Anonyme [1649], L’ENTRETIEN SECRET DE MESSIEVRS DE LA COVR DE S. GERMAIN, AVEC MESSIEVRS DE LA COVR DE PARLEMENT DE PARIS. , français, latinRéférence RIM : M0_1244. Cote locale : A_3_28.
SubSect précédent(e)

L’ENTRETIEN
SECRET
De Messieurs de la Cour de S. Germain,
AVEC
Messieurs de la Cour de Parlement de Paris.

IL n’y a que la Iustice, Messieurs, qui puisse soustenir
la grandeur des Estats : puis qu’il n’y a
qu’elle seule qui puisse maintenir toutes choses
dans le deuoir. Vostre Compagnie a esté choisie
de Dieu & du Roy pour l’exercer. Et c’est ce qui
fait que nous vous regardons comme des Dieux
mortels, qui disposez du destin des Peuples : & qui comme le
grand Dieu du Ciel pouuez inspirer ou la vie ou la mort, par
le souffle de vos bouches. Ce pendant que cette Iustice a reglé
vostre conduitte & la nostre : Elle nous a fait voir vn Siecle d’or,
rendant à vn chacun ce qui luy appartenoit : Dieu estoit seruy &
redouté ; le Prince estoit aymé & honoré ; le Royaume estoit
florissant & heureux.

Toutes les actions de cette illustre Vertu, estoient autant de
sacrées splendeurs, qui se reflechissoient sur l’Estat, comme les
rayons sur le corps du Soleil, qui le faisoient esclater dans le plus
haut lustre de sa perfection, aussi bien que de sa gloire. Mais il
faut aduouër qu’incontinent que l’harmonie de cette Iustice a
esté rompuë, ou alterée : incontinent que l’integrité l’a cedé à la
complaisance, incontinent que nos pechez sont deuenus les
vostres, & que la Politique interessée, a esté plus forte que celle
de l’Euangile : Alors nous auons commencé d’espreuuer l’espouuentable
verité des Oracles du S. Esprit, qui menace de

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confondre la sagesse humaine, quand elle veut s’esleuer au dessus
de la sienne. Dieu est le fondateur des Empires, & il en veut
estre aussi le Gouuerneur. Sa prudence en est l’apuy, & sa volonté
en doit estre la Regle. Il ne veut pas, Messieurs, qu’on accommode
ses Loix aux affaires, & la Iustice au temps : Mais il
veut qu’on accommode les affaires à ses Loix, & le temps à la
Iustice. Tout au contraire de ces mauuais Architectes dont parle
Aristote, qui mesuroient leurs regles aux pierres, & non pas
les pierres à leurs regles.

 

Nous ne parlons pas ainsi, Messieurs, pour aucun doute que
nous ayons de vostre probité ; Nous croyons que vous pratiquez
ce que Dieu commandoit aux Roys d’Israël, d’auoir tousiours
sa Loy deuant les yeux par la lecture, dans le cœur par la
Meditation ; & dans les mains par l’obseruance. Nous sçauons
que vous sçauez, que iamais les Souuerains, ny les Iuges n’ont
fait de bien dans l’administration des Republiques, que quand
ils ont sousmis les Loix temporelles aux eternelles ; Et que quiconque
s’égarera de ce principe, il tombera dans l’iniustice, &
de l’iniustice, en toutes sortes de desordres.

L’animal qui tire sa nourriture des Elemens, en tire aussi son
origine ; L’arbre qui reçoit sa naissance de la terre, en reçoit
aussi la vie ; La mere qui a produict l’enfant, prend soin de l’éleuer ;
Et le Soleil acheue dans l’or, la perfection qu’il auoit commencée.
Mais les Estats qui sont plantez de la main de Dieu, qui
les pourra soustenir que luy ? S’ils sont establis par sa Sagesse, qui
les pourra conseruer qu’elle mesme ? S’ils sont fondez par sa seule
puissance, qui les pourra affermir que sa seule Vertu ? Et qui
sçait mieux que vous, Messieurs, que ceux qui ont voulu suiure
d’autres Maximes, ont tesmoigné par leur propre mal-heur,
qu’il n’y a point de conseil contre celuy de Dieu, ny point de sagesse
contre la sienne ?

Le rencontre des affaires presentes nous feroit apprehender
de passer pour suspects en vos esprits : si auparauant que de vous
dire nos sentimens, nous ne protestions vouloir quitter pour vn
temps l’humeur Caualiere & interessée de deça, afin de traiter
auec vous par les seuls principes de la Politique Chrestienne &
Ciuile, que nous professons auec vous comme Chrestiens, &
comme François. Nous ne sommes pas du nombre de ceux qui
estiment peu vostre prudence, vostre zele & vostre affection

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pour le bien public : Et quelque semblant que nous ayons fait,
nous n’auons iamais pensé que vous peussiez, trauailler pour
d’autres motifs, que pour ceux de la gloire & de la vertu. Nous
auons tousiours creu tres-constamment que l’objet de vos
soins, ne pouuoit estre que le seruice de nostre Prince, de la
Reyne Regente, & de l’Estat. Nous ne vous connoissons pas si
peu que nous ne sçachions bien, qu’il faudroit auoir perdu le
sens, pour reuoquer en doute vne fidelité attestée par tant de
Siecles, confirmée par tant de preuues ; & ratifiée en tant de fameux
rencontres, aux despens mesmes de vostre repos, & de vos
fortunes. Quand nous auons parlé autrement, ce n’a esté que
pour estre Courtisans à la Cour, & pour viure à S. Germain
comme à S. Germain ; ainsi que vous parlez & viuez à Paris
comme à Paris. Car qui ne sçait que vos interests sont inseparablement
attachez à ceux du Roy & du Royaume, & que
ceux-là ne peuuent perir, sans que les vostres soient destruicts ?

 

Apres toutes ces protestations sinceres & veritables, que
nos cœurs prononcent plus hautement que nos plumes ou nos
langues ne les sçauroient exprimer. Nous croyons vous pouuoir
parler en confidence, & communiquer nos pensées sur les
affaires presentes, desquelles il semble qu’il n’est pas quasi possible
de se taire, puis que tout le monde y a vn si notable interest.

Les accidens qui attaquent les Estats, sont comme le feu qui
s’est pris aux Temples & aux Autels que chacun doit s’efforcer
d’esteindre : chacun a donc droict aussi d’en dire sa pensée.
Nous sentons la misere commune auec vous, comme vne Eclipse
du Soleil & des Astres, qui ne peut estre que tres-funeste,
si l’on ne court promptement aux remedes. Nous en apprehendons
les progrez & les suittes, & nous croyons en deuoir conferer
auec vous, d’autant plus confidemment & franchement,
que nous sçauons que la flatterie est vne peste de Cour, qui a
commencé tous nos maux, qui les a fomentez, qui les entretiendroit
encor & les rendroit sans ressource, si la Prouidence
du Ciel n’appliquoit la vostre pour venir au secours.

Pour vous monstrer, Messieurs, combien cette mauuaise
qualité a peu de pouuoir sur nos esprits, bien que nous soyons
Courtisans ; Nous vous dirons d’abord que sans vouloir entreprendre
de penetrer l’abysme des iugemens de Dieu, que nous

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reconnoissons impenetrables, & sans vouloir disputer des veritez
dont nous apperceuõs mieux l’effet que la cause : Nous vous
dirons pourtant, que nous descouurons au trauers de ces épaisses
tenebres qui nous enuironnent, que les mal-heurs dont la
Iustice de Dieu nous a inuestis, sont de puissantes preuues qui
nous annoncent, qu’il est vray ce que la Politique Chrestienne
& Ciuile nous enseigne, ce que la Theologie sacrée & profane
publie, ce que tous les Princes & Magistrats doiuent supposer
pour principe : mais ce que vous deuez croire constamment,
plus que toutes autres personnes du monde ; sçauoir que Dieu
destruict ce qu’il n’a point edifié : Il renuerse ce qu’il n’a point
estably : Il ruine ceux qui le méprisent : Il ne permet les crimes
que pour les chastier : Il fait iustice au trompeur & à celuy qui
est trompé : Il confond les Iuges qui se départent de sa conduite :
Il oste l’esprit aux sages qui le veulent estre sans luy, & malgré
luy : Il desceint le Baudrier des Roys, & les lie de cordes,
quand ils ne veulent pas le reconnoistre pour leur Souuerain : Il
couure les Prestres & les Prelats d’infamie, quand ils profanent
leur Charactere : Il supplante les Chefs & les supposts des Republiques,
quand ils abusent de leur pouuoir : Il oste la parole aux
plus gens de bien, afin qu’ils ne disent point la verité, ou s’ils la
disent, il ne permet pas qu’ils soient écoutez : Il iette l’ignominie
sur la face des Princes, qui l’ont voulu ietter sur luy, & il releue
de l’oppression ceux qu’vne iniuste violence auoit fait succomber :
Il manifeste ce qui auoit esté caché, & il publie ce
qu’on auoit tenu secret : Il fait croistre les Peuples que la vexation
auoit fait descroistre, & restablit ceux qu’on auoit veu perdus :
Il abaisse les superbes, & il exalte les humbles : Il destruict
la force, & il fortifie le neant : Il abbat dans vn moment la grandeur
des impies, & il ressuscite la posterité esteinte de l’homme
de bien. Il fait toutes ces merueilles, parce qu’il est Dieu, &
parce que c’est à luy à suppléer le defaut des causes secondes,
pour mettre tout à la raison.

 

Apud Deum est fortitudo & sapientia, ipse nouit & decipientem,
& eum qui decipitur. Adducit consiliarios in stultum finem & iudices
in stuporem ; Baltheum Regum dissoluit, & præcingit fune renes
corum. Ducit Sacerdotes inglorious, & optimates supplantat. Commutans
labium veracium, & doctrinam senum auferens, Effundit
despectionem super Principes, eos qui oppressi fuerant, releuans. Qui

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reuelat profunda de tenebris, & producit in lucem vmbram mortis.
Qui multiplicat gentes, & perdit eas, & subuersas in integrum restituit,
&c. Iob.

 

Toutes ces grandes paroles qui sont indubitables, parce que
c’est l’esprit de Dieu qui les prononce, & qui les execute,
nous apprennent vne espouuentable verité que nous craindrions
de vous dire, si déia vous ne nous auiez permis de parler
franchement, & de renoncer au langage de la Cour. Elles nous
apprennent que quand la cholere du Ciel veut punir les Estats
de quelque insigne desastre, il permet que ceux qui les gouuernent,
perdent l’esprit & le sens, ou pour ne pas preuoir le peril
qui les menace, afin qu’ils ne le preuiennent pas : ou afin que
le preuoyant, ils le negligent, & s’endorment, afin qu’ils ne
recourent pas aux remedes. La ville de Ierusalem & le Royaume
des Iuifs furent assez aduertis, & par les Prophetes, & par
milles autres prodiges, du mal heur qui les deuoit accueillir :
Mais les Princes & les Magistrats qui exerçoient l’autorité, reiettoient
tous les moyens de salut auec autant d’ardeur, qu’ils
en deuoient employer pour les rechercher. Ils s’opiniastroient
& s’aueugloient d’autant plus qu’on les vouloit instruire & esclairer :
Les Anges Tutelaires de l’Estat firent retentir leurs
voix dans le Temple, & dans les Carrefours : Les signes & les
presages paroissoient de temps en temps : Iesus-Christ mesme
prit la parole pour les aduertir, & pour leur dire que leur calamité
seroit sans ressource, s’ils demeuroient sans penitence. Chose
estrange ! que des aduis si salutaires & si importans ne seruoient
qu’à les rendre & plus coupables, & plus attachez à leurs desordres.

Le mesme arriua au temps du Deluge, à ceux qui en furent
surpris, & à ces cinq villes criminelles, qui furent foudroyées du
Ciel. Le mesme est arriué à toutes les Republiques qui ont pery,
& le mesme arriuera à toutes celles qui periront. Cette Politique
du Ciel est si certaine, & si euidente, que les Payens mesmes
l’ont veuë & reconnuë. Et vn d’entr’eux dit expressement
qu’en telles occasions, Videmus manum inijcientibus fatis obtundi
& hebetari sensus hominum : & fugiendo fata, in media fata
ruitur. Le Poëte Virgile qui entendoit parfaitement les mysteres
de la Theologie Profane, dit que quand le iour fatal de la
ruine de Troye fut arriué, la Prophetesse Cassandre se tuoit

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d’en donner aduis. Tunc etiam fatis aperit, Cassandra futuris,
Ora, Dei iussu nonnunquam credita Texcris. Les plus sages s’escrioient
qu’il falloit aller au deuant : mais tout cela n’empescha
point qu’ils ne fussent affrontez, & affrontez par vn cheual de
bois. Quoy qu’on leur representast qu’asseurement cette machine
estoit destinée pour machiner leur ruine : & que cette
offrande de pieté apparente, estoit vn cruel artifice preparé à
leur destruction : Quoy qu’il n’y eut rien de plus facile, ny de
plus raisonnable, que d’en faire l’espreuue, auparauant que de
l’introduire dans l’enceinte de leur ville. Quoy qu’vn certain
Laocoon mesme poussant le fer de sa lance dans les flancs de ce
Colosse, en tirast des gemissements estouffez, & des gouttes de
sang, qui tesmoignoient assez le stratageme des ennemis. Quoy
qu’on leur dist ouuertement que ce present venant des Grecs,
ne pouuoit estre que tres-suspect, qu’il y auoit des Soldats cachez
dans le ventre de cét animal, qu’ils feignoient consacrer à
Minerue, & qu’il le failloit ou ietter en la mer, ou consommer
par le feu, ou du moins le visiter, cependant les pauures Troyens
preuenus d’vne folle imagination, sans examiner vne affaire de
telle consequence, ne se contenterent point de luy ouurir les
portes : mais encor ils rompirent les murailles pour luy faire vne
entrée plus magnifique.

 

 


Scandit fatalis machina muros,
Fœta armis, circum pueri innuptœque puellæ
Sacra canunt, funemque manu contingere gaudent :
Illa subit, mediæque minans illabitur Vrbi.
O Patriæ! ô Diuum domus, Ilium & inclyta bello
Mœnia Dardanidum, quater ipso in limine portæ
Substitit, atque vtero sonitum quater arma dedere ;
Instamus tamen immeniores, cæcique furore,
Et monstrum infœlix sacrata sistimus arce.

 

Si vous nous permettez, Messieurs, de faire l’application de
toutes ces veritez, nous vous dirons dans le langage du sainct
Esprit, qu’il est vray en France aussi bien que par tout ailleurs,
que quand la Iustice de Dieu est irritée, & qu’elle veut punir
les Republiques, elle oste la science & la conscience à ceux
qui les gouuernent. Elle oste la creance & le credit aux Sages,
& elle permet que la verité dans leur bouche, prend la place
du mensonge, & le mensonge celle de la verité. Elle frape

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d’estonnement & d’aueuglement les Iuges & les Magistrats,
& elle ne permet point que ceux qui doiuent conduire les autres,
soient capables de se guider eux-mesmes. Et quand il
leur resteroit assez de prudence pour faire l’vn & l’autre, Elle
ne permettra point qu’il y ait assez de docilité dans les esprits
pour souffrir vne bonne conduitte. Adducit Consiliarios in
stultum finem, & iudices in stuporem, optimates supplantat, commutans
labium veracium, & doctrinam senum auferens.

 

Mais puisqu’il faut s’expliquer encore plus intelligiblement
& confidemment ; Permettez-nous, Messieurs, de vous demander,
comment des gens si sages & si sçauans comme vous,
n’ont point consideré cette parole de Dieu prononcée par la
bouche d’vn Prophete. Que les yeux du Seigneur sont attachez
sur le Royaume qui l’offense : Comment n’auez-vous point pensé
à cette menace que Dieu fait contre les Estats impies & desreiglez ;
Ie le perdray & ie l’effaceray de dessus la terre. Comment
n’auez-vous point conçeu ce que les Prophanes mesmes
enseignent si souuent, que l’iniustice met le desordre dans les
Royaumes, ruine les Monarchies, & fait perir les Empires ?
Salomon ne dit-il pas, que la Iustice est l’vnique appuy des
Throsnes ? Senecque ne dit-il pas, qu’il faut qu’vn Royaume
perisse, quand il n’y a plus de Iustice, plus de pieté, plus de
foy, plus de pudeur. Platon ne dit-il pas, que l’iniustice est
la desolation de toutes les Republiques ? Mais quand tous
ces autheurs n’auroient point ainsi parlé, la lumiere naturelle
ne l’enseigne-t’elle pas assez, que les Estats s’esleuent ou s’abaissent,
selon que les Vertus y sont prattiquées ou méprisées ?
L’experience de tous les siecles, & de toutes les Nations n’a-t’elle
pas fait voir que iamais les Monarchies n’ont subsisté,
qu’autant que la Iustice les a soustenuës ? Où est celle des Assyriens,
des Perses, des Medes, des Grecs & des Romains ?
Où sont les Royaumes d’Israël & de Iuda ? Et pour parler de
nostre temps : Où en est le Portugal, la Catalongne, Naples,
l’Espagne, l’Allemagne, & toute la Candie ? Mais où en est
l’Angleterre ? qui fait voir ce spectacle effroyable, vn Empire
renuersé, vne Couronne abbatuë, vn Sceptre brisé, vn eschafaut
baigné du sang de son Roy. En verité Dieu seroit il Dieu,
s’il n’estoit Iuste ? Et s’il est iuste, comment pourroit il souffrir
l’extreme iniustice des hommes ? & particulierement celle

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des hommes qui regissent les Estats, qui ne peuuent estre fondez
que sur la Iustice ?

 

Si vous auez, Messieurs, fait reflexion sur toutes ces veritez,
comme il n’est pas permis de croire que vous puissiez ignorer
ce que les autres sçauent : Si vous les auez donc sceuës, comment
auez vous permis, ou toleré, ou dissimulé les desordres
de la France, les iniustices, les impietez, les larcins
publics, les blasphemes, l’oppression des peuples ? Comment
n’auez vous point eu pitié de la Vefue & de l’Orphelin, & de
tant de pauures gens de Campagne, dont la condition estoit
deuenuë pire que celle des bestes ? Car du moins quand le
bœuf & le cheual trauaillent, on a soin de les nourrir, on nourrist
mesme les chiens qui ne trauaillent point. Mais les hommes
ont esté contraints à trauailler plus que les bestes, & ils ont
manqué de la nourriture qu’on donne aux bestes. Il y en a qui
ont pery faute d’auoir de l’herbe & du gland. Comment auez-vous
permis que les crimes dont l’horreur n’a point de nom,
soient deuenus le diuertissement des François ? Comment
auez-vous permis que le desbordement de la police soit venu
iusqu’à ce poinct, que les hommes ayent passé pour fous, &
pour ridicules, quand ils ont voulu agir par les maximes des
loix & de la conscience ? que toute la Iustice ait esté dans la force ?
& que les foibles n’ayent pû auoir d’autre refuge, que Dieu,
ou le desespoir ? Comment auez-vous souffert, que nos gens
de guerre ayent volé, violé, pillé, sous pretexte de manquer de
solde, puis qu’on leuoit iusqu’à la derniere goutte du sang du
Peuple pour les payer ? Comment auez-vous permis qu’ils
ayent ruiné les Eglises, abbatu les Autels, brisé les Images,
forcé les Religieuses, massacré les Prestres, foulé le Sainct Sacrement
aux pieds, & fait ce que les Huns & les Vvandales
n’auroient pas voulu faire ? Comment auez-vous souffert qu’on
ait enuoyé des Fuzeliers dans les Bourgades & les villages,
pour faire vne guerre aussi cruelle aux François, au milieu du
Royaume, qu’on la pouuoit faire aux ennemis au dehors ? Comment
auez-vous permis que toute la France ait esté la proye
d’vn Partisan ? & que soubs le nom d’vn Roy tres-Chrestien, &
tres debonnaire, on ait fait ce qu’on n’oseroit auoir attenté chez
le Turc ? Comment n’auez-vous point eu pitié de tant de souspirs
& de sanglots, qui retentissoient au milieu & aux quatre

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coins du Royaume ? Les auez-vous ignorez, lors que tout les
monde les sçauoit ? Et si vous les auez sceu, comment n’y auez-vous
pas pourueu ? Qui le pouuoit & qui le deuoit, que ceux qui
sont establis pour cela ? qui sont les Anges Tutelaires de l’Estat,
qui sont les Tuteurs des Roys, & les Protecteurs du Peuple ? Et
pouuez-vous estre Iuges, & Iuges Souuerains, & Souuerains au
poinct que vous l’estes, si vous ne pouuez rompre l’effort de
l’iniustice par l’autorité de la Iustice ?

 

Comment souffrez-vous que dans vn Royaume qui se vante
d’estre tres-Chrestien, le Paganisme & le Mahometisme y
ayent plus de vogue, que l’Euangile ? Comment souffrez-vous
que Iesus-Christ ait moins de credit à Paris & dans la France,
que Mahomet à Constantinople, & dans l’Empire du Sultan ?
Comment permettez-vous qu’il y ait tant de François, dont
l’on pourroit compter le nombre des paroles par celuy de leurs
blasphemes ? & la quantité de leurs crimes, par celle de leurs
actions ? Comment souffrez-vous qu’on dise, qu’il faut faire vn
Dieu nouueau, & que celuy que nous adorons, est trop vieux ?
Ignorez-vous qu’il n’y ait des hommes dans Pairs, qui ont honte
de se voir encor reduicts à pratiquer les vieilles impietez,
manque d’en pouuoir inuenter de nouuelles ? qui trauaillent
pour en chercher, auec plus de passion que nous ne trauaillons
pour nostre salut ? & qui croyent quand ils en ont trouué, auoir
merité des Couronnes. L’on fait, Messieurs, ce qu’on ne peut ny
penser, ny dire sans horreur. Et tout cela à vostre veuë, à deux
doigts de vostre Tribunal. Vous le voyez, vous l’entendez : Mais
aprés cela, vous faites comme si vous ne le voyez point, comme
si vous ne l’entendiez point.

Que veut dire, Messieurs, qu’on n’oseroit auoir violé vn de
vos Arrests ? il y va de l’honneur & de la vie si on l’auoit attenté ;
Et vous souffrez qu’on se mocque des Commandemens de
Dieu & de l’Eglise. On n’oseroit auoir attaqué vne seule de vos
Ordonnances, parce que vous les estimez iustes, & qu’elles le
sont en effet : Et vous exposez au mespris public celles du Symbole
& du Decalogue, qui sont les Regles de toute Iustice.
Vous vous passionnez si fort pour vos propres interests, & vous
estes si indifferens pour ceux de Iesus-Christ, dont le salut dépend.
Ne sommes-nous pas à la veille de voir vne nouuelle Secte
dans ce Royaume, qui succedera à celle de Caluin & de Luther,

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dont elle est le reietton ? Mais ne la void-on pas déia ? mais
ne la sent-on pas ? Car qui sçait si le Schisme dans l’Estat, n’est
point desia vn de ses ouurages, puisque pour l’ordinaire la diuision
dans la Police Ciuile, suit inseparablement celle de la Religion,
comme l’ombre suit le corps ? N’est-ce donc point assez
d’auoir esté affligez de contagion, de pestes, de famines, & de
guerres depuis tant d’années, sans estre encor accablez de ce
fleau du Iansenisme, qui est peut-estre le pire de tous ? Et qui
peut-estre nous produira les mesmes fruicts d’orgueil & d’opiniastreté,
que toutes les Heresies ont accoustumé de produire.
Et cependant, Messieurs, qu’auez vous fait, ou que faites-vous
pour le destourner ? Comment iugera-on si vous l’approuuez, ou
si vous ne l’approuuez-pas, quand on verra que vous gardez le
silence sur vn fait de telle consequence ? Et si vous l’approuuez,
qui le reprouuera ? Mais les affaires de la Religion ne sont point
de vostre ressort ; elles regardent l’Eglise & les Prelats. Il est
vray, mais s’il arriuoit que l’Eglise & les Prelats fussent desia
diuisez en cette cause, par les partys differens qui se sont formez,
ou s’ils n’estoient point assez puissans, ou assez courageux, ou
assez zelez, ou d’assez bonne intelligence pour l’entreprendre :
Ne seroit-il pas bien seant à vostre autorité de fortifier la leur, de
l’exciter, & mesme de l’appliquer, plustost que de laisser couuer
cét œuf de Basilic, qui peut-estre perdra la France, si la France
ne le perd ? Ou pour le moins ne pouuez-vous pas renuoyer la
discussion de cette nouuelle Doctrine, au iugement de la Sorbonne,
afin qu’il en soit puis apres determiné selon sa decision,
auec deffense de la plus retaster à l’aduenir, sur les peines que
vous iugerez à propos d’infliger ?

 

Quand les Theophiles, les Vannins, les Rugeris & tant d’autres
ont voulu dogmatiser, cõme le nombre des broüillons ne
manque iamais ; qui les a peu reprimer, que l’autorité des Parlemens,
& notamment du vostre, qui a tant d’auantage sur tous les
autres ? Faut-il attendre que le mal soit sans remede, pour penser
à le l’y apporter, lors qu’on ne le pourra plus, lors que le
poison sera plus fort que l’antidote ? Quel moyen, Messieurs,
d’accorder tout cela auec vostre Iustice, auec vostre autorité,
auec vostre zele, & auec cette integrité incorruptible que nous
voulons reuerer en vous ? Quel moyen d’accorder tous ces procedez,
auec la parfaite connoissance que vous auez de ces Oracles

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du Ciel : Que la Iustice esleue les Royaumes, & que le peché les
destruict : Que les Couronnes passent d’vne Nation à vne autre, à
cause des impietez, des iniures & des fraudes. Auez-vous donc
pû douter que les desordres dans la Religion & la Police, ne
deussent enfin causer vn bouleuersement dans l’Estat, & dans
vostre Compagnie ? Mais auez-vous peu ietter les yeux sur les
Liures de l’Escriture Saincte, sans vous instruire de cette verité,
autant de fois que vous y auez leu de pages ?D’où vient qu’Israël,
dit Dieu par la bouche de Ieremie, est tombé entre les mains
de ses ennemis, comme entre les griffes des Lyons qui l’ont deschiré,
& ont bruslé ses Villes & Villages, en telle façon qu’ils ne luy peuuent
plus seruir de retraitte, & que les enfans de Memphis & de
Taphnés les ont entierement ruinez. Peut-estre qu’Israël n’est pas
mon enfant, & qu’il n’est pas nay chez moy : Non, non, cela n’est
point la cause de son infortune. O Peuple, dit le Seigneur, sçache
que toutes ces choses te sont arriuées, parce que tu m’as abandonné
laschement. Dieu ne dit il pas par tout chez les Prophetes, que
la malice du Royaume de Iuda a attiré tous les maux dont il a esté
puny : Qu’Israël & Ephraim estans coulpables de mesme crime,
souffriront les mesmes peines : Que leurs ennemis causeront leur
destruction, & les mettront en tel desordre, qu’ils demanderont la
Paix & ne la pourront auoir : Que tous les iours il leur arriuer à
quelque nouuelle affliction, à laquelle ils ne trouueront point de
remede ? Puis il conclud, que tous ces mal-heurs tombent sur son
Peuple ; Parce, dit le S. Esprit, qu’il traite auec eux, comme ils traitent
auec luy.

 

Des aduertissemens si clairs & euidens peuuent-ils permettre
d’ignorer le procedé des iugemens de Dieu ? Et si vous ne les
auez point ignorez, comment ne les auez-vous point preuenus,
& pour vous & pour nous ? O Iustice du Ciel, que tu es espouuentable
quand tu es irritée ! puisque tu ostes ainsi la lumiere
aux clairs-voyans, & la prudence aux sages, & le courage aux
forts, & l’autorité aux Magistrats, & l’equité à la Iustice, & le
conseil aux prudens, & l’execution aux Puissants. Comment ne
vous estes-vous point souuenus de ce que disoit ce Conseiller
d’Estat d’Holoferne, que quand le Peuple d’Israël estoit bien
auec Dieu, il estoit inuincible : mais aussi quand il y estoit mal, il
deuenoit le ioüet de ses ennemis ? Comment auez-vous si peu
consideré le beau mot de ce Capitaine Anglois, qui respondit à

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vn de nos Caualiers qui le railloit, en luy demandant quand les
Anglois retourneroient en France, d’où ils furent chassez sous
Charles VI. Nous y retournerons, dist-il, quand les pechez des
François seront plus grands que les nostres. Comment auez-vous
si peu consideré cette parole, que Dieu disoit autresfois
aux Iuifs : Ie les ay punis comme ils m’ont offensé, & ie les ay chastié,
ainsi qu’ils m’y ont obligé. Et si vous auez consideré tout
cela, comment n’auez-vous point pensé que les mesmes supplices
nous pourroient arriuer, quand nous serions coulpables des
mesmes crimes.

 

Aduoüons, Messieurs, que si vous nous permettez de renoncer
à la complaisance, nous auons suiet de dire, qu’elle a esté aussi
puissante sur vous que sur nous. Nous auons suiet de dire, que
Dieu a commencé & consommé nostre chastiment, par l’execution
de cette verité : Adducit Consiliarios in stultum finem &
Iudices in stuporem, optimates supplantat, &c. Car si vous estes
les Boucliers de la France, les Tuteurs du Royaume & du Roy,
les Colomnes de l’Estat, les Peres du Peuple, aussi bien que les
Iuges ; pourquoy est-ce donc que cette ancienne vertu qui
auoit tousiours paru si vigoureuse & si forte, s’est ramollie &
relaschée iusqu’au poinct que de nous faire voir ce que nous
auons veu, & que nous n’auons peu voir qu’auec des yeux de
despit & de furie ? Pourquoy auez-vous abandonné le salut de
la France, dans vn temps qu’elle ne pouuoit esperer qu’en vous ?
Pourquoy l’auez vous liurée à la mercy d’vn Estranger, & d’vn
Estranger qui auoit plus d’interest en sa ruine qu’en sa conseruation,
& d’vn Estranger que vous ne connoissiez point ? Car si
vous l’eussiez conneu, eussiez-vous bien voulu l’admettre au
Gouuernement de l’Estat ? Et aprés les experiences funestes
que vous auiez faites en la personne des autres Ministres qui
ont precedé. Vous ne le connoissiez donc point, Messieurs, &
cependant vous luy auez confié l’administration de la France,
l’education du Roy, vostre salut & le nostre, nos vies & nos fortunes.
Et vous luy auez confié tout cela absolument, souuerainement,
sans restriction & sans limites, pour en disposer comme
il luy plairoit comme s’il eust esté nostre Roy, & comme si la
France eust esté son Royaume. Vous l’auez honoré ; Vous l’auez
admiré ; Vous l’auez adoré. A qui voulez-vous qu’on se prenne
de tous les mauuais succez de son gouuernement ?

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Nous ne voulons pas croire ce qui se publie auiourd’huy de
sa naissance & de ses mœurs : La passion est trop forte pour
qu’elle ne soit pas suspecte, quand mesme elle diroit la verité :
Mais quand on ne diroit que cela seul, que ce Ministre n’est pas
François ; que sa naissance est inconnuë ; que sa vertu n’auoit
point ietté ses rayons par delà l’ordinaire ; que sa suffisance dans
les lettres auoit paru tres-mediocre, ou tout à fait ignorante ;
que sa pieté n’auoit point produict de grands exemples ; qu’il
ne sçait ny nos maximes, ny nostre langue ; que sa façon d’agir est
extremément differente de celle des François ; qu’on l’auoit
mesme veu dans vne condition contemptible & mesprisable,
auparauant que le rencontre luy eust donné la disposition de
nostre Sceptre : Aprés tout cela, y auoit-il apparence qu’vne sagesse
comme la vostre, que par principe de foy Politique, nous
deuons tenir pour infaillible, deust se laisser surprendre en vne
affaire si importante, où il y va du salut du Roy & de l’Estat ?

Quand vous auez veu par les effects, que sa mauuaise administration
respondoit aux iustes soupçons qu’on pouuoit auoir
de ses mauuaises qualitez : Quand vous auez veu que nos affaires
se décreditoient à veuë d’œil sous sa conduitte, & que les
aduantages que nous auions acquis retournoient de succez en
succez du costé de nos ennemis : Quand vous auez veu qu’il
refusoit la Paix, que la France pouuoit donner heureusement à
toute la Chrestienté, & la retenir glorieusement pour elle mesme :
Quand vous auez veu que les Armées du Roy auoient souffert
vn si sanglant affront deuant Lerida, entre des mains accoustumées
à la victoire & au triomphe : Quand vous auez veu
qu’au lieu de reparer cette iniure, ce Ministre s’occupoit à preparer
des spectacles scandaleux, & des machines d’Enfer, arrosées
du sang du Peuple, cependant que l’Archiduc Leopold se
preparoit aux Pays-bas au Siege d’Armantieres, qu’il menaçoit
à la face d’vne armée Royale ; cependant qu’il choisissoit Landrecy,
& qu’il disposoit les trophées, ausquels ont assisté leurs
Maiestez ; Cela ne meritoit-il pas bien, Messieurs, que vous autres,
à qui toute la France se rapporte de ses interests : Cela ne
meritoit-il pas bien que vous examinassiez les causes de nos disgraces,
& la capacité de ce Ministre ?

Vous dites en vostre tres-sage & tres iudicieuse, aussi bien
que tres-humble Remonstrance au Roy & à la Reyne, que

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vostre Compagnie a estimé que pour maintenir la liberté legitime
qui fait regner les Roys dans le cœur des Peuples, il ne
faut pas permettre qu’aucun particulier s’estende en trop grande
puissance, au preiudice de la souueraine : Parce que ses establissemens
sont contraires aux vrayes Regles de bonne Police,
en toute sorte de Gouuernemens : & specialement aux Monarchiques,
qui ont pour Loy fondamentale, qu’il n’y ait qu’vn
Maistre en tiltre & en fonction. Comment auez-vous donc
permis que le Cardinal Mazarin se soit assis dans le Thrône, &
qu’il ait vsurpé nostre Sceptre, aussi imperieusement comme
s’il auoit esté nostre legitime Monarque ?

 

Vous dites qu’il est arriué que le Cardinal Mazarin esleué
par le Cardinal de Richelieu, nourry dans ses Maximes ambitieuses,
& formé dans ses artifices, succedant à son Ministere, a
succedé pareillement à ses desseins : Qu’il n’a pas plustost eu
l’honneur d’estre admis au maniement des affaires, qu’il n’en ait
abusé, & qu’oubliant son deuoir, & les obligations qu’il auoit à
sa Bien factrice, suiuant l’exemple de celuy qui l’auoit instruict,
il n’ait dressé toute sa conduitte à vsurper la supreme authorité.
De maniere que deslors iusqu’à present, vous l’auez veu Maistre
de la Personne du Roy, sous le nouueau tiltre d’intendant
de son education : Et disposer sans reserue, des Charges, des
Dignitez, des Places, des Gouuernements, des Armées & des
Finances conferer toutes les graces, sans donner part de la gratitude
à la Reyne ; ordonner les peines luy en laissant toute
l’enuie, & qu’en effet tous les subiects du Roy & leurs fortunes
particulieres, aussi bien que la fortune publique, estoient en sa
dependance. Mais quand cela ne seroit point arriué en ceux
qui ont precedé, y auoit-il pas suiet de craindre qu’il n’arriuast
sous la conduitte d’vn Estranger, & d’vn Estranger inconnu, &
d’vn Estranger nay subiect du Roy d’Espagne, auec qui nous
auons actuellement la guerre : Et d’vn Estranger sans aucunes
qualitez Heroïques, telles qu’il les faut pour gouuerner des
Estats ? Et mesme sans aucune qualité considerable, ny par sa
naissance, ny par son esprit, ny par son experience, ny par sa
science, ny par sa pieté, ny par sa beneficence, ny par sa bonté, ny
par aucune des vertus qui peuuent rendre vn homme aymable
ou supportable en son gouuernement ? Comment luy abandonner
ce qu’à peine on eust voulu confier au plus grand Personnage

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du Royaume, non pas mesme à tout vostre Corps ? Estoit-il
à propos de risquer en vne affaire de telle consequence, où il y
va de tous les interests du Roy & du Royaume, & de se mettre
en hazard d’estre obligé de dire, nous auons esté trompez ?

 

Vous adioustez en suitte, que comme les interests de ceux
qui entreprennent sur l’autorité Souueraine, sont tousiours contraires
à l’interest d’vn Souuerain : Vous auez veu sous son Ministere
vn vsage de Politique estrange, & toute opposée à nos
mœurs ; Les vrays interests de l’Estat abandonnez ou trahis, la
continuation de la Guerre, l’éloignement de la Paix, les Peuples
espuisez, les Finances dissipées ou destournées, tout ce qu’il y a
de considerable dans le Royaume, ou corrompu ou opprimé,
pour assuiettir tous les François sous la puissance d’vn seul
Estranger. Et finalement l’Estat au poinct où il est, à la veille de
sa ruine. Vous dites qu’il a tousiours voulu continuer la guerre,
& esloigner la Paix, afin de se rendre plus necessaire, & auoir
plus de pretexte de leuer de grandes sommes de deniers pour
s’enrichir : Qu’on a descouuert en plusieurs occasions qu’il a
empesché nos succez pour faire balancer les affaires ; Tesmoins
nos Armées perduës faute de subsistance deuant Lerida ; les
foibles secours de Naples enuoyés à contre-temps ; le Siege de
Cremone, la perte de Courtray, & autres actions de cette
qualité.

Mais seroit-il possible que des Esprits cõme les vostres, n’auroient
point preueu tous ses euenemẽs en vn Ministre de cette
condition : Puisque les gens mesmes de Village les preuoyoient
& s’en plaignoient par auance, dés lors qu’on sceut à la Campagne
que vous l’auiez admis, ou du moins que vous le souffriez
au gouuernement de la France ? Que pouuoit-on attendre autre
chose d’vn Sicilien, d’vn Espagnol-Italien, d’vn homme de
sa naissance & de son education ?

Vous dites que si la propre confession de ce Cardinal peut
seruir à le conuaincre, apres auoir dit tant de fois, qu’il tenoit la
Paix entre ses mains, outre la voix publique qui le declare par
tout, & la chose qui parle d’elle-mesme : Il n’est que trop euident
qu’il a trahi nos vrais interests en cette affaire si importante.
Vous dites que cette seule preuarication en vn sujet de
cette qualité, meritoit vn supplice qui égalast en quelque sorte
les miseres & les desolations qu’elle a causées. D’où l’on peut

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tirer cette induction qu’il auoit la pensée de partager vn iour la
Frãce auec l’Espagnol, & que nous sommes peut-estre à la veille
de l’esprouuer. Vous dites que quãt à la depredation des Finances,
ce Ministre n’a donné aucunes limites à sa conuoitise : Il a
regardé le bien du Peuple comme sa proye, il a esté auide de sa
substance : & la derniere goutte du sang des François, estoit la
seule borne de sa cupidité.

 

Tout cela est vray, Messieurs, & il n’y a pas moyen de mieux
descrire nos mal-heurs, ny l’humeur de celuy qui nous les a infligez.
Mais quels ordres auez-vous donné pour empescher l’execution
de ses sinistres desseins ? Quel chastiment luy auez-vous
imposé pour les exactions inoüies qu’il faisoit exercer aux
Villes & aux Bourgades, par des Brigades de Fuzeliers, qui en
verité estoient plus redoutables & plus preiudiciables à la France,
que les Ennemis mesmes de la France, puisqu’ils tuoient impunement,
voloiẽt, violoient, brusloient, sous pretexte, disoient-ils,
de faire obeyr le Roy. Quand ce Ministre a refusé la Paix à
Munster, qu’il pouuoit conduire si honorablement & si auantageusement,
sous la sage conduitte de ce genereux Prince,
Monsieur de Longueuille ; quel supplice luy auez-vous ordonné ?
quelles precautoins auez-vous apportées pour preuenir ses
fatales entreprises ? L’on a puny tres-seuerement les premieres
& les plus illustres testes du Royaume, pour vn seul peché contre
l’Estat, & quelquesfois pour vn seul soupçon. Et qu’auez-vous
fait à celuy-cy, lors qu’il desesperoit tout le Royaume ?
Vous l’auez laissé esclater dans la gloire, dans le luxe, dans les
grandeurs qui le faisoient parestre au Peuple comme vn Empereur
triomphant ; lors mesme qu’il se ioüoit de vostre Pourpre,
& qu’il plongeoit la sienne dans nostre sang.

Vous vous plaignez & auec grande raison, que ce pretendu
Ministre a si fort espuisé le Royaume pour s’enrichir, qu’il y a
peu de Personnes à la Campagne, ausquelles il reste vn lict pour
se coucher ; moins, à qui il ait laissé de quoy suffisamment pour
se nourrir auec son trauail, & qu’il n’y en a point du tout qui
puisse viure sans incommodité. Vous marquez les voyes qu’il
a tenuës pour faire vne telle depredation. Et vous obseruez que
les seuls fonds immenses qu’il a consommez dans la Marine,
dont il a disposé, sans en rendre compte, estoient capables d’épuiser
les Finances. Vous representez que c’est assez de dire

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qu’il estoit le Maistre, qu’il prenoit tout ce qu’il pouuoit toucher,
comme s’il eust esté sien : Qu’il a conserué & augmenté le
nombre des Partisans & gens d’affaires, qui estoient les sangsuës
qui luy facilitoient des moyens pour auoir de l’argent comptant :
Qu’il a leué plus de quatre-vingts millions de liures par an :
Qu’il nous a engagé de cent cinquante, & qu’on ne trouue presque
plus d’or ny de bonne monnoye en France.

 

Vous vous plaignez qu’il a voulu tirer les subiects du Roy de
sa dependance, pour les mettre en la sienne, ou de leur consentement,
ou par force : Qu’il a fait des violences exorbitantes
pour destruire les vns, & pour intimider les autres, par vn grand
nombre de proscriptions, d’emprisonnemens, & autres mauuais
traitemens, plus ou moins inhumains, selon que la resistance à sa
tyrannie, luy estoit plus ou moins nuisible ou odieuse. Vous
vous plaignez qu’il a tasché par toute sorte d’artifices & de violences,
d’abbatre la Compagnie du Parlement : Parce qu’en effect
c’est le plus fort rempart pour deffendre l’autorité Royale,
& le plus redoutable aduersaire de ceux qui la veulent vsurper.
Tout cela est tres-vray, Messieurs, & peut-estre que le mal est
encor plus grand que vous ne le figurez.

Mais qui ne voit qu’on peut repliquer, que ce Ministre n’a
eu pouuoir de faire tous ces maux que par l’autorité que vous
luy auez donnée, ou que vous auez approuuée, ou du moins que
vous auez tolerée ? Toute la France gemissoit sous le ioug de sa
cruauté : Tous les Peuples reclamoient vostre secours contre ses
vexations : Et cependant vostre condescendance ou complaisance
l’ont laissé monter à ce degré de puissance, que vous sentez
maintenant auec les autres, par vn iuste iugement de dieu.
Et nous n’osons dire, Messieurs, que peut-estre s’il n’auoit point
esté assez imprudent & temeraire pour vous le faire sentir, Nous
ne sçauons si vous eussiez esté assez genereux, pour entreprendre
contre luy la conseruation du Roy & de l’Estat.

Nous appellons toute cette conduitte vn coup de la Iustice
de Dieu, en son progrez & en sa fin, aussi bien qu’en son commencement.
La France estoit assez criminelle deuant Dieu, en
toutes ses parties, pour meriter vn chastiment en tous les Ordres
qui la composent : Il failloit vn instrument de cette Iustice,
qui appliquast la peine condigne à nos fautes. Dieu s’est voulu
seruir du Cardinal Mazarin, comme il s’est seruy autresfois des

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Nabuchodonosors, des Antioches, des Attila, des Tamberlans,
& autres semblables prodiges pour punir ses Peuples. Il a permis
que vostre vigilance ordinaire se reposast, & que vostre sagesse
se donnast quelque trefue, pour permettre à cet homme
d’affliger & vexer tous les autres.

 

Et il a permis que nous ayons esprouué la verité de ses espouuentables
paroles : Immutat cor Principum Populi terræ, &
dicipit eos vt frustra incedant per inuium : Palpabunt quasi in tenehris
& non in luce, & errare cos faciet quasi ebrios. Quand Dieu
veut punir les Republiques, il change le cœur des Princes qu’il
tient en ses mains : Et pour les tromper, il leur fait quitter les
bonnes resolutions qu’ils auoient pris dans leur Conseil : Et il
les engage en des desseins dont la sortie est aussi difficile, que
l’entrée a esté perilleuse. Il frappe leur conduitte d’vn si estrange
aueuglement, qu’on les prendroit pour des hommes, qui marcheroient
dans les tenebres : Et il rend leurs actions si extraordinaires
& si extrauagantes, qu’on les pourroit attribuer à la
passion & à l’yuresse plustost qu’à la raison.

Vous le voyez & l’espreuuez maintenant, Messieurs ; mais
nous pleurons & gemissons de ce que vous auez reconnu si
tard, ce qu’il estoit necessaire de reconnoistre dés le premier
moment que ce Ministre a voulu s’introduire dans le maniement
de nos affaires. Nous souspirons de ce que vostre iuste zele
a tant tardé de venir au secours de la France ; lors que le mal
ne peut quasi plus souffrir que des remedes violens, qui sont de
seconds maux, peut-estre pires que les premiers.

Auoüons, Messieurs, que nous auons tous failly, pour auoir
voulu estre trop sages, trop ciuils, & trop moderez, pour ne pas
dire trop interessez ou trop lasches. Il est vray, l’honneur & le
respect que vous portez au Roy, & à l’authorité Royale, vous
retenoit : Mais eussiez-vous peché contre ce deuoir inuiolable,
quand vous eussiez empesche l’iniuste vsurpation de son authorité
en la personne d’vn Estranger ? Nous auons aussi peché auec
vous de l’auoir adoré & idolatré : mais ç’a esté à vostre exemple ;
& nous sommes excusables, parce qu’il faut suiure le train de la
Cour, & que nous n’auions pas le pouuoir, comme vous, de regler
son authorité.

Puisque nous auons tous failly, il est bien iuste que nous
soyons tous chastiez, & chastiez de la main de Dieu. Car asseuremens

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faut reconnoistre, si nous voulons estre raisonnable,
que la France a prouoqué sa cholere sur nous, par vne quantité
infinie de desordres, qui y regnent impunément depuis longtemps,
& qui y regneront tousiours à l’aduenir, si vous ne les exterminez.
Ouy, Messieurs, nous auons comblé la mesure de
nos iniquitez, & la Iustice du Ciel, qui ne peut s’endormir sur les
crimes, se resueille pour nous punir. Car autrement quelle apparence
que la plus pieuse Princesse du monde, eust esté inexorable
à la voix de tant de souspirs & de sanglots ? Comment auroit-elle
peu ou approuuer ou souffrir le dessein de reduire la
Ville de Paris à la desolation d’vn Siege ? Comment auroit-elle
peu reietter les Prieres des Temples & des Autels, des Cloistres,
des Vierges, des Hospitaux, de tant d’innocens qui ont
sollicité sa misericorde, sans la pouuoir fléchir ? Comment auroit-elle
abandonné à l’insolence du Soldat, tant d’ames, qui ne
souhaittoient leur conseruation, que pour prier Dieu pour la
sienne ? Comment n’auroit-elle point consideré qu’elle ne pouuoit
ruiner Paris, sans ruiner le Royaume ? & qu’elle ne pouuoit
ruiner l’vn & l’autre, sans briser le Sceptre & la Couronne de
son fils ? Comment est-ce qu’elle auroit hazardé à vne guerre
Ciuile, tant de pauures sujets, qui se traisnent sous ses pieds,
pour protester qu’ils n’ont iamais peché, ny voulu pecher contre
l’authorité Royale ? Comment n’auroit-elle point apprehendé
les clameurs du sang de tant de Peuples, qui ne pouuoit manquer
de crier vengeance sur elle, si elle-mesme les vouloit sacrifier
à la vengeance ? Comment ce naturel si doux & si debonnaire,
est-il deuenu si seuere, & si implacable ? Comment auroit-elle
esté si constante à preferer la conseruation d’vn Estranger,
à celle de tout son Royaume ? & d’vn Estranger coupable de
tous les mal-heurs du Royaume ? Comment n’auroit-elle point
redouté les iugemens de Dieu, qui menacent si rigoureusement
les Potentats qui estouffent en leur cœur les sentimens de
la clemence & de la pitié ? Comment vne Reyne tres-Chrestienne
de nom & d’effet, ne se seroit-elle point souuenuë des
exemples de la bonté de Iesus-Christ, pour pardonner quand
on l’auroit offensée ; & pour pardonner lors qu’elle en est coniurée
par tant de motifs du Ciel & de la terre ; Et lors que l’execution
de la vengeance luy pouuoit estre aussi fatale à elle-mesme,
qu’à ceux de qui elle pretendroit se vanger ?

 

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Mais qui pourroit encor conceuoir qu’vn Premier Prince du
Sang ; si bon François ; si fidele seruiteur du Roy ; si sage en sa
conduitte ; si genereux en ses desseins ; si heureux en toutes ses
actions : eust voulu fauoriser de sa protection, contre le veritable
seruice du Roy & du Royaume, vn homme qui a merité d’estre
l’object de la haine publique, & de l’execration de tous les Peuples ?
Quel charme & quelle magie a-t’il fallu employer pour seduire
vn Heros, que nous auions regardé iusqu’à maintenant
comme le Pere de la Patrie, le bras droict de nostre Roy ; le Bouclier
de la France, les delices de tous les cœurs, l’inclination de
toutes les belles ames. Qui pourroit conceuoir qu’vn si grand
homme eust voulu exposer vne vie si precieuse, pour le salut
d’vn coulpable, qui a tasché tant & tant de fois de le faire perir ?

O Dieu qu’il est bien vray que vostre Iustice a des abysmes
qui sont impenetrables à nos pensées, & inconceuables à toutes
sortes d’esprits ! Faut-il donc que nous ayons veu vn Prince pour
qui nous auons fait tant de vœux, trauailler à nostre ruine & à la
sienne ; afin de desrober à la Iustice le Chef de tant de voleurs, &
le plus cruel ennemy de sa Personne & de l’Estat ? Faut-il que
cét inuincible, qui auoit effacé la memoire des Cesars & des
Alexandres, soit venu enseuelir l’honneur de toutes ses conquestes
dans le sang & le sac de son Pays ? Faut-il qu’ayant tant
& tant de fois estonné & affligé l’Espagne, en luy enleuant ses
Villes & ses Prouinces, il se soit mis en hazard de luy en faire
vne si honteuse restitution ; & auec tant d’vsure, en tournant la
pointe de ses armes contre la France ?

Ce n’est pas à nous, Messieurs, à entreprendre sur le mestier
des Predicateurs, ny des Politiques : Vostre sagesse est toute
claire-voyante, & ce que nous ne voyons qu’auec des yeux de
Hiboux & de Chahuant ; vous le voyez auec des yeux d’Aigles
& de Linx. Mais nous vous redirons pourtant, auec autant de
raison & de conscience, que des Caualiers en peuuent auoir :
que des maux si estranges & si extraordinaires, & si esloignez de
remedes, semblẽt ne pouuoir proceder que d’vne haute cholere
de Dieu, irritée contre nous. Quand il veut frapper les plus
grands coups de sa iustice, il permet d’ordinaire que les sentinelles
de la Republique s’endorment, sur les desastres qui l’accueillent ;
il permet que les Souuerains, & ceux qui ont l’autorité,
s’endurcissent contre toute persuasion, & s’aueuglent contre la

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veuë des desastres qu’ils descouurent, afin que rien ne s’oppose
aux effects de la vengeance diuine. Il ne faut que replier les
yeux sur nous mesmes, sur Paris, sur la France, sur nos Princes,
sur vous, Messieurs, & sur tous les Ordres de ce Royaume, pour
auoir des exemples de cette verité.

 

Mais puisqu’il n’y a plus de conseil pour les choses faites ; du
moins, Messieurs, prenez garde à l’aduenir, que le Royaume ne
retombe point en de semblables mal-heurs. Vous le pouuez, &
vous le deuez, puisqu’il ne faut pour cela que restablir la Iustice.
Et dans la creance que vous le ferez, puisque tous vos desseins
n’ont point d’autre object, que la prosperité du Roy & de son
Peuple, Nous ne feindrons point de declarer publiquement, le
desir que nous auons de voir bien tost le Mariage de Mademoiselle.
S. Germain auec vostre Parlement : aussi bien qu’on a veu
celuy de Madame Paris ; quoy que nous ne tombions pas d’accord
de tous les articles du Contract. Vous en ferez publier les
bancs au plustost, puisque cette bonne paix vaudra beaucoup
mieux qu’vne mauuaise guerre, & que les plus courtes folies
sont les meilleures. L’Eglise ne s’opposera point à cette Polygamie ;
& nous tenons pour asseuré que ny Monsieur l’Archeuesque,
ny Monsieur le Coadiuteur, ne refuseront point la permission
de faire ce mariage en Caresme, quand mesme ce deuroit
estre le Vendredy Sainct, ou le Samedy de Pasques.

FIN.

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Anonyme [1649], L’ENTRETIEN SECRET DE MESSIEVRS DE LA COVR DE S. GERMAIN, AVEC MESSIEVRS DE LA COVR DE PARLEMENT DE PARIS. , français, latinRéférence RIM : M0_1244. Cote locale : A_3_28.