

 

IV. Mais quoy ? dira quelque Mazarin, cette nouueauté
peut-elle bien estre tolerable dans le gouuernement ?
l’histoire n’a point encore veu que le Parlement
des Pairs ait rauy l’exercice de l’authorité Souueraine
à des Roys majeurs, pendant qu’ils estoient dans
l’Estat. On sçait bien que Suger Abé de S. Denis estoit
Regent du Royaume, pendant le voyage de Louys le
Ieune en la Terre Sainte ; qu’Anne de France regenta
l’Estat pendant le voyage de Charles VIII. dans le
Royaume de Naples ; qu’Isabeau de Bauiere auoit le
mesme pouuoir durant la maladie de Charles VI. que
Ieanne de Nauarre estoir encor dans la mesme autorité
pendãt les voyages de Philipe le Bel hors du Royaume :
Mais, dira ce Maz. il est encor inoüy dans les histoires,
qu’on ait iamais deferé l’exercice de l’authorité souueraine
à vn troisiéme, en la presence d’vn Roy Maieur.

Ne voila pas vn beau pretexte pour faire éclater mille
belles admirations d’Estat. Sçachez, Mazarin Fiefé,
que les nouueautez du gouuernement iustifiées par
des nouuelles conioinctures d’Estat ne sont point des
coups de caprice, mais des effets de Iustice : que les occasions
ont tousiours esté les maistresses Souueraines
des establissements : & qu’en matiere d’Estat, ce seroit
errer dans le premier principe de la Politique, que de
vouloir trop seruilement regler la conduite presente
sur la passée : de nozer rien entreprendre qu’auec
des preiugez : & d’exiger tousiours des exemples de
l’antiquité, pour ne se porter iamais qu’à des establissemens
de mesme nature.

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Comme il peut arriuer des reuolutions d’Estat que
nos ancestres n’ont iamais veu ; aussi peut-on proceder
dans les Estats à de nouueaux establissements, quoy
qu’on n’en ayt point d’exemple. Les occasions sont les
maistresses des loix : il ne faut iamais regarder ce qu’on
a fait, mais ce qu’il faut faire : Vne chose bonne en vn
temps sera mauuaise en vn autre : Vouloir qu’on regle
tout à vn mesme compas, c’est extrauaguer : Les Loix
mesme fondamentalles qui doiuent estre les plus inébranlables
sont sujetes au temps ; & quoy que par la loy
fondamentalle la succession du Trône appartint à
Charles Duc de Lorraine sur la fin de la seconde race ;
la nouueauté du changement fut neantmoins estimée
tres legitime par le Parlement des Pairs, pour l’establissement
de Hugues Capet.

Il n’a iamais esté de plus estrange nouueauté, que la
Declaration de Charles V. donnée pour faire emanciper
les Roys pupilles à l’age de 14. ans : la prudence, le
sens commun, la iustice & toutes les loix du monde, y
sembloient du moins apparemment choquées, en veüe
de la connoissance qu’on auoit de l’ignorance d’vn enfant
pour le gouuernement d’vn Empire : Cette nouueauté
neantmoins trouua les suffrages de son aprobation
parmy les plus censez ; & ceux qui l’eussent condamnée
en autre temps, iugerent en cette occasion,
qu’elle estoit à propos, pour oster aux Regents, selon
les intentions de ce Sage, les moyens d’establir vne
puissance, pendant la longueur de leurs Tutelles, qui
fur à l’épreuue de celle des Majeurs.

Les nouueautez qui ne sont inspirées que par l’ambition,
sont des attentats manifestes à la bonté du gouuernement :
Celles qui sont conseillées par la prudence,

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sont des coups d’Estat ; & les effets d’vne politique, qui
ne deuroit iamais partir d’aupres du Timon : si nos Ancestres
n’ont iamais veu d’exemple de ce transport de
l’authorité Souueraine pendant le regne & la presence
d’vn Majeur ; Ils n’ont point aussi iamais veu qu’vn
Majeur se soit abandonné au Conseil & à la conduite
d’vn Tiran, à l’exclusion de tous ses Princes & de tous
ses Parlemens : Ainsi la nouueauté de cet establissement
peut estre iustifiée par la nouueauté de l’iniustice qui
nous tirannise ; & puis que nous ressentons vn mal que
nos Ancestres n’ont iamais veu, ne pouuons nous pas
nous seruir d’vn remede qu’ils n’ont iamais connu, sans
que ceux qui sont faschez de nostre conualescence,
ayent autre droit d’en murmurer, que parce qu’ils
voyent que nous nous mettons en estat de nous restablir,
pour les destruire.

 

V. Puis qu’il est infaillible & hors de conteste, que
l’exercice de l’authorité souueraine, defferée à S. A. R
par Arrest du Parlement des Pairs, est iuste & legitime
entre ses mains ; & qu’on doit auiourd’huy la mesme
obeissance à ses ordres, qu’on deuoit auant cet arrest
à ceux de sa Majesté, le pense que ie puis soustenir
que S. A. R. en qualité de Lieutenant general absolu
peut faire la paix generalle ; que la Cour n’est
plus en estat de s’y pouuoir oposer, & que les Princes
estrangers, n’ont seulement pas vn plausible pretexte
pour n’y consentir point : raisonnons là dessus.

Si la paix generalle ne pouuoit point estre concluë
par S. A. R. cette impuissance prouiendroit sans doute
de deux principes, ou de l’vn des deux ; c’est à dire
du manquement d’authorité, qu’on ne pretendroit
pas estre iustement souueraine entre ses mains, ou

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du deshonneur & desauantage qui pourroit rejalir vers
sa Maiesté d’vne paix concluë sans son adueu.

 

Cette derniere raison est impertinente, & les plus
sensez en tomberont d’accord auec moy, s’ils veulent
attacher la moindre de leurs reflections, à considerer,
que le traité de paix quoy que conclu par S. A. R. ne peut
neantmoins estre conclu que sous le nom de sa Maiesté
& que S. A. R. en qualité de Lieutenant general absolu
n’estant qu’vn simple depositaire de l’authorité Souueraine,
ne peut par consequent point en disposer pour
la conclusion d’aucun traité, que sous le nom de celuy
de l’authorité duquel il n’a esté pourueu que par prouision.
Ainsi le Roy, bien loin de deuoir estre aucunement
interessé dans la conclusion d’vne paix generalle,
y trouueroit bien plustost son aduantage & sa gloire,
puis qu’elle ne seroit traitée que sous son nom, & qu’ou
tre cela le traité ne buteroit qu’à le restablir bien plustost
dans l’exercice de sa maiorité.

La premiere raison, qui touche le manquement d’authorité
qu’on pourroit pretendre n’estre point souueraine
entre les mains de S. A. R. n’est que trop suffisamment
refu[1 lettre ill.]ée par tout le discours precedent. Car enfin
il n’est point de pouuoir qui puisse plus iustement deferer
l’exercice de l’authorité souueraine que celuy à qui
elle apartient, qui est l’estat dont le Parlement des Pairs
est vn abregé ; & puis que l’estat par la bouche de son
Parlament des pairs a prononcé l’arrest de cet exercice
d’authorité en faueur de S. A. R. peut on nier auec aucun
fondement qu’elle ne soit legitime & souueraine
entre ses mains : si l’exercice de l’authorité souueraine
est iuste & legitime entre les mains de S. A. R. il s’ensuit
donc euidemment que S. A. R. peut legitimement entre
prendre tout ce qui sera dependant de l’exercice de

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cette mesme authorité ; & puis que le traité de la paix
generalle est entierement dans la dependance de l’exercice
de cette mesme authorité ? peut on donc douter
auec aucune sorte de raison que S. A. R. ne soit en estat
de la pouuoir conclure : ie croy que ce raisonnement
n’est pas des plus foibles : passons outre.

 

Pendant la Regence d’Anne d’Austriche, il est tres
constant que la paix generalle a peu estre conclüe, & les
iustes reproches que nous en faisons tous les iours à son
Ministre ne marquent que trop, qu’il n’a point fait, ce
qui ne dépendoit que de luy. Anne d’Austriche comme
i’ay fait voir cy dessus, n’auoit neantmoins point d’authorité
que celle que le parlement des Pairs luy auoit
mis entre les mains ; & pour faire voir qu’elle ne la tenoit
nullement du Testament du feu Roy, c’est que le
Parlement des Pairs sans s’attacher aucunement à ces
volontez Royalles dont il ne depend que par vne soumission
de iustice, la degagea par arrest de l’attachement
qu’elle deuoit auoir pour ces trois Ministres non destituables
& luy mit l’autorité toute libre entre les mains.

Ce mesme Parlement des Pairs fait auiourd’huy S. A. R
le depositaire de cette mesme autorité : il la luy commet
auec mesme pouuoir, sans qu’il s’en témoigne passioné
comme la Reyne qui en fit elle mesme la demande ; il le
prie de s’en seruir & de l’employer pour apaiser les orages
qui troublent le calme de cet Estat : Cependant
quoy que S. A. R. ayt la mesme autorité qu’Anne d’Austriche,
quoy qu’il la tienne de la mesme main qu’elle la
tenoit ; & quoy qu’il ayt beaucoup plus de capacité
pour la faire valoit. On dira qu’Anne d’Austriche pouuoit
bien, mais que S. A. R. ne peut point conclure la
paix. I’en apelle au sens commun : car il n’est pas besoin
de tant de politique pour en iuger.

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Au reste, la qualité de Lieutenant general absolu
n’ayant esté donnée à S. A. R. par Arrest du Parlement
des Pairs, qu’afin d’oster au Mazarin le pouuoir abusif
de disposer absolumẽt de toutes les charges de l’Estat,
ou de traiter auec les estrangers, qui ne pourront maintenant
fonder aucune asseurance sur ses negociations,
parce qu’il ne pourra plus les appuyer du pretexte du
Roy ; mais principalement pour élargir le Roy de ce
honteux esclauage sous lequel cet insolent Ministre le
tient asseruy : peut on nier que ce succés se puisse esperer
plus heureusement que de la conclusion de la paix
generale, au traité de laquelle les peuples ne verront
pas plustost qu’on voudra proceder qu’ils se ligueront
vnanimement, pour aller fondre auec mesme vigueur
sur ce perturbateur public du repos de la Chrestienté.

Ie ne pense pas que la Cour soit maintenant en estat
d’y former des propositions, & que ses resistances ne
deussent estre siflées de tout le monde si toutefois elle
auoit entrepris d en vouloir empescher le traité, sous
pretexte de la presence d’vn Roy, qu’elle pretendroit
encor estre aussi Souuerain qu’auant l’Arrest. Ie raisonne
de la sorte,

La Cour, c’est à dire, la Reyne & Mazarin tenants le
Roy captif, n’a pas plus de pouuoir d’empescher que
de conclure la Paix generale, parce que l’vn & l’autre
sont les marques infaillibles d’vne legitime Souueraineté ;
& que par la mesme raison qu’on peut auancer
vn affaire, par la mesme on peut le retarder.

Pour estre en droict de pouuoir conclure la Paix, il
faut estre en droict de pouuoir souuerainement disposer

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de toutes les affaires de l’Estat, & de faire consentir
le Parlement des Pairs à la verification du traicté ;
sans laquelle il est sans doute, que ce mesme traicté
seroit entierement inualide, & que les Prouinces estrangeres
ne le considereroient non plus, que s’il
n’auoit rien esté conclu, cela est sans conteste.

 

Supposé donc maintenant que la Cour voulut proceder
à la conclusion de la paix generale, pourroit elle
bien la cimenter par le consentement du Parlemẽt
des Pairs ; Et n’est il pas trop probable que cette Auguste
Assemblée qui vient de luy rauir le pouuoir souuerain
dont elle abusoit, traiteroit par consequent
tous ces procedés de ridicules & extrauagants, parce
quelle empieteroit vne authorité, qui ne peut estre
legitime entre ces mains, que par son suffrage Si tout
le monde estoit desinteressé, tout le monde donneroit
les mains à ce raisonnement.

Il faut donc necessairement conclure, que la Cour
dans la posture où elle est à present, apres l’Arrest du
Parlement des pairs, n’est plus en droit de pouuoir
traitter de la paix generalle, perce qu’elle n’a plus les
interests de l’Estat entre ses mains, & par consequent
qu’elle n’est plus en droit de pouuoir former
aucune oposition valable à ce traité, supposé que celuy
qu’on vient d’establir par Arrest, pour le depositaire
de tous les interests de l’Estat, crut qu’il y eut lieu
d’en venir à quelque accommodement auec les estrãgers ;
parce que si la Cour auoit à present droit d’empescher
le Traité de la paix, elle auroit par consequẽt
droit de la conclure : ainsi comme i’ay fait voir que les

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loix ont lié les mains à cette Authorité qu’elle auoit auparauant
de faire cette mesme Paix, ie pense, que, faisant
d’vne pierre deux coups, ie monstre qu’elle ne
peut l’empescher.

 

Il n’y a que les Princes estrangers qui sembleroit pouuoir
former quelque doute sur ce suret ; parce qu’il est
du moins apparemment à presumer que les diuisions
de l’Estat leur feroit regarder la conclusion du traité
auec quelque sorte de défy : Arrachons encore ce scrupule,
& nous aurons pleinement satisfait à la curiosité
des honnestes gens.

Ie confesse que les autres Potentats auroient quelque
raison de se desier de la fidelité du traité qu’ils contracteroient
auec S. A. R. pour l’establissement d’vne commune
paix ; si le Roy, ses Princes, & son Parlement
des Pairs c’est à dire si ceux qui le deuroient necessairement
signer estoient diuisés ; parce qu’ils auroient
raison de dire que ce qui seroit estably par les vns, seroit
destruit par les autres.

Mais le Roy, les Princes, & le Parlement des Pairs
sont en vne tres parfaite intelligence ; & si nous voulons
bien entendre la nature de cet Estat, nous pouuons dire
que pendant que les princes, & le parlement des Pairs
sont vnis pour le maintien de l’Authorité Souueraine ; le
Roy n’est point diuisé d’auec les princes & le Parlement
des Pairs, puis que le Roy, quelque part qu’il soit, ne
peut iamais auoir de dessein contraire à celuy de maintenir
l’Authorité Souueraine, qui ne vole iamais que
d’vne aisle, à moins que les Princes & le Parlement des
Pairs ne soient bien vnis.

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Cela estant, les Princes estrangers ne sçauroient refuser,
que par pretexte, de traiter de la paix, auec S. A.
R ; puis que ceux auec lesquels ils doiuent traiter suiuant
les loix fondamentalles de cet Estat sont parfaitement
vnis ; & que la Cour qui n’est plus apuyée de la
presence du Roy, que par tyrannie, n’est qu’vne Cour
bastarde, vne Cour illegitime, qui n’a de pouuoir qu’autant
qu’on ne pourra pas luy en refuser par la force, &
qui ne peut subsister que pendant que la sacrée personne
du Roy nous obligera de nous moderer, pour ne la
pousser pas entierement à bout.

Cher Lecteur, ie ne te ponne pas ces raisonnemens
pour des articles de foy : s’il y a quelque chose à redire,
ie les soumets entierement à ta censure. Ie ne me pique
que de n’auoir point de mauuaises intentions : si ie peche,
c’est par ignorance plustost que par malice : en
tout cas ie m’en raporte à ce que tu en voudras iuger, &
ie ne refuse point de retracter tout ce que tu condamneras.
Mais souuiens toy que ce discours precipité, puis
qu’il a fallu l’acheuer dans vn iour, merite qu’on ne le
traite pas auec tant de rigueur.

FIN.

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Dubosc-Montandré, Claude [?] [1652], LE COVP D’ESTAT DV PARLEMENT DES PAIRS, OV LE PRINCE CONVAINQVANT le Mazarin par la raison, & par l’Histoire. I. Que le Parlement des Pairs a eu le pouuoir de transferer l’exercice de l’Authorité Souueraine, entre les mains de son Altesse Royalle. II. Qu’il a deub se resoudre à ce transport par les necessitez de l’Estat. III. Qu’il n’est point d’authorité qui puisse en casser l’Arrest, que par vne vsurpation aussi insolente, que Tyrannique. IIII. Que les nouueautez du gouuernement iustifiées par les nouuelles conionctures d’Estat, ne sont pas des coups de caprice. V. Que son Altesse Royalle en qualité de Lieutenant general absolu, peut faire la Paix generale, sans que la Cour ait aucun droict de s’y opposer, & que les Princes Estrangers ayent seulement vn pretexte pour n’y consentir point. , françaisRéférence RIM : M0_802. Cote locale : B_5_3.