Anonyme [1649], SVITTE ET CINQVIEME ARRIVÉE DV COVRIER FRANÇOIS, APPORTANT TOVTES LES Nouuelles de ce qui s’est passé depuis sa quatriéme arriuée iusques à present. , françaisRéférence RIM : M0_830. Cote locale : C_1_40_05.
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SVITTE
ET CINQVIEME ARRIVE’E
DV COVRIER FRANCOIS.
Apportant toutes les Nouuelles de ce qui s’est passé depuis
sa quatriéme arriuée iusques à present.

Les Prouinces & Villes de ce Royaume, & particulierement
celles de Champagne, Brie & Gastinois, ayant appris par les
Lettres de Messieurs de la Cour de Parlement, que l’interest
de la Ville de Paris leur estoit commun, aussi bien qu’à toute
la France ; & les obligeoit à trauailler pour ne laisser manquer les choses
necessaires à cette florissante Ville, la liberté des passages d’icelle estant
empeschée par nos ennemis ; ont obligé Messieurs nos Generaux de
monter à cheual, & tesmoigner par plusieurs fois le veritable desir qu’ils
ont de nous deliurer de cette oppression, comme vous verrez par le rapport
de ce que i’ay appris.

L’entreprise sur Charenton ayant reüssi, comme ie vous ay dit, le
Prince de Condé reconnoissant la perte qu’il auoit faite pour s’en rendre
le Maistre, & voyant qu’il ne pouuoit pas, mieux conseruer ce passage
contre nous, que nous auions fait contre luy pour estre ce Bourg de
trop grande & vaste estenduë ; abandonna en mesme temps ce poste, &
se contenta seulement de rompre en quelques endroits le passage du pont :
Ce fait, il fit marcher ses trouppes vers Nogent sur Marne le Lundy
8. Feurier, où ils ont fait les mesmes degasts qu’ils auoient desia fait ressentir
aux autres Bourgs des enuirons de Paris, & apres se sont retirez
vers sainct Denys.

Le Mardy neufiéme l’on a eu nouuelle que la semaine passée le Cardinal
Mazarin auoit enuoyé quelques trouppes vers Senlis, pour s’asseurer
de cette Ville : mais que l’on ne les y auoit pas voulu receuoir, sçachant
bien que telles gens sont plutost pour ruiner que pour conseruer
le pays.

Le mesme iour Monsieur le Duc d’Elbeuf est venu au Parlement faire
le recit de ce qui s’estoit passé à Charenton, & tesmoigna l’obligation que
nous auons à la memoire de feu Monsieur de Clanleu.

L’on a trouué à Paris dans vn Conuent de Religieux plusieurs papiers

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de consequence, appartenans au nommé Marin, cy deuant Tresorier
du marc d’or, parmy lesquels il y en a beaucoup concernans les traittez
& partis des gages retranchez des Officiers, & d’autres sortes de monopoles.

 

Le Mercredy dixiéme en l’Assemblée du Parlement fut ordonné que la
taxe faite lors du siege de Corbie seroit suiuie, de ce que chacun deuoit
payer pour la subsistance des gens de Guerre.

Le mesme iour de grand matin Monsieur le Duc de Beaufort sortit de
Paris, & alla iusques à Charanton, où il ne trouua aucuns ennemis dans
le Bourg ; mais seulement deux à trois cens mousquetaires, qui s’estoient
retirez dans des moulins à eau qui sont proche le pont dudit lieu.
Et ledit sieur Duc ayant dessein de battre lesdits moulins, & pour ce
enuoyé querir du canon, fut diuerty de cette entreprise, & obligé de
s’en departir, pour aller fauoriser le Conuoy qui estoit arriué d’Estampes
à Linoys, conduit par Monsieur de Marquis de Noirmonstier ; où
l’ayant ioint, auec Monsieur le Mareschal de la Motte-Houdancourt, qui
estoit aussi party le matin, eurent aduis que des trouppes Mazarines conduites
duites par le Mareschal de Grandmont, au nombre de trois à quatre mil
hommes, tant de Caualerie que d’Infanterie, auoient passé prés de Chilly,
& approchoient à dessein de coupper & emmener vne partie dudit
Conuoy ; ce qui obligea nos Generaux de faire auancer promptement
toutes leurs trouppes rangées en bataille, & donner ordre à la seureté
dudit Conuoy, qu’ils firent mettre dans les vignes de la coste qui regarde
le village de Vitry : ce fait ils donnerent viuement sur les ennemis,
lesquels encores qu’ils fussent en plus grand nombre que les nostres,
lascherent le pied & se retirerent promptement, apres neantmoins
qu’ils eurent laissé plusieurs de leurs gens & Officiers tuez sur la place,
entre lesquels estoit le sieur de Noirlieu, Maistre de Camp d’vn Regiment
de Caualerie, qui tout ruzé & experimenté qu’il estoit au fait de la
Guerre, & armé de toutes pieces, ne pût éuiter l’addresse de nostre ieune
Achilles Monsieur le Duc de Beaufort, lequel n’ayant pour toutes armes
qu’vn collet de buffe, dont il estoit couuert, ayant esté la pluspart du
temps du combat sans chappeau, luy porta son espée dans la gorge, &
luy osta auec la vie, qu’il perdoit si mal heureusement en protegeant la
tyrannie, l’honneur & la gloire qu’il pouuoit s’estre auparauant acquise
aux armées.

Les nouuelles de ce combat estans apportées à Paris, la crainte que
les Bourgeois eurent que nos Generaux ne fussent engagez, les fit sortir
en armes, & aller, pour ne pas dire voler, si promptement qu’il se
trouua en moins d’vne heure, vne armée preste pour leur secours, en
laquelle on eut bien compté plus de trente-cinq mil hommes, bons &
vaillans Soldats, qui n’eurent autre part au combat, que l’honneur de

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salüer nosdits Generaux, & ramener triomphans dans la Ville, auec le
Baron d’Alais, & le sieur de Feracier Montbrun, tous deux Mareschaux
de Camp, & quantité d’autres de nos ennemis, que le sieur Marquis de
Noirmonstier auoit faits prisonniers, auec le Conuoy des viures qu’ils
auoient amenez, qui entra pendant la nuit par les Portes S. Iacques &
S. Marcel, & y furent comptez plus de mille bœufs, deux mille moutõs,
& huict cens porcs : & quant aux farines & bleds, qui estoient aussi en
tres grande quantité, furent laissez à Long-iumeau, d’où incessamment
on les a fait venir tous les iours, en sorte que la pretension de nos ennemis,
qui estoit de nous affamer, demeurera sans aucun effet.

 

Le Ieudy vnziesme, quelques particuliers du Parlement ayans porté
paroles d’accommodement, soit que ceux qui les aduançoient n’eussent
pas pouuoir de ce faire, ou à cause de l’absence de Messieurs nos Generaux,
il fut arresté que l’on s’assembleroit le lendemain, pour sçauoir si
l’on delibereroit sur lesdites propositions.

L’apresdinée du mesme iour, dans le Manege de la grande Escurie du
Roy, fut fait reueuë de la. Compagnie des Gardes de Monsieur le Duc
d’Elbeuf, & des Regimens de Caualerie, tant de luy, que de Messieurs
les Comtes de Rieux & [1 mot ill.] bonne ses enfans, & du sieur de Fruges, &
encores de quelques Compagnies d’Infanterie du Regiment de Messieurs
le Coadiuteur de Paris, & de Duras.

Le soir du mesme iour, fut surpris à Paris le Cheualier de la Valette,
Bastard de la maison d’Espernon, auec vn homme desguisé & trauesty
en moyne, qui semoient par les ruës quelques libelles seditieux, pour tacher
à desunir les bons François les vns d’auec les autres : mais comme
ces libelles ne contenoient que des faussetez & suppositions inuentées
par les ennemis de la France, tant s’en faut qu’ils ayent porté aucun coup
contre nous, qu’au contraire ils ont d’autant plus affermy la bonne intention
des peuples, pour se deliurer de la tyrannie des Estrangers : Et
comme Dieu a suscité Messieurs de la cour de Parlement, pour nous
deliurer d’oppression, aussi a il permis que tout le mal que ces libelles
pouuoient produire, est seulement tombé sur le chef de ce Cheualier de
la Valette, mauuais François, Italianisé par la longue demeure qu’il a
faite en Italie, lequel mené à l’Hostel de Ville, & le lendemain transferé
à la Conciergerie du Palais, y est enfermé dans la Tour de Montgommery,
en attendant le supplice condigne à son forfait.

Le Vendredy douziesme le matin, se presenta à la Porte S. Honoré de
la Ville de Paris vn Heraut de France, nommé de Mignonville, où le
Capitaine qui commandoit à la Garde de ladite Porte l’ayant fait attendre,
en vint donner aduis à Messieurs du Parlement, lesquels estans assemblez,
fur arresté qu’il ne seroit deliberé aucune chose, sans l’aduis do
Messieurs les Generaux de nos Armées, lesquels seroient, à cette fin mãdez,

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& que Monsieur le Mareschal de la Motte Houdancourt l’vn d’iceux,
auroit seance & voix deliberatiue comme les autres.

 

Lesdits Seigneurs Generaux estans venus, fut arresté que ledit Heraut
n’auroit aucune audience : Que Messieurs les Gens du Roy iroient
par deuers luy, pour luy dire que le refus que l’on luy faisoit d’entrer
dans la Ville, estoit fondé sur ce que les gens de sa condition ne deuans
estre enuoyez qu’à des Souuerains ou à des ennemis, & que les Corps &
Compagnies de la Ville de Paris, n’estans ny l’vn ny l’autre, il n’y pouuoit
estre admis, & qu’ils se transporteroient à sainct Germain en Laye,
pour faire entendre au Roy & à la Reyne Regente, que le refus estoit
plustost marque d’obeyssance, & du respect de leurs Maiestez, que de
mespris.

Cet Arrest si prudemment & si iudicieusement rendu dans l’occurrence
du temps, a beaucoup estonné les mauuais François, & contraint vn
chacun d’aduoüer hautement, que l’esprit de Dieu, conduit le ministere,
& l’entreprise de cét Auguste Parlement.

Suiuant cét arresté, Messieurs les Gens du Roy firent entendre audit
Heraut ce que dessus ; mais à cause du mauuais traitement que l’on leur
auoit cy-deuant fait à sainct Germain, & refus de les escouter, escriuirent
afin d’auoir passeport, pour aller en toute seureté deuers leurs Maiestez.

Le sieur de S. Marc, Ayde Maior & Lieutenant de la Maistre de Cãp
du Regiment d’Infanterie de Monsieur le Duc de Brissac, ayant esté
blessé d’vn coup de mousquet à l’espaule droite, lors de l’attaque de
Charenton, est mort ce iourd’huy de sa blesseure, apres auoir tesmoigné
en ce rencontre la grandeur de son courage, comme il a cy-deuant fait
dans les emplois qu’il a eus en l’Armée Naualle.

Ce mesme iour sur le soir, est arriué à l’Hostel de Ville de Paris le courier
de Roüen, escorté de quelque Caualerie, qui a asseuré que non seulement
Monsieur le Duc de Longueuille s’estoit rendu maistre de plusieurs
places de la Prouince, mais encore que son Armée qu’il leuoit
pour le secours de Paris, estoit desia en estat de faire corps, & d’estre mise
en campagne, pour se ioindre à la nostre deuant le 25. de ce mois.

Le Samedy troisiesme, le Heraut dont est cy deuant fait mention, partit
du Faux bourg sainct Honoré où il auoit couché, & laissa sur vne
barriere dudit lieu le paquet qu’il auoit ; & sur l’aduis qui en fut donné
au Parlement, fut arresté que ledit paquet demeureroit en la garde du
Capitaine de ladite porte, iusques à ce qu’autrement en eust esté ordonné.

La Cour ordonna aussi que les Partisans & gens d’affaires, seroient
contrains par toutes voyes deuës & raisonnables, an payement de leurs
parts des Taxes faites pour la subsistance des gens du Guerre & encores

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qu’il seroit procedé à l’instruction du procez du Cheualier de la Valette ;
& cependant qu’inuentaire & description seroit faite de ses meubles
& vaisselle d’argent.

 

L’apresdinée de ce iour, entra vn Conuoy de quarante ou cinquante
charettes de bleds, farines, foins, & autres munitions & prouisions necessaires,
qui venoient du costé de la Prouince de Brie, escortées par
Monseigneur le Prince de Conty Generalissime, Monsieur le Duc
d’Elbeuf, qui nonobstant quelques accez de fiévies, & qu’il eust esté seigné
deux fois le iour precedent, ne laissa de monter à cheual, & Monsieur
le Mareschal de la Motte-Houdancourt, & autres Seigneurs, qui
tous ne cherchoient que l’occasion de quelque rencontre pour signaler
leur courage.

Cependant que Monsieur le Duc de Beaufort faisoit reueuë de son
Regiment de Caualerie dans la Place Royale, où ont repassé mondit
Seigneur le Prince de Conty, & les autres Seigneurs susdits, qui ont
tous admiré le bon ordre auquel estoit ce Regiment.

Le mesme iour est arriué en cette Ville de Paris le Duc d’York, fils
puisné du Roy d’Angleterre, pour demeurer aupres de la Reyne sa Mere,
& se consoler ensemble des malheurs où ledit Seigneur Roy est iournellement
exposé.

Le Dimanche 14. Monsieur Molé Euesque de Bayeux, a esté sacré
dans la Chappelle du College de Sorbonne par Monsieur l’Archeuesque
de Thoulouse, & Messieurs les Euesques de Sarlac & de Xaintes.

Ce iour Messieurs les Preuost des Marchands & Escheuins de cette
Ville de Paris, ont ordonné aux Chefs d’Hostel & Chamberlans, de se
trouuer en personne aux Gardes ordinaires & extraordinaires des Portes
de cette Ville, & s’y rendre aux mandemens de leurs Colonels &
Capitaines & au partement de leurs Compagnies où elles seront commandées
de demarcher, à peine de desobeyssance, & de huict liures parisis
d’amen de pour chaque fois s’il n’y a excuse : Et defenses ausdits Capitaines
& leurs Officiers, de plus receuoir en leurs Compagnies aucuns
laquais, ieunes garçons, & autres incapables de telle fonction militaire,
à peine d’en respondre, & aux Soldats d’abandonner le Corps de Garde
sans congé, à peine de confiscation d’armes, & d’amende arbitraire,
ny d’y commettre aucun desordre, tirer l’espée, & s’outrager les vns les
autres, à peine de la vie.

Le Lundy quinziesme, les Lettres de Monsieur le Prince de Condé
escrites à Monsieur de Boüillon, par luy enuoyées ce iourd’huy au Parlement,
ont fait surseoir l’instruction du procez du Cheualiet de la Valette,
toutesfois la Cour a ordonné que ses meubles seroient vendus, &
sa vaisselle d’argent, qu’on dit estre en grande quantité, portées à la
Monnoye pour estre conuertie en espece.

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Monsieur le Mareschal de la Motte-Houdancour est venu ce iourd’huy
en Parlement, où apres auoir fait le serment, a esté receu Conseiller
honoraire, & en cette qualité, y a eu seance & voix deliberatiue.

Le Mercredy 16. l’on a eu aduis de Soissons que les Maire & Eschenins
estans sortis de cette Ville, pour aller à S. Germain faire offre de
leur Ville au Cardinal Mazarin, le Lieutenant General & autres Officiers,
apres auoir pourueu à la seureté & garde d’icelle, ont fait élire
d’autres Escheuins qui ont refusé l’entrée à ceux-cy, qui se sont trouuez
par ce moyen, dans l’impuissance d’executer vn si mauuais dessein, & entretenir
ce qu’ils auoient promis.

Ce iour mesme sur les sept à huict heures du matin, est arriué à Paris
vn Conuoy de quarante charettes & plus, chargées de bleds & farines,
qui venoient de Chastres sous Mont-Ihery, conduites par Monsieur le
Marquis de la Boullaye, à qui l’on a vne particuliere obligation pour les
viures qui viennent de ce quartier.

De sorte que le Mercredy 17. de ce mois, il s’est trouué au marché des
Halles de Paris, la quantité de trois cens muids de bled & de farines, de
ce qui est arriué en cette Ville depuis six iours en çà, tant par terre que
par eau ; ce qui a fait diminuer de beaucoup le prix desdites farines.

Messieurs les Gens du Roy ayans eu passe port, sont partis ce iourd’huy
de cette Ville pour aller vers leurs Maiestez, leur faire sçauoir les
raisons du refus fait par Messieurs de la Cour d’entendre le Heraut, &
ayans rencontré Monsieur le Mareschal de Grandmont auec ses trouppes,
qui venoient au deuant d’eux dans le Bois de Boulongne, sont arriuez
à sainct Germain, où ils ont esté receus auec ioye d’vn chacun ; ce
qui nous fait esperer que les affaires iront à vn accommodement pour
le soulagement des Peuples.

Le Ieudy 18. nouuelles sont venuës que ces iours Passez le Regiment
de Cauallerie de Bourgongne, cy-deuant de son Altesse de Conty, faisant
plusieurs degasts és Bourgs & Villages des enuirons de Brie-Comte
Robert, le sieur de Bourgongne Gouuerneur de cette place, sortit auec
trois cens Caualiers & cent fantassins de sa Garnison, & donna si
viuement dessus ce Regiment, qu’il leur fit payer bien cher la temerité
de porter les armes contre leur General, par la mort de plus de cent des
leurs, la prise de soixante ou enuiron, & le desordre & la fuite du reste.

FIN.

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