Anonyme [1649], L’OMBRE DV GRAND ARMAND CARDINAL DVC DE RICHELIEV, PARLANTE A IVLES MAZARIN. , françaisRéférence RIM : M0_2593. Cote locale : A_6_45.
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L’OMBRE
DV GRAND
ARMAND
CARDINAL
DVC
DE RICHELIEV,
PARLANTE A IVLES
MAZARIN.

A PARIS,
Chez FRANÇOIS NOEL, ruë Sainct Iacques, aux
Colomnes d’Hercules

M. DC. XLIX.

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L’OMBRE DV GRAND ARMAND
Cardinal Duc de Richelieu, parlante à Iules Mazarin.

C’EST vn des Attributs de la gloire infinie dont ie ioüis
auec les Esprits bien-heureux, de voir toutes les choses
du monde distinctement d’vn seul regard, & sans confusion,
non pas seulement les passées, & les presentes
mais aussi celles qui seront iusques à la consommation
des siecles.

Le grand Dieu que nous adorons, & auquel nous sommes vnis par
vn lien d’amour indissoluble, ne nous a rien caché que le seul iour du
iugement dernier : & pour ce secret, qu’il ne nous a pas voulu reueler,
nous ne souffrons point de diminution de felicité, hors laquelle connoissance,
& voyans Dieu face à face, nous voyons en luy toutes ses
idées, qui dans son essence diuine, ne sont point differentes de luy-mesme.
S’il y a de la distinction entre elles, c’est lors que nous les
considerons comme hors de cette diuine Essence, qui nous comblant
de sa lumiere, nous les fait connoistre iusques à la moindre circonstance,
& nous porte encore par cette voye en l’admiration de son
immense grandeur.

Ce discours que ie vous fais, mon trop indigne successeur, surpasse
les forces de vostre esprit, qui s’appliquoit autrefois aupres de
moy, plustost à la Politique de l’Estat, dont vous renuersez auiourd’huy
les maximes, & les fondemens, qu’à la contemplation de vostre
derniere fin. C’est pourquoy le moindre de vos soins est de seruir
Dieu, & la Religion, dont le zele m’a tousiours esté fort cher,
durant que i’ay agi comme Ministre de la France, à laquelle i’ay laissé
les moyens, non pas seulement de conquerir toute la terre : mais
aussi ceux de posseder encore l’Empire du Ciel, dont i’ay commencé
de monstrer le chemin par mon Catechisme, & dont l’on trouuera
la fin dans mon Liure de la Perfection du Chrestien.

La contrarieté de nos inclinations vous a diuerty de la voye où
i’auois entrepris de vous guider, & i’auois pensé que vous souuenant
de vostre naissãce, il suffiroit de vous eleuer au Cardinalat, & de vous

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faire tres-riche : & qu’ainsi ayant borné vostre ambition, & satisfait
à vostre auarice, vous trauailleriez pour la grandeur de l’Estat, pour la
paix le repos, & le salut des peuples, & pour l’extirpation de l’Heresie.
Mais vostre insatiable cupidité s’est accreuë par le pouuoir que vous
auez eu sur les tresors du Royaume : en quoy vous imitez le feu qui
s’augmente à mesure qu’il trouue plus de matiere pour brusler ; &
ainsi ce grand amas de richesses, que vous vous estes iniustement
acquises, vous a fait monter iusques à l’insolence, & au point mesme
de vouloir estre Maistre souuerain, au lieu de vous contenter de la
qualité de Ministre.

 

Vous deuiez prendre exemple sur ma fortune, & sur ma conduite,
qui ont (ce mesemble) laissé à la posterité les modeles pour former,
& perfectionner mesme les actions d’vn vray, d’vn iuste, & d’vn fidele
Ministre d’Estat. Si vous auiez consideré, que si quatre à cinq
millions, que i’ay laissez tout au plus à mes heritiers, ont bien esté capables
d’émouuoir contre moy l’enuie de plusieurs François combien
que vingt-deux ans de seruice eussent bien deu m’en exempter ;
puis qu’on ne murmuroit point contre tel Partisan de quinze ans qui
en a laissé deux fois dauãtage Vous, qui estes vn estrãger, n’eussiez pas
creu pouuoir dérober à la France en quatre ans, quatre fois plus que ie
ne possedois à ma mort, sans attirer au mesme temps, sur vous l’indignation
des defenseurs de la Monarchie, & la plainte, & en suitte la
fureur des peuples ?

Quel soin auez vous iamais eu de recompenser la Vertu, & de secourir
les pauures ? Nommez-nous quelques personnes indigentes &
de merite à qui vous ayez departy des bien faits secrets, ou que vous
ayez eleuées par cette seule consideration ? Auez vous comme moy
fait florir les Lettres ? Auez vous, comme i’ay fait, eleué à la Prelature
plusieurs personnes de doctrine, qui d’Euesques que ie les ay fait
deuenir, n’estoient que de simples Prestres, grands Predicateurs à la
Verité mais qui n’estoient pourueus d’aucuns Benefices pour faire valoir
leur merite ? Auez-vous iamais eû la pensée de former, comme
moy, vne illustre Academie, & faire vn fonds pour donner des
pensions à tous les bons esprits qui la cõposoient ? Vostre inclination
ne vous porte pas à de si belles choses ; les mediocres vous plaisent
mieux ; & vous aimez dauantage le jeu & les desbauches, que vous
ne vous plaisez à mettre les pauures vertueux à l’abry de la necessité ;
Demandez à de telles gens qui sont venus à ma connoissance, auec

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quel soin i’ay tasché de les assister à mon possible ; Combien de
Gentilshommes incommodez ont ils receu de marques de ma
liberalité, sans me les auoir demandées ? Employez-vous, comme
ie faisois, les reuenus des biens de l’Eglise à l’entretien de
quatre cens Missionnaires, qui combattoient incessamment l’Heresie
par le glaine de l’Euangile, ou qui s’instruisoient par mes ordres
à la milice de l’Eglise ? Donnez-vous la subsistance à de pauures
Maisons religieuses, comme moy ? Auez-vous releué les
Temples, & leurs Autels, à la gloire du Tres haut ? Auez vous
ressuscité les fondemens des Seminaires sacrez des Docteurs de
l’Eglise ? C’estoit à ces choses là, seigneur Iules, qu’estoient employez
les reuenus de mes Benefices, sans que iamais i’en aye
vsé autrement, depuis que les liberalitez magnifiques du Roy
m’eurent donné les moyens de me passer du bien d’Eglise Mais
vous, ô mon inconsidere successeur ! quelles preuues nous donnerez
vous de vostre pieté, ou de vostre e[3 lettres ill.]dition ? Mais bien
plustost quels scandales vostre imprudence, ne fait elle pas contre
la pieté mesme : puis qu’on n’est plus estimé innocent dés
qu’on sçait que l’on a quelque confidence auec vous ?

 

Vous me repartirez, peut estre que i’auois auprés de moy plusieurs
personnes qui sont encore à vostre suitte. Il est vray que les
mesmes bouffons qui sont dans vostre cabinet, pouuoient quelquefois
entrer dans le mien. Ma Politique le permettoit pour me
garder de leur médisance, & i’aimois mieux souffrir leurs plaisanteries
& matassinades, que de m’exposer à leur calomnie.
Mais vous ne trouuerez pas que ie les aye admis en mes conseils
secrets, comme vous auez fait. Ie ne considerois ces hommes
que comme des personnages de Comedies, & non pas comme
des Sages, pour ce que ie connoissois la portée de leurs esprits,
& vous l’auez desia connu à vostre propre dommage, quand
vous vous estes laisse persuader par ces Pantalons (que vous
pourrez bien mener auec vous à Venise) qu’il faloit abbatre l’authorité
da Parlement de Paris, & mal traitter indignement ses
Officiers : & puis que vous estes comme Regent, vous pouuiez
bien les traiter en Escoliers.

Ce n’a pourtant pas esté par leur aduis (Messer Iules) que pour
vous rendre Maistre de la personne du Roy, vous auez cassé sa

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garde de Mousquetaires à cheual : car s’ils eussent con nu ce dessein,
ils n’eussent pas manqué de le deceler. Vous leur distes bien
que la dépense en estoit inutile. Et sur ce pretexte sordide, vous
ostâtes au Roy cette seureté incorruptible, & qui sans comparaison,
estoit plus necessaire à vn Roy mineur, qu’elle n’estoit au
feu Roy son Pere, qui l’auoit establie par mon conseil. En effet,
comme vous estes naturellement si vilain, & auare, que les bienfaits
que l’on reçoit de vous, sont à vostre aduis, comme autant
d’exactions qu’on vous fait, les sots pouuoient croire que c’estoit
par bon mesnage que vous retranchiez l’entretien de ces
Gardes : mais les Sages virent bien que le Chef vous en déplaisoit,
pour ce qu’il estoit trop genereux, pour ne s’opposer pas à
vos pernicieux desseins, quand il vous prendroit enuie de les
executer. Vous sçauiez bien que ce petit Corps, dont la dépense
n’eust pas cousté en dix ans, ce que vos escuries, vos ballets, &
vos flateurs ont consommé en moins de trois, estoit remply de
Gentilshommes courageux, bien vnis, & que le feu Roy estimoit
comme autant de Capitaines, & vous estiez bien informé, qu’estans
proches de la personne de sa Maiesté, ils eussent genereusement
empesché le rapt que vous en auez fait desia plusieurs
fois, apres auoir enleué l’esprit de la Reyne, par vos industries
captieuses, & remplies d’imposture & de calomnie. Vous estes
poltron, deffiant & traistre, de sorte que quand vous n’adiousteriez
pas le mensonge à ces qualitez qui vous sont toutes naturelles
(grands defauts, dont i’ay tousiours esté exempt) vous feriez
tant de faux pas, qu’à la fin vous y perirez, si vous n’y preuoyiez
de bonne heure. Mais afin que vous puissiez les employer
vtilement pour vous sauuer du peril où ie vous voy. Ne
vous fiez plus aux flateurs qui vous retiennent, ny à vostre presomption,
& apres auoir derobé le bien de la France, dérobez-vous
d’elle secrettement, & au plustost, si vous estes sage ; & si
vous estes homme de probité, ie vous conseille de restituer.

 

Il ne faut pas que vous vous estonniez si ie vous reproche vos
trahisons, pour quoy rebutâtes-vous en l’an 1644. vne personne
de qualité, auec qui i’auois moy-mesme negocié, par des lettres
escrites de ma main, & par personnes interposées, pour la
reduction du Royaume de Naples, & sa reünion à la Couronne

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de France ? Direz-vous point encore, comme vous auez desia
fait, par vne fourberie autant impertinente que fausse, que vous
craigniez, que ce Seigneur venu de quatre cens lieuës, sur la foy
de mes dépesches qu’il vous monstra, aussi bien que celles des
sieurs de Chauigny & de la Barde, ne vous assassinast, & que vous
auiez receu vn aduis d’Italie, qu’il estoit venu en France vne personne
de ce pays-là pour vous poignarder ?

 

Mes lettres, celles d’vn Secretaire d’Estat, & du sieur de la
Barde, qu’il vous fit voir, deuoient-elles point dissiper cette terreur
Panique ? mais qui plus est, ne sçauiez-vous pas cette negociation ?
& supposé que vous eussiez eu quelque suiet de soupçon,
ne pouuiez-vous pas negocier auec luy par l’entremise du sieur
de Chauigny, ou de quelque autre personne secrete, & fidele à
sa Maiesté, & mettre par cette voye vostre vie hors du peril, &
faire mesme punir l’assassin, si l’aduis se fust trouné veritable ? Deuiez
vous le laisser huit mois entiers à Paris sans conferer auec
luy, soit par vous, ou par personne de creance ?

Vostre soupçon mal imaginé est vne excuse si grossiere qu’elle
est indigne d’vn esprit Italien, & qui fait gloire en soy mesme
de surpasser en fourberie les plus dissimulez. On sçait bien que
vostre ame Espagnole, aussi bien que vostre naissance, a voulu
étouffer cette haute entreprise, qui estoit glorieuse à l’Estat & infaillible
dans la suite, selon le cours de la prudence humaine : &
ce fut à la mesme fin que quand ce Seigneur qui vous estimoit
bon seruiteur du Roy vous auertit que. N. (qu’il ne connoissoit
pas pour vostre Banquier (payoit en France les pensions d’Espagne,
& que la prouision luy en venoit d’Allemagne ; ce fut dis-je,
à ce dessein que vous fustes tout sur pris de cet aduertissement que
vous sçauiez estre trop veritable, vous esloignâtes ce Seigneur,
& l’abusastes d’abord de vaines esperances, n’osans pas tout à
coup luy donner à connoistre que vous estiez de la faction d’Espagne.
Apres l’auoir tenu six semaines en suspens, vous luy fistes
dire par le Comte de Briene qu’il se retirast, en quoy vous
trompastes l’esprit de ce Secretaire d’Estat, qui passoit vos tromperies
illusoires, pour des veritez constantes, qu’il n’osoit pas
vous contredire, combien que son sens y repugnât. Quelque excuse
que vous puissiez prendre pour obscurcir cette lumiere, la

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verité que ie dis, & qui sera tousiours la plus forte, vous conuainct
de trahison à la France, ou bien elle vous doit faire chasser du
Ministere comme negligent & incapable. Car puis que ce Seigneur,
enuoyé par les Grands du Royaume, venoit reprendre la
trace qu’il auoit commencée auec moy, & puis qu’il s’offroit de
vous faire voir clairement que N. payoit les pensions d’Espagne,
pourquoy ne parliez-vous pas de cette affaire au Conseil,
ou aux Princes, qui n’en ont iamais rien sceu ? Et pour quelle raison
n’esclaircissiez vous pas cet aduertissement ? Les propositions
estant auantageuses, ne faloit-il pas y entendre, & l’aduis
estant important, ne faloit il pas du moins en approfondir la verité ?
Vous n’auiez garde de choquer le Roy d’Espagne, & vous
ne pouuiez pas vous resoudre de mettre ésmains de la Iustice celuy
qui estoit complice de vostre peculat, & qui a transporté en
Italie tant de millions, en si belles especes d’or, qui par mes soins
ont esté si bien reformées.

 

I’adiouste à cela que la trahison faite à Naples sur la personne
du Duc de Guise, est vn ouurage de vostre esprit, & que le traistre
ayant appellé pour garant vne personne qui receuoit vos ordres
en Italie, n’a-t’il pas confirmé par ce moyen cette malheureuse
verite ?

Auez vous iamais veu que i’aye refusé de parler à tous ceux qui
desiroient m’entretenir des affaires d’Estat, voire mesme des
affaires priuées ? Ie suis certain que ie ne refusay iamais d’audience
à qui me l’a demandée. Les propositions, impertinentes
mesmes, m’ont donné quelquefois suiet de m’égayer : mais
ie n’ay iamais esté inciuil à ce point d’en prendre auantage en
la presence de ceux qui se rendoient ridicules. Ie puis dire que
cette facilité a souuent rencontré des aduis d’importance dans
la bouche de personnes qui connoissans vostre impertinente
grauité, vous considerent comme vn ambitieux ignorant,
grand fourbe, & incapable de la place où vous estes mis. Il faut
qu’vn Ministre d’Estat soit courtois, affable, liberal, humble,
& homme de vertu & de foy. Tout le contraire de ces qualitez
que i’ay possedées, & qui m’ont acquis apres ma mort
l’estime que la calomnie enuieuse m’auoit voulu rauir durant
ma vie, est proprement le racourcy de vostre inclination, qui

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ne trouuera pour sectateurs, que ceux que vous auez attachez
à vos interests, à la faueur de l’authorité de la Reyne, à qui
vous auez persuadé qu’en vous abaissant c’estoit choquer sa
puissance & mespriser ses volontez.

 

Il faut que ie vous auouë sans flaterie, que ie n’eusse iamais
esté capable d’vne pensée si ridicule aux estrangers & pernicieuse
pour nous, comme a esté celle d’enleuer le Roy en pleine
nuit : & mander en suite aux Bourgeois de Paris qu’aucuns esprits
seditieux du Parlement auoient correspondance auec les
ennemis de l’Estat, & qu’ils auoient obligé leurs Maiestez à
cette retraite.

Dites moy pauure imprudent, n’auez vous pas veu que cette
imposture estoit aussi grossiere que fausse, & que c’estoit indignement
offencer l’authorité & la grandeur de sa Maiesté
Royale, de la faire fuir de Paris, quand bien il y auroit eû
(ce qui est faux) des esprits seditieux dans son Parlement ; &
d’auoir fait faire au Roy ce qu’vn simple Bourgeois auroit eû
honte de faire, ayant vingt amis pour se deffendre ?

Si cét aduis estoit veritable, pourquoy sa Majesté n’enuoyoit-elle
pas ordre à son Parlement de se saisir des personnes des
accusez, & pourquoy n’enuoyer pas aussi les accusateurs auec
bonne garde, pour faire le procez aux vns ou aux autres ? Alors
si le Parlement en eût fait refus, il eût esté coulpable & complice
de cette coniuration contre la personne sacrée de sa
Maiesté.

En vain ie m’arresterois à dissiper vne fourbe si manifeste, il
me suffit de vous dire que vous estes vn lasche & tres pernicieux
Ministre d’Estat.

Si les poulets d’Inde qui estoient à Ruel au temps des Barricades
premieres, pouuoient parler ? il vous reprocheroient
vos coyonneries & vos laschetez ; puis qu’vn Renard ou quelque
autreb este les ayant fait vne nuit partir & voler d’effroy
dans le parc ; vous en eustes vne si forte alarme qu’à peine
on pût vous rasseurer. Au fonds, ne voyez vous pas l’auersion
que toute la France a conceuë contre vous, & cela estant, &
puis qu’elle la met en trouble, si vous estiez genereux & bon

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Ministre d’Estat, ne deuriez vous pas preferer la tranquilité
publique à vos propres interrests, & vous laisser ployer à ce
torrent qui vous emportera si vous y resistez. Vostre esprit est
bien esloigné de la generosité de ce Cheualier Romain, qui
ay ma mieux sacrifier sa vie à sa patrie pour fermer le precipice
qui s’estoit ouuert dans Rome que de la voir affligée d’vn accident
qui pouuoit estre finy par l’engloutissement d’vn simple
criminel.

 

Or puis que vous n’estes ny Sage, ny Fidele, ny affectionné à
la France : ie preuoy que vous serez chassé auec honte, de la
place que i’ay glorieusement occupée, si de vous mesme vous
ne vous euadez comme ie vous l’ay dit n’aguere. Lé meilleur
aduis que ie puisse vous donner, est de vous retirer & au plustost
sans attendre la fureur du Normand. Par ce moyen qui
est le seul qui peut donner la paix à la France, vous la mettrez
en estat d’enuoyer ses forces contre ses autres ennemis ?
vostre retraite auancera ses victoires, & l’on dira que si vous ne
les auez auancées, à tout le moins vous auez tres-bien fait pour
vostre seul interest de croire vn sage Politique,

Les veritez que ie vous reproche sont exemples de passion,
comme ce que ie dis de moy se trouuera sans vanité ; & en effect,
les Esprits bien-heureux sont au dessus de ces passions, qui
dans les reproches que l’on vous fait là bas se trouueront bien
eloignées de la moderation auec laquelle ie vous remonstre vos
defauts trop veritables.

Ceux qui persecutent encore auiourd’huy ma memoire, disent
que pour la rendre glorieuse à la posterité ; ie vous choisis
exprés pour mon successeur, afin que vos imperfections releuassent
mes vertus, & qu’elles fissent connoistre à la France
apres ma mort, qu’on m’auoit iniustement hay durant ma vie.
Mais vostre Ministere est vn effect de la Prouidence de Dieu,
qui voulant mesme estendre mes recompenses sur la terre, &
punir ceux qui ont insulté sur ma reputation, a permis que vostre
brigandage, vostre lascheté, vostre tyrannie & vos trahisons,
soient auiourd’huy les verges qui les chastient, aussi bien
que les peuples de leurs pechez. Or comme il n’appartient

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qu’à sa Diuinité de tirer de bons effects d’vne mauuaise cause
il luy a pleu se seruir de vos vices pour reprimer les leurs, &
satisfaire à sa Iustice, & employer vos imperfections, pour donner
plus de Iustre & de relief à la hautesse de ses Iugemens,
& à la grandeur de ma gloire.

 

FIN.

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Anonyme [1649], L’OMBRE DV GRAND ARMAND CARDINAL DVC DE RICHELIEV, PARLANTE A IVLES MAZARIN. , françaisRéférence RIM : M0_2593. Cote locale : A_6_45.