Anonyme [1652 [?]], QVATRIESME PARTIE DV POLITIQVE VNIVERSEL, OV BRIEVE ET ABSOLVE DECISION de toutes les Questions d’Estat les plus importantes. SCAVOIR EST, XVIII. Si les Tyrans du peuple & de l’Authorité Royale; auec leurs Partizans peuuent estre sauuez. XIX. Si les heritiers de ces sangsuës publiques peuuent estre sauuez, sans restituer les voleries que leurs predecesseurs leur ont laissées. XX. Si la restitution peut estre bonne, n’estant pas faire à ceux à qui la chose appartient. XXI. Si l’on doit souffrir des Partizans dans vn Estat. XXII. Si les trois Estats ont droit de se mesler des affaires du Prince. XXIII. Si les trois Estats ont droict de remedier aux desordres du Royaume. , françaisRéférence RIM : M0_2818. Cote locale : B_17_33.
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QVATRIÉME PARTIE
DV POLITIQVE
VNIVERSEL.
QVESTION XVIII.

Sçauoir si les tyrans du peuple & de l’authorité
Royale auec leurs Partizans
peuuent estre sauuez.

C’est vne matiere bien delicate à decider car
à moins d’estre aussi sçauant que Dieu dans
les Mysteres de sa prescience infinie, il est impossible
à toute la portée de l’entendement humain
d’y pouuoir atteindre ; outre que nous serons
mesurez de la mesme mesure que nous mesurerons
les autres. Mais quoy que ce soient des
secrets reseruez à Dieu seul, & ausquels les hommes
& les Anges ne sçauroient rien comprendre,
nous ne laisserons pas pourtant d’en dire nostre
sentiment, fondé sur les inuiolables decrets de la
parole éternelle ; puis qu’elle dit qu’il y a des pechez
qui ne seront iamais pardonnez, ny en ce
monde, ny en l’autre. Et par la nature des effets
on iuge de la nature de la cause, selon le Prince
de la secte peripatetique. Il est bien mal aisé de

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croire que ceux qui ont suscité tant de desordres
en France, qui ont ruiné tant de familles, & mis
à l’aumosne tant de veufues & tant d’orphelins,
qui ont accablé l’Estat, & de guerres ciuiles & de
guerres estrangeres, qui ont pillez tous les thresors
publics & particuliers, qui sont cause de la
mort de tant d’hommes, & de la perte de tant
d’ames, qui ont mis vne estrange diuision entre
le pere & le fils, la femme & le mari, le frere & la
sœur, & entre le Prince & le peuple, qui ont voulu
perdre les enfans de la maison & les peres de la
patrie, qui sont cause de tant de vols, de tant de
violemens, de tant de meurtres, de tant d’incendies,
& de tant de sacrileges, & qui ont exposé la
France & les François à vn nombre infini de legions
estrangeres, & fait encore vn autre nombre
infini de pechez aussi énormes que ceux là,
puissent estre sauuez, veu que pour cela il faut
necessairement rendre à Cesar ce qui est à Cesar,
& à Dieu ce qui est à Dieu : ou pour mieux dire
sati faire à tous les crimes que l’on a commis, &
faire vne parfaire restitution de toutes les choses
que l’on a volées car l’iniure ne se peut effacer en
aucune façon que par le pardon de celuy à qui
elle est faite. L’offense est d’vne telle nature
qu’elle oblige celuy qui la fait, à celuy à qui elle
est faire : autant de voleries, autant de debtes. Et
veu que la veritable remission ne se peut faire
qu’en restituant, nul ne peut donc estre valablement
déchargé de ce qu’il a pris s’il ne restituë.

 

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Le crime du vol, ne se peut reparer que par son
contraire ; & pour cela il y trois satisfactions necessairement
à falre, pour l’abolition de cette sorte
d’offence, la premiere se doit faire à Dieu pour
en obtenir la temission, la seconde le doit faire à
la mesme personne qu’on a volée, ou du moins à
ses propres heritiers si elle estoit morte, en luy
restituant tout ce qu’on luy a pris, & la derniere
se doit faire à soy mesme par la repentance & par
la contrition de la faute que l’on a commise. Si
l’homme n’est marry d’auoir offensé Dieu, s’il ne
restituë, & s’il ne fait quelque panitence du peché
qu’il a commis, il est impossible que Dieu
luy pardonne : & si il faut qu’il fasse vne ferme resolution
de ne plus retourner au peché, s’il veut
que sa satisfaction soit parfaite car autrement il
n’y auroit pas vne veritable repentence.

C’est pourquoy celuy qui a volé le bien d’autruy
est obligé de le rendre à ceux à qui il appartient
auant de mourir ; puis que selon S. Augustin
ce peché ne se peut iamais pardonner si l’on ne
restituë Dieu ne nous deffend pas seulement de
desrober : mais encore de retenir le bien d’autruy
en façon quelconque, c’est pourquoy, Messieurs
les Ministres d’Estat, & Messieurs les partisans,
il faut restituer si vous voulez estre mis vn iour au
rang des ames bien heureuses. C’est vn de ces pechez
qui ne se pardonne iamais, ny en ce monde
ny en l’autre, qu’à la condition que ie viens de dire.

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Point de restitution, point de remission : la iustice
de Dieu ne fera iamais rien au preiudice de
ceux qui ont interest en la cause. Si ceux qui auoient
vn pouuoir absolu sur nos biens & sur nos
vies, & qui ont commencé à faire des leuées sur
les peuples en ont fait vn poinct de conscience &
s’en sont accusez deuant Dieu comme d’vn crime,
que ne doiuent pas faire des personnes qui
sont bien au dessous de ces gẽs là, & qui n’ont aucun
droit ny d’imposer ny de prendre ? Si la plus
part des Roys qui ont pris le bien de leurs sujets
dans l’extréme necessité de leurs affaires, l’ont
restitué, & le restituent encore tous les iours,
comme il se voit par les rentes de l’Hostel de Ville,
ces sangsues publiques ne sont elles pas obligées
de restituer celuy qu’il ont pris à des personnes
sur qui elles n’ont aucune puissance.

 

De quel prodigieux aueuglement est ce que
ces Tyrans du peuple, que ces vsurpateurs de l’authorité
Royale, & que leurs funestes Partisans
sont accablez, de ne pas dessiler les yeux au miserable
estat qu’ils se preparent ? n’est-ce pas là vn
signe de leur reprobation eternelle, que de ne
pas vouloit connoistre le precipice où ils se vont
ietter, & que ne pas ouurir les oreilles à pas vne
de toutes les semonces qu’on leur en sçauroit faire ?
N’est ce pas la se rendre abominable à Dieu &
contre le deu de sa vocation, se consacrer eternellement

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à des flames eternelles ? en vn mot,
n’est-ce pas la se mettre au nombre de ceux qui
se sont desia destinez de leur franche & libre volonté
à des suplices infinies, & à des tourmens incomprehensibles.
Et apres cela vous me demanderez
si ces gens la peuuent estre sauuez, mourant
dans l’obstination de leur peché, ne restituant
pas ce qu’ils ont volé, puis que leur condemnation
est escrite par l’esprit de Dieu, dans
tous les Sacrez cayers de ses decrets inuiolables ?
Ne sçauez vous pas bien que le Seigneur rend à
chacun selon sa foy & selon ses œuures : que le
vol est vn peché mortel qui ne peut estre effacé
que par la restitution, & que celuy qui meurt en
peché mortel est damné à tous les Diables.

 

C’est ainsi que les Tyrannies de ces execrables
voleurs punis par le iuste iugement de Dieu, les
consacrent à des flammes eternelles. Certes il est
tres horrible de tomber entre les mains d’vn iuge
si espouuẽtable que celuy de ces sangsuës publiques :
car son iugement sera vn iugement tres
accomply, où il se fera vne manifeste declaration
de tout les pechez des hõmes, depuis le plus grãd
iusques à la moindre de nos pensees, selon l’exigence
desquels il s’y donnera des arrests definitifs
& irreuocables, qui seront soudainemẽt excecutez
de poinct en poinct, selon la teneur de leur
forme. Ce sera là, où les intentions les plus occultes
seront mises en euidences par vn scrutateur à

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qui pas vne chose cachée ne sçauroit estre incõnuë.
Ce sera là où le liure de nostre conscience
sera leu publiquement deuant toute la compagnie,
affin que personne n’en pretende aucune
cause d’ignorance. Ce sera là où nos merites &
nos demerites seront enregistrez en gros caracteres,
afin que chacun puisse clairement voir
l’equité de sa iustice.

 

Et comme ces sangsues publiques en volant
tous les suiets du Roy, & en les accablant d’vn
grand nombre de guerres ciuiles & estrangeres,
offences vne Maiesté infinie, il faut de necessité
necessitante, que leur satisfaction soit pareillemẽt
aussi infinie, ou autrement Dieu auroit fait quelque
chose d’imparfait, s’il n’auoit estably vne peine
proportionnée à la grandeur de la faute qu’ils
ont commises. Si bien donc, que pour la reparation
de l’iniure faite à cette Maiesté infinie, l’honneur
de cette infinité veut que le pecheur soit infiniment
puny de l’offence qu’il a faite ; par ce
que les offenses se doiuent tousiours mesurer à la
grandeur de l’offense ; c’est pourquoy, prenez y
garde auant de partir de ce monde, Messieurs les
Ministres & Messieurs les Partisans : car les œuures
que vous ferez vous seront imputées au iour
de cét epouuentable iugement, où tout l’estre
crée doit fremir de crainte ; veu que l’ame sortant
de ce corps, part d’vn lieu de misericorde pour
entrer en celuy de la iustice de Dieu, où elle sera

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iugée & punie eternellement selon la souueraine
rigueur du droit de la Maiesté qu’il aura offensée :
mais d’vne punition si extresme, que ces
Tyrans du peuple ne se sçauroient iamais figurer
quelque chose de si terrible, ny de si formidable.

 

QVESTION XIX.

Sçauoir si les heritiers de ces, Sangsuës publiques
peuuent estre sauuez, sans restituer
les voleries que leurs predecesseurs
ont faites.

Novs auons desia dit en la question precedente,
que tous ceux qui auoient volé le
bien d’autruy estoient obligez à faire restitution,
sur peine d’estre damnez aussi bien que le plus
abominable de tous les hommes. Reste maintenant
à voir si ceux qui heritent de ces voleurs là,
sont obligez à la mesme restitution, ou bien à la
mesme peine. De moy ie soustiens qu’vn homme
ne peut pas entrer dans les biens, dans les
honneurs & dans les dignitez de son predecesseur,
sans y entrer auec les mesmes conditions
& auec les mesmes charges que son predecesseur
les tenoit auant qu’il sortit de ce monde. C’est
vne question de droit qui ne reçoit point aucune
difficulté, à moins que de vouloir contesser de

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gayeté de cœur, la plus équitable de toutes les
choses de la terre. Si i’aduoüe à l’heritier qu’il ne
doit rien, parce que ce n’est pas luy qui a fait tous
les vols ny les debtes, il faut qu’il m’aduoüe pareillement
aussi, que puis que son predecesseur
ne tenoit ce bien là, qu’à la charge de le restituer
à celuy à qui il appartenoit, ou à la charge d’estre
éternellement damné, ne le restituant pas comme
nous venons de le dire, qu’il ne s’en peut rendre
le possesseur, & tenir sur ce bien-là, la place
de son deuancier, sans estre obligé aux mesmes
deuoirs & aux mesmes charges. Il faut qu’il le
restitue, veu que le bien ne peut pas estre legitimement
possedé, que par celuy à qui il appartiẽt,
ou qu’il soit eternellement damné, aussi bien que
celuy qui se l’estoit approprié auec toutes les iniustices
du monde. Le bien pour changer de possesseur,
ne peut pas pour cela changer de maistre.
Et quoy que la mort de ceux qui l’ont vsurpé, &
de ceux qui le possedent iniustement, le fasse passer
mille fois d’vne main à l’autre, ce bien là ne
laisse pourtant pas d’estre tousiours à celuy à qui
on l’a vsurpé, attendu que ny le temps, ny le chãgement,
ne luy sçauroit oster la qualité d’estre à
son veritable proprietaire. Et c’est vn abus de
croire que les heritiers de ces sangsues publiques
puissent estre sauuez s’ils ne restituent pas tout le
bien que leurs deuanciers auoient volé aux vns
& aux autres. Il ne faut rien conuoiter de ce qui

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est à nostre prochain, dit cet adorable legislateur
Moyse, & puis que cela est, il faut encore moins
retenir vn bien qui n’est pas à nous, & sur lequel
nous ne sçaurions iamais auoir aucune possession
legitime. Les voleurs & ceux qui ne veulent pas
rendre le bien d’autruy, n’entreront point au
Royaume des Cieux, dit l’Apostre S. Paul escriuant
à ceux de Corinthe ; C’est pourquoy il faut
que ces heritiers de ces sangsues publiques fassẽt
vne ferme resolution de restituer tout le biẽ mal
acquis que leurs predecesseurs leur ont laissé, s’ils
ne veulent pas estre eternellement mis au rang
des reprouuez pour ce seul crime : & s’ils ne veulent
pas que Dieu visite l’iniquité des peres sur
les enfans iusques à la troisiesme & quatriesme
generation, tant ce peché se trouue abominable
deuant son adorable Maiesté, aussi bien que deuant
les hommes.

 

Si celuy qui achette vn bien, qu’il croit
estre derobé, est obligé à le restituer à celuy
mesme à qui il a esté pris, sur peine d’estre
damné, que ne doit pas faire celuy qui ne l’a pas
achepté, & sur qui l’iniquité du deffunct le fait
choir, afin de l’accabler auec plus de facilité sous
vne destinée pareille à la sienne. Qui se rend
proprietaire du vol, participe au peché, & qui
participe au peché, se rend heritier de la peine.
Nul ne peut receuoir l’absolution du Prestre &
moins encore le S. Sacrement de l’Eucharistie,

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qu’à sa condemnation, s’il ne fait vne ferme resolution
de restituer le bien d’autruy, laquelle
resolution il doit effectuer bien tost apres, s’il
veut que l’absolution & le Sacrement ne le rendent
pas encore plus abominable deuant celuy
qui les iugera pour iamais sans aucune espece de
resource. Car selon la doctrine de S. Augustin, il
est impossible qu’vn homme puisse estre sauué,
s’il ne rend tout ce qu’il possede par vne mauuaise
voye. La iustice, selon S. Thomas est vne ferme
constante & perpetuelle volonté de rendre à
chacun ce qui luy appartient legitimement, de
sorte donc que qui ne rend pas à chacun ce qui
luy appartient, fait vne action d’iniustice, qui ne
peut estre reparée que par la restitution de la
chose volée.

 

C’est à quoy les preceptes du droit de nature
obligent tous les hommes, aussi bien que les
preceptes de la loy Diuine. Les preceptes du
droit de Nature, veulent qu’on ne fasse à personne
que ce qu’on voudroit qu’on nous fit : & les
preceptes de la loy Diuine, sont de ne pas dérober
ny retenir le bien d’autruy, ny mesmes de le
conuoiter pour l’auoir auec iniustice ; à quoy se
conforme fort bien les preceptes du droit des
Gens, quand ils nous defendent de nous approprier,
ny les choses communes, ny les choses publiques.

C’est vn fait de necessité aussi bien que de raison,

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si l’on veut faire le salut de son ame. C’est vne
regle où la iustice de Dieu ne met point d’exception,
ny pour les conditions, ny pour les qualitez,
ny pour les honneurs, ny pour les charges,
ny pour le sang, ny pour la parenté, ny pour les
races, ny pour les dignitez, ny pour les houletes,
ny pour les couronnes. Tous les hommes,
grands & petits, riches & pauures, sont obligez
de restituer vn bien mal acquis, de quelque nature
qu’il soit, & de quelque façon qu’il soit entré
dans leur famille, s’ils veulent estre sauuez,
& s’ils ne veulent pas estre éternellement soumis
à toutes les puissances infernales.

 

Ce sont des decrets d’vn Iuge contre lequel il
n’y a point de reproches à faire. Ce sont des Arrests
que toutes les faueurs de la terre ne sçauroient
faire casser, quelques grandes qu’elles
puissent estre. Ce sont des iugemens sans appel,
& des condemnations sans ressource. C’est pourquoy
Messieurs les Partizans ; Messieurs les Ministres
d’Estat, & Messieurs les heritiers de ces
sangsuës publiques, quand le bien seroit passé
de pere en fils iusques à la centiéme generation,
si vous auez la moindre connoissance du monde
de sa mauuaise acquisition, vous estes obligez de
le restituer à ceux à qui il a esté pris ou à leurs veritables
heritiers, si vous ne voulez pas estre damnez
d’vne damnation éternelle. Si vous croyez
en Dieu, vous croirez en sa parolle ; si vous croyez

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en sa parolle, vous restituërez, ou bien vous ferez
vne ferme resolution de vouloir estre damnez
comme tous les diables. Ce n’est pas moy qui
parle, c’est luy mesme, & s’il n’a pas pardonné le
peché d’orgueil à ses Anges, ne croyez pas qu’il
pardonne le peché du vol, que sa diuine Maiesté
deffend expressement en tant d’endroits des sacrez
Cayers de son Escriture aux hommes.

 

QVESTION XX.

Sçauoir si la restitution peut estre bonne,
n’estant pas faite à ceux à qui les choses
ont esté volées, ou du moins à leurs
propres heritiers, quand ceux à
qui elles appartenoient ne sont
plus au monde.

Rendez à Cesar ce qui est à Cesar, & à Dieu
ce qui est à Dieu, dit cét adorable Createur,
qui veut estre obey de toutes ses creatures,
parlant à ses Apostres. C’est pour vous dire que
la sainte & sacrée Maiesté veut que si l’on a pris à
Paul, qu’on rende à Paul mesme tout ce qu’on a
pris à Paul : & si l’on a pris à Pierre, qu’on rende
à Pierre tout ce que l’on a pris à Pierre, ou du
moins à leurs veritables heritiers, qui sont ceux
qui representent leur propre personne : Car qui

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fera autrement, fera vne restitution inualide ; &
se dépoüillera du vol, sans se dépoüiller du crime.
Si le bien estoit au voleur, il en pourroit ordonner
en faueur de qui il luy plairoit : mais estant à
celuy à qui on l’a volé, il n’en sçauroit fruster ses
veritables proprietaires, ou les heritiers des ces
gens-là, ny le donner à qui que ce soit qu’à ceux
à qui il appartient, sans demeurer tousiours responsable
de ce mesme bien, & deuant Dieu, &
deuant les hommes.

 

Non, on n’en sçauroit mesme disposer en des
œuures de pieté, quelques pieuses qu’elles puissent
estre, sans le consentement de ceux à qui il
appartient, attendu que Dieu le leur à donne
pour en faire ce qu’il leur plana, ie veux dire
pour en faire leur salut, plustost que leur perte,
quoy que ce Souuerain Seigneur leur ait donné
leur franc arbitre, aussi bien qu’à tout le reste des
hommes. La iustice de Dieu veut que ce qu’elle
leur a donné leur serue, ou pour faire leur bien
s’ils l’employent comme il faut, ou pour faire
leur mal, s’ils en disposent autrement que selon
l’intention pour laquelle la chose leur a esté donnée.
Et qui leur retient ce bien là, va contre
les ordres de Dieu, & contre la franche liberté
que cét Estre infini auoit accordée de toute éternité
à la personne qu’ils ont volée. C’est aller en
ce faisant contre les decrets de la sagesse de ce
souuerain Seigneur, & s’opposer aux loix d’vne

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volonté à laquelle toutes les autres volontez se
doiuent soumettre. C’est attaquer Dieu iusques
dans le thrône de son adorable Maiesté, & vouloir
mettre des bornes aux dispositions de sa prouidence
éternelle.

 

Voyez apres cela de grace si la restitution peut
estre bonne, n’estant pas faite à ceux à qui les
choses ont esté volées ; ou du moins à leurs propres
heritiers, quand ceux à qui elles appartenoient
ne sont plus au monde. Si nous ne pouuons
pas disposer mal à propos du propre fonds
que nous possedons, sans faire quelque espece
d’iniustice à ceux qui ont des legitimes pretentions
sur nos heritages, par quel droit pourrions
nous disposer d’vn bien ou nous n’auons quoy
que ce soit, & que nous possedons contre nostre
propre conscience. Si nous auons pris à Cesar il
faut restituer à Cesar, & si nous auons pris à Dieu,
il faut rendre à Dieu mesme. L’interest de l’vn
ne fut iamais l’interest de l’autre. Et quoy que
vous rendiez vn bien iniustement acquis à l’Eglise,
l’Eglise & vous ne laissez pas d’estre égalemẽt
obligez à le restituer, puis que ny vous ny l’Eglise
n’auez aucun droict sur le bien d’autruy, non
plus que cét autruy sur le sien & sur le vostre.

Il y a en cette action deux choses à considerer
s’il me semble, qui sont la possession & disposition.
Pour pouuoir équitablement disposer d’vne
chose, il faut que la chose soit absolument à celuy

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qui en dispose, & pour la posseder sans iniustice,
il la faut auoir du consentement de la personne
à qui elle est. Vous voyez bien par là que
puis que le bien n’est pas à celuy qui en dispose
qu’il n’en peut pas équitablement disposer, &
que l’Eglise la possedant sans le consentement
de celuy à qui elle est, ne la peut pas posseder
sans iniustice. Iesus Christ est le Chef essentiel
de l’Eglise, & qui a vn Empire absolu sur elle.
puis qu’elle n’est que de par luy, & mesme qui
ne sçauroit estre sans luy, ne répond-il pas à Pilate
que son regne n’est point de ce monde, &
ailleurs ne dit-il pas encore que les renards ont
leurs trous, & les oyseaux du Ciel leurs nais,
mais que le Fils de l’homme qui est luy mesme,
n’a pas où reposer sa teste : voulant faire voir par
là que l’Eglise n’a aucun droict sur le bien de
quelque creature que ce puisse estre. Et bien
loin de se vouloir approprier le bien d’autruy, ne
dit-il pas encore en S. Luc qu’il ne se veut pas
seulement mesler de diuiser, ny de partager l’heritage
du frere d’auec le frere. Que si Dieu declare
luy mesme qu’il n’a nul droict de s’entremettre
de iuger des heritages d’autruy, voyez si
ceux qui ne sont pas dignes de dénoüer la courroye
de ses souliers ont droict sur le bien des autres.
Le seruiteur n’est pas plus grand que le
maistre, ainsi qu’il le dit fort bien luy mesme
dans S. Mathieu, & la creature ne peut pas auoit

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plus de pretention sur les biens d’vn public ou
d’vn particulier que le Createur qui luy a donné
l’estre y en veut auoir, quoy qu’il soit Souuerain
absolu, & du possesseur, & de la chose possedée.
Ainsi si l’on veut que la restitution soit bien faite,
il faut qu’elle soit faite comme nous auons
desia dit, à celuy que la chose a esté volée, ou
du moins à ses propres heritiers, s’il n’est plus au
monde La iustice de Dieu & la iustice des hommes,
qui est de rendre à chacun ce qui luy appartient,
requiert cela du voleur, s’il n’en veut
estre éternellement comptable à cette mesme
iustice, qui rend à chacun selon la sienne, & qui
se rendra tres redoutable au iour du Iugement
vniuersel, à tous ceux qui n’auront pas restitué
tout ce qu’ils ont pris à ceux mesmes à qui la chose
a esté prise, ou bien à ceux qui tiennent leur
place.

 

La iustice est vne habitude de nostre volonté,
en vertu de laquelle nous sommes obligez de
rendre à chacun ce qui luy appartient, bien contraire
à la iustice de ces sangsuës publiques, qui
est de se saisir du bien d’autruy malgré son possesseur,
ou par finesse, ou par force, sans en vouloir
iamais rendre quoy que ce soit à la personne
qu’ils volent. Suffit d’en donner quelque petite
portion à l’Eglise, quand la mort les presse
de quitter ces biens mal acquis pour faire prier
Dieu pour leur ame. Ah Chrestien à large conscience,

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ne sçais-tu pas que toutes ces sangsuës
publiques, & que tous ceux qui ont rauy & qui
retiennent iniustement le bien de leurs freres,
mourant sans faire vne équitable restitution &
sans faire vne seuere penitence du crime, sont
damnez éternellement, sans aucune espece de
misericorde ? C’est Dieu qui te iuge & qui te condamne
luy mesme par la bouche de son adorable
Legislateur Moyse : par la bouche de l’Apostre
S. Paul ; & presque par tous les sacrez Cayers de
sa sainte & sacrée Parole, contre laquelle il n’y a
point de repit ny d’appel, ny recusation à faire,
ny en ce monde ny en l’autre. L’admonition
franche, libre, & cordiale est vne tres-excellente
medecine. C’est t’aymer parfaitement que de
t’aduertir de ton salut deuant que tu ailles en vn
pays où il n’y a point de satisfaction à faire qui
ne soit éternelle. Prends donc bien garde à toy,
abominable vsurpateur du bien d’autruy, auant
de quitter cette terrestre demeure. Le iour de
ta mort est incertain, & si tost que ce moment
est passé, tous les remedes qu’on y pouuoit apporter
sont passez de mesmes. C’est là où se iouë
le dernier acte de toute la Comedie mondaine.
C’est en ce iour-là où la iustice de Dieu nous attend,
pour nous iuger selon que nous l’aurons
merité, & pour nous faire restituer en vn moment
tout ce que nous aurons amassé en plusieurs
années. Et puis qu’il nous faut restituer en

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mourant mal-gré que nous en ayons, taschons
donc de profiter de l’occasion, & restituons à celuy
à qui nous auons pris la chose, puis que la restitution
ne peut pas estre bonne autrement, de
quelque façon qu’elle puisse estre faite.

 

QVESTION XXI.

Sçauoir si l’on doit souffrir des Partisans
dans vn Estat.

LA peste n’est pas si funeste à l’Estat, que les
Partizans le sont & au Prince & au peuple ;
parce qu’elle ne s’attache ordinairement qu’à
des miserables necessiteux qui luy tendent les
bras, tant ils sont las de viure, & parce qu’il n’y a
personne au monde qui ne puisse éuiter ses mortelles
fureurs, en prenant le soin de changer de
Prouince. Mais les Partisans sont si pernicieux
à toute sorte de personnes, qu’il est impossible
aux grands & aux petits, aux riches & aux pauures,
aux Ecclesiastiques & aux Laïcs, aux Roturiers
& aux Nobles, aux Bourgeois & aux Artisans,
aux Laboureurs & au Monarque mesme de
se pouuoir mettre à couuert de leur tyrannie. Il
faut que tout le monde tasche de satisfaire aux
cupiditez de ces sangsuës publiques. Il faut que
la plus pure substance des peuples soit consacrée
à leur demesurée ambition. Il faut que les thresors

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de l’Estat soient diuertis à leur profit. Et il
faut que le Roy & les subjets soient ruinez, pour
enrichir ces poux affamez & ces monstrueuses
harpies. Ie vous laisse à penser apres cela si l’on
doit souffrir qu’il y ait des Partisans dans vn
Estat, puis qu’ils ne font que l’accabler de toute
sorte de miseres.

 

Ce sont de ces Antropophages de la Scytie
qui ne viuent que de chair humaine. Ce sont des
Canibales des isles du nouueau monde qui mangent
leurs freres. Ce sont des Taupinambous de
l’Amerique, qui ne cherchent qu’à deuorer leurs
semblables. Ce sont des esprits plus esclaues du
bien d’autruy, que de la vertu des hommes. Les
gens de bien ne se portent iamais à des actions
de cette nature, au contraire ils ont l’honneur de
Dieu, le seruice du Souuerain & le bien de leur
prochain en plus haute recommendation que
leur propre vie. Ce sont des sangsuës publiques
qui ne font qu’instruire les Roys des moyens
qu’ils doiuent tenir pour establir vne estrange
tyrannie parmy leurs peuples. Ce sont des furies
infernales, qui auec les flambeaux de leur cupidité
ne cherchent qu’à mettre la diuision dans
l’Estat, & qu’à reduire toute cette pauure Monarchie
en cendre. C’est vne vermine qui ne s’engraisse
que de la plus pure substãce des peuples.
Ce sont ceux dont parle le Prophete, quand il
dit, qu’ils mettent l’oreiller sous la teste, & le carreau

-- 22 --

sous le coude, afin qu’estans endormis dans
l’obstination de leur peché, ils demeurent enseuelis
dans leur vice. Ce sont des loups tousiours
affamez, qui par vn éternel mépris qu’ils font de
ceux qu’ils ont reduits à la besace, ne se trouuent
iamais qu’aux Palais des Princes & des Roys, afin
d’infecter ces esprits de leur contagieuse tyrannie.
Ce sont ces bourreaux qui mirent vne desolation
vniuerselle par toute la Sicile, du temps
de Denys, & du temps de Phalaris. Ce sont ces
pestes du genre humain, qui infecterent toute
l’Egypte en faueur de Ptolomée. Et finalement
ce sont ces souffles de diuision, qui mirent autrefois
tout l’Empire Romain dans vne entiere
ruine.

 

Et pour se vanger d’vne engeance si abominable,
il faudroit que les Roys fussent incessamment
enuironnez d’vne douzaine d’hommes
d’Estat, semblables à celuy qu’Apollonius donna
à Titus Empereur de Rome, surnommé pour
sa bonté les delices du genre humain, afin de
leur dire tousiours la verité sans aucune espece de
crainte, criant mesme hautement contre ces
Souuerains, quand ils se voudroient porter à faire
quelque sorte d’iniustice ; & mesme afin de ne
pas souffrir qu’il y eut iamais vn Partisan en toute
la Monarchie. Enfin des seruiteurs qui eussent
vn front d’airain, & vn cœur de diamant, comme
dit la parolle éternelle pour dire ce qu’il faudroit

-- 23 --

dire au Monarque en secret iusques dans ses
oreilles.

 

C’est vne race maudite, qui tousiours saisie
d’vne rage insatiable, & d’vne furie tout à fait desordonnée,
fait bien voir qu’elle a l’ame toute
cauterisée d’vn mal incurable : car pour vne ambition
transitoire, & qui s’esuanoüit comme de
la fumée, elle ne craint pas d’accabler tout le
monde d’vne éternelle misere, pour s’enrichir
elle seulle de sa dépoüille. C’est vne race qui n’a
pas honte, pour se rendre semblable à des Cirus,
de perdre vn nombre infini de pauures innocẽs,
pour se baigner dans la pourpre de leur substance
plus spirituelle. Mais que vous sert-il ames venales
de vous aproprier iniustement le bien d’autruy,
puisque vous n’en ioüirez pas long-temps,
& que vous deuez mourir cõme les autres hommes.
Si vous pouuiez heriter de leur vie comme
de leurs tresors, vous auriez quelque espece de
raison d’en amasser pour subuenir aux necessitez
de l’homme : mais le malheur est que bien souuent
vous n’en auez pas encore gouté le plaisir
qu’il y a d’en auoir, qu’il vous faut aualer le calice
de vostre damnation éternelle.

Ma heur sur vous, dit le Prophete Esaie, qui
conioignez la maison auec la maison, par vne
voye tres inique. Il ne faut donc pas s’estonner,
dit le prophete Ozée, si le sang cherche le sang,
c’est-à-dire si nous sommes accablez d’vne estrãge

-- 24 --

guerre, puis que de fraude, volerie, rapine
extortions, & cupidité regne si outrageusement
parmy les hommes. Nous voyons tous les iours
comme ces sangsues publiques tiennent tout
l’Estat en diuision, afin de pouuoir mieux pecher
en eau trouble. Autrefois le Roy Louis XII.
prit tout l’Empire des Venitiens, toute la Duché
de Milan, & donna de la terreur à toute l’Europe
auec son petit reuenu, sans faire aucune leuée
sur les peuples ; & ces sangsues publiques,
sans pouuoir rien faire que ruiner l’Estat, & perdre
la Monarchie, sous pretexte de trouuer de
l’argent pour subuenir aux frais de la guerre, ont
trouué l’inuention de leuer quelque quatre-vingt
quatre millions de liures tous les ans, pour
seulement engraisser les Ministres d’Estat, &
pour s’approprier le reste, sans payer qui que ce
soit en France. Il n’y a pas encor fort long-temps
qu’ils estoient en differend entre eux à qui auroit
tous les reuenus du Roy en party, afin d’en
pouuoir faire comme de leur propre : mais qui
veut auoir l’honneur d’en ioüyr, il faut qu’il s’accomode
auc Messieurs les Ministres, & celuy
qui leur fait la meilleur part, est receu à imposer
de la part du Roy sur les peuples, ce que bon
leur semble. Et apres cela, l’on doit souffrir des
Partisans & des Ministres d’Estat en France ?
Sommes nous Chrestiens, sommes nous François,
d’endurer de ces infames Tyrans, ce que les

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Captifs du grand Seigneur ne voudroient paendurer
de leur maistre ?

 

Dans tout l’Vniuers, il ne se parle que de l’opprobre
& de l’ignominie des peuples François,
de souffrir que des Partisans fassent ce quil leur
plaist, & qu’ils les traitẽt encore pis que les Barbares
ne traitent pas leurs esclaues. Cela n’est-il
pas prodigieux, d’entendre dire que des gueux
qui sont venus à Paris auec des sabots, & que des
fils de certains Chandeliers, Charpentiers &
Maçons, soient en possession des charges les
plus lucratiues de l’Estat, des plus belles maisons
qui sont à l’entour de Paris, qu’ils ayent
moyen de donner des milions d’or à leurs enfans,
& qu’ils ayent par leurs voleries & par leurs
peculats, reduits tous les Rois de France à leur
emprunter auec vne vsure incroyable, dequoy
suruenir à leurs affaires. Il faut que ces gens-là
ayent bien volé puis qu’ils ont fait des prets au
Roy de certaines sommes immences desquel-
ils tirent tous les ans vn incroyable profit, &
qu’ils offrent encore plus à sa Maiesté de luy entretenir
cinquante mil hommes de pied effectifs
à raison de dix mõstres par an, & quinze mil cheuaux
à raison de huict monstres chaque année :
vingt galeres, & vingt grands vaisseaux ronds :
équipage d’artillerie, apointement d’Officiers,
solde des garnisons, morte-paye & le reste, & de
luy mettre encore six ou sept millions de reserue

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tous les ans dans ses coffres.

 

Voyez donc apres cela, s’il n’y auoit point de
Partisans, si toutes ces sommes immences ne seroient
pas dans les coffres de sa Maiesté, ou dans
les bources particulieres de tous les peuples de
Frances ? voyez si ces gens-là sont riches que de
volleries qu’ils ont faites au Roy & au public ;
& voyez si on les doit souffrir dans vne Monarchie,
puis qu’ils ne trauaillent qu’à la ruine du
Prince & du peuple. Ce sont des gens inconsiderement
esleuez par la tolerance des Souuerains
au plus haut faiste de la fortune, & pour ne
pas bien prendre garde à leurs allechemens, ils
leur font soubsigner des Ordonnances qui ne
vont qu’à l’entier ruine de tout le monde. Et certes
il vaut donc bien mieux perdre ces Tyrans,
que de souffrir que ce Tyrans nous perdent.

QVESTION XXII.

Sçauoir si les trois Estats ont droit de se mesler
des affaires du monde.

IL n’y a que les Loix & les Coustumes qui puissent
bien faire subsister les Royaumes ; c’est
pourquoy il est tres raisonnable de les obseruer
quand la necessité le requiert, pour mettre ordre
aux affaires de la Couronne. La France n’a iamais
esté si accablée de desordres qu’elle est à

-- 27 --

present, & lors qu’elle l’a esté, elle n’a iamais sceu
trouuer vn remede plus asseuré que celuy de
conuoquer les trois Estats pour se deliurer de
toute sorte de tirannies. Nos anciens Rois auoient
accoustumé de les appeler souuent à
leurs secours dans les plus importantes affaires
de ce Royaume. Et certes auec grande raison,
car puis que tous les peuples de France, grands
& petits, sont compris dans ces trois corps, &
qu’ils ont tous generallement interest en sa cause,
il est bien iuste qu’ils se meslent des affaires du
Prince, puis qu’il y va de leur bien & de leur vie.

 

Cette façon de gouuerner les affaires des anciens
François, n’est pas nouuelle parmy nous,
ny contraire à l’authorité Royale, puis qu’ils s’en
seruoient auant que iamais les Romains missent
les pieds dans leurs pais, & mesmes depuis qu’ils
ont eu des Rois iusques à present, sans beaucoup
d’intermise, puis que les Grecs la nommoient
Celtaram & Gallorum omnium conuentus aut concilium.
Les Rois ne sçauroient iamais faillir en conduisant
les affaires de l’Estat par l’aduis d’vne si celebre
assemblée, qui est ce qu’on appelloit autrefois
parlement, dont le nom en est demeuré
aux assemblées qui se font pour les Audiences
priuées & particulieres. Aussi n’a partient-il
qu’aux trois Estats, ou bien à leur deffaut, à cet
Auguste Parlement de Paris, comme estant vne

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partie de cet Illustre Assemblée, de prendre le
soing & le gouuernement des affaires de France,
puis qu’il y va de l’interest de la Couronne,
de nos biens & de nostre vie, & non pas à des
Estrangers & à des exclaues de la fortune, issus
de la lie du peuple.

 

C’est dans des assemblées comme celles-là,
où chacun ayant proposé ce qui peut seruir à la
reformation des desordres de l’Estat que le Roy
pour l’amour naturel qu’il porte, ou du moins
qu’il doit porter à ses subjets, ordonne pour se
conseruer la qualité de pere de la patrie, de toutes
les choses qui sont necessaires à ses peuples,
ne pouuant pas aller quand il le voudroit, contre
toutes les puissances de son Empire.

Quand les tyrans se sont rendus maistres des
affaires, & qu’ils se portent à surcharger les peuples
d’vn nombre infiny de subsides insupportables,
& que les peuples ne pouuans souffrir des
vexations si outrageuses, sont sur les termes de se
reuolter contre celuy qui les oppresse qui sont
ceux qui ont droict de pouuoir mieux faire l’office
de Mediateurs entre les tyrans & les tyrannisez,
que ceux qui ont toutes les forces de l’Estat
à leur deuotion, & qui ont l’authorité d’imposer
vn silence éternel, & aux vns & aux autres.
Au contraire, si le Roy est contraint par la necessité
de ses affaires de demander quelque assistance

-- 29 --

à ses subjets par quelle entremise est-ce
qu’il le peut mieux faire que par celle de ceux
qui tiennent les cœurs de tous les peuples ? Si
les François veulent faire des remonstrances
au Roy, qui soient dignement appuyées, qui
est-ce qui les peut mieux faire, & les mieux dignement
appuyer que ceux qui peuuent tout
ce qui est raisonnable de vouloir dans vn Empire ?
Si ceux qui se sont emparez de l’authorité
Royale, & qui ne se soucient pas si la bourse du
Roy est vuide, pourueu que la leur soit pleine,
desirent de tourner les forces du Roy contre
les peuples, en haine de ce qu’ils ne se sont pas
voulus absolument soubmettre à toutes leurs
tyrannies, qui est ce qui peut mieux resister à
toutes les puissances de l’Estat que ceux qui en
sont les maistres ? Si vn nombre infiny de mécontans
cherchẽt tous les iours le moyen d’alterer
la seureté de l’Estat, afin de susciter tous
les peuples à faire vne sedition generale ainsi
qu’on fait auiourd’huy, qui sont ceux qui peuuent
mieux destourner des mal-heurs si pernicieux
à l’Estat, que la conuocation des trois
Estats de cette Couronne ? S’il se trouue vn tyran
qui veüille vsurper le Royaume à sa Maiesté,
qui peut mieux destourner ce parricide
attentat, que ceux en qui consistent toutes les
forces de son Empire ? Enfin, si le Roy n’est

-- 30 --

pas obey, qui le peut mieux faire obeïr, que
ceux qui sont maistres de l’obeïssance.

 

C’est pourquoy pour empescher des desordres
de cette importance, il est tres-necessaire
que les Estats se meslent des affaires du
Prince, veu qu’il n’y a personne en France qui
les puisse mieux appuyer, ny qui les puisse remettre
si tost dans la bonne voye. François
II. & plusieurs autres Roys nous ont laissé des
merueilleux exemples de l’approbation qu’ils
faisoient de cette politique, & de la veneration
qu’ils auoient pour les assemblées des trois
Estats, puis qu’ils ne declaroient iamais la
guerre à qui que ce fut, & qu’ils ne traittoient
iamais d’aucune affaire importante que par
leur Ministere. C’est vne chose tres-necessaire
au Prince, de ne iamais rien entreprendre de
considerable sans l’aduis des trois Estats, parce
qu’il en est bien plus fort, mieux seruy, plus appuyez
de leurs subjets, & plus redoutables aux
ennemis de son Empire. Iamais la diuision ne
se sçauroit mettre dans vne Monarchie, quand
les trois Estats disposent des affaires, attendu
qu’en disposant des affaires, ils disposent du
cœur des peuples.

Louys XI. voulant recommencer la guerre
contre le Duc de Bourgogne, fit tenir les trois
Estats à Tours, au mois de Mars & au mois

-- 31 --

d’Auril de l’année mil quatre cens soixante &
dix, où il y auoit plusieurs gens de Iustice, tant
du Parlement que d’ailleurs, & là il y fut conclu
que ledit Duc seroit adiourné à comparoir
au Parlement de Paris, ce qui fut fait par vn
Huissier en la ville de Gand, comme il alloit à
la Messe Voila qui nous apprend bien que les
trois Estats & les Parlemens ont droict de se
mesler des affaires du Prince : ce qui est conforme
par l’ancien vsage du Royaume, & par
la Politique des Romains, apud quos belium de
cernere non licuit, nisi Comitis populi centuriatis, id
est, maximis, parce que, si quis pacem, vel bellum
fecerit priuatim sine publico scito, capital esté.

 

En l’an mil cinq cens vingt-six, il fut fait vn
traité dans Madrid entre Charles Quint Empereur,
& François I. Roy de France, son prisonnier,
où il estoit porté que les ostages qu’on
laisseroit en Espagne, qui estoient les deux fils
aisnez du Roy, auec quantité des plus grands
Seigneurs du Royaume demeureroient aupres
de l’Empereur, iusques à ce que le Roy eut fait
approuuer & ratifier ce traité de paix qu’ils
auoient fait ensemble aux Estats generaux de
France. Ce qui nous le fait bien voir, aussi
bien que tout ce que nous auons desia dit que
les trois Estats ont droict de se mesler des affaires
du Prince, puis que le Prince luy mesme ne

-- 32 --

veut pas faire ceux où il y va de son honneur &
de sa liberté, & du salut de tout l’Estat, sans
qu’ils soient approuuez des trois Estats generaux
de son Royaume.

 

QVESTION XXIII.

Sçauoir si les trois Estats ont droit de remedier
aux desordres du Royaume,
sans y estre appellez.

Les trios Estats sont composez du Clergé,
de la Noblesse, & du Peuple. Et dans ces
trois Corps tout le monde du Royaume y est
compris, si bien que quand on demande si les
trois Estats ont droict de remedier aux desordres
du Royaume sans y estre appellez, c’est
me demander si toute la France a droict de remedier
aux desordres où elle est sans s’y appeller
elle mesme, attendu qu’apres les trois Estats
il n’y reste plus personne. Et puis qu’il n’y peut
auoir de desordres dans l’Estat qui ne s’addressent
à eux, il est bien iuste qu’ils taschent d’y
remedier, sans attendre qu’on les y appelle,
veu qu’il n’y reste qui que ce soit que ceux qui
les persecurent, qui sont des partis estrangers,
ou des membres pourris, qui par leur pernicieuse

-- 33 --

volonté se sont se parez du reste, & qui
seroient bien maris qu’ils y fussent appellez,
pour s’opposer aux pernicieuses intentions qu’ils
ont conceuës, & contre le Prince & contre le
peuple.

 

Quand les malheurs nous attaquent de toutes
parts ; & que le bas aage du Roy fait que personne
n’y peut appliquer vn veritable remede
que nous mesmes, il me semble qu’il est bien plus
iuste que nous preniõs la liberté d’y remedier,
que d’attendre laschement qu’on nous assubiettisse
le reste de nos iours en vne estrange Tyrannie :
Chacun est obligé de songer à son salut, &
la grace que Dieu nous fait de nous en donner
les moyens, nous accuseroit vn iour de ne l’auoir
pas fait cependant que nous le pouuions
faire. Outre que quand le Roy seroit obsedé iusques
au point de vouloir la perte de l’Estat, cõme
fit Charles VI. qui donnant Cetherine sa fille
en mariage au Roy d’Angleterre, luy dõna pareillement
aussi le Royaume, au preiudice de son
fils, qui estoit le veritable & legitime successeur
de la Couronne, les Estats ont droit de s’y opposer
& de remedier aux desordres qui en arriuent,
sans attendre qu’on les y appelle. Les
François ne se sçauroient assubiettir qu’à leurs
legitimes Souuerains, ny souffrir qu’vn vsurpateur
de l’authorité Royale les vienne tyranniser

-- 34 --

sans s’opposer à leurs tyrannies. La nature &
les loix de l’Estat leur donnent ces droits, &
veulent qu’ils s’assemblent pour cela, sans attendre
qu’on les y appelle. Le Clergé doit de
tout son cœur empescher qu’il ne se passe rien
dans l’Estat, ny contre l’honneur ny contre la
gloire de Dieu : La Noblesse doit auoir tousiours
les armes à la main pour conseruer la liberté
du Roy & le bien de l’Estat, & le salut du
peuple : Et le peuple est obligé de prester main
forte & aux vns & aux autres pour l’execution
de leur ordre.

 

Quand Edoüard Roy d’Angleterre disputoit
le gouuernement de la Reine Ieanne que Charles
le Bel auoit laissé grosse en mourant, & mesme
le Royaume apres que la Reyne ne se fut
accouchée que d’vne fille, comme estant le plus
proche heritier de la Couronne ; les trois Estats
quoy qu’il n’y eut pas encore de Roy pour les
conuoquer, ne s’assemblerent ils pas eux mesmes
pour ordonner du Royaume, & pour iuger
à qui il deuoit estre donné. Sur lequel different
il fut arresté que Philippe de Vallois seroit
gouuerneur de la Reine, à cause de la loy
Salique. Ce qui fut tellement obserué, que ledit
Philippe de Vallois, au lieu de Regent, fut
declaré Roy, apres que la Reyne Ieanne se fut
accouchée.

-- 35 --

Charles VI. ne fut il pas declaré Maieur &
Couronné Roy auant les 14. ans accomplis, par
les trois Estats, quoy que Charles V. son pere
l’eut expressement deffendu, par vne ordonnance
testamentaire ?

Apres la mort de Louis onziesme, les Estats
ne s’assemblerent-ils pas à Tours, où il fut arresté
que madame Anne de France auroit le
gouuernement du Roy Charles VIII. fils du
Roy defunct, & que les Princes & les plus grands
Seigneurs du Royaume gouuerneroient les affaires
de France, quoy que Monsieur Louis Duc
d’Orleans en eut demandé la conduitte, comme
estant le plus proche heritier de la Couronne.

Montluc Euesque de Valance, en la Harangue
qu’il fit à François II. dit qu’à moins de
conuoquer les Estats, il estoit impossible de
pouuoir bien remedier aux desordres du Royaume.

Nos anciens Rois, en vertu de la loy Salique,
ont torclos tous les Estrangers de la succession
de la Couronne, & de la tutelle de nos
Rois, quelques testamens qu’ils pussent faire à
ce contraires ; & en cas qu’il suruint quelque
differant là dessus, ils ont voulu que les trois
Estats du Royaume fussent conuoquez incontinent
apres le deceds du Roy, pour faire valoir

-- 36 --

& tenir leur volonté enuers tous & contre tous,
selon le pouuoir qu’ils leurs en ont donné par
leurs ordonnances.

 

Si-tost que le Roi François II. fut mort, les
Estats s’assemblerent à Orleans, où il fut dit
que le Roy de Nauarre seroit Gouuerneur, &
que les Princes du Sang le Connestable, l’Admiral,
& plusieurs autres Seigneurs seruiroient
de Conseil au Roi, & gouuerneroient les affaires
du Royaume : & que les Ecclesiastiques,
qui y auoient esté auparauant appellez par le
Roi defunct, seroient reuuoyez à leurs charges,
pour y resider selon les constitutions Canoniques.

En l’an mil cinq cens soixante & vn, & le premier
iour du mois d’Aoust, au commencement
du Regne de Charles XI. les Estats furent tenus
à Ponthoise, où ils ils auoient esté assignez
depuis la fin de l’année precedente, & où les
cahiers desdits Estats furent dressez par les Deputez
des Gouuernemens, afin de les porter à
consentir à l’accord qui s’estoit passé entre la
Reine Mere & le Roi de Nauarre pour ce qui
estoit du Gouuernement. Et mesme pour les
y faire consentir, il fut necessaire que le sieur
du Mortier y allast de la part du Roy & de la
Reine : que l’Admiral de France y retournast
encore de leur part, & finalement il falut que

-- 37 --

le Roi de Nauarre y fut lui mesmes y emploier
tout son credit ; parce qu’il y en eut beaucoup
qui soustenoient que depuis que le Roy Sainct
Louis auoit renouuellé la loy Salique, on n’auoit
pint donné l’administration des affaires de
France, à pas vne Reine : mais que ceux à qui
l’affaire importoit le plus y consentoient, qu’il
faloit esprouuer quel en seroit l’éuenement. Et
de fait, ils ne donnerent pas leur consentement
à cela, sans protester contre eux de leur procedure ;
laquelle protestation ils furent presenter
en la grande Salle de S. Germain en Laye,
où l’assemblée desdits Estats fut faite.

 

Henry II. fut bien contraint de les conuoquer
au commencement de l’année 1558. dans
la grande Salle du Palais, pour faire vne leuée de
deniers en forme de prest sur tous ces peuples ;
où le Roy proposa luy mesme la necessité de ses
affaires ; & où le Cardinal de Lorraine porta la
parole pour le Clergé : Le Duc de Neuers pour
la Noblesse, le President Saint André pour la Iustice ;
& le Sieur du Mortier pour le peuple, où
chacun fit offres au Roy, du bien & de la vie de
ceux en faueur de qui ils faisoit leur harangue.

La negligence de les conuoquer, cause ordinairement
des grands desordres dans l’Estat, en
premier lieu le Roy n’en est pas si bien obey, qui
est vn des plus grands malheurs qui puisse arriuer

-- 38 --

à la Maiesté du Prince. De là on vient au
mespris des loix du Souuerain, & finalement à
la desobeissance : car si le peuple n’est pas escouté,
& qu’on ne luy rende pas iustice, il vient à
perdre peu à peu l’esperance d’estre soulagé, &
en suitte à se tirer de la soubmission qu’il doit à
son Monarque, sans reuerer ny le commandement
du Roy, ny l’authorité de la iustice. Au
contraire il se resout au pis qu’il en peut arriuer,
faisant vne ferme resolution de se consacrer plustost
à la mort qu’à la tirannie.

 

D’ailleurs les mal-contens, voyans les peuples
mal edifiez, trauaillent à l’aigrir encore d’auantage,
accusant les Ministres & les Regens, s’il
y en a, de tous les desordres du Royaume, qu’ils
disent estre mal cõduit, & sous pretexte de quelque
occasion qui semble auoir quelque apparence
de verité, fait quelque fois que le pauure
peuple qui ne sçait pas la verité des affaires, donne
librement sa creance à toutes les choses qu’õ
luy persuade. Cest pourquoy ceux qui n’a prouuent
pas les Estats, parlent plus pour leur interest,
que pour l’interest du Prince & du peuple.
Ce sont ceux qui veulent gouuerner tous les affaires
du Royaume à leur mode ; ou qui sont bien
aise d’auoir l’authorité de troubler l’Estat quand
il leur plaist pour pecher en eau trouble. Car de
croire que de si grandes assemblées, qui font

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tout le corps de la Monarchie, & qui ont tant
d’interest au bien de l’Estat, soient à craindre,
cela n’est croyable qu’aux Tyrans & aux seditieux,
& non pas à ceux qui desirent viure dans
vne felicité publique. C’est pourquoy, voyez
apres cela, si les trois Estats ne sont pas necessaires
à l’Estat, & s’ils n’ont pas droit de remedier
à ses desordres, quand les Rois & les
Princes n’y veulent pas mettre remede.

 

FIN.

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Anonyme [1652 [?]], QVATRIESME PARTIE DV POLITIQVE VNIVERSEL, OV BRIEVE ET ABSOLVE DECISION de toutes les Questions d’Estat les plus importantes. SCAVOIR EST, XVIII. Si les Tyrans du peuple & de l’Authorité Royale; auec leurs Partizans peuuent estre sauuez. XIX. Si les heritiers de ces sangsuës publiques peuuent estre sauuez, sans restituer les voleries que leurs predecesseurs leur ont laissées. XX. Si la restitution peut estre bonne, n’estant pas faire à ceux à qui la chose appartient. XXI. Si l’on doit souffrir des Partizans dans vn Estat. XXII. Si les trois Estats ont droit de se mesler des affaires du Prince. XXIII. Si les trois Estats ont droict de remedier aux desordres du Royaume. , françaisRéférence RIM : M0_2818. Cote locale : B_17_33.