Anonyme [1652], L’ESPRIT DV FEV ROY LOVIS LE IVSTE A LA REYNE. Luy tesmoignant ses sensibles regrets sur le mauuais gouuernement de l’Estat. , françaisRéférence RIM : M0_1286. Cote locale : B_4_19.
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L’ESPRIT
DV FEV ROY
LOVIS LE IVSTE
A
LA REYNE.

Luy tesmoignant ses sensibles regrets sur le mauuais
gouuernement de l’Estat.

A PARIS,

M. DC. LII.

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L’Esprit du feu Roy Louys le
Iuste à la Reine, luy tesmoignant
ses sensibles regrets
sur le mauuais gouuernement
de l’Estat.

MADAME,

Ne vous estonnez pas, si ma voix vient maintenant
frapper vos oreilles, puis que la plainte
de tous ceux que ie laissay sujets de vostre Empire,
est venuë iusques dans le sejour des ombres
porter à mon esprit la funeste image des horreurs,
dont vous deffigurez toute la face de l’Estat.
Ne vous offensez pas aussi de voir que ie
trouble vostre repos, puis que vous troublez celuy
de toute la France, & l’obligez à troubler
mesme celuy des morts, par la rigueur des
maux que vous luy faites souffrir. La Iustice diuine
commence à s’irriter des rigueurs de vostre
iniustice, & la patience des hommes à se
lasser des impatiens desirs que vous témoignez

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de ruïner cét Estat, qui ne haït en vous que la
violence de vostre ressentimẽt. Les tonnerres du
Ciel cõmencent de mesme à respondre à la tempeste
de vos canons ; & les brillants des éclairs qui
sortent de la nuë plus ardants du costé de vostre
sejour, vous annoncent de la part de Dieu,
que la foudre est preste à les suiure pour chastier
l’excez de vostre fier emportement. Ie sers moy
mesme icy d’instrument à la menasse qu’il vous
fait par tant de suiets inanimez, pour vous obliger
à preuenir par la penitẽce, le malheur qu’autrement
vostre obstination au mal vous rend
inéuitable : Et sa Bonté veut qu’vne bouche
morte vous annonce, ce que des bouches
viuantes n’osent vous declarer ouuertement.
Ie suis forcé de parler, parce que vous
contraignez ceux qui vous approchent à se taire ;
& pleust à Dieu que vous eussiez aussi bien
des oreilles pour m’entendre, que vous auez des
yeux pour voir vn objet, qui seul est la cause de
tous vos malheurs.

 

L’amour que vous auez pour cét éstranger
hay de toute la France, produit la haine que
vous potez à tous les François, & redouble
aussi celle que i’eus tousiours pour vostre
Personne, qui ne sçeut pas moins farder son
ame que son visge, pour reietter sur moy cette
passion, dõt vous fustes tousiours beaucoup plus
digne. Cependant mon esprit qui forma peu

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d’vnion auec vostre corps, ne luy vient faire
aucun reproche, que parce qu’il trahit les
droits de l’ame, & que vostre passion l’emporte
sur vostre foible iugement. Ce qui m’estonne
dauantage est, que vous veillez mal à
propos dans la saison du sommeil, & voulez
viure pour la volupté, quand vous ne deuez
plus auoir de sentimens que pour la douleur. Le
dessein qu’autrefois ie témoignay de vous repudier,
fut moins vn effet d’auersion, pour ce
que ie trouuois de choquant en vostre visage,
ou dans vostre humeur, que de preuoyance
pour les maux que ie iugeois que vous deuiez
causer vn iour, si vous auiez iamais le pouuoir
de satisfaire tous vos desirs. Fragile & foible en
tout autre sujet, i’eus seulement de la force &
de la constance en cette resolution. Vos larmes
de Crocodille ne me purent iamais toucher, parce
que ie sçauois qu’elles seruoient à vostre ambition
par dessein ; mais elles surprirent la credulité
de quelque deuot, pour vous donner lieu
de le deuorer apres auec tout le reste de mes sujets.
Ie persistay cependant à dire qu’on ne vous
connoissoit pas, lors qu’on m’entretenoit de vostre
pieté supposée. Mais que ne peut tromper
l’hypocrisie qui se couure d’vn masque de sainteté
pour exciter la tendresse des foibles & des
ignorans. Les desirs de tous l’emporterent contre
vn seul, ie vous receus derechef en mon lict,

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& les vœux qu’on auoit faits si long-temps au
Ciel, pour voir cesser vostre sterilité imaginaire,
eurent enfin leur accomplissement, contre l’esperance
de tout le monde, mais au gré de toute
la France, qui se crût au comble de ses felicitez,
quand elle alloit tomber dans vn abysme de
miseres, par ce moyen. Vous deuinstes sans miracle
Mere fœconde, ayant tousiours esté capable
de le deuenir, & vostre Dieu-donné, qui fut receu
de toute la France auec vn incroyable rauissement,
dissipa les tenebres de vostre misere passée,
pour vous faire paroistre dans vn vray iour,
& dans l’éclat apres lequel vous auiez tousiours
souspiré. Ie ne laissay point pour cela de vous
craindre, mes premiers ombrages se renouuellerent
auec plus de force ; ie voulus separer la
Mere du Fils, & vous renuoyer en cette Espagne
que vous auez depuis tousiours si bien seruie ;
mais vous sçeustes recourir aux mesmes artifices
qu’auparauant, embrassant derechef les
Autels que vous deuiez bien-tost prophaner par
les sacrileges de vos troupes, à qui ce crime est
aussi permis que le violement, qui passe en vostre
opinion pour vn innocent effet d’amour.
On eut pitié de vous, qui n’en deuiez auoir de
personne, & vos larmes tirerent des larmes de
compassion des mesmes yeux, à qui vous en faites
maintenant verser de douleur. Enfin les
choses changerent de face ; le Cardinal de Richelieu,

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qui par la connoissance qu’il auoit pareille
de vos dangereuses inclinations & de vos
mauuais desseins, fortifioit mon esprit dans la resolution
de vous oster le pouuoir de nuire à la
France, estant mort bien-tost apres ; & le Ciel
ne m’ayant permis de luy suruiure que peu de
mois, on vit naistre pour vous vne saison toute
de diuertissemens & de plaisirs. Vostre deüil
vous fut vn sujet de ioye, & les habits funebres
dont vostre corps parut quelque temps couuert,
seruirent comme de masque aux ressentimens
de vostre ame, qui nageoit cependant dans les
satisfactions & dans les contentemens. On vit
bien en effet que vostre humeur, comme celle
des autres femmes, se regloit suiuant le cours de
la Lune, qui ne paroist point du tout quand elle
est jointe au Soleil, au temps qu’on la nomme
nouuelle, & qui ne jette aucune lumiere, quand
dans son croissant ou son decours, elle se trouue
en mesme temps que luy sur l’horison ; mais qui
fait voir son visage à découuert quand elle en
est tres-esloignée, ce qui luy arriue seulement
dans sa pleineur, & qui produit vn éclat pareil
au sien quand il est caché dessous la terre. Il est
vray que l’Empire qu’elle tient alors dans le
Ciel auec ses viues estoilles, est l’image la plus expresse
de l’estat, auquel on vous vit paroistre
bien-tost apres auec vos Dames d’honneur, &
femmes de Chambre, Plenipotentiaires de vostre

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Cour. Vous dissimulastes pourtant, & sceustes
tenir vos vices cachez, iusqu’à ce que le Parlement
vous eut accordé mal-heureusement la
Regence que vous demandiez contre raison,
estant vous mesme incapable de vous regir, bien
loin de pouuoir regir tout vn Empire. Quelques-vns
se souuinrent alors de la deffense que
i’auois faite de vous esleuer à ce rang : mais la
passion des esprits, preoccupez de l’opinion que
vostre vie estoit toute sainte, ne laissoit point de
place à de contraires pensées. Ce sentiment que
i’auois témoigné dans le dernier iour de ma vie,
rendant ma precaution suspecte de jalousie, parut
d’autant plus iniurieux à vostre reputation,
qu’il sembloit porter auec soy quelque marque
de crainte, au dessein d’empescher que vous
n’eussiez l’auantage, pour la comparaison qu’on
feroit desormais de vostre regne & du mien.
La voix du peuple, qui ne fut pas en cette occasion
celle de Dieu, preuint en vostre faueur les
suffrages du Parlement, dont ceux qui vous
aimoient le moins, se hasterent d’applaudir
à ce desir du vulgaire, de peur qu’estans les
derniers à vous donner leurs voix, ils ne fussent
les premiers à souffrir la peine de ne vous
auoir mise assez tost en estat de tout pouuoir
impunement : & l’ignorance ou la stupidité
publique fut si grande en cette occurrence,
qu’on ne s’apperceut pas qu’on mettoit

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à vne furieuse le fer à la main, pour en frapper
indifferemment ses amis comme ses ennemis.
Ceux mesmes dont vous meditiés desia la ruine haranguerent
en vostre faueur. Et l’on vit le premier
Officier de la Iustice authoriser en vous vne puissance
qui deuoit bien-tost se rendre fatale à son
bon-heur. Vous fustes comme l’Empereur Calicula,
conduite à ce haut rang d’honneur entre les
acclamations publiques, les noms mignards & les
loüanges vniuerselles que vous donnoient plus
hardiment ceux qui vous connoissoient le moins.
La ioye fit son effet ordinaire en vostre ame, aussi
foible qu’elle auoit paru forte auparauant, elle
aueugla vostre esprit, & comparable à la chaleur
de l’Esté, qui prouoque les mauuaises odeurs par
la corruption qu’elle cause dans les sujets disposez
à la receuoir, elle fit incontinent éclatter tous vos
vices & tous vos defauts, que la tristesse, comme
vn froid de l’hyuer, qui glaçant la superficie des
corps les plus impurs, les empesche de ietter aucune
mauuaise exhalaison, auoit tousiours tenus cachez.
Vostre liberté fut la cause de vostre libertinage,
& vous creustes qu’vn si fauorable commencement
vous promettoit vne heureuse fin. Vous ne
vistes pas que le peuple, que le feu Cardinal m’auoit
obligé de traitter vn peu seuerement, se promettoit
que vous le soulageriez au plustost, qu’il
vous applaudissoit principalement par cette raison,
& qu’il vous haïroit si tost que vostre mauuaise
conduite luy feroit voir la vanité de son esperance.

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Vous portastes tous vos soins à satisfaire
tous vos desirs, & la digue de vostre foible retenuë
estant vne fois rompuë, par la violence de vos passions,
leur fureur, comme vn vent impetueux,
vous emporta dans vne mer de voluptez, où vous
ne pouuiez manquer de faire naufrage, puis que
vous n’auiez pour pilottes que trois aueugles,
Mazarin, vostre desir, & l’amour. Vous commençastes
à singler à pleines voiles sur cét occean, à la
faueur d’vn doux vent de terre, qui naissoit de la
bien-veillance de tous les peuples, non encore
alterée par aucune mauuaise impression qu’on eust
de vos mœurs, & comme le calme estoit grand pour
vous dessus ses flots applanis, & l’air le plus riant
du monde, vous creustes que cette mer seroit pour
vous tousiours sans escueils & sans orage, parce
que vous croyez auoir produit des Alcions capables
de la calmer. Vous vous figuriés en effet, qu’il
vous deuoit estre permis de passer le temps à rire,
apres auoir long-temps pleuré, que vostre
bandeau Royal & vostre crespe, couuriroient vos
desseins de galanteries, aussi bien que vostre front
& vostre visage : que la renommée n’oseroit vous
rendre suspecte d’aucune pratique amoureuse,
apres auoir publié vingt ans vostre retenuë & vostre
vertu par toute la terre. Sur cette confiance
vous pristes l’essor auec plus d’audace, Versailles &
Argenteüil, eurent l’honneur de vous preparer
la collation vne fois ou deux, vous beustes-là des
santez, où nous n’eusmes part le feu Cardinal ny

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moy. Vous oubliastes les morts, pour penser aux
viuans. La douceur d’vn vin delicieux que vous
goustiez cependant auec plaisir, n’empeschoit pas
que les vapeurs ne vous en montassent au cerueau.
Toute vostre suite estoit yure de ioye & de bonne
chere, & Dieu sçait, si dans vostre retraitte,
qui se faisoit tousiours à la fraicheur d’vne belle
nuit, les pauures cheuaux de carrosse, qui seuls
entre les animaux dont vous estiez accompagnée,
estoient à jeun, en auoient alors à souffrir, & si
dans ce cours mal ordonné le rencontre des carrosses,
poussez auec precipitation, & le tracas des
rouës, & de leur autre equipage, ne causoit pas
souuent parmy vostre train vn embarras fauorable
aux entreprises amoureuses, & qui fut en suite le
diuertissement de toute la Cour. Ce fut en ce mesme
temps, si l’on m’a fait de iustes rapports, qu’vne
ieune Princesse de mon sang, beaucoup plus sage
en son prim-temps, que vous n’estes en vostre automne,
vous obligea par deux ou trois mots qu’elle
vous dist, d’vn air serieux, de vous mordre la levre,
de baisser les yeux, & d’auoüer par vostre silence
que ce qu’elle vous auoit dit, ne souffroit point de
repartie. Elle estoit à la campagne dans vn mesme
carrosse que vous, le temps estoit beau, la compagnie
agreable, & le dessein de se bien diuertir, sur
le point de son plus doux effet, qui estoit la colation
& la musique, car pour le bal, on n’en prenoit
encore le plaisir qu’en idée. Ainsi tandis que
le carrosse rouloit agreablement dans vne belle

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campagne, on auoit meu diuers propos de galanterie
sur le sujet de vos promenades, & de vos autres
diuertissemens, sur quoy quelqu’vn s’émancipa,
iusqu’à dire, que si le Cardinal de Richelieu reuenoit,
on verroit vn estrange changement en vostre
fortune, & bien des carrosses démontez : à quoy
vous repartistes soudain, ou quelqu’vn en vostre
faueur, qu’on auoit mis si bon ordre à tout, qu’il
n’y trouueroit pas son compte, & seroit tout fier
de retourner d’où il estoit venu, ce qui fermoit la
bouche à tout le monde : Mais elle se leuant en
pieds, & fronçant le sourcil auec vne mine seuere,
vous regarda fixement, puis vous dit serieusement.
Si mon grand Papa reuenoit, car c’estoit
de ce nom qu’elle m’appelloit alors. Il vous
souuient sans doute de ce discours, car ie ne croy
pas qu’il vous soit si tost eschappé de la memoire,
vous y fistes alors vne trop serieuse reflection, mais
non telle que vous deuiez pour en profiter. Vous
en rougistes à ce qu’on m’a dit, & l’interdiction
que vous fistes paroistre, fut cause que cette Princesse
fut grondée par son grand Papa le Duc d’Orleans,
qui iugea depuis que son sentiment estoit
plus raisonnable que celuy de tous les autres. Vous
continuastes dans vos libertez, & vostre fauory
dans les extorsions publiques. Toutes les grosses
Villes furent pleines d’intendans, les petites des
Commissaires, les passages d’Archers, les Bourgs
d’Huissiers, les Paroisses de Sergens, & les petites
Foires, ou marchez de voleurs, qui leuoient de

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gros tributs sur tout ce qu’on exposoit en vente,
pour faire la fortune du Mazarin & la leur : Mais
rien n’afligea si fort toute la France, que d’apprendre
que Mazarin transportoit tout son argent en
Italie, & que le Parlemẽt verifioit tous les Edits du
Conseil, qui sembloit n’auoir d’autre dessein que
de rendre cét estranger le Maistre des biens de
tout le monde. Cependant son audace fut si grande,
& son aueuglement si fatal, qu’il en vint iusqu’à
choquer le Parlement son bien-faicteur, ce
qui fut le commencement des troubles, & la fin
du bon-heur de ce Ministre indiscret. L’Interest,
dont-les anciens deuoient faire vn Dieu, fit dans
les esprits de ce grand Corps, ce que n’auoient pû
l’amour des peuples, le zele du bien public, & la
pitié qu’il deuoit auoir des mal-heureux que les tyrans
opprimoient, auec autant d’iniustice que de
cruauté. Les Intendans furent reuoquez, le Priué
Conseil choqué, ses Arrests cassez, & toute la Maltote,
la resource eternelle des Partisans & du Mazarin,
absolument renuersée. Ie n’ay point besoin de
vous dire ce que vous fistes en suitte : comment
vous reussit vostre guerre de quarante-neuf :
ou quel auantage vous eustes, par l’accord qui la
suiuit. Il suffit de dire, que Mazarin reuint à Paris,
& rentra dans sa charge de Chef du Conseil, mais
non dans son premier éclat. Son de faut de credit,
ne diminua pas son orgueil, & sa temerité fut
encore si grande, qu’il osa mesme faire arrester à
la fois trois grands Princes ; dont l’appuy par diuers

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moyens, l’auoit sauué du dernier supplice durant
la guerre ; à cause qu’ils sembloient tesmoigner
quelque repentir d’auoir desrobé cette victime
au iuste ressentiment de tous les peuples.
Cét imprudent ne considera pas, qu’il donnoit à
ses ennemis vne iuste satisfaction, & que se priuant
des appuis qui l’auoient tousiours soustenu
de la gauche, il s’estoit coupé la droite. Enfin, ces
Princes, qui n’estoiẽt coupables que de vous auoir
trop fidellement seruie, ont esté malgré vous mis
en liberté. La fuite du Mazarin a suiui leur deliurance,
mais vostre cœur qui le suiuoit dans son
exil, n’a pû souffrir qu’il fust long-temps esloigné
de vous, qui brusliez du desir de le reuoir. Vous
auez procuré son retour, dont la guerre vous a
fourni l’occasion & le pretexte, & de cette façon
vous auez allumé le feu des guerres ciuiles par toute
la France, pour esteindre le vostre, qui n’en paroist
que plus ardant. Voyez cependant cét embrasement
que vous auez causé dans vn païs qui
vous tient lieu de patrie, & pensez si vous eustes
raison d’affliger tant de millions d’hommes pour
en contenter vn seul, que vous rendez dans son
bon heur, le plus malheureux de tous les hommes.
Iugez quelle obligation vous a le Roy vostre fils,
que vous rendez garde du corps du Mazarin, &
que vous promenez par tout où vous appelle la necessité
des affaires de ce tyran rebuté ? Croyez-vous
que vos sujets vous obeïssent, tant que vous serez
dans l’esclauage de vos passions, ou que vous les

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regirez mal comme vous faites ? Ne pensez-vous
point que quelque grand mal-heur menasse la
France, & que vous le rendez infaillible par la
mauuaise conduite que vous pratiquez ? Vous
croyez tout pouuoir quand vous n’estes & ne pouuez
presque plus rien, & ne vous apperceuez pas
que portant les choses à l’extremité, vous portez
à la rebellion, ceux qui n’auoient point de plus
forte passion que de rester tousiours obeyssans au
Roy vostre fils ? La haine qu’on vous porte aussi
bien qu’au Mazarin, semble passer iusqu’à luy,
parce qu’il est le fils de l’vn & le nourrisson de l’autre,
& du moins l’inclination des peuples à peine
à demeurer balancée entre ces deux extremitez ?
Croyez-vous que ce soit vn ioug necessaire à la
Frãce d’auoir des Roys ? Ne sçauez-vous pas qu’ils
sont venus d’Allemagne dans son sejour, & que
pour estre digne du nom qu’elle porte, il faut
qu’elle recouure la franchise qu’elle a perduë depuis
plusieurs siecles ? Elle aime naturellement ses
Roys : mais Rome les aimoit aussi, qui ne laissa
pas de les chasser, quand elle vit qu’ils croyoient
que le nom de Roy les dispensoit de reconnoistre
aucune autre loy que celle de leurs desirs. Tout ce
qui a commencé peut prendre fin, & si ceux qui
vinrent d’Allemagne auec les Roys ont laissé des
successeurs qui les aiment : Le sang des Gaulois, sur
lesquels ils ont vsurpé cette puissance, en est naturellement
ennemy. Il est vray que les Gaulois
estoient auparauant sujets des Romains, mais ces

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Romains ne les traittoient point auec tant de rigueur
que les Roys qui leur commandent à present,
& du moins ne les tenoient point sous l’indigne
dominatiõ des femmes & des enfans. Ceux
qui ont donné par les loix, dont ils furent les auteurs,
cette licence a de ieunes personnes, ne virent
pas que c’est au point du leuer du Soleil que les exhalaisons
& les vapeurs, d’où se forment les orages,
montent dans l’air pour retomber sur le midy,
& qu’vn mal-heur pareil arriue aux peuples
sous le regne de ces ieunes Princes, aux mains
desquels vn Sceptre est pesant, & qui ne connoissent
aucun des deuoirs d’vn Souuerain, pareils à ce
ieune temeraire qui voulut cõduire le char du Soleil,
& qui tombant bien-tost apres auec ce char
qu’il conduisoit, causa l’embrasement des plus
belles regions de l’Asie. Ie sçay bien que ie me
dois accuser le premier, d’auoir traité mes peuples
auec beaucoup de rigueur, mais c’estoit dans l’esperance
de les rendre plus heureux à la fin de mon
regne, & de reculer loin de leurs bords les frontieres
mon Empire, pour les sauuer des guerres estrãgeres
à l’auenir, comme ie croyois auoir osté toutes
les causes des intestines & des ciuiles. Que si cependant
ceux qui furent mes sujets en font encor
des plaintes à ma memoire aujoud’huy, iugez
qu’elle opinion on peut auoir du cours de vostre
Regence, & des années qui l’ont suiuie, voyant
que toutes les furies semblent deschainées parmi
la France, pour la remplir de meurtres, de confusion

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& d’horreur. Peut-on faire vingt pas autour
de Paris, sans rencontrer des assassins : & le cry
de qui viue, qui sert de signal à leurs entreprises,
est la marque la plus visible du defaut de vostre autorité.
Vous voulez guerir la France, & vous n’en
connoissez pas les maladies. Vous employez le fer
à sa guerison, quand ceux qui sont malades dans
l’Estat sont deuenus des furieux, qui bruslent du
desir de s’en seruir contre la personne que vous témoignez
le plus cherir. Vne femme, vn enfant,
vn estranger, sont-ils capables, à vostre auis, de
ranger sous vostre obeyssance tant de millions
d’hommes, apres que le lien de respect, qui les
vnissoit auparauant sous le joug de vostre obeyssance,
vient d’estre brisé par le desespoir, & que
l’impatience des peines que vous leur faites souffrir,
a fait bresche à leur retenuë : mais voyez s’ils
ont sujet de se plaindre, & iettez les yeux sur tout
ce qui vous parut autrefois de plus agreable à l’entour
de Paris : Voyez ce pays precieux desolé, ces
lieux de plaisance ruinez, ces meubles enleuez ou
mis en cendre, ces maisons bruslees, ces fleuues de
sang qui ont coulé dans les ruës de plusieurs villages,
& vous representez ces horreurs & ces infections
des corps morts d’hommes & de cheuaux,
pesle mesle, gisans dans les carrefours, dans les fossez,
& dans les places publiques ; ces autres tronçonnez
aux portes mesmes des Eglises & des maisons ;
ces membres épars ; ces restes de vestemens
d’hommes & de femmes pilez dans la bouë ; des

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petits enfans hors du berceau iettez sur des fumiers,
aupres de leurs meres fraischement massacrées ;
icy du sang noircy par les rayons du Soleil ;
là des os blanchis par la rosée & la secheresse : &
parmy toutes ces desolations, figurez-vous encor
des vieillards fugitifs, & des femmes demy-mortes
de peur, que les Allemans de vostre Mazarin
poursuiuent l’espée dans les reins, ou iettent à terre
à force de coups, leur tenant le pistolet sur la
gorge, pour leur faire dire ce qu’ils ne sçauent
point, & leur faire bailler ce qu’ils n’ont pas : &
consultez apres vostre conscience, pour sçauoir
si causant la plus grande partie de tous ces desordres,
vous ne faites pas vn seul peché veniel, comme
vous disoit autrefois vostre Pere Confesseur.
Sçauez-vous que si l’ordre dans cét enchaisnement
de puissance, qu’on nomme subordination, fait
la puissance des Rois, le desordre est capable de la
destruire, & que vous renuersez ses principes, lors
que vous confondez tous ces membres du corps de
l’Estat, qui conspiroient ensemble au bien de l’Empire,
& le faisoient heureusement subsister à la
honte de ses ennemis. Iugez-vous que comme la
Royauté s’establit peu à peu par l’amour & la crainte,
vous la renuersez aussi peu à peu par la haine,
& le mépris, qui font que les esprits s’en déprennent
insensiblement, iugeans que ce n’est desormais
pour eux qu’vn fardeau tres-pesant, qui leur
nuit beaucoup & leur sert de peu. Ne craignez-vous
donc point que le vent de Nord soufflant du

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costé de l’Angleterre, ne leur aide à repousser l’orage
que celuy du Midy, venant du costé de la Sicile
leur a causé ? Ou l’exemple des cousins germains
du Roy vostre fils, ne vous oblige-t’il point à faire
quelque reflection sur le sujet de leur disgrace, &
le miserable estat où vous les voyez ? Croyez-vous
que les François estans également outragez, témoignent
moins de ressentiment que ces genereux
Insulaires, & qu’vne cause pareille ne produise
de pareils effets ? Le peuple demande la
vangeance des Partisans, & du Mazarin leur protecteur,
le Ciel l’autorise ; & ie vous declare auec
douleur, que si vous ne la faites promptement, les
peuples se mettront en estat de la faire eux-mesmes,
& peut-estre à la ruine de ceux qui l’ont empeschée
iusqu’icy. Les Gabaonites obtinrent de
Dieu, que les fils de Saül, qui les auoit outragez
durant sa vie, seroient tous mis en croix, pour seruir
apres sa mort d’hostie expiatoire au crime qu’il
auoit commis ; & le peuple de France seroit refusé
d’vne grace pareille, lors qu’il demande auec
beaucoup de larmes, la punition de ceux qui
l’ont plongé dans vn horrible gouffre de misere ?
La Reyne Iesabel fust mangée des chiens, pour
auoir vsurpé la vigne d’vn particulier, & fait tuer
son possesseur, qui refusoit de la vendre à son mary,
qui luy offroit trois fois autant qu’elle valoit ;
& vous ne craignez point vn chastiment plus redoutable,
ayant rauy la vigne d’vne infinité de
miserables, que vos soldats par vostre ordre, ont

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cruellement esgorgez, ou fait impitoyablement
mourir de faim. Croyez-moy, Madame, la punition
est grande, apres la mort, pour de si grands
crimes, & Dieu ne reçoit les excuses qu’vn Confesseur
interressé vous apporte, pour couurir ou
pallier vostre forfait. Nous sommes Roys, quand
nous faisons du bien à nos Sujets : Mais nous sommes
Tyrans, si-tost que nous leur faisons du mal.
L’vn est tousiours digne d’amour, l’autre tousiours
digne de haine, l’vn a des couronnes dans le Ciel,
l’autre des supplices dans les enfers. Comme la distinction
est formelle entre leurs personnes & la
nostre, elle est aussi reelle entre les biens, dont les
anciens droits de l’Empire nous rendent iustes
possesseurs, & ceux qu’ils possedent à iuste tiltre.
Ayans entre nos mains tant de thresors, que les
Roys nos predecesseurs nous ont laissez, & iouyssans
d’vn riche Domaine, deuons-nous leur enuier
la possession du peu qu’ils ont, ou qu’ils se
sont acquis par leur industrie, & chercher à nous
enrichir de leur pauureté ? Qu’ont-ils de commun
auec nous, n’ayans iamais veu nostre visage, & ne
nous connoissans que de nom, pour ne viure & ne
trauailler que pour nous, qui ne trauaillons qu’à
leur destruction ? Les sauuons nous de la peste, ou
de la faim que nous leur causons le plus souuent ?
Et si nous empeschons quelquesfois que l’étranger
ne vienne piller leurs maisons, leur faisons-nous
pas vne guerre aussi cruelle par les logemens
de nos troupes ; & la rigueur de ceux que nous

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employons à leuer sur eux des tributs, & des taxes
extraordinaires ? Quoy donc les garantissons-nous
du froid, & de la pluye ? Et nostre secours ; est-il necessaire
pour les faire viure & respirer ? Ou sentent-ils
quelque diminution en leur force quand
nous perissons ? Non, non, Madame, tous ces droits
que nous nous attribuons vainement sur leurs
biens & sur leurs vies, sont supposés par nostre
ambition, autorisez par nostre force, & continuez
par leur foiblesse, ou ne peuuent auoir lieu que
pour consideration du bien public ? L’Ocean a-t’il
coustume de deuorer ainsi les eaux des riuieres &
des ruisseaux iusques en leur source, & s’il reçoit le
tribut qu’ils luy en portent eux-mesmes, n’a-t’il
pas le soin de leur fournir d’autres eaux par de secrets
ressorts qu’il fait agir dans l’air mesme & dans
les nuées, pour rendre leurs cours tousiours durable ?
Ne pouuant faire aux peuples le mesme
bien, leur ferons-nous vn mal plus grand, & s’ils
ne font point naistre nos passions, pourquoy voulons-nous
qu’ils les fassent durer ? Que leur importe
si nous sommes satisfaits ou non, par la iouyssance
de ce que nous aimons outre le bien de l’Estat,
qui doit estre le seul objet de nos affections ?
Parce que le Mazarin vous plaist, vous luy donnez
tous les biens de vostre Royaume à deuorer, quelle
loy peut autoriser cette licence ? Sçauez-vous que
de ceux-là mesmes qui sont entre vos mains vous
n’en estes que dispẽsatrice pour raison, & non maistresse
absoluë pour les donner par choix ou par

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amour à qui il vous plaira ? Pouuez-vous alleguer
que ce soient des recompenses des seruices qu’il a
faits à la France, s’il n’a fait que tout perdre & tout
ruiner ? Et doit-il estre recompensé de la sorte du
mal qu’il a fait à tout le monde ? Que pouuez-vous
repartir de valable à cette raison, & si vous l’employez
à vostre seruice par vn choix d’affection
particuliere, ne deuez-vous pas le recompenser du
vostre, & non du bien de la France, si ce n’est que
vous croyez que c’est vn esclaue qui ne doit point
auoir d’autres sentimens & d’autres volontez que
vos desirs ? Ne pouuez-vous contenter vostre passion
sans ruiner vostre Empire, & qu’elle raison
vous persuade que vous soyez obligée d’assouuir
l’auarice & l’ambition de Mazarin, parce qu’on
croit qu’il est l’objet de vostre amour ? Qu’a de
commun ce commerce auec les interests de l’Estat ?
Et ne peut-il estre maistre de vostre personne, sans
l’estre en mesme temps de vostre Empire, dont il
vous priue, quand vous esperez l’en rendre arbitre ?
Quel aueuglement vous possede en cét estat ? Et
quelle fumée qui trouble les lumieres de vostre esprit,
vous empesche de voir les flames qui sont allumées
tout autour de vous comme pour vous consumer ?
Vous estes à deux doigts du precipice, &
vous n’auez point d’yeux pour le découurir, &
point de precaution pour l’éuiter ? Il semble que
le Ciel ait endurci vostre cœur, comme il fit autrefois
celuy de Pharaon, pour l’empescher d’estre
touché de la menasse de tous les fleaux qui vous

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poursuiuent depuis beaucoup de mois ? Vous traisnez
le Roy vostre fils de ville en ville, & dans aucun
canton vous n’auez pû venir à bout de vos ennemis.
Ils sont dans Paris, & vous tenez la campagne
inutilement, & l’on dit mesme en riant que
vous auez choisi le sejour des morts pour la Cour
du Roy vostre fils, que vous enterrez ainsi tout viuant,
le tenant enfermé dans sainct Denis, où gisent
tous les corps des Roys ses predecesseurs. Mais
enfin, qu’auez-vous auancé par la force ouuerte,
ou par la ruse ? Vous auez reculé le Duc de Loraine,
mais il emporte vostre argent, & ses troupes
reuiennent contre les vostres sous la conduite d’vn
autre Chef. Vous aués depuis fait attaquer l’armée
des Princes auec le plus d’auantage qu’il vous
a esté possible, & l’affront en est demeuré à vos
Chefs, forcés de faire vne honteuse retraite, ainsi
qu’ils ont honteusement leué le siege de deuant la
bicoque d’Estampes. Que dira la posterité de vos
entreprises & de vos desseins ? Mais qu’en dit desia
toute l’Europe, qui vous accuse certes à l’égal
qu’elle vous plaint : c’est pitié de voir à quel point
cette douleur vous transporte ; mais c’est plus grãde
pitié de contempler les maux qu’elle cause par tout
vostre Empire, & les spectacles d’horreur qu’elle
nous fait voir. Vous hazardés tout, parce que
vous croyez tout perdu pour vous, si vous ne regagnez
tout par la force ? Et pour en vser auec trop
de violence en pressant Paris, vous vnissez ceux
que vous voulés diuiser, comme la vapeur qui petrifie

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l’exalaison au sein de la nuë, & vous vous
perdez en voulant perdre les autres. Chaque iour
diminuë de vostre force, & semble adjouster à celle
de vos ennemis, qui deuiennent puissans par
vostre mauuaise conduite, & par la crainte qu’on
a de vostre restablissement. Ne vous assurez point
tant aux droits du Sceptre, puis que vous voyez
par experience, que la constellation qui regne n’est
point fauorable à ceux qui le portent, & qu’on se
déprend peu à peu de l’opinion qu’il soit iamais
bien acquis, qu’à celuy qui sçait en bien vser. Ne
rendez point le vostre odieux par la continuation
des rigueurs que vous exercez contre Paris. Sçachez
que la faim en l’irritant contre vous, loin de
le dompter vous le rend plus ennemy, & que vous
n’y pouuez iamais rentrer si puissante que vous en
estes sortie ? Qu’est au reste vostre esloignement
de Paris, qu’vn specieux bannissement ? Et ne
voyez-vous pas que c’est vne punition du Ciel,
qui vous chastie par vostre propre déreglement.
Que ne terminez-vous cét exil, par l’esloignement
de la personne qui le cause, puis qu’elle est indigne
de vous. Pensez que Mazarin & le Sceptre ne sont
point des sujets à balancer, qu’il faut perdre l’vn
ou l’autre, & peut-estre tous les deux, si vous ne
pouuez prendre cette resolution ? Mais quels charmes
à ce Mazarin, qui vous obligent à preferer
l’heur de sa presence à vostre repos, & au salut de
tout vostre Empire. Peut-estre il est innocent de
tout ce dont la France l’accuse, excepté d’auoir emporté

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son argent en Italie, & tous les soupçons
qu’on a de vostre intelligence secrette auec luy sont
illusoires. Mais si vn Cesar dist autrefois, pour raison
de ce qu’il auoit repudié sa femme, qu’il falloit
que la femme d’vn Prince fut exempte, non seulement
de crime, mais de soupçon, ne doit-on pas dire
la mesme chose d’vne Reine, & d’vne Reine vefue,
d’vn Roy de France triomphant comme ie fus.
Ne jugez-vous point, que comme autrefois on ruina
Chilperic en luy fournissant des sujets de débauche,
pour le rendre odieux aux peuples, vos
ennemis sont rauis que vous ayez le Mazarin auprés
de vous, pour auoir sujet de descrier vostre
conduitte, & de faire naistre dans les esprits d’autres
soupçons, dont ie n’ose icy vous esclaircir. Du
moins vous deuez sçauoir que le Roy vostre fils a
beaucoup d’interest de témoigner desormais qu’il
est pourueu de belles mœurs, & de trauailler au
soulagement de ses peuples, puis qu’autrement les
esprits sont assez desbauchez de son obeyssance, &
dépris de l’opinion que le joug de la Royauté leur
soit imposé par le Ciel, pour se porter à ces souléuemens,
à qui l’on donne le nom de rebellions.
Et vous sçauez que les Chefs ne leur manqueront
non plus qu’à present, & qu’on jette maintenant
les fondemens d’vn édifice, d’où l’on pourra
battre desormais la Royauté en ruine, quand il
sera du tout acheué, si vous n’opposez vostre prudence
à ce dessein. Ne dit-on pas desia que vostre
fils se dispense a des libertez peu discrettes, & que

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vostre Mazarin le porte a des engagemens libertins,
de peur que son esprit ne s’applique à la connoissance
des affaires de son Estat. C’est par ces bruits,
croyez moy, que les esprits se sousleuent cõtre vous,
& que le mespris de la personne du Prince, acheue
l’ouurage de leur rebellion, que la haine qu’on
vous porte à cause de vostre Mazarin auoit commencé.
Mais ne sçauez-vous pas, que celuy qu’on
a semé de vostre dessein, de mettre Paris au pillage,
si vous pouuiez vous en rendre maistresse par
la force, a redoublé contre vous l’horreur & la haine
vniuerselle : Et ie sçay qu’vn pareil artifice, autrefois
ruina les affaires d’vn Empereur de Rome,
parce que les garnisons qu’il auoit en vn pays delicieux,
où elles auoient de cheres habitudes, croyans
qu’il les vouloit transferer en vn climat plus rude,
aymerent mieux prendre les armes contre luy,
fauorisans vn autre nouuel Empereur, qui par ce
moyen se rendit bien tost maistre du premier.
Mais quoy, ne vous seruirez-vous point de ces
connoissances, pour tascher a regagner par la douceur,
ou par de contraires artifices, ce que vous auez
presque perdu par la rigueur. Si la guerre vous
nuit, que ne faites-vous la paix à quelque prix que
ce soit : Et si Mazarin est vn obstacle à vostre bien,
que ne l’esloignez vous pour viure dans le calme
à l’aduenir. Croyez-vous qu’il soit seul aimable
& judicieux pour bien regir vn Empire, & que la
place qu’il tient aupres de vous, ne puisse estre remplie
par quelque objet qui vaudra mieux mille

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fois. Ne faites point ce tort à la France, de croire
qu’elle n’ait rien qui vous puisse plaire à l’égal de
cét estranger : Mais faites produire à vostre prudence,
en vous separant de luy par raison d’Estat,
vn effet que la mort de l’vn ou de l’autre, vous
rend inéuitable. Croyez-vous en effet que si Mazarin
n’estoit coupable, ou s’il n’y auoit quelque
malediction attachée à sa personne, il fust haï de
toute la France comme il est ? Mesurez les forces
de vostre authorité Royale à cette haine, & voyez
si dans l’estat où vous estes, vous estes capable
d’en venir à bout. Que si vous jugez que cette haine
soit inuincible & vostre puissance foible en sa
comparaison, que ne luy cedez-vous de bonne
heure l’auantage qu’elle doit enfin remporter sur
vostre amour. Pensez à la mort de vos saints Maigrains
& de vos autres Illustres, & croyez que ce
sont des victimes que vous immolez à vostre passion,
qui n’en deuient pas plus satisfaite, & qui
doit enfin estre vaincuë, si vous ne voulez perir
auec tous les vostres. Cedez à la raison & à la necessité
cette puissante Maistresse, sous laquelle
tout flechit, & croyez que ce n’est point ceder
quand on n’est vaincu que par elle, & par soy-mesme
Cedez à la constellation ennemie, cedez
au temps, cedez à l’aage qui vous fait voir dans
vostre declin, & faites dans l’aduersité vne religieuse
retraitte, que tant de grands hommes ;
du nombre desquels fut Charles Quint, vn
de vos predecesseurs, ont trouué bon de faire

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dans la prosperité mesme. On vous a dit mille fois
que c’est vn mauuais Conseil, qui ne peut iamais
changer, puis que Dieu mesme a retracté quelquesfois
ses decrets & ses ordonnances, & c’est
trop d’iniustice, de croire que les desirs d’vne seule
personne doiuent preualoir sur ceux de tout vn
Royaume. Voyez que toute l’Europe vous veut
mal de cette resistance aux ordres du Ciel ? Que
la Reyne de Suede en tesmoigne de l’affliction,
mais quoy, cette jeune Princesse ne vous fait-elle
pas des leçons de generosité ? Elle a vescu sans fauory,
dans ses plus tendres années, & dans vostre
dernier aage vous refusez d’en esloigner vn, qui
ne peut rester auprés de vous, sans causer vn deluge
de maux en vostre Estat. Où peut estre
maintenant vostre esperance, s’il demeure aupres
de vous, ou qui peut finir le cours de
vostre déplorable bannissement ? Vostre armée
est forte en effet, mais la fortune ne
suit pas le mouuement de vos inclinations, &
comme c’est dans le pays du Roy vostre fils, que
vos Chefs combattent, la victoire mesme doit
auoir des horreurs pour vostre esprit, par ce qu’elle
détruiroit son Empire & ses sujets. Que si comme
vous n’auez que cette armée qui vous soustienne,
elle estoit enfin surprise ou deffaite, ou
que la sedition se meslant entre les Officiers dont
les murmures esclatent desia heutement, en dissipast
l’appareil, à quels perils ne verriez vous point
vostre vie, & celle de vostre confident exposée ?

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Et ne seroit-il pas à craindre pour vous, que tombant
entre les mains d’vne multitude affamée de
vostre sang, vous ne deuinssiez sa victime, ainsi
que vous auiez tasché qu’elle fust la vostre ? Paris
n’a-t’il iamais veu de pareils spectacles aussi bien
que Londres ? Sçauez-vous quelles sont les intentions
de quelques-vns des Chefs du party contraire,
qui vous estiment indigne de commander,
& qu’ils veulent à quelque prix que ce soit
leuer l’obstacle que vous mettez à leurs desseins.
Vostre Cour est vagabonde, & traisne par tout la
guerre & la faim, & ce qu’il y a de plus fragile
au monde, qui est la Paille, contribuë à vostre ruine,
& fait que des Villes entieres se declarent contre
vous ? Où sera vostre refuge, si la guerre continue ?
A Paris ? Il souffrira plustost le fer & le feu,
que le Mazarin ? Au tour de cette grande Ville ? Il
n’y reste plus que la terre nuë ? En Picardie ? Vne
puissante armée vient de ce costé-là, pour choquer
la vostre ? En Bourgogne ? On en chasse vos
Gouuerneurs ? En Guienne ? Cette Prouince est
tout à fait en la disposition des ennemis ? En Normandie ?
Elle vient de leuer le masque, & se souuient
du traitement que vous luy fistes apres la
guerre de Paris ? Enfin ie ne voy presque point de
retraite seure pour vous que le Val de Grace, puis
qu’il est croyable que l’Espagne mesme auroit de
la peine à vous receuoir, dans la disgrace où vous
serez si vous ne faites bien tost la paix. Sçachez
aussi que si vous refusez d’y penser & de la conclure :

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Ie suis venu pour vous citer à comparoistre
deuant le throne du Dieu viuant, auquel vous
aurez peine à respondre, touchant les excez que
vous permettez. Oubliez Mazarin, puis qu’il est
l’ennemy de vostre bon heur : Et croyez que ma
voix est encore celle à qui vous deuez deferer.
Songez que vous estes la mere du Prince, & sçachez
qu’on ne croira plus que vous la soyez, si
voyant son Royaume en quelque façon sous le
cousteau, vous osez crier qu’on le diuise, plustost
que de consentir à la retraitte d’vn estranger. Songez
que vous fournissez vn pretexte mesme au changement
de Roy, vous tenant esloignée auec luy de
la Capitale du Royaume, en ce que les François
pourroient alleguer pour leur excuse, qu’ils n’ont
point quitté le Roy, mais que le Roy les a quittez.
De grace, rentrez en vous mesmes, pensez qui vous
estes, & qu’elle vous fustes, & ne permettez pas que
la posterité vous accuse vn iour, d’auoir osté le Sceptre
au Roy vostre fils, les biens à la France, la vie à
vne infinité de personnes, & le repos à tout le monde.
Mais ie voy bien que vostre ame est preoccupée
d’vne passion trop puissante, pour écouter aucunes
raisons, que celles qui tendent à la flatter ; & c’est
ce qui fait que me retirant auec la crainte de vous
voir eprouuer bien tost les mal-heurs que ie vous
ay predits, i’emporte dans le cœur vn trait capable
de me donner mille morts, si ie n’estois desia mort.
A Dieu.

 

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Ainsi dist ce grand Roy, qui sous le nom de Iuste,
Eut tousiours le bon-heur & la force d’Auguste,
Qui laissa dans nos cœurs vn fascheux souuenir,
Qui commença la guerre & ne la pût finir,
Qui causa ce grand feu qui nous reduit en cendre,
Qui troubla son pays pour ruiner la Flandre,
Et qui voyant icy les siens presque defaits,
Semble par ses desirs solliciter la paix.
Son Espouse insensible, autant qu’inexorable,
Se plaist à voir languir vn peuple miserable,
Et mesprisant sa voix, semble dire en effet,
Qu’elle ne doit laisser son ouurage imparfait.
Mais, ô Ciel, iuste Ciel, si telle est son enuie,
Daigne abreger le cours de sa fatale vie :
Et pour nous soulager, fau nous grace en ce point,
De ne plus separer ce que toy-mesme as joint.

 

FIN.

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Section précédent(e)


Anonyme [1652], L’ESPRIT DV FEV ROY LOVIS LE IVSTE A LA REYNE. Luy tesmoignant ses sensibles regrets sur le mauuais gouuernement de l’Estat. , françaisRéférence RIM : M0_1286. Cote locale : B_4_19.