Anonyme [1652 [?]], TROISIESME PARTIE DV POLITIQVE VNIVERSEL, OV BRIEVE ET ABSOLVE DECISION, de toutes les questions d’Estat les plus importantes. SCAVOIR EST, XIII. S’il est permis au Ministre d’Estat de faire tout ce qui luy plaist. XIV. Si l’on doit souffrir qu’vn Ministre d’Estat impose tous les iours de nouueaux subsides. XV. Si le Roy doit écouter les plaintes que les peuples luy veulent faire contre son Ministere pour leur faire iustice. XVI. Si l’on ne doit pas faire rendre aux Fauoris & à tous leurs Partizans, tout ce qu’ils ont volé au peuple. XVII. Si l’on doit punir exemplairement vn Ministre d’Estat, quand il la merité. , françaisRéférence RIM : M0_2818. Cote locale : B_17_32.
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QVESTION XIV.

Sçauoir si l’on doit souffrir qu’vn Ministre
d’Estat impose tous les iours de
nouueaux subsides.

A Moins de souffrir qu’vn Ministre d’Estat
s’approprie tout le bien des sujets
du Roy, l’on ne doit pas souffrir qu’il impose
tous les iours de nouueaux subsides.
Cest vn monstre insatiable qu’vn Ministre
d’Estat, & la crainte qu’il a de n’estre pas longtemps
dans le Ministere. pour tousiours prendre,
fait qu’il voudroit auoir le bien d’autruy
tout à la fois, afin de n’auoir plus besoin de
quoy que ce fut, & mesme afin de s’esleuer
au dessus de tout le reste des hommes L’ambition

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est vne mer sans fonds & sans riue dans
l’esprit de ces abominables Tyrans, & ils ne
disent iamais c’est assez, non plus que ces trois
choses dont parle le Sage dans ces Prouerbes.
Ils ne se peuuent pas imaginer que Dieu parle
à eux par la bouche du prophete Ezechiel,
quand il dit au Roy qu’il doit estre content de
sa possession, & qu’il ne doit iamais rien prendre
sur ses sujets, ni par finesse, ni par violence.
Et ie trouue qu’il ont grande raison de ne
se le vouloir pas imaginer, puis qu’ils sont bien
esloignez d’estre ce que le Roy est, & ce qu’ils
ne seront iamais de leur vie. Ces abominables
Ministres, qui le plus souuent ne sont que des
petits vers de terre, font comme Alexandre,
qui apres auoir conquis tout l’Vniuers, demandoit
s’il n’y auoit pas encores d’autres
monde à conquerir, tant il s’estoit rendu insatiable
en ses conquestes. Aussi ces sangsues
publiques n’ont pas encore imposé quelques
nouueaux subsides, qu’ils songent à mesme
temps aux moyens qu’ils doiuent tenir pour
en imposer d’autres, tant ils sont cupides de
s’approprier le bien d’autruy, sous pretexte
d’en auoir affaire pour le bien de l’Estat & pour
le salut du peuple.

 

L’ambition de Pyrrhus fut sagement reprise
par vn de ses amis, à qui il disoit qu’il auoit deliberé

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de conquerir la Sicile, la Grece, l’Italie,
l’Afrique, & l’Asie. Et que ferons nous apres
ce la dit cét amy à Pyrrhus. Nous viurons en paix
& nous reposerons à nostre aise, respondit ce
Roy des Epirothes, & qui nous empesche, repartit
l’amy, de viure en paix & de nous reposer
presentement à nostre aise, sans nous amuser
à iniustement vsurper le bien d’autruy, & sans
prendre tant de peine.

 

Ie sçay bien qu’il n’y a point de subiet qui ne
doiue quelque tribut à son Prince : mais ce tribut
n’est autre chose que ce qu’on luy doit donner
pour l’entretient de sa Maison & pour les
affaires qui concernent la seureté & le repos
de l’Estat, qui est iustement ce qu’on appelle
Domaine, duquel les Roys de la premiere &
seconde Race se sont contentez sans rien leuer
au de là de ce qu’il leur raportoit sur leurs subiets
si ce n’estoit en quelque cas extraordinaire :
Mais quand la necessite le requiert, il faut faire
assembler les trois Estats du Royaume pour voir
si le pretexte que l’on prend & si la demãde que
l’on fait est iuste, & pour resoudre des moyens
qu’il faut tenir pour auoir de l’argẽt & pour establir
ce subside, ainsi que tous les autres Roys
ont fait, afin d’empescher qu’vn Ministre d’Estat,
ne leue rien mal à propos & à tout moment comme
il fait pour ses interests particuliers & pour
en faire son propre.

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Et si cet ordre a esté obserué autrefois, pour
empescher qu’vn Ministre n’imposast pas tous
les iours au nom du Roy de nouueaux subsides
à plus forte raison le doit on obseruer en vn
temps où les subiets sont reduits à vne extréme
necessité à cause des guerres que les maudits
Ministres ont suscitées en France l’espace de
trante cinq ou quarante ans en vertu desquelles
ils ont esté trauaillez d’vn nombre infiny de subsides,
tant ordinaires que extraordinaires, iusques
à faire des leuées de plus de quarante cinq
millions de liures tous les ans, sans payer personne,
qui est vne chose prodigieuse & presque incroyable
à ceux qui n’ont pas mis le nez dans les
affaires des leuées & des despenses.

Voyez ie vous prie si apres des voleries si prodigieuses
on doit souffrir encore qu’vn Ministre
d’Estat impose tous les iours de nouueaux subsides.
C’est ce qui fait que tous les peuples de
France ont conçeu vne haine irreconciliable
contre cette sangsuë publique de Mazarin qui
non content d’auoir enleué tout l’or & l argent
de France voudroit encore obliger les grands
& les petits à faire la fausse monnoye pour assouuir
vne ambition insatiable. Le peuple
veu les grandes leuées des deniers qu’on a faites
sur eux, ne se peuuent pas figurer que le
Roy en puisse auoir affaire, si ce n’est que son

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Ministre l’ait tout gardé pour luy : car il n’y a
iamais eu homme au monde qui ait fait de si
grandes leuées que son predecesseur & luy,
en façon quelconque. Voila pourquoy il seroit
bien mieux fait de faire vne recherche generale
sur tous ceux qui ont administré les finances,
ou sur leurs heritiers si ceux là sont morts, pour
leur en faire rendre compte, que de s’amuser à
faire la guerre. Le Roy, les Princes, & le peuple
y trouueroient leur compte, & par ainsi nous aurions
la paix & la France se rendroit redoutable
à toutes les autres nations de la terre.

 

Non, il n’est point de Roy, & par consequent
encore moins vn Ministre qui ait aucun droit
de faire des leuées sans le consentement des
trois Estats ou des Parlemens de France puis
que c’est nostre pain nostre trauail, nostre bien,
& nostre vie qu’on nous demãde, c’est le moins
que l’on puisse faire que de nous monstrer en
quoy & pourquoy cela se doit faire Il n’y aura
iamais de remission pour ceux qui prennent in
iustement le bien d’autruy, s’ils ne le restituent
auant de mourir, aux personnes mesmes à qui
il aura esté pris, sous l’authorité d’vne puissance
absoluë. Helie predit à Achab Roy des Israëlites
la ruine de toute sa Maison pour auoir seulement
voulu prendre la vigne de Nabot en
payant, contre sa volonté, quoy qu’il fut sous

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la domination de ce Prince. Ce qui fait bien
voir que les Roys & encore moins leurs Ministres
n’ont point de droit sur le bien des particuliers
& qu’ils ne les sçauroient contraindre a
le leur bailler sans iniustice.

 

Saint Louis commanda à Philippe son fils
aisné & son successeur à la Couronne, de remettre
les Tailles qu’il auoit esté contraint de
leuer pour subuenir aux frais des guerres, &
luy defend d’en leuer aucune, si vne extréme
necessité ne luy oblige. Et parce que les Estats
voyoient que depuis S. Louis les leuées des
deniers se rendoient communes, il fut arresté
par les Estats, en presence de Philippe de Valois,
qu’il ne s’en feroit iamais aucune sans le
consentement des peuples. Sous Charles VIII.
il fut ordonné encore la mesme chose, & auiourd’huy,
Messieurs les Ministres d’Estat voudront
soustenir qu’on peut sans offencer Dieu,
& sans voler le public, imposer tous les iours
de nouueaux subsides. Sachez que si les peuples
y consentent, ou par foiblesse, ou par
crainte, & qu’ils n’y resistent pas au peril de
leur vie, qu’ils ne laisseront pas apres en auoir
esté punis en ce monde cy, en donnant leur
bien, d’en estre punis encore en l’autre, comme
complice du crime, en faisant tort à leurs
heritiers de ce qu’ils donneront, puis que c’est

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vn bien duquel ils ne sont que les œconomes.

 

Mais si les peuples y ont beaucoup d’interest,
ie trouue que les Roys y en ont encore dauantage,
attendu que ce nombre infiny de nouuelles
impositions que leurs Ministres font sur
les subjets, cause vn nombre infiny de desordres
dans les Estats, & rendent mesme le Prince
qui les souffre odieux à tous les peuples. Tost
ou tard les subjets, sous esperance de mieux,
voyant que le Roy tolere ces extorsions & ces
voleries à la moindre occasion qui se presente
de se rebeller, ils taschent de secoüer le ioug
qui les oppresse, sans auoir égard à la dignité
de Souuerain, ny ce à quoy ils sont obligez par
vn serment volontaire. Philistus fut cause de
la perte de Denys le Tyran, à cause des impositions
qu’il mettoit sur les peuples. Procletes
fut lapidé pour auoir conseillé Theodebert
Roy d’Austrasie, d’accabler ses subjets de nouueaux
subsides. Georges Preschon Gouuerneur
de Henry Roy de Suede, fut executé à mort
pour la mesme chose. Iean de Montagne Intendant
des Finances sous Charles VI. eut la
teste tranchée pour auoir esté l’autheur des
nouuelles Daces.

Saint Ambroise disoit quelquefois quand
on le vouloit contraindre à payer de semblables

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contributions, Non equidem dono, sed non nego,
iuuadite. Comme s’il vouloit dire que le peché
qu’il y auoit à donner par force, fut sur les preneur.
Quand Iesus-Christ paya le tribut à Cesar,
il le paya sous pretexte de Religion, & pour
ne pas troubler l’ordre public & politique : mais
en ce faisant il ne le paya que bien petit, & vne
fois en sa vie ; & à qui ? à vn scelerat, à vn infidele,
& à vn mécreant, & non pas à vn homme
bien raisonable.

 

Le Roy Louys XII. auec son seul reuenu ordinaire,
sans leuer tant d’imposts & tant de subside
sur ses subjets, ainsi que nos Mazarinistes
font auiourd’huy, força bien, & prist, dit l’histoire,
tout l’Empire des Venitiens, excepté le
seul Corps de la Ville, conquesta la Duché de
Milan, & donna vne terreur vniuerselle à toute
l’Europe. Ie ne suis pas Mazarin, mais auec
le quart de l’argent qu’il a leué en France, ie
voudrois auoir conquis toute la Flandre, toute
l’Italie, & toute l’Espagne : où luy à peine a-t’il
pû conseruer vne place de toutes celles que
nous auions conquises sur les ennemis de cette
Couronne.

Bien loin de souffrir qu’vn premier Ministre
d’Estat impose tous les iours de nouueaux subsides,
il faudroit faire contre luy ce que Henry
II. vouloit faire contre Messieurs de Guyse. Il

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luy faudroit faire rendre compte de l’administration
des Finances de France de puis qu’il
gouuerne les affaires. C’est par là où il faudroit
commencer si nous voulions bien faire, pour
l’obliger luy & tous ses Partizans, à nous rendre
tous les thresors qu’ils nous ont volez : mais
pour cela il faudroit que toute la France se soûleuast
pour se saisir de sa personne. Mais en attendant
que cela soit, voyons le reste.

 

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