Anonyme [1649], L’HONNEVR DV MINISTRE ESTRANGER, ENSEVELY DANS LE TOMBEAV. , français, latinRéférence RIM : M0_1662. Cote locale : A_3_78.
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L’HONNEVR
DV
MINISTRE
ESTRANGER,
ENSEVELY
DANS LE TOMBEAV.

A PARIS,

M. DC. XLIX.

Auec Permission.

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L’HONNEVR
DV
MINISTRE
ESTRANGER,
ENSEVELY
Dans le Tombeau.

IL est mort s’en est fait, & si sa saincteté ne fait
bien-tost vn miracle pour le ressusciter,
la terre qui luy a donné l’Estre & l’estime le
tient renfermé dans son seing, pour ne le iamais
rendre, & pour n’en parler qu’auec infamie,
Sepulchrum patens est guttur eorum.

Il n’y a rien au monde de plus cher & de plus precieux
que l’honneur pour trois raisons.

La premiere c’est par ce qu’il tient ie ne sçay quoy de
l’Eternité, & qu’il fait viure vne personne iuste au delà de
son tombeau, c’est la benediction qui a esté promise aux
gens de bien par la bouche du Prophete quand il dit, In
memoria aterna erit iustus, que leur memoire sera eternelle,
& par ce que Moyse estoit de ce nombre, & qu’estant

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aymé de Dieu, & des hommes il estoit iuste, l’Escriture
dit que sa memoire sera accompagné d’vne longue benediction
& que l’honneur de sa vie fera connoistre son nom au
delà dés temps, Dilectus Deo & hominibus cuius memoria
in benedictione.

 

La deuxiesme c’est que l’homme d’honneur entre librement
dans toute sorte de compagnie, au lieu qu’vn homme
infame en est honteusement chassé, d’où vient qu’anciennement
les Romains ayant interdit aux méchans la conuersation
des gens de bien, on les fuyoit par tout comme
le feu & l’eau, & d’autant qu’en tous les lieux ou ils alloient,
ils n’y portoient que des miseres & des calamitez, on ne faisoit
pour eux aucun vœu public, les faisant passer pour
des excommuniez. En effet le bonheur ne se rencontre pas
entre vn homme de bien, & vn méchant homme, il faut
que les bons conuersent auec les bons, pour viure heureux
& en repos, & le contraire n’est permis qu’aux Medecins,
qui seuls ont la liberté de conuerser auec les malades.

La troisiesme raison c’est que l’honneur nous donne le
moyen de seruir le prochain.

Pour vous la faire conceuoir il faut remarquer qu’il y a
de deux sorte de graces l’vne est iustifiante, & l’autre gratuite.

La iustifiante est vn don de Dieu, par laquelle l’homme
luy est rendu agreable. Et la gratuite est vn don de Dieu,
par lequel le mesme homme est rendu capable de seruir le
prochain, ce dernier don se rencontre dans les Magistrats,
dans les Predicateurs, dans les Ministres d’Estat, d’où vient
que le grand Apostre gratifié de ce don disoit autrefois que
l’vsage qu’il en auoit fait pour le salut du prochain, luy
auoit acquis vne couronne eternelle dans le Ciel, Corona
mea in die Iesu Christi.

Or les effets de ce don gratuite dependent tellement de
la bonne renommée, que si tost qu’vn homme a perdu

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l’honneur, & qu’il est mort ciuilement, il est incapable de
rendre ce don vtil au prochain : car qu’elle apparence qu’vn
homme infame occupe vn lieu d’honneur, paroisse en publique,
gouuerne vn Estat, il faut viure dans, vne bonne
renommée pour seruir au prochain, & pour rendre ce don
profitable, Sed vitam extendere factus hoc opus. Ce qui
vous fait voir qu’il n’y a rien au monde de plus cher que
l’honneur, & qu’vn homme qui l’a perdu est banny pour
iamais de la memoire des gens de bien, de la conuersation
des gens d’honneur, & rendu incapable de seruir le prochain.

 

Or supposé que Iule Mazarin ait esté homme d’honneur,
ie dis qu’il l’a perdu sans esperance de iamais le pouuoir
recouurir, parce que dés maintenant il est mort dans la
memoire des hommes de bien, & des iustes, parce qu’il
ne trouue en quelque lieu que ce soit aucun refuge qui luy
soit fauorable & propice, parce qu’il ne s’est iamais meslé
de seruir le prochain que pour le perdre, en s’establissant
sur ses ruines, s’il a perdu l’honneur il est mort ciuilement,
& partant i’ay [1 mot ill.] raison de vous presenter son tombeau qui
n’est autre que la médisance, Sepulchrum patens est guttur
eorum.

Premierement il est tres constant que l’honneur ne le fera
pas viure au delà dés temps, & qu’il est desia mort dans
la memoire des iustes, la raison c’est que pour estendre
l’honneur de son nom au delà de son tombeau, il faut posseder
la iustice, s’il est vray que celuy qui coupe vn arbre
par le pied, n’a pas enuie de manger de ses fruicts, s’il est
vray que celuy qui tarit vne fontaine dans sa source, n’a pas
dessein d’estancher sa soif dans son ruisseau, voyant que Iule
Mazarin en a tant voulu aux iustes, qu’il les a tous chassé
hors de France, qui dira qu’il a eu enuie de posseder la
iustice : c’est pourquoy il est desia mort dans la memoire
des iustes.

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Ie me trompe il s’est vanté vne fois en sa vie en bonne compagnie,
de la pouuoir posseder & d’en faire à sa discretion à
la faueur de l’esclat de ses finances Mais le malheur a voulu
pour luy que ses louys se sont trouué trop petits pour lé temps
qui court. Et la balance qui les a pesé trop iuste pour approuuer
ses presens, d’où est venu que desesperant de se pouuoir iamais
posseder la iustice : il a fait courir dessus elle afin d’emprisonner
celle qui prepare aux autres des bastilles pour prison,
est contre la iustice : ce n’est pas pour la posseder c’est pourquoy
il ne peut iamais viure dans la memoire des iustes.

Disons d’auantage que s’il a possedé la iustice, ça esté pour
mal traitter la verité, Iustitia & veritas obuiauerunt sibi.

On nous depeint la iustice auec vne espée en l’vne de ses
mains, & vne balance en l’autre, pour moy ie ne sçay si ces fameux
peintres de l’antiquité auoient quelque cognoissance de
sainct Michel, que la France a choisi pour protecteur à cause
qu’il est armé de la sorte, mais ie sçay bien que Iule Mazarin
a porté enuie à cét Archange, & que sous pretexte de proteger
la France & de la deffendre, il a pris l’espée en vne de ses
mains, & la balance en l’autre, afin de disposer à sa fantaisie
des Parlemens, comme il faisoit des armes, mais qu’est-il arriué
de là, deux choses.

La premiere c’est que dans cette balance, qu’il tenoit en
vne de ses mains on y a pesé son merite, au poids, de ses actions,
& quand il a veu que chacun cognoissoit, que c’estoit sa
malice & la corruption de sa vie, qui le faisoit hausser, & qui
l’enfloit de presomption, il est airué vne seconde chose c’est
qu’il s’est seruy de l’espée, qu’il tenoit en l’autre main pour
assassiner, & pour perdre tous ceux qui ont mis au iour ses
meschancetez, & qui ont descouuert la verité apres cela dites
vous que celuy-là est homme de bien qui sous pretexte de Iustice
assassine la verité pour authoriser sa malice, ce qui reste
de ta race pour faire resouuenir ses habitans des maux que tu
leur a fait, en remuant les cendres que ne pensois-tu voyant

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le débordement des eaux qui se sont grossies pour venir
lauer le Palais par les pieds, que la cime ie veux dire les Chefs
estoient tous innocens, & sans malice puis que la plus basse
partie estoit de cet edifice estoit si nette & si purifiée, il
est vray que s’il eust fallu autant de pain à la riuiere pour
assouuir la rage de sa faim qu’il luy a fallu de bois nous eusions
apprehendez, de n’en point auoir pour nous mais elle
est saoule & doresnauant, son enfluré se diminura a vn Prince
malheureux, que tu dois regretter ces entreprises puis qu’il
te procurent l’abandon de tous ceux qui ont eu de l’amour
pour toy.

 

N’auez vous iamais fait reflexion sur ce que raporte l’Escriture
Saincte de ce malheureux Sennacherib, il se voyoit
victorieux, de quantitez de belles villes, il se consideroit
enuironné d’vne florissante d’Armée, il se glorifioit d’auoir
en sa suitte plusieurs Roy captifs, enflé de presomption,
& tout glorieux de victoires, il s’approche de la ville
de Ierusalem, il l’assiege, il la fait sommer, il pense desia
la tenir, quoy dit-il, sur qui se fient ces mutins, Nunquid
non principes mei simul reges sunt, est-ce pas moy qui a subiugué
tout l’Vniuers, par la porte de mes armes ? est-ce pas
moy qui a reduit toute la palestine, sous mon obeyssance ?
est-ce pas moy qui a contraint tous les Princes estrangers
de receuoir mes commandemens & mes loix : rien
n’est capable de resister à ma puissance, voyés vn peu
comme ce superbe parle & comme il fait sonner hault
ses victoires. Mais attendez vn peu & vous verrez que
Dieu est iuste, c’estoit la nuict qu’il parloit de la sorte lors
qu’vn Ange executeur, descendu du Ciel vient reduire
en vn moment toute son armée en poudre : le iour ne
fut pas si tost venu qu’il se voulu leuer, mais il est estonné
qu’il n’entend, personne il appelle ses pages il mande ses
Officiers, on ne luy répond pas, il se leue, il sort de sa
Chambre, le premier qu’il rencontre c’est vne de ses gardes

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couchez par terre, il le frappe auec le pied, & du
coup qu’il luy donne il fait sortir la cendre de ses armes ;
bien estonné il passe plus auant, il preste l’oreille, & n’entend
point de bruit il sort, & voit toute son armée couché
par terre dans vn espouuentable silence. Et cum surrexisset è
cubiculo inueni omnia cadauera mortuorum. Ie vous laisse à
penser qu’elle frayeur, surpris ce Prince quand il se vit tout
seul au milieu de tants de morts.

 

Paris voila la figure de ce que tu vois à tes portes, c’est
vn Prince enflé de vanité & de presomption qui t’afflige,
escoute comme il parle il te pense desia tenir, mais Dieu
qui sçait que tu ne combat que pour le Roy & pour la iustice,
ta enuoyé vn Ange, vn beaufort qui est descendu
d’en-haut pour venir abbattre au pied de ses murailles les
forces de ce Prince, & pour rendre vains & inutils les conseils
pernicieux de tous ceux qui te veulent perdre. Voyez-vous
par là comme ce Iule Mazarin à esté incapable de
seruir le prochain puis que par son infidelité & ses fourbes
il a mesme perdu tous ceux qui l’ont suiuy de plus prez,
& qui l’ont appuyez du secour de leurs armes, & partant
ayant perdu sa renommée, i’ay eu raison de vous presenter
son tombeau, & de vous dire, Sepulchrum patens est
guttur eorum. Voicy des terribles funerailles qui ont fait
pleurer ceux qui les considerent auparauant qu’elles fussent
arriué il y a long-temps, celuy qui en est le subiet deuoit
estre au tombeau, Paris resiouys toy, il tire à la fin les
harpies l’ont accompagnez pendant sa vie, le suiuront apres
sa mort tu seras gueris de toutes ces pestes & dans vne pléine
santé tu iouyras de la presence de ton Roy, à qui tu dois
toute ta vie souhaiter auec vn infinité de couronnes des
eternelles benedictions.

FIN.

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