Du Crest,? [1652], LE SENEQVE MOVRANT, DECLARANT A SA MORT le seul moyen d’auoir la Paix, pourueu qu’on le veuille croire. EN SVITE DE LA DEPVTATION de Messieurs du Parlement. Par le sieur DV CREST. , françaisRéférence RIM : M0_3640. Cote locale : B_16_19.
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LE
SENEQVE
MOVRANT,
DECLARANT A SA MORT
le seul moyen d’auoir la Paix,
pourueu qu’on le veuille
croire.

EN SVITE DE LA DEPVTATION
de Messieurs du Parlement.

Par le sieur DV CREST.

A. PARIS,

M. DC. LII.

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LE SENEQVE MOVRANT,
declarant à sa mort le seul moyen d’auoir
la Paix, pourueu qu’ou le veuille croire,

L’Impatience me prend, la promptitude
m’emporte, & ie voudrois d’abord
que mon sang fust tout répandu, pourueu
que mon Lecteur me voulut croire.
Ie voudrois à la premiere periode faire
voir ce que le reste de la Piece monstrera ; Mais ie ne
peux pas faire le Philosophe, & le Rethoricien tout
ensemble ; De l’Argument, la consequence ne suit
pas la Mineure immediatement parmy les Orateurs,
& toutes sortes d’esprits, ne se plaisent pas à profonder
qu’ils n’y soient quelques fois attirez par le Discours.
Il y aura dans l’effusion de mon sang plustost
de la Iustice, que de l’Iniustice ; & ma Mort me sera
douce, si quelqu’vn profite de la saignée que ie luy
presente.

Ie demande la grace au Lecteur de ne s’étonner de
rien, & d’attendre la fin de ce peu de Cahiers que ic
luy offre. Ie luy demande la faueur de considerer en
des-interessé tout ce qu’il luy plaira d’élire, & i’attends

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de luy toute la circonspection requise pour vn subiet
qui dépend absolumẽt de Dieu qui voit tout ; & à qui
nulles choses ne sont cachées pour sainement iuger
du motif de ma Mort, de la lancette & du bras du
Chirurgien, de la couleur de mon sang, de la grosseur
de mes veines, de la blancheur de mes pieds, de la teinture
de l’eau, du temps que ie demeureray à expirer, &
de la resolution que i’ay prise.

 

Voila beaucoup de choses, & cela n’est rien ; Ie
vois cette chaleur Françoise & ce sang qui abonde
en ses veines, laquelle ne pourra pas souffrir tant
d’exorde pour assouuir promptement le desir qu’elle
aura d’apprendre les seuls moyens de la Paix desirée de
tout le monde, sans pourtant qu’elle le vueille descendre
de sa situation, & de sa demeure. Si quelqu’vn est
malade, il a recours au Medecin ; il luy raconte sa maladie,
& le Medecin ne peut point donner d’Ordonnance,
qu’il n’entende les principes du mal, & qu’il ne
iuge quel est le remede opposé au venin de ce mal.
Ainsi qui voudra la Paix me feuillettera, & qui voudra
viure dans vn sang reprouué ne voudra pas prendre
cette peine, comme si vne heure de temps ne se pouuoit
pas employer plus mal, qu’à entendre parler vn
Philosophe Agonisant qui dicte les derniers Axiomes,
& les derniers Raisonnemens de sa science.

Voyons donc quelle est la Maladie qu’il faut traiter,
comme l’Estat se gouuerne à present, comment
il faut le gouuerner, & comme il a esté gouuerné iusques

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au temps ou nous sommes, sans renuerser l’ordre,
quoy qu’il le semble en apparence pour juger
de l’vn ce qu’il faut faire pour l’autre, afin de n’estre
pas surpris, & que l’on voye clairement auiourd’huy
les fautes qu’on a fait par le passé, pour les éuiter à
l’aduenir par la prudence de nostre conscience, & de
nostre deuoir. Et pour mieux connoistre la maladie,
de nostre Estat, il faut voir le commencement de
son establissement.

 

L’histoire nous fait voir combien de peine il y a de
soustenir les Monarchies quand elles sont formées,
& combien de trauail, & du temps il faut pour les
establir.

Les François ont signalé leur valleur par de grands
Exploits long-temps auparauant l’establissement de
leur Monarchie : Car ayans suiuy des Romains, qui
ont souuent emprunté leurs Armées contre les Barbares,
ils ont rendu de bonnes preuues de leur suffisance ;
afin que sous les Aigles des Romains ils peussent
faire vn essay des forces qui estoient destinées
pour les combattre. Ils viuoient en grande estime
sous Valentinien, lors mesmes qu’il se tenoit dans la
Pannonie, n’estant pas encore appellé à l’Empire,
& qu’il leur permit de se tenir en toute liberté, quoy
que leur puissance deuint trop aduantageuse. Sous
Constantin le Grand, ils auoient vne belle armée,
laquelle estoit veuë de tres-bon œil de cét Empereur.
Les Allemans & les Romains arresterent leurs

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conquestes du commencement sous l’Empire de Galenus.
L’Empereur Aurelien auprés de Mayene les
respoussa ; mais neantmoins auant qu’auoir fondé
leur Empire dans la Gaule, ils ont eu pour Roys, ou
plustost pour Capitaines de remarque, à sçauoir, Ascaric
& Ragaise. Marcomir & Simon ont fait quelque
progrés.

 

L’estat de la Monarchie Françoise doit estre representé
tout ainsi que l’homme, il a eu ses quatre
âges, auec les principalles causes de ses desastres, parce
qu’il n’y a rien tellement affermy dans les felicités
qui me soit esbranlé par quelque mouuement
de sa fortune.

Le premier aage & comme l’enfance de la Monarchie
Françoise s’est passé sous Pharamond, & ses successeurs,
iusques à enuiron trois cens ans. Il s’est accreu
sous Charlemagne, & poussé l’ardeur de sa jeudesse :
Mais les derniers Roys de sa Race venans à se
relascher dans l’excez des delices, eussent sans doute
enseuely dans vne honteuse ruine, la grandeur que
tant d’illustres Monarques luy auoient acquise, si la
prudence d’Hugues Capet ne l’eut remise en l’estat
d’vne meure vigueur. Mais depuis estant encore affligée
de beaucoup de malheurs par les Anglois, &
presque aneantie par les guerres Ciuiles, que les divers
sentimens de Religiõ auoient suscités, elle estoit
reduitte aux derniers abois de la vieillesse, lors que
par les heureux succez d’Henry le Grand, elle se [1 mot ill.]

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comme renaistre : Et depuis sous son fils Loüis le
Iuste, apres auoir abbatu les testes de l’Hydre infernal
de l’Heresie, elle s’éleua de plus en plus au point de
sa premiere gloire & splendeur.

 

Clouis le cinquiéme Roy de France fut le premier
Chrestien, lequel mesprisant le repos, soit que son
humeur guerriere, ou que le desir de secourir ses alliés
l’appellast parmy les armes, se prepara pour marcher
contre les Allemans, qui estoient tousiours ennemis
mortels des Gaulois. Ils auoient pour chef
vn nommé Andochus, lequel ayant ramassé de grosses
trouppes auoir rauagé les extremités de la Gaule,
osa bien presenter la bataille à Clouis, en laquelle
les François ayans eu du pire, le Roy se mit à prier
instamment son Iupiter, selon l’ancienne & absurde
coustume des Gentils. Mais voyant qu’il
n’assistoit, ny n’arrestoit pas ses soldats, comme autresfois
faisoit Romulus, il se voüa, & toute son Armée
au Dieu de sa femme Clotilde, tres-pieuse Princesse,
protestant de se faire Chrestien, s’il pouuoit
venir au dessus de ses Ennemis. Et voila qu’aussi-tost
s’élançant à la teste de ses trouppes, Il va fondre
sur les Allemans, il arrache la victoire des mains des
vainqueurs, il trouble, & met en fuite tous ceux qui
se presentent. C’estoit vn coup d’vne plus puissance main
qui le reseruoit à de plus grandes actions.

Ce fut vn triomphe à la verité memorable, mais
qui fut enflé d’vne victoire bien plus signalée : Car

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Clouis suiuant les salutaires aduis de Clotilde, & de
S. Remy Euesque de Rheims : Et dégageant vn si celebre
vœu, se fit enroller dans l’Eglise, pour combattre
desormais sous l’estendart de Iesus-Christ : Et
délors, Ce Sicambrien pliant le col, pour receuoir le Baptesme
adora les choses sacrées qu’il auoit bruslées, & brusla les
Idoles qu’il auoit adorées.

 

Le bon exemple de Clouis contribua beaucoup à
l’auancement du Christianisme & de l’Estat : Car estãt
luy mesme oinct de l’huyle sacré, il fut grandement
fortifié, tant pour combattre ses ennemis, que pour
retrancher les excés de son Royaume.

Le Ciel fauorisa son sacre par vn miracle éuident :
Car le Chresme n’estant pas assez tost deliuré du Sanctuaire,
à cause de la grande multitude du Peuple :
Vne colombe fendant l’air à tire d’aisle, apporta en
son bec la sainte Ampoulle enfermée dans vne phiole,
& aussi-tost elle reprit son essor vers le Ciel, laissant
le Peuple autant touché de joye que d’admiration.
On creut que le S. Esprit, sous cette figure de
Colombe estoit venu authoriser le Baptesme de ce
Roy tres-Chrestien, comme il auoit fait autresfois
celuy du Sauueur du monde. Il arriue toutes fois que
Clouis est attaqué par Theodoric, qui prend en main
la deffense d’Amaury lequel auoit esté vaincu : Il luy
enleue la Prouence auec beaucoup de Villes ; La
Bourgongne en mesme temps se reuolte, pour montrer,
Que la trop grande prosperité aueugle souuent les hommes,

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& les enchante par vne seureté imaginable : Car Clouis
se croyoit pour lors inuincible, & il fut vaincu,
ce qui luy fit reconnoistre que les forces humaines
sont fragiles & perissables.

 

Les Guerres Ciuilles sous Childebert furent appaisées
miraculeusement.

Clotaire regne seul : Les Thuringeois, & les Saxons
se sousleuent contre luy : Ils sont vaincus, &
ne peuuent obtenir pardon ; Ce qui fit qu’au desespoir
ils défirent les François.

A peine le Roy Clotaire reposoit dans le Tombeau,
qu’vne guerre Ciuile s’émeut parmy ses enfans,
laquelle embrasa presque toute la France. Sigibert
victorieux est tué dans son Armée. Chilperic fait
mourir son fils, & est luy mesme assassiné : La mort
de Theodebert est vangée par ses enfans, lesquels se
deffirent les vns les autres.

Clotaire II. Dagobert. I. Clouis II. Clotaire III.
Childeric, I. Theodoric, I. Clouis III. Dagobert II.
& Childeric II. s’addonnerent tellement à la faineantise,
& à leurs plaisirs, que Dieu punissant leur oisiueté
& nonchalance, permit que leurs fauoris firent
de si puissantes brigues, que la Monarchie pensa s’enseuelir
dans ses ruines plusieurs fois, iusques à ce que
Pepin, homme vaillant & auisé, remit la dignité
Royale dans sa premiere splendeur, apres auoir depossedé
Childeric III. le dernier des Roys feineants.

Charles Martel deffit plusieurs fois les Sarrasins.

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Il laissa quatre enfans, Pepin fut vaillant, & fit
beaucoup de progrez, les autres eurent des Guerres
Ciuilles sous Childeric III. On depossede ce Childeric
à l’aduantage de Pepin.

Charlemagne empescha que Didier ennemy du
Pape Adrian ne perdit entierement le saint Siege, &
remporta diuers auantages sur tous ses ennemis. Plusieurs
attentent sur sa vie : Ils sont découuerts, & punis :
Il met en fuitte les Auariens & Bauarrois, &
leur Roy se fit Chrestien. Enfin Charlemagne fust éleu
Empereur apres vne infinité de victoires. Ayant estendu
son Empire de tous costés, il remit l’Europe dans
ses droits, donna l’espouuante à l’Affrique, & fit ailliance
auec l’Asie. Il restablit la Paix sur toute la terre,
il rendit la seureté aux Peuples, & fit reuiure
la pieté dans l’Eglise. Enfin cét homme Diuin ayant
fauorisé la Religion, les Lettres, la France, & tout
le monde en general, il mourut à Aix la Chapelle
en Allemagne incontinent qu’il eut declaré publiquement
Empereur son fils Loüis le Debonnaire.
La Frãce s’estant éleuée à vn poinct qu’elle ne pouuoit
monter plus haut, tomba en vn miserable estat,
aprés le decés de l’Empereur Charlemagne : Ce qui
monstre que c’est vne chose certaine, & fondée sur vn Arrest
eternel, que tout ce qui a pris naissance ne peut estre de longue
durée.

Sous Loüis le Debonnaire, il y eut quantité de guerres
Ciuilles qui ruinerent presque la France.

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Charles le Chauue, & Loüis le Begue, eurent beaucoup
de peine par le moyen des Normands.

Charles le Gros, Charles le Simple, & Loüis d’Outre
Mer, firent des grandes pertes au sujet de la Guerre,
& du rauage des Normands.

Loüis V. eust fort peu de contentement pendant
sa Royauté. Ainsi la seconde Race des Roys fust elle
mesme contrainte de ceder à vne meilleure place : Car
toutes choses ont vne certaine reuolution, & comme les saisons
succedent les vnes aux autres, ainsi les coustumes des hommes
se changent, voire mesme celles des Empires.

Sous Hugues Capet, les Guerres causerent la peste.
Robert son fils se deffendit contre le Duc de Bourgongne,
& frustra Landry de toutes ses esperanees.
Henry I. le plus jeune fils, où de Robert, esteint les
Guerres Ciuiles dans leur commencement.

Sous Philippes I. les Princes Chrestiens entreprennent
la guerre Sainte.

Godefroy de Boüillon est fait general d’Armée, &
entra dans Hierusalem, où il refusa d’estre couronné,
puisque le Sauueur du monde y auoit esté couronné
d’espines ; Aussi les Chrestiens qui sont curieux obseruateurs
de leur Religion, méprisent les choses perissables.

Loüis le Gros deffit l’Anglois, & vangea la mort
de Charles de Flandre.

La diuision parmy les Princes Chrestiens fut cause
que sous Loüis le Ieune, Hierusalem fut repris par

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Saladin. Loüis le Ieune fut malheureux dans le voyage
qu’il fit pour aller secourir les Chrestiens, qu’à
peine la Famine, & la Guerre luy laisserent la dixiéme
partie de ses troupes.

 

Philippe Auguste y fut auec le Roy d’Angleterre,
ils deffirent les Troupes de Saladin, & s’en reuindrent
sans aucune execution finie, comme leur auoit predit
l’Abbé Ioachim. Henry fils de l’Empereur y mourut
durant le siege d’Acre. Le mesme Roy d’Angleterre
nommé Richard fust repoussé par Philippe
Auguste, sans pourtant beaucoup d’aduantage, nonobstant
leur voyage pour le bien de la Religion ; Car
vne feinte Religion est semblable à ces torrens, qu’aucuns obstacles
ne peuuent empescher qu’ils ne se débordent sur les campagnes,
& n’y fassent quelques fois de grandes ruines.

L’Empereur & le Roy d’Angleterre furent vaincus
ensemble par Philippes Auguste, lequel apres cette
Victoire qui estoit d’autant plus glorieuse, que ses
ennemis estoient puissans, & l’auoient d’auantage
disputée, fit bastir vne Eglise auprés de Senlis, suiuant
le voeu qu’il auoit fait, qu’il voulut estre appellée
Victoire.

Ie reserue S. Loüis pour comparer son Regne
auec celui-cy, sans pourtant vouloir chocquer le public,
ny aucun party. Le connoistra qui le lira sans
passion.

Charles Roy de Sicile, frere de S. Loüis, du temps
du Regne de Philippes le Hardy, se voyant assisté

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des Troupes Françoises, tailla bien des affaires à
Pierre d’Arragon. Toutesfois il auoit en teste vn
rude joüeur, duquel il se deuoit prendre garde auec
plus de precaution. Ce traistre tint tousiours son
ieu couuert au Roy Philippes, iusques à ce qu’il fist
la plus noire action qu’on eust iamais entenduë. Car
il commanda que tous les François qui se trouueroiẽt
à Palerme, voire par toute la Sicile, fussent necessaires
auec leurs femmes & enfans le iour de Pasques. Charles
bien estonné de cette nouuelle, eust son recours au
Roy de France, lequel il coniura d’employer ses armes
pour maintenir ses droits, & venger vn si grand
outrage. Le Roy fut fort indigné contre l’Arragonnois,
& passant deslors les Pyrenées, il prit la Ville de
Gironne, aprés auoir défait ses Ennemis, & tué leur
Roy dans vne bataille.

 

On dit que cét Espagnol auoit enuoyé à Charles
par vn gentilhomme vn cartel de défy auec ces paroles ;
Qu’il s’y trouuât s’il estoit homme, s’il estoit Capitaine,
s’il estoit Roy. Le François l’accepta librement,
il luy donna Bordeaux pour le lieu du combat,
qui estoit pour lors du domaine des Anglois, où ils
deuoient se voir auec chacun cent Caualiers. Charles
ne manque pas d’y aller bien armé, & d’attendre son
ennemy iusques à la nuit. Mais l’Espagnol demeurant
court à l’execution de ses Rodomontades, monstra
bien qu’il n’estoit, ny Homme, ny Capitaine, ny Roy.

Philippe le Bel prit prisonnier Guy Comte de Flãdres,

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qui estoit soustenu des forces de l’Empereur
Adolphe, & d’Edoüard Roy d’Angleterre.

 

Les Flamands se plaignans d’estre mal traitez
par les Gouuerneurs qu’on leur auoit donnés, se
sousleuerent. Tant il est vray qu’vn Estat tousiours
chancellant, & de peu de durée s’il n’est appuyé par la douceur,
Mais le Roy Loys Hutin venant les charger auec
de puissantes Troupes, les mit si bas en deux batailles,
que toute la honte que nous auions receu à Courtray
fut pour lors entierement effacée.

La guerre que Philipes le Long auoit appaisée auec
Robert Comte de Flandres, s’excita derechef à l’entrée
du regne de Philippes de Vallois, par la fureur &
l’impieté des Flamans à l’endroit de leur Prince, qu’ils
auoient indignement jetté dans vne prison. D’où
neantmoins s’estant bien-tost eslargy, il s’enfuit de
Gand auec d’autres Seigneurs de Flandres ; qui
estoient pareillement tourmentés par cette populace
enragée, & se refugia vers le Roy de France ;
Les Flamans ne vouloiẽt tenir ny du Cõte, ny du Roy.

Mais aprés que le Roy fust allé en Flandres, que
son armée eut défait vingt-deux mille Flamans, & pris
la Ville de Bourges, ils furent contraints de reprendre
leur Comte dans leur Estat. La guerre qui s’esmeut
en ce temps-là entre le Roy de France & celuy d’Angleterre
a bien esté la plus sanglante que nous ayons
veüe. Elle fust faite auec de grandes forces des deux
partis : Mais leur hayne estoit plus grande. Toutesfois

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le sort en fust si diuers, & l’issuë tellement douteuse,
que le peuple qui fut enfin victorieux, se veid
plus proche du danger que celuy qui demeura vaincu.

 

Ie laisse à parler encor du Roy Iean pour conuenir
mieux sur la fin de ce discours que dans son rang.

Charles le Sage ayant rejetté du consentement des
Estats les articles couchés dans le Traité de Bretigny,
se fit ennemy du Roy d’Angleterre, qui luy reprocha
d’auoir violé la paix, de sorte qu’ayant dressé vne armée,
il vint en France auec resolution de la saccager.
Mais Bertrand du Guesclin, pour lors Connestable
l’attaqua si à propos, qu’il fut contraint de se retirer
à Bordeaux, non pas chargé de dépoüilles comme
auparauant, mais suiuy des marques d’vne honteuse
déroute. En ces entrefaites, la guerre qui s’esleua en Espagne
entre Pierre Roy de Castille, & Henry fils naturel
d’Alphonse, attira à soy les armes des François.
Le Duc de Bourbon prit la conduite des Troupes auec
le Connestable. A leur abord le Roy de Castille espouuanté,
se mit à fuyr sans attendre d’vn
combat, & alla se ietter entre les bras du Prince de
Galle, qui le reçeut, & l’assista auec tant de bon-heur,
que les nostres ayant esté vaincus, & du Guesclin pris
en la bataille auec plusieurs Seigneurs de remarque,
il le restablit dans son Royaume.

Henry se voyant chassé, & du Guesclin ayant esté
eslargy, ils renouuellerẽt la guerre cõtre le Roy de Castille ;
& ce dautant plus hardiment qu’estant Apostat,

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& se protestant hautement ennemy du Christianisme,
il auoit refusé le secours des Anglois comme s’il eust
voulu precipiter sa ruine. Si bien que ce Prince abandonné
de Dieu, & des hommes, estant vaincu, &
pris par les François, laissa sa teste sur vn échaffaut au
grand contentement de tout le monde, terminant sa
vie par vne fin mal-heureuse, laquelle son impieté
n’auoit que trop meritée.

 

Les Parisiens estans foullez de gros Imposts soubs
le nom de Subsides, pendant le regne de Charles VI.
exciterent dans leur Ville d’étranges reuoltes. La
source de ce desordre vint pour vn denier, que le Receueur
exigeant auec trop de rudesse, Il s’amassa quelques
mutins qui l’assassinerent. Le petit Peuple court
promptement à l’Hostel de Ville, & ayant enfoncé
les Portes, il se saisit des armes & des iauelots, ausquels
on auoit fait mettre des maillets de fer pour l’vsage de
la guerre. De là a tiré son nom la sedition des Maillotins.

Tous les Collecteurs furent tuez de ces armes, auec
vne telle furie, que les Eglises mesmes ne furent pas
exemptes de l’horreur des massacres. Pendant ce beau
ménage, le Roy Charles estoit absent, & s’occupoit à
déliurer le Comte de Flandres, ces chapperons blancs,
gens de pareille estoffe : Mais estant retourné victorieux,
il reprima l’insolence de ces mutins par des rigoureux
supplices ; & mesmes il menaçoit de ruiner
toute la Ville, si les principaux Habitans, & le Peuple,

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se iettans à ses pieds, n’eussent impetré leur pardon à
force de pleurs, & de prieres. Ceux de Roüen pour
le même suiet furent traitez de la mesme sorte. Le Roy
estant deuenu phrenetique, il s’émeut vne guerre ciuille
qui reduisit la France presque au dernier poinct
de sa ruine, Allez maintenant, & loüez si vous pouuez
les diuisions ciuiles, ce sont-elles qui ont changé la liberté de
plusieurs Roys en pur-esclauage. Voila que la discorde a
rendu ennemis mortels ceux que la Nature auoit liez
si étroitement, & les a enueloppez en vne guerre, en
laquelle c’est vne extrême misere d’estre vaincu, & vn
crime de vaincre.

 

Charles VII. fut reduit à n’auoir plus qu’vne seule
Ville pour le retirer, & sans la Pucelle d’Orleans qui
luy fut enuoyée miraculeusement, les Anglois seroient
les Maistres de nostre pauure France, & auroiẽt changé
l’humeur & la Religion du Peuple le plus Chrestien
du monde. Ainsi la fortune des Villes, des Nations,
& des Empires, est tantost florissante, tantost elle vieillit &
succombe au faids de sa grandeur.

A peine la France s’estoit releuée de son desastre,
qu’elle retomba dans vn miserable estat par la discorde
des Princes, qui se reuolterent contre Louys XI. sous
couleur du bien public. Le Roy les preuint, & les
surmonta à Mnt-le-Hery : & aprés qu’ils eurent reduit
Paris à l’extremité, le Roy les obligea à demander
la Paix à son retour de Normandie, & les receut en
grace. Ce fut le premier Roy de France qui tint à

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gages des Soldats Suisses.

 

François Duc de Bretagne irrite Charles VIII. qui
arme contre luy : Le Duc reçoit du grand secours :
il perd vne bataille, & tous ces troubles furent appaisez
par le mariage de la Duchesse Anne auec le Roy, &
pour doüaire la Bretagne fust annexée au Royaume
de France. Les François furent en Italie, & retournerent
aprés auoir perdu ce qu’ils auoient gaignez,

Louys XII. ayant tout pacifié dans son Royaume
se porta entierement à la guerre de Milan. Ce Prince
se gouuerna auec tant de douceur, & de prudence
qu’il merita le nom de Prince accomply, & de pere
du Peuple. Il fust trauersé de beaucoup d’infortune :
car soubs son regne l’Italie fust perduë, le Roy de
Nauarre chassé de son Estat à son occasion, les François
furent défaits à Nauarre, & la ville de Gennes
luy fut enleuée : Toutesfois tant de malheurs ne furent
pas capables d’ébranler sa constance ; de sorte
qu’on peut dire que la fortune manquoit, où il n’y auoit
que trop de courage.

François I. tenant à des-honneur l’alliance que
Louys XIII. auoit faite auec les Suisses, comme indigne
du nom, & de la grandeur des François : & d’ailleurs
sçachant qu’ils faisoient continuellement des courses
sur le Dauphiné, passa les Alpes auec vne vistesse incroyable,
suiuy d’vne puissante armée, & principalement
d’vne belle Caualerie, à dessein de prendre Milan,
lequel se rendit auec la Citadelle. L’Empereur

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voulut surprendre Milan ; mais les François défirent
ses Troupes, & assisterent les Venitiens. Le Roy fit
la guerre en Sauoye : l’Empereur attaque derechef la
France par plusieurs endroits, où il fut défait ; Ce qui
fait voir ; Qu’vne simple victoire, lors qu’elle est innocente,
est beaucoup preferable à vne plus auantageuse, qui seroit
acquise par vn sanglant carnage. Le Roy François fut
prisonnier deuant Pauie, & aprés auoir pris Boulogne,
il deceda.

 

Les Princes d’Allemagne ont recours à Henry Il.
Le Duc de Montmorency prend des Villes sur l’Empereur,
qui consent à la Paix : Il assiege Mets, où il fut
mal traité : Il s’en retire honteusement. Ce qu’vn
Poëte a fort bien remarqué en ces vers :

 


En vain ton Aigle Imperiale
A passé la borne fatale,
Où Alcide fut arresté :
Car Mets rompt le cours de tes Armes,
Et au milieu de ses alarmes
Triomphe de ta vanité !

 

Sous François II. le Duc de Guise fut rappellé
d’Italie, & Commandement fut fait à toute la Noblesse
du Royaume de prendre les armes. Le Duc de
Guise merita le nom de grand Capitaine, & de Protecteur
de la France.

Les Estats qui furent tacitement assemblés à Orleans
sous Charles I X. donnerent entrée à beaucoup

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de reuoltes. Les Seigneurs du Royaume ne voyoient
pas de bon œil ceux qui suiuoient le Duc de Guise ;
De sorte que le Prince de Condé s’estant saisi d’Orleans,
& des plus fortes places, se declara ouuertement
contre Charles I X. Il n’y eut aucune ville en
France qui ne representast vne horrible boucherie,
& en cette rage ciuile, il fut plus respandu de sang
des François, que les batailles qu’on auoit données
depuis vingt ans n’en auoient épuisé. Cette guerre
auoit à la verité vn sort bien déplorable, puis qu’il
estoit necessaire que le vainqueur demeura vaincu.
Quelque temps apres les Religionaires se rendent
maistres en France : Le Roy fuit à Paris & deffait ses
Ennemis : Le Prince de Condé se reuolte derechef
apres la Bataille de Iarnac, & de Moncontour, le Roy
donne la paix aux rebelles. Nouuelle Rebellion à
cause de la Religion : Car il n’y a rien de plus attrayant
en apparence qu’vne mauuaise Religion, lors qu’elle est voilée
d’vn specieux pretexte de Sainteté.

 

Henry III. renouuelle la Guerre contre les Heretiques :
Il y eut ligue des Catholiques : Le Roy perdit
beaucoup à la journée de Coutras ; il repare sa perte
à Auneau par le Duc de Guise, qu’il fait tuer sur
vn soupçon : Il y eut des nouueaux troubles suiuis
de la mort du Roy, lequel fut malheureusement assassiné
à S. Cloud par Iacques Clement Iacobin.

La France estoit agitée des guerres Ciuiles, & estoit
prés de faire naufrage parmy tant de massacres, lors

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qu’Henry de Bourbon digne du nom de Grand la
rendit au port d’vne heureuse tranquillité, * Gagnant
les cœurs des soldats par ses liberalités, du Peuple par sa Clemence,
& de tout le monde par la douceur du repos. Car le
Duc de Mayence luy opposant trente mil hommes,
& les Espagnols entrans en France il suiuit l’exemple
de Iules Cesar, & commanda * Qu’on chargeât rudement
les Estrangers, mais qu’on espargnast le sang de ses Citoyens.
Il surmonte tout, & se fait Catholique, qui
estoit le seul obstacle qu’il auoit pour estre Couronné :
De sorte que la Paix fut asseurée par tout le Royaume
iusques à ce que, Le Pere de la Patrie ayant esté assassiné
par vn execrable parricide, & par vne horrible
coniuration des furies, il emporta auec soy le repos
qu’il auoit fait naistre dans la France.

 

* Tac. 1,
nal.

* F’or. l. 4.
c. 2.

Sous Loüis XIII. Il y eut vne guerre Ciuile en
France, la quelle fut appaisée par la Reyne Mere, le
Marquis d’Ancre fut tué, quantité de villes prises
sur les Ennemis, plusieurs Batailles rangées gagnées,
les Religionaires abbatus, la Rochelle prise nonobstant
les Anglois qui la secoururent. Loüis le Iuste
mit vn frein à l’Ocean, & a esté estimé de toutes les
Nations, Le restaurateur du repos public, le Protecteur de
la France, le vangeur de la guerre Ciuile, le Fondateur de la
pieté, & en vn mot l’Arbitre de tout l’Vniuers. On sçait
assez les autres troubles qu’il a dissippés par la mort
de quelques rebelles, la gloire qu’il a acquise iusques
à la mort d’vne infinité de Victoire, surtout la bataille

-- 22 --

de Rocroy, laquelle il predit auant sa mort.

 

Loüis XIV. que Dieu conserue à pris le timon
de son Royaume auec paix, & le commencement
de son Regne auec bon-heur, mais maintenant Dieu
tout puissant ennuyé de voir tant d’ambition parmy
les François, & lassé de tant de vices ausquels ils se
sont addonnés leur fait payer la peine de leur presomption.

Ie vous ay parlé de toutes les Guerres Ciuilles de
France, mais il ny en a point eu de semblable à celle-cy.

On voulut bien oster la Regence à la Reyne Blanche
mere de S. Loüis, * & il y eut de mesmes motifs de
Guerre Ciuile qu’à present. Sous Iean de mesme, &c.
Iugez s’il vous plaist à quoy peuuent seruir toutes les
diuisions. Ie suis court, parce que ie ne veux donner
que huit cayers, voyons quelle est la Puissance d’vn
Monarque, & venons au remede de la guerre pour
auoir la Paix.

* S. Louys
fut pris par
le Turc, &
laissa en ostage
la Sainte
Hostie qu’il
alla dégager.

C’est vne maxime tres-seditieuse de dire, Qu’il est
permis de tuer vn Tyran. Voire il se trouue auiourd’huy
dans le monde quelques Theologiens qui soustiennent,
& c’estoit autresfois l’opinion de tous les Sophistes,
de Platon, d’Aristote, de Ciceron, de Seneque
le Payen, de Plutarque, & des autres fauteurs
de l’Anarchie Grecque, & Romaine, que non seulement
il est licite, mais que c’est vne chose extremement
loüable. Or par le nom de Tyran ils entendent
non seulement les Roys, mais encore tous ceux

-- 23 --

qui gouuernent les affaires publiques en quelque sorte
d’estat que ce soit. Car à Athenes Pisistrate ne fut
pas le seul qui eut la Puissance Souueraine, mais aussi
les trente tyrans, qui dominerent tous ensemble apres
luy, & à chacun desquels on dona cét Eloge. Au reste
voicy quel est mon raisonnement, celuy que vous permettez
de tuer cõme Tyran, il auoit droit de commander
ou il ne l’auoit pas : S’il s’estoit assis sur le Throsne
sans iuste titre, c’estoit vn vsurpateur que vous auez eu
raison de faire mourir, & vous ne deuez pas nommer
sa mort vn tyrannicide, mais la défaite d’vn ennemy :
S’il auoit droit de commander, & si l’Empire
luy appartenoit : le vous feray la demande que Dieu
fit à Adam, Qui vous a monstré que c’estoit vn tyran, n’est
ce point que vous auez mangé de l’Arbre dont ie vous auois
deffendu de manger ? Car pourquoy nommés vous tyran
celuy que Dieu vous a donné pour Roy, si ce
n’est à cause que vous voulés vous arroger la connoissance
du bien, & du mal, quoy que vous soyés vne
personne priuée à qui il n’appartient pas d’en juger ?
On peut aisement conceuoir combien cette opinion
est pernicieuse aux Estats en ce que par elle quelque
Roy que ce soit, bon ou mauuais, est expose au jugement
& à l’attentat du premier assassin qui ose le
condamner.

 

C’est encore vne opinion seditieuse que quelques
Autheurs repetent tous les iours dans leurs escrits, sçauoir
est, que mesme Ceux qui ont la Puissance Souueraine

-- 24 --

sont sujets aux Loix Ciuiles. L’exorciste de la Reyne,
& quantité d’autres pieces du temps plus desauantageuses
au party de Messieurs les Princes que profitables
le soustiennent atrogamment, mais ie desnie leur
Majeure. Outre que Messieurs les Princes en sont indignés,
on les fait parler contre le sentimens, on anime
le public à la sedition, motifs contraires aux volontés
apparentes des Princes, & du Parlement. Et
pour preuuer mon discours c’est que l’Estat ne peut
pas s’obliger à soy-mesme, ny à aucun particulier. Ie
dis à soy-mesme, car ce n’est iamais qu’à vn autre quel õ
s’oblige. I’adjouste ny à vn particulier. Par ce que les
volontés de tous les Citoyens sont comprises dans
celle de la Republique : De sorte que si l’Estat veut
se declarer quitte de toute obligation, il faut que les
particuliers y consentent, & par consequent il en est
déliuré. Or ce que ie dis, & ce qui est vray en parlant
de l’Estat, n’est pas moins vray en parlant de cét homme,
ou de cette assemblée qui exerce le Souueraine
Puissance ; car c’est elle qui compose l’estat dõt l’estre ne
subsiste qu’en l’exercice de la Souueraine Puissance.

 

Mais que cette opinion soit incompatible auec
l’essence de l’Estat, il appert de ce que par elle la connoissance
du juste & de l’iniuste, c’est à dire le jugement
de ce qui est contre les Loix Ciuiles, retourneroit
aux personnes priuées : Ce qui feroit cesser l’obeïssance
des Sujets, quand il leur sembleroit que ce
qu’on a commandé est contre les Loix.

-- 25 --

Pour n’estre pas obligé d’éplucher par le menu tout
le droict des Souuerains, ce que ie n’ay pas entrepris,
je produiray icy seulement les passages qui establissent
en blot toute leur puissance ; Tels que sont ceux qui
commandent aux sujets de rendre à leurs Princes legitimes
vne simple & absoluë obeïssance. Ie commenceray
donc par le Nouueau Testament. Les Scribes &
les Pharisiens sont assis sur la Chaire de Moyse, faites tout
ce qu’ils vous commanderont. Remarquez ie vous prie ces
paroles. En l’Epistre aux Romains chap. 13. Que toute
personne soit sujette aux Puissances superieures ; car il n’y a
point de puissance sinon de par Dieu, & les Puissances qui
sont en estat sont ordonnées de Dieu. Par quoy qui resiste à la
puissance, resiste à l’ordonnance de Dieu, & ceux qui y resistent
feront venir condamnation sur eux-mesmes, &c. L’Apostre
S. Pierre 1. Epist. 2. 13. dit, Rendés-vous donc
sujets à tout ordre humain pour l’amour de Dieu : soit au Roy,
comme à celuy qui est pardessus les autres : Soit aux Gouuerneurs,
comme à ceux qui sont enuoyés de par luy, pour exercer
vengeance sur les malfaicteurs, & à la loüange de ceux
qui font bien ; Car telle est la volonté de Dieu. Regardez serieusement
François si vous obeïssez comme il faut à
vostre Souuerain. Saint Paul derechef escriuant à Tite
3. chap. 1. Admonestés-les qu’ils soient sujets aux Principautez,
& Puissances. Iesus Christ, à qui par droit hereditaire,
comme descendant de Dauid, le Royaume des
Iuifs estoit deu, il ne laissoit pas viuant en personne
priuée de payer le tribut à Cesar, & de dire qu’il luy

-- 26 --

appartenoit en effet. Rendez, disoit-il, à Cesar ce qui appartient
à Cesar, & à Dieu ce qui appartient à Dieu. * Et
quand ce grand Sauueur a voulu agir en Roy, il a
bien témoigné par la Majesté de ses commandemens,
qu’il demandoit vne obeïssance toute entiere. Allez,
dit-il à ses Disciples, En la Bourgarde qui est vis à vis de
vous, & incontinant vous trouuerez vne Asnesse attachée, &
son Poulain auec elle ; détachés-les, & me les amenés : Que si
quelqu’vn vous dit quelque chose, vous dirés que le Seigneur en
a à faire. Il en vse de la sorte en qualité de souuerain,
& de Roy des Iuifs. Or quel Empire y a-t’il plus absolu
que celuy ou l’on peut oster à vn sujet son bien
propre sans alleguer d’autre pretexte que cette raison,
Le Seigneur en a à faire ? Les passages du Vieil Testament
ne sont pas moins éuidents sur cette question.
Approche toy, & écoute tout * ce que l’Eternel nostre Dieu u
dira, puis tu nous rediras tout ce que l’Eternel nostre Dieu t’aura
dit, & nous l’orrons, & le ferons. Derechef le Peuple parlant
à Iosué, dit, Tout ce que tu nous as commandé nous le
ferons, & par tout ou tu nous enuoyeras nous irons. Tout ainsi
que nous auons obey à Moïse, ainsi t’obeirons nous : Seulement
que l’Eternel ton Dieu soit auec toy, comme il a esté auec
Moyse : Tout homme qui rebellera à ton commandement, &
n’obeïra point à tes paroles en tout ce que tu commanderas sera
mis à mort. Ios. 1. 16. La Parabole de l’Espine contenuë
au 9. des Iuges ne doit pas estre oubliée : En apres
tous les arbres dirent à l’Espine, viens ça toy, & regne sur
nous, Et l’Espine respondit aux arbres : Si c’est en sincerité

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que vous m’oignés pour Roy sur vous, venez, & vous retirez
sous mon ombre : Sinon que le feu sorte de l’espine, & deuore
les Cedres du Liban. Le sens de ces paroles n’est autre,
sinon qu’il faut acquiescer à ce que disent ceux que
nous auons establis sur nous pour Roys legitimes, si
nous ne voulons estre consumes par l’embrasement
d’vne Guerre Ciuile.

 

* Matth. 22.
2[1 chiffre ill.].

Deuter. 5. 27
* Ce mot de
tout exprime
vne entiere
obeïssance.

Dieu dit par la bouche de son Prophete Samuel :
Declare au Peuple comment le Roy qui regnera sur eux les
traitera, &c. Ce sera icy le traitement que vous fera le
Roy qui regnera sur vous. Il prendra vos fils, & les ordonnera
sur ses Chariots, &c. Il prendra aussy vos filles
pour en faire des parfumeuses, des Cuisinieres, & des Boulangeres.
Il prendra aussi vos champs, vos vignes, & vos
lieux, où sont vos oliuiers, & les donnera à ses seruiteurs,
&c. Sam. 8. N’est-ce pas là vne puissance bien absoluë ?
Et toutesfois c’est vne description que Dieu
fait des droits de la Royauté. Il semble que personne
n’estoit exempt de cette parfaite obeyssance ; non
pas mesme le Souuerain Sacrificateur, dont la charge
estoit parmy les Iuifs si eminente. Car en cét endroit
où le Roy Salomon parle au Sacrificateur Abiathar de
cette façon imperieuse ; Va-t’en en Hanathoth en ta
possession, car tu es homme digne de mort : toutesfois ie ne te
feray point mourir ce iourd’huy, d’autant que tu as porté
l’Arche du Seigneur l’Eternel deuant Dauid mon Pere, &
d’autant que tu as esté affligé en tout ce en quoy mon Pere
a esté affligé. Ainsi Salomon debouta Abiathar, à ce

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qu’il ne fut plus Sacrificateur de l’Eternel. 1. Roys 2.
26. Nous ne remarquons pas que cette action ait esté
déplaisante à Dieu, & Salomon n’en est point repris.

 

S’il estoit autrement, nostre Monarchie deuiendroit
Anarchie, ou autrement Democratie, de la vouloit
faire passer pour Aristocratique, ou autrement Oligarchique,
& qui est bien aussi mal de nommer nostre
Monarque Tyran, c’est ce qui repugne aux fondemẽs
de nostre Estat, & à l’innocence de nostre Roy, c’est
renoncer à la iuste obeyssance qu’on luy doit rendre,
& à tous les souuerains, c’est s’opposer à Dieu mesme,
c’est former vne maniere de viure propre pour s’entretuer
les vns les autres, & détruire les bonnes semences
de nostre Religion.

Vous auez veu, mõ cher Lecteur, quel est le pouuoir
du Souuerain, & comme à present il a droit d’estre fâché
contre ses Subjets de tant de blasphemes qu’on a
vomy contre ses volontez.

Il faut l’appaiser pour auoir la paix, & demander
cette faueur humblement au Createur de l’Vniuers.
Nous auons trop abusé de sa patience, & de sa misericorde,
il veut exercer sa Iustice. Les hommes se mocquent
de luy pendant qu’ils sont en prosperité, Il est
temps qu’ils le recognoissent pour Maistre pendant
toutes leurs afflictiõs domestiques. Le mal de nos voisins
ne nous fâche point tant que le nostre propre. Il
n’y à rien qui puisse arrester le nostre que la penitence,
& la resignation. Pourquoy souspirer pour les biens

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qui se perdent en vn moment, & qui s’évanoüissent
cõme l’ombre ? Pourquoy idolatrer ce qui détruit l’ame
& le corps. Le chastiment suit nostre faute pour punitiõ.
Ce mõde qui ressemble à l’Enfer est tout nostre attachemẽt,
le dis l’Enfer, car si l’Enfer n’est autre chose
qu’vn lieu de peines, & de crimes, qu’y a t’il plus à foison
en ce monde que cela. Du moins le Prophete l’asseure,
quand il dit. Que de iour & de nuit il est de toutes parts assiegé
de pechez & qu’il n’est rien en luy que des trauaux sans aucune
Justice. C’est là le fruit du mõde, c’est la marchandise que
l’on y debite ; c’est à dire, des maux de la peine, & des
maux de la coulpe.

 

Esteignez en vous ce feu d’ambition, ce desir desreiglé
de paroistre, détachez vos volontez serieusement
de tous ces partis. Tous ces souhaits differends
que vous faites pour l’auantage des troupes ne sont pas
vn acheminemẽt à la Paix, ny toutes ces fausses nouuelles
qu’on imprime capables d’abbattre le party contraire
à celuy pour lequel vous enclinez.

Si vous faites serieusement reflexion sur ce que ie vous
dis, vous vous trouuerés bien eloignes de vostre compte,
& si vous vous seruez des Prouerbes, & des sentences
qui sont icy en Lettre Italique, & que vous regardiés
au fonds de vos consciences, vous ne manquerés
pas d’y trouuer quantité de deffauts qui sont cause
de vos malheurs. Excités vous à contrition, & proposés
fermement d’abandonner toutes vos mauuaises
habitudes qui sont opposées à la bonté infinie de Dieu.

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C’est le seul moyen d’auoir la Paix, & par apres ie
meurs content puisque ie le merite, i’ay trop escrit, &
excité à sedition. La lancette est le papier, mais le bras
du Chirurgien est celuy de Dieu à qui j’en demande
pardon. La couleur de mon sang est noire, parce que
ma mort ne paroist qu’auec l’ancre. Mes veines sont
grosses, elles ont esté remplies du mauuais sang de
mes discours enuenimez ; il faut tirer de ce sang par
cette derniere piece, & corriger les mauuaises humeurs
de precedentes. Mes pieds sont blancs extraordinairement,
car il n’y a rien que du blanc que ie
rempliray dans quelques iours pour la justification de
ce que j’ay allegué dans cette piece, pourueu que vous
la trouuiés meilleure que les autres, & comme j’augmente
en aage de iour en iour, j’augmenteray peut-estre
de science & de capacité, & non pas d’intention
pour pouuoir satisfaire vostre curiosité. La teinture de
l’eau sera telle qu’il vous plaira, j’expose tout mon
sang, donné à l’eau ou il s’épuisera la couleur que
vous desirerés, pour moy ie feray tousiours gloire de
vous obeïr. Ie demeureray à expirer iusques à ce que
j’aye sçeu vostre sentiment, & quel goust vous prenez
dans ce que ie vous offre, & ma resolution n’est
autre que de perir dans ma conuersion, laquelle quoy
qu’impreueuë me donne toutes les lumieres requises
pour connoistre à quoy tendent les deux partis.

Le Roy veut, il faut qu’il soit obey. Messieurs les
Princes font pour le public j’y consens, mais qui qui

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gaigne le Peuple en souffrira, au plus on fera la Guerre,
au plus il y aura de misere. Ie m’en riens à mon premier
dessein, & pour n’estre pas long, en attendant la
suitte qui sera meilleure & finie, ie concluds qu’il faut
jeusner pour fléchir, prier pour obtenir, se sousmettre
pour auoir, puisque vous voyés mesme que Messieurs
les Deputez du Parlement n’ont rien peu faire à la
Cour.

 

I’auouë que i’ay fait quelques Pieces contre le Cardinal
Mazarin, notamment LE SENEQVE EXILÉ,
& LA RESOLVTION DV LVTIN du mesme Cardin.
dont voicy la suitte : Vous les pouuez demander au
Vendeur, & vous verrez par la difference de mes
opinions si ie suis Prince, ou Mazarin. Ie ne suis maintenant
ny l’vn, ny l’autre, & ie suis pour tous, pourueu
que nous ayons la Paix, ou pour mieux dire, ie ne
veux ny l’vn ny l’autre, mais ie veux la Paix ; & pour
recommencer, ie veux tout, & Paix, & Princes, & le
Cardinal ; pour vous monstrer que ie suis en particulier
de tous vos sentimens, & que ie vous aime encor
mieux, & les Princes, & le Cardinal, que la
Paix, puis que ie ne la souhaitte que pour eux, & pour
vous.

FIN.

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Du Crest,? [1652], LE SENEQVE MOVRANT, DECLARANT A SA MORT le seul moyen d’auoir la Paix, pourueu qu’on le veuille croire. EN SVITE DE LA DEPVTATION de Messieurs du Parlement. Par le sieur DV CREST. , françaisRéférence RIM : M0_3640. Cote locale : B_16_19.