Bourdelois, J.-M. [1652], LE TOMBEAV FVNEBRE DE MONSEIGNEVR LE DVC DE VALOIS. Presenté à toute la France. Par I. M. Bourdelois. , français, latinRéférence RIM : M5_334. Cote locale : B_5_47.
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LE
TOMBEAV
FVNEBRE
DE MONSEIGNEVR
LE
DVC DE VALOIS.

Presenté à toute la France.

Par I. M. Bourdelois.

A PARIS,
Chez IEAN BRVNET, ruë Sainte Anne.

M. DC. LII.

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Le Tombeau Funebre de Monseigneur
le Duc de Valois,
presenté à toute la France.

NE differons point dauantage de representer à
toute la France vn pitoyable sujet de larmes, faisons-luy
verser des pleurs, & ietter des souspirs
à la veuë de cette funeste & la meritable peinture :
mais auoüons tous ensemble, qu’vne plume est
mal heureuse, lors qu’elle ne parle que de tristesse & d’amertume,
& que la pensée de celuy qui écrit est funeste, lors
qu’elle est errante parmy l’enceinte des tombeaux. C’est
dans leurs sombres enclos où il faut maintenant que ie cherche
des paroles assez plaintiues pour exprimer la douleur que
cause a tous les François la mort d’vn ieune Prince, sur lequel
ils auoient fondé vne bonne partie de leurs esperances. Il
faut que i’appelle du fonds de leurs cercueils ces tristes ombres,
qui estant de veritables objets d’horreur, ne peuuent
inspirer que des penseés proportionnees a exprimer vne perte
si grande : ou plustost il faut que i’appelle cette Ombre innocente
pour laquelle nous lamentons & qu’en recompense des
[1 mot ill.] que ie verse sur son tombeau, elle verse des lumieres
dans mon cœur, assez puissantes pour me conduire parmy
l’horreur des ombres de la mort où elle habite. Non, ie n’apprehenderay
point de la suiure pas à pas, & les nuicts les plus
sombres ne seront pas assez epaisses pour me faire égarer dans
mon [2 mots ill.] ? ou bien si par hazard ie m’ecarte, on dira
que ma douleur estoit vehemente, que mon ame estoit afflige,
qu’elle estoit percée d’vne pointe mortelle, & pour lors
[2 mots ill.] me sera chere & mon égarement glorieux. Ie ne

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parle pas de mon déplaisir seulement, ie parle de la douleur
de toute la France, qui s’interesse auec des sentimens si pitoyables
qu’on peut dire auec quelque apparence, que ses regrets
auoisinent en quelque façon la grandeur de sa perte.
Elle diminue beaucoup des glorieuses esperances qu’elle
auoit conceues : elle se flattoit agreablement parmy les douceurs
qu’elle attendoit de ce ieune Prince, qui dans ses plus
innocentes années faisoit reluire l’éclatante Vertu de ses Peres,
mais elle n’a pas iouy vn moment de ses rauissemens : car
presque aussi-tost qu’elle a veu naistre cét Astre rayonnant de
lumiere, au mesme moment elle le voit éclipser dans vn temps
qui luy donne de la crainte, puis que iamais les Astres dans
leur orient ne souffrent eclypse que toute la nature ne patisse.
Nous anions chanté des Cantiques de ioye à sa naissance,
mais à present ils sont changez mal heureusement en Cantiques
funebres. Nous auions veu la naissance de cette con[5 lettres ill.]ation
bien heureuse auec mille marques d’allegresse, &
lors qu’elle se retire de nos yeux, nous ne voyons cette funeste
[1 mot ill.] qu’auec mille marques de douleur, nous l’auions
faire par des acclamations de ioye en naissant, nous l’accempagnons
[1 mot ill.] par nos gemissemens en mourant. Que de diuers
mouuemens presque dans le mesme instant, à peine
auions nous celebré sa naissance, que nous sommes contrains
de celebrer sa mort. A peine luy auions nous erigé des trophées
de gloire, qu’il luy faut eriger vn funeste tombeau. Et
enfin nous n’auions pas encore mis la derniere main au Panegyrique
de sa naissance, que par vn stile tout contraire nous
deuons en pleurant l’accompagner parmy les morts. Puissante
Nature, que vos secrets sont inconnus, & que vos routes
sont cachées aux soibles esprits des hommes, pour quoy nous
donner tout à la fois toutes vos graces, pour ne permettre
pas que nous en eussions la moindre iouissance ? Pour quoy
vous ioüer de la sorte de nostre foiblesse, nous priuant aussi-tost
d’vn bien duquel nous n’auions pas encore éprouué la
douceur ? Mais ie voy bien que vous estes inexorable, & que
vous n’escoutez pas seulement nos plaintes dans le moment

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auquel nous vous les faisons, si vous y estes tellement insensible,
puis que vos decrets sont eternels & immuables.

 

Seruetque sua decreta Colus

Lachesis.

Escoutez pour le moins la voix de nos prieres les plus feruentes,
par lesquelles nous vous demandons la conseruation de
ce qui reste.

Mors improba quid iam petis amplius.

Affreuse mort, que desirez vous d’auantage, que vous deuez
estre orguilleuse de vostre puissance, qui fait quand elle veut
des conquestes si redoutables. Que vous auez iuste sujet de
vanter la vaste estenduë de vostre Empire, duquel toutes les
grandeurs du monde sont indifferemment tributaires, & lesquelles
quand vous voulez, vous entrainez apres vous d’vne
course precipitée : mais vostre conqueste eust esté plus glorieuse,
si vous n’eussiez rauy ce ieune Monarque, que dans le
temps auquel il eust esté chargé par la pesanteur des Lauriers
de ses Victoires, & des Palmes de ses triomphes ? Si vous l’eussiez
attaqué au milieu des batailles & des conquestes, qu’il
eust remporté suiuant les glorieux exemples de ses Ancestres ?
Si vous nous eussiez laisse iouyr du bon heur qui nous estoit
enuoyé du Ciel dans sa personne, & qui paroissoit desia si visiblement
dans sa face, que dans cette tendre enfance il
donnoit de la terreur aux ennemis les plus fiers & les plus redoutables
de cet Empire, presageant en luy la mesme grandeur
de courage, & la mesme constance à la conseruation de
nostre France, qui paroist si visiblement dans la personne de
ce grand Gaston, duquel il tiroit sa naissance auec sa vie. Ie
diray enfin, que vous deuiez le proteger, & non pas le destruire,
que sans doute il eust aggrandy vos limittes par la perte des
ennemis de la France, & par la ruine totale de ceux qui conspirent,
soit secretement, soit ouuertement contre sa gloire.
C’estoient-là les pensees & les agreables idées, que nous nous
formions dans l’attente que nous auions en voyant croistre
tous les iours ce grand Prince : c’estoit-là l’esperance que nous
en auions conceüe, mais qui a esté malheureusement trahie

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par vos loix impitoyables. Toutes fois nous ne murmurons
pas contre leur rigueur, mais dans nostre desespoir, ne sçachant
à qui nous en prendre. Nous nous adressons mesmes iusques
aux choses les plus sourdes & les plus insensibles, ausquelles,
bien que muettes & impuissantes à soulager nostre
douleur, nous ne restons pas d’adresser nos plaintes, & d’adoucir
par ces foibles soulagemens, l’excez de nos desplaisirs
sortis d’vne cause si l’amentable. Pour moy, ie m’adresse
à tous les Estres, ce que ie rencontre dans la nature,
ie les appelle pour garands de nos mal-heurs, & souuent
dans mes plus secrettes douleurs, ie leur parle en cette forte.
Qui nous respondra à present de nos fortunes chancellantes,
& à demy esbranlées ? Qui nous respondra des euenemens de
la guerre, que ce grand Prince eust renuoyée comme vn éclat
de foudre sur nos ennemis ? Qui sera nostre arbitre dans la
Paix ? Où sont tant de marques de grandeur, qui paroissoient
sur vn visage si illustre ? Où sont ces graces qui y auoient estalé
auec tant de soin, tout ce qu’elles auoient de plus rare ? Enfin
sans aller plus auant, où sont ceux qui nous consoleront
dans ce malheur, puis que tout le monde à besoin de consolation,
& qu’il n’y a personne qui ne soit atteint par la mesme
douleur, apres l’auoir veu entré les bras du trespas ? Nous vous
auons veu grand Prince, dans cette fatale couche de mort,
vous sur qui les Destinées deuoient faire rouller les suittes de
leurs années : Nous auons veu ces torches fumantes au tour
de vous, qui se consommant pitoyablement, sembloient se
conuertir toutes en l’armes. Nous vous auons veu dans ce
sommeil eternel, qui pour iamais a fermé vos yeux, seuls
Astres desquels nous attendions la plus rayonnante lumiere,
& nous vous voyons encore en nos esprits dans ce triste assoupissement,
qui pour iamais vous rend insensible ? Helas ! que
ce déplorable estat nous donne de tristesse : nous auons donné
cours à nos souspirs, & dans nos foiblesses croyant vous ranimer
par leur ardeur d’vne vie seconde, nous les auons enuoyés
en abondance, pensant imiter cette Diuinité fabuleuse, qui
par le feu Celeste anima le premier des hommes : nous auons

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esté dans la mesme erreur, & auons creu par nos brussans
souspirs, produire en vous la mesme merueille, mais en tous
nos genereux efforts, il nous reste seulement des marques &
des tesmoignages fideles d’amour & de veneration, pour l’illustre
sang de nos Princes, monstrant ce mesme amour durant
leur vie, & du regret apres leur mort.

 

Nous souhaiterions tous ensemble, non pas cent bouches
pour nous plaindre, puis que les douleurs qui esclattent par
la parole, sont les plus legers & les plus foibles, mais bien plustost
cent sources de l’armes, que nous ferions ruisseler comme
fideles messageres de nos déplaisirs. Enfin par quels sentimens
nous exprimer d’auantage, si ceux la ne sont pas assez puissans ?
Accompagnons cette Pompe Funebre ? Chantons des
chants lugubres ? Portons des marques eternelles de deüil ?
Preparons à ces cendres glorieuses vn Tombeau dans nous
mesme ? Logeons le dans nostre cœur, comme dans vne Vrne
immortelle, & soyons apres toutes ces marques, en quelque
façon susceptibles d’vn mouuement tout dissemblable ? Changeons
nos l’armes en ioye, nos souspirs en actions de grace,
nos chants funebres, en Cantiques de reiouyssance, &
comme dans le iour de son triomphe, chantons la gloire de
cette Ame innocente veritablement immortelle ? Adressons
luy nos prieres, comme au Genie tutelaite de nostre France :
& comme c’est du plus pur sang de nos Rois qu’elle tire son
estre, dressons-luy nos vœux & nos autels, pour nous estre
propice. Que cét Astre nouuellement mis au nombre des plus
éclatans, soit le pole fauorable, vers lequel nous dirigions
nos pas, que ce soit le puissant aymant qui attire nos cœurs,
puis que.

 


Son corps semé d’immortelles estoilles,
Du haut des Cieux éclairant aux mortels,
Nous font bien voir qu’il luy faut des Autels.

 

FIN.

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