Anonyme [1649], SVITTE ET NEVFIESME ARRIVÉE DV COVRIER FRANÇOIS, APPORTANT TOVTES LES Nouvelles de ce qui s’est passé depuis sa huictiéme arriuée iusqu’à present, , françaisRéférence RIM : M0_830. Cote locale : C_1_40_09.
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SVITTE ET NEVEIESME ARRIVÉE
DV
COVRIER FRANÇOIS,
APPORTANT TOVTES LES NOVVELLES
de ce qui s’est passé depuis sa huictiéme arriuée
iusques à present.

IL est plus aysé de ployer que de rompte le courage d’vn
peuple ; & la douceur & la clemence sont des moyens beaucoup
plus asseurez pour la conseruation d’vn Estat, que non
pas la rigueur & la seuerité. Nous auons vn notable exemple
de cecy en la personne de Loüis XI. Roy de France, lequel
ayant commencé son Regne par l’esloignement qu’il fit de plusieurs
bons & anciens Officiers de la Couronne qui auoient rendu de
grands seruices au Roy Charles VII. son Pere, au recouurement de son
Royaume, que les Anglois auoient occupé ; fut cause que ces Seigneurs
mescontens, ioints aux peuples chargez de grandes impositions qu’il
auoit mis sur eux, esleuerent vne guerre contre luy, qu’ils appellerent le
bien public. Ce Prince se voyant en risque de perdre son Royaume, rechercha
les moyens de l’éuiter par vne Paix ; & suiuit en cela l’aduis de
Francisque-Sforce Duc de Milan son amy, qui luy conseilla de ne refuser
rien de ce qui luy estoit demandé, afin d’appaiser promptement cette
guerre : apres laquelle il se seruit tousiours depuis de ces Seigneurs, &
confessa librement qu’il n’auoit voulu hazarder aucun combat, pour ne
vouloir pas commettre son estat au peril d’vne chose si incertaine qu’vne
bataille, & qu’il auoit pris resolution de se retirer du Royaume, estãt hors
d’esperance de le pouuoir conseruer si la Ville de Paris ne fust demeurée
dans la fidelité qu’elle deuoit à son party, & qu’elle a tousiours religieusement
conseruée pour ses Roys. Dequoy l’on peut inferer que non seulement
les Souuerains ne doiuent faire la guerre à leurs Sujects, ny les
traicter auec rigueur : Mais de plus, que les Ministres des Princes, qui
sous leur authorité s’efforcent de ruyner les principales Villes de leurs
Estats, sont leurs ennemis, & au contraire que ceux qui recherchent la
Paix, & procurent le repos des peuples sont leurs vrays seruiteurs ; comme
la tousiours fait paroistre le Parlement, dont vous apprendrez quelque
chose par la Relation de cette neufiesme arriuée.

Le Mercredy dixiesme de Mars 1649. nouuelles sont arriuez de Lizieux

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en Normandie, que le Baron de Mare faisant des leuées de Caualerie
& d’Infanterie pour le Comte de Harcour, apres auoir abandonné Argentan
& Alençon, le sieur de Chamboy vn des Lieutenans de Monsieur
le Duc de Longueuille, auec six cens Cheuaux qu’il auoit leuez en cette
contrée, eut aduis que l’Assemblée de quelques troupes ennemies se
faisoit dans le Chasteau du Chesne ; ce qui fit qu’il en approcha auec
trente Maistres seulement, ayant fait faire alte au reste ; & auec ce petit
nombre s’auança iusques dans la basse-Cour dudit Chasteau, qui estoit
gardée par de l’Infanterie, où ayãt trouué vn Sergẽt qui estoit sur le pont-
leuis feignit estre desdites troupes qui s’assembloient en ce lieu ; Ce que
le Sergẽt ayant creu, il le laissa entrer, & par ce moyen ayant surpris à table
ceux qui estoient en ce Chasteau, il les fit tous prisonniers, puis se retira
& les emmena auec soixante de leurs Cheuaux qu’il y a gaigné.

 

Cõme aussi nouuelles de Roüen, que mondit Sr le Duc de Longueuille
ayant eu aduis que le Comte de Harcour auoit dessein d’assieger Dreux,
& que pour cet effect on luy auoit enuoyé de Sainct Germain neuf
Compagnies du Regiment des Gardes, & le Regiment de Bourgogne
auec artillerie, Ce Prince qui n’oublie rien pour la conseruation de sa
Prouince & soulagement des oppressez, est party de Roüen auec ses
troupes, sçauoir cinq mille hommes de pied & trois mille cheuaux : &
pour faire croire aux ennemis, qu’il auoit dessein d’assieger le Ponteau-de-mer,
fit embarquer son Canon sur la riuiere, auec quelque Infanterie
qui se rendirent en son camp, duquel il commanda le Sieur de sainct Valery
Mareschal de Camp de ses armées, auec six vingts cheuaux, pour aller
faire le logement de ladite armée à Montfort sur Rille, pour augmenter
le soubçon qu’auoit ledit Comte de Harcour dudit siege, lequel
n’ayant autre object, s’auança & fit desloger son armée : & pour euiter la
honte qu’il eut pû encourir, d’auoir perdu vne place qui luy auoit donné
tant de peine, & qui est de si petite consequence, il prit resolution de la
secourir : Mais aussi tost Monsieur le Duc de Longueuille en estant aduerty
en donna aduis audit Mareschal de Camp, afin d’euiter la rencontre
dudit Comte, & qu’il le peust venir ioindre auec plus de seureté, ce qu’il
fit fort heureusemet. Le bruit de cette grande armée qui auoit jetté la terreur
& l’effroy dans les troupes du Comte de Harcourt, facilita merueilleusement
l’entreprise dudit sieur Duc, qui estoit de donner secours à
Evreux, ville qui est de grande consequence à la Prouince ; & d’effect,
ayant commandé le sieur de Comesnil Mareschal de Camp de ses armées,
auec huit cens mousquetaires & quatre cens cheuaux pour ce secours,
les fit partir la nuict, & par la conduite & la prudence du Duc, tout
arriua comme il auoit pensé, & a secouru ladite ville, apres quoy il est retourné
à Roüen.

Le Ieudy vnziesme, le Parlement fit reglement des taxes faictes par
les Deputez des Compagnies souueraines pour le payement des frais de
l’armement & subsistance des gens de guerre, ensemble des moderations

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faites d’aucunes desdites taxes, & ordonna que ceux qui estoient compris
esdits rooles de moderations, demeureroient descheus d’icelles
faute de les auoir payées, & qu’ils seroient contraints au payement des
premieres sommes, ausquelles ils auoient esté taxez pour ledit armement,
& pour la subsistance du mois de Fevrier, & du present mois de
Mars : Comme pareillement les autres particuliers desnommez esdits
rooles ; afin que nostre armée ne manquast pas de ce qui luy peut estre
necessaire, non plus qu’elle a fait iusques à present.

 

Comme aussi le mesme iour, ladite Cour de Parlemẽt permit à tous
Marchãds forains & autres, d’amener à Paris, bleds, farines, & pain en
telle quantité qu’ils voudroient, lesquelles ils pourroient vendre & debiter
à tel prix & cõditions dont ils cõuiendroient auec les acheteurs :
& que les Boulangers tant de petit que de gros pain & les Paticiers
seroiẽt tenus de cuire doresnauant tout le bled qu’ils auroient, en pain
bis de diuers poids, sçauoir les Boulangers de petit pain d’vne ou deux
liures ; & ceux de gros pain, depuis vne iusques à six liures, auec deffenses
à eux d’en cuire d’autre façon ny de plus grand, & à ce que le peuple
tirast soulagement des bleds & farines qui arriuent iournellement
à Paris, ladite Cour a ordonné qu’ils seroient menez à la Halle, pour
estre distribuez aux Boulangers & Paticiers à grãde mesure, & au peuple
à petite mesure : & pour l’execution deputa des Cõmissaires pour
estre presens, & tenir controole de ce qui seroit deliuré ; auec deffenses
à toutes personnes, d’empescher le transport desdits bleds à la Halle,
ny de piller les charettes à peine de la vie, auec injonction aux Bourgeois
de l’empescher, & courir sus à ceux qui voudroient ce faire.

Le mesme iour vn Gentil homme est venu en Parlement, auec Lettre
de creance de Monsieur le Duc de la Trimoüille, qui a rapporté à
la Cour, que mondit sieur le Duc de la Trimoüille ayant fait depuis
quelque temps des leuées de gens du guerre dans la Prouince de Poictou,
& autres circonuoisines pour le secours de la Ville de Paris, auoit
rendu son armée complete, & composée de huict mille hommes, tant
de cheual que de pied, auec laquelle il se tenoit prest, & attendoit les
ordres du Parlement, & à cette fin requeroit estre receu à son vnion,
& que commission luy fust deliurée, afin de se mettre en marche pour
venir du costé de Paris. Surquoy la Cour ayant deliberé, ledit sieur de
la Trimoüille, & les sieurs Destissac, de Chaumont, & autres Gentils-hommes
auec la ville de Poictiers, ont esté receus à l’vnion du Parlement
& de la ville de Paris.

La nuict du Ieudy au Vendredy, sur ce que ceux du party contraire
eurent aduis que le Pont de Batteaux encommencé sur la riuiere de
Seine, proche le Port à l’Anglois, estoit parfait & en estat de nous seruir
à la communication du passage des riuieres de Seine & Marne, quelques
troupes de leur Caualerie au nombre de quatorze escadrons, vindrent
du costé de la Brie pour brusler ledit Pont, Ce que Messieurs nos

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Generaux n’ont pas seulement empesché, mais encores repoussé lesdites
troupes, lesquelles se retirérent sans auoir pû faire aucun dommage
audit Pont, dequoy irritées, allerent iniustement se vanger sur
les prochains villages par où elles firent leur retraite.

 

Le Vendredy douziesme, Messieurs les Deputez qui estoient allez à
Ruël pour la Conference de la paix, apres auoir arresté & signé les articles
d’icelle, arriuerent à Paris enuiron les quatre heures du soir.

Dés ce iour tous les passages des euuirons de Paris ont esté ouuerts,
& a esté libre à toutes personnes de dehors, d’y venir & y sejourner ;
comme à ceux de la Ville, d’aller ou bon leur a semblé, sans qu’aucuns
actes d’hostilité ayent plus esté commis par les gens de guerre des deux
armées.

Et en suitte sont arriuez à Paris par les riuieres de Seine & Marne,
plusieurs grands batteaux chargez de bleds & farines, qui ont esté
deschargez à l’Arsenac, & depuis chariez aux Halles, ou l’on les distribuë
iournellement aux personnes qui en veulent acheter.

Le lendemain Samedy treiziesme le Parlement estant assemblé, sur
ce qu’il fut representé, que Messieurs nos Generaux n’ayans point deputé
de leur part, pour les pretentions qu’ils pourroient auoir, n’estoiẽt
compris qu’en general és articles accordez à la Conference de Ruël, il
fut deliberé qu’auant que faire ouuerture & lecture d’iceux, Messieurs
les Deputez retourneroient vers leurs Majestez, pour traicter des interests
desdits sieurs, ensemble de ceux de Monsieur le Duc de Longueuille,
du Parlement de Roüen, & generalement de tous les interessez
en cette cause, de quelque qualité & condition qu’ils soient, & que le
tout seroit compris par vne seule Declaration.

Ce iour on a eu aduis que le Mareschal du Blessis-Praslin, ayant tiré
des garnisons qui estoient à S. Denis, Mont l’hery, Chastres & autres
lieux, le Regiment de Persan & d’autres troupes, auoit fait vn gros
d’enuiron trois mille hommes, auec lequel il marche vers Damp-Martin
en Goille, sur l’aduis que l’on a eu à S. Germain, que parties des
troupes de l’Archi-Duc Leopold s’auançoient entre les deux riuieres
du costé de Han.

Le Dimanche quatorziesme au matin, comme mesdits sieurs les Deputez
se disposoient à partir, a esté apporté vne Lettre de cachet de la
part du Roy, la substance de laquelle estoit, qu’auparauant que d’entendre
lesdits deputez, sur le fait de mesdits sieurs les Generaux, qu’il
fust procedé à la verification des articles accordez à ladite Conference ;
Surquoy le Parlement fut assemblé, & resolu que le lendemain lecture
seroit faite desdits articles, & deliberé pour sçauoir si l’on procederoit
à ladite verification.

De ce iour il y a eu cessation d’armes de nostre armée, & de celle du
party contraire, en sorte qu’aucunes attaques ny entreprises n’ont esté
faites de part ny d’autre, en l’attente que l’on a d’vne bõne & seure pacification

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pour le repos des François, à la confusion des ennemis
estrangers de cét Estat.

 

Le Lundy 15. dudit mois, le Parlement estant assemblé, & mesdits
Sieurs les Generaux presens, fut fait lecture desdits Articles arrestez à
la Conference de Ruel, sur lesquels ayant esté deliberé, ensemble sur
la Lettre de cachet du iour precedent, il y a eu Arrest, par lequel la
Cour accepte l’accommodement, & neantmoins ordonné, que les
Deputez retourneroient à saint Germain pour faire instance, & obtenir
la reformation d’aucuns articles d’iceluy, & pour traitter des interests
de Monsieur le Prince de Conty, & de Messieurs nos Generaux,
qu’à cette fin ils bailleroient par escrit, pour estre compris dans vne
seule & mesme declaration ; ensemble ceux de Monsieur le Duc de
Longueville, du Parlement de Roüen, de Monsieur de Turenne, de
ses trouppes & autres interessez.

Le Courier du Mayne est arriué le Lundy 14. qui nous asseure que
cette Prouince s’est entierement declarée pour Paris, & que Monsieur
le Marquis de la Boulaye ayant couru vers ces quartiers, les nouuelles
de son approche, ont dõné telle espouuante au Marquis de Lauardin, &
quelques autres, qui faisoient des leuées dãs cette Prouince pour saint
Germain, qu’il les a à mesme temps tous dissippez, & empesché leurs
desseins ; apres quoy il s’est retiré, sans que l’on ait pû sçauoir en quel
quartier : Ce vaillant & vigilant Capitaine donnant plutost des nouuelles
de ce qu’il a fait en quelque lieu, que l’on ne sçait sa marche.

Le Mardy 16. Monsieur de Sainctot, grand Maistre des Ceremonies
de France, est arriué à Paris, qui a apporté les sauf-conduits pour
Messieurs les Deputez, qui sont partis l’apresdinée du mesme iour pour
aller traitter des interests de Messieurs nos Generaux, & faire en sorte
que la declaration du mois d’Octobre dernier, si iudicieusement concertée,
& si equitablement octroyée pour le bien & soulagement du
peuple, ne reçoiue aucune atteinte, & soit inuiolablement obseruée,
& par ce moyen appaiser les presens troubles, restablir le commerce,
rendre le repos & le contentement à vn chacun, au Royaume son ancienne
splendeur, & charger de confusion les ennemis de la France.

Ce mesme iour sur ce que l’on a eu aduis que plusieurs particuliers
Ossiciers, & autres soldats du party contraire, sous pretexte de la cessation
d’armes accordée de part & d’autre, venoient en cette Ville
achepter, & emportoient des munitions de guerre, a esté publié vne
Ordonnance de l’Hostel de Ville de Paris, par laquelle il est fait deffences
à toutes personnes d’emporter de la Ville aucunes poudres,
plomb, mesches, armes, ny autres sortes de munitions, à peine de la
vie Et encores que tous soldats, tant de Caualerie que d’Infanterie,
tant d’vn party que d’autre, eussent à se retirer promptement en leurs
quartiers, sur les mesmes peines.

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Monsieur le Prince de Conty & Messieurs nos Generaux, accompagnez
de leurs Gardes, sont allez voir l’ordre auquel est nostre armée à
Vitry & és enuirons.

Le Mercredy 17. Monsieur le Duc de Boüillon conuallecent de sa
maladie, est allé coucher au quartier de l’armée, pour releuer Monsieur
le Mareschal de la Mothe, lequel auoit releué Monsieur le Duc
de Beaufort, & continuë à y faire entretenir la discipline & les ordres
militaires, dont il a vne si parfaite connoissance, lesquelles trouppes
sont en tres bon estat.

Ce mesme iour ont esté apportées en Parlement lettres de Monsieur
le Duc de Longueville, escrites à Roüen le 15. Mars, par lesquelles il
asseure le Parlement d’vne parfaite vnion & intelligence, qu’il a ietté
des trouppes dans Eureux, & qu’il n’obmet rien pour assembler le plus
de forces qu’il luy est possible pour l’auantage des assaires, & que Monsieur
de Matignon s’est saisi de l’Isle Marie, que tenoit le sieur de Bellefond,
qui est du party contraire. Que le Mans s’est declaré pour Paris :
& beaucoup d’autres lieux se preparent d’en faire de mesme, sur lesquelles
a esté arresté que de la part de la Cour sera fait response audit
Sieur Duc de Longueville.

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Anonyme [1649], SVITTE ET NEVFIESME ARRIVÉE DV COVRIER FRANÇOIS, APPORTANT TOVTES LES Nouvelles de ce qui s’est passé depuis sa huictiéme arriuée iusqu’à present, , françaisRéférence RIM : M0_830. Cote locale : C_1_40_09.