Anonyme [1649], L’ENTRETIEN FAMILIER DV ROY, ET DE LA REINE Regente sa Mere, sur les affaires du temps. , françaisRéférence RIM : M0_1242. Cote locale : C_7_70.
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L’ENTRETIEN FAMILIER DV ROY,
& de la Reyne Regente sa Mere, sur les affaires
du temps. Auec l’Aduis de Monsieur le Duc
d’An ou au Roy, presenté à sa Maiesté par vn
fidelle Officier de sa Maison, à Sainct Germain
en Laye, le iour des Cendres 1649.

Le Roy commence.

MA bonne Maman, pourquoy avez vous pris la Regence,
puis que mon Papa l’avoit defendu à sa mort ?

La Reyne respond.

Mon Fils, pour estre la maitresse de toute la France, sous
vostre authorité.

Le Roy. Ma bonne maman, pourquoy ne m’avez-vous pas
laissé entre les mains de M. le Duc de Beaufort, comme mon
Papa l’avoit fait en mourant ?

La Reyne. Mon Fils, c’est que ie ne l’aimois pas comme M.
le Cardinal Mazarin.

Le Roy. Ma bonne maman, pourquoy ne vous estes vous
pas servie de M. l’Evesque de Beauvais ?

La Reyne. Mon Fils, parce qu’il est trop homme de bien, il
n’auroit pas sait ce que i’aurois voulu, comme fait M. le Cardinal
Mazarin.

Le Roy. Ma bonne maman, pourquoy avez-vous chassé
M. le Duc de Vendosme, & fait emprisonner M. de Beaufort ?

La Reyne. Mon Fils, parce qu’ils sont trop gens d’honneur,
pour suivre les conseils de M. le C. Mazarin.

Le Roy. Ma bonne maman, pourquoy vous servez-vous
plutost de M. le C. Mazarin, que d’vn autre ?

La Reyne. Mon Fils, parce que ie l’aime, & qu’il fait tout ce
que ie veux.

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Le Roy. Ma bonne maman, pourquoy l’avez vous laissé loger
dans mon Palais si pres de vous ?

La Reyne. Mon Fils, pour le voir quand ie veux, & plus commodément.

Le Roy. Ma bonne maman, pourquoy luy permettez-vous
d’avoir des gardes qui portent des armes dans mon Palais ?

La Reyne. Mon Fils pour la seureté de sa personne, sans
laquelle ie ne puis vivre.

Le Roy. Ma bonne maman, pourquoy a t’on chassé, & fait
mourir tant de Presidens & de Conseillers du Parlement de
Paris ?

La Reyne. Mon Fils, parce qu’ils n’ont pas voulu obeïr à
M. le C. Mazarin.

Le Roy. Ma bonne maman, pourquoy avez vous chassé M.
de Chasteau-neuf ?

La Reyne. Mon Fils, parce qu’il m’a faché & M. le C. aussi,
disant, que le Parlement me pouvoit oster la Regence.

Le Roy. Ma bonne maman, pourquoy a t’on fait les Barricades
à Paris à la sortie du Te Deum de Notre-Dame ?

La Reyne. Mon Fils, à cause que i’avois fait prendre M. le
President du Blanc Mesnil, & Monsieur de Broussel, Conseiller
au Parlement de Paris, prisonniers, parce qu’ils sont
gens de bien.

Le Roy. Ma bonne maman, pourquoy a t’on chassé & mis en
prison tant de bons Predicateurs ?

La Reyne. Mon Fils, parce qu’ils parloient trop franchement
& ouvertement contre M. le C. Mazarin, & le gouvernement
de l’Estat.

Le Roy. Ma bonne maman, pourquoy ne pouvez-vous ecouter
ny souffrir les gens de bien aupres de vous ?

La Reyne. Mon Fils, parce que M. le C. Mazarin ne veut
pas que i’ecoute personne que luy & ceux qu’il me dit.

Le Roy. Ma bonne maman, pourquoy communiez vous si
souvent, & allez par toutes les Eglises de Paris, & n’aimez
pas les gens de bien ?

La Reyne. Mon Fils, M. le C. M. dit qu’il me faut faire ainsi
par maxime d’Estat, afin que l’on me tienne pour devote &
bonne Reine.

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Le Roy. Ma bonne maman, pourquoy souffrez vous que les
femmes se mertent sur les Autels avec le Prestre, qui du tems
de S. Louis n’entroient pas dans le Chœur, & que la Chanceliere
oste les Commandemens de Dieu des Heures ?

La Reyne. Mon Fils, cela estoit bon du temps de S. Loüis,
mais à present tout va à la mode, les femmes sont-elles pas
autant que les hommes, & plus : voyez si ie ne fay pas ce que
ie veus. & pour les Commandemens de Dieu, Madame la
Chanceliere dit qu’ils sont trop vieux pour elle.

Le Roy. Ma bonne maman, pourquoy puisque vous voulez
passer pour vne bonne Reine, ne me nourrissez vous pas
comme la mere de S. Loüis le nourrissoit, qui estoit Roy de
France comme moy ?

La Reine. Mon Fils la mere de S. Louis estoit vne femme
sage & vertueuse, qui n’avoit pas vn C pour Conseil.

Le Roy. Ma bonne maman, dites-moy qui font vos Conseillers,
afin que ie les connoisse ?

La Reyne. Mon Fils, c’est M le C. Mazarin, & tous ceux qui
font ce qu’il veut, comme tous les parens du feu Cardinal
de Richelieu.

Le Roy. Ma bonne maman, dites moy qui sont les parens du
feu C. de Richelieu, afin que le les connoisse aussi ?

La Reyne. Mon Fils, c’est M le C. de Lyon, M le Marechal
de Brezé, M. le Duc de Rich lieu, M. le Mareschal de la
Meilleraye, M. le Mareschal de Grammont, M la Duchesse
d’Eguillon, & autres, que vous connoitrez quand vous
serez en âge.

Le Roy. Ma bonne maman, dites moy aussi qui sont les
affidez de M. le C. Mazarin, que vous aimez tant ?

La Reyne. Mon Fils ce sont M. le Prince de Condé ; M. le
Comte d’Harcour, le Chancelier, le Grand Maistre, de
Guiche, le Comte de Brienne, Mad de Combalet, l’Abbé
de la Riuiere, l’Abbé de Palluau, l’Abbé Mondin de Villequier,
de Gerzé le Cheualier de Iars, de Beringhen le grand
Preuost, Langlée, le Tellier, Senneterre, Bautru de Roquelaure,
Cantarini, de Mauroy, Tubeuf, & tous les Parntans
de France.

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Le Roy, Ma bonne maman, dites moy, tous ceux-la sont-ils
bien affectionnez à mon seruice ?

La Reyne. Mon fils, ouy vous vous en pouuez bien asseurer,
car M. le C. Mazarin les a choisis, & ce sont ceux qui le conseillent
& qui ont tout le bien de la France.

Le Roy. Ma bonne maman pourquoy a t’on fait tant de Comedies
dans mõ Palais Royal à Paris auec tant de despenses ?

La Reyne, Mon fils, c’a esté M. le C. Mazarin peut me contenter,
& pour faire voit que les Italiens sont meilleurs Comediens
que les François.

Le Roy, Ma bonne maman, pourquoy auez vous casse les
Capitaines des gardes de mon Corps ?

La Reyne, Mon fils, parce qu’ils ont voulu chasser vos anciennes
gardes de leurs postes à la Procession dans les Cloistres
des Fueillans à Paris, en la presence de M le C Mazarin,
sans respect.

Le Roy, Ma bonne maman, pourquoy n’a t’on pas fait se
procez du Gouuerneur de Courtray & de Landiecy, qui
m’ont laissé perdre deux si bonnes places & pourquoy a t’on
mis celuy de Courtray, pour Gouuerneur dans la Ville
d’Ypres ?

La Reyne, Mon fils, parce qu’ils ont obey à M. le C. Mazarin,
qui fait ce qu’il luy plaist.

Le Roy, Ma bonne maman, pourquoy a t’on tenu si longtemps
M. le Mareschal de la Mote Houdancour prisonnier à
Lyon ?

La Reyne, Mon fils, parce qu’il n’a pas voulu donner la Duché
de Cardonne à M. le C. Mazarin pour Monsieur le C. Ste.
Cecile Viceroy de Catalogne son frere.

Le Roy, Ma bonne maman, pourquoy m’a t’on emmené de
Paris comme en cachette sans battre Tambour, sans gardes,
cheuaux legers, ny gendarmes, en pleine nuit ?

La Reyne, Mon fils, pour contenter M. le C. Mazarin qui l’a
voulu ainsi.

Le Roy, Ma bonne maman, pourquoy est-ce que les Messieurs
du Parlement de Paris sont venus tant de fois à Sainct-Germain
en Laye ?

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La Reine. Mon Fils, pour y faire vne Declaration, & pour
leur faire voir l’autorité de M. le C. Mazarin.

Le Roy. Ma bonne maman, pourquoy n’execute-t’on pas
cette Declaration, puisqu’elle a donné tant de peine à faire ?

La Reyne. Mon Fils, nous ne l’avons faite que pour tromper
les messieurs du Parlement de Paris, & pour les amuser.

Le Roy, Ma bonne Maman, pourquoy m’a t’on donc remené
à Paris ?

La Reyne, Mon fils pour prendre mieux nostre temps afin
de tromper tout le monde, & pour y receuoir 15. millions de
liures.

Le Roy, Ma bonne Maman, pourquoy à t’on receu cét argent,
& qu’en a t’on fait, puisque ma table a manqué deux
iours ?

La Reyne, Mon fils, on l’a baillé à M. de la Meilleraye, & à
Madame de Combalet en depost sous pretexte de prest, qu’ils
vous one fait : & pour le manque de vostre table, c’est pour faire
croire au peuple que c’estoit la faute de Messieurs du Parlement
de Paris.

Le Roy, Ma bonne maman, pourquoy ne fait-on point la
paix ?

La Reyne, Mon fils, c’est que M. le C. Mazarin ne le trouue
pas à propos. Car il dit qu’il ne seroit plus respecté ny honoré
comme il est.

Le Roy, Ma bonne maman, pourquoy mon cousin le Duc
de Longueuisle, n’a-il pas signé la paix, puisque l’on l’auoit
enuoyé pour cela ?

La Reyne, Mon fils ç’a esté M. le C. Mazarin, qui l’a fait empescher
par M. [1 mot ill.], afin de pouuoir marier ses niepces
plus hautement.

Le Roy, Ma bonne maman, dittes moy, qui est M. le C.
Maz. puis qu’il fait ce qu’il luy plaist de mon Royaume ?

La Reyne. Mon Fils, c’est votre couverneur, le premier
Ministre de vostre Estat, est ce pas assez pour faire de votre
Royaume ce qu’il luy plait ?

Le Roy. Ma bonne maman, pourquoy vous fiez-vous tant
à luy, puisqu’il a trompé le Pape, abusé l’Empereur, & trahy

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le Roy d’Espagne vostre frere ?

 

La Reyne. Mon Fils, c’est vn temoignage de son bon esprit,
mais ne vous en mettez pas en peine, car M. le prince de
Condé m’en a respondu.

Le Roy. Ma bonne maman, pourquoy m’a t’on fait lever si
matin, pour m’emmener de Paris le iour des Roys ?

La Reyne. Mon Fils, pour surprendre tout le monde, &
pour affamer la Ville de Paris.

Le Roy, ma bonne maman, dites moi, que vous a t’on fait à
Paris ?

La Reyne, mon fils, c’est que messieurs du Parlement ne
veulent plus souffrir que M. le C. Mazarin, auec les Partisans,
pille dauantage vostre peuple.

Le Roy, ma bonne maman, qu’est ce que des Partisans, &
à quoy sont ils bons ?

La Reyne, mon fils, ce sont des personnes d’honneur de
qui m le C. M. se sert pour attirer tout le bien de la France,
auec les Intendans de Iustice.

Le Roy, ma bonne maman, à quoy seruent les Intendans
Iustice dans les Prouinces ?

La Reyne, mon fils, pour sous vostre authorité & le voile
de Iustice tirer tout l’argent de vostre Royaume.

Le Roy. ma bonne maman, pourquoy avez vous osté m. le
President de Bailleul, de la charge de Sur Intendant, pour
y mettre m. d’Esmery ?

La Reyne. Mon Fils, parce que m. le President de Bailleul
est trop considerant, il faloit vn homme comme m d’Esmery
à m. le C. Mazarin, qui n’eust ny ame, ny foy, afin de faire
tout ce qu’il voudroit.

Le Roy. ma bonne maman, pourquoy avez vous donc chassé
m. d’Esmery, puisqu’il faisoit tout ce que m. le C. Mazarin
vouloit ?

La Reyne. mon Fils, c’est qu’il avoit assez volé, & m. le C.
Mazarin ne vouloit pas que l’on le sceust.

Le Roy ma bonne maman, pourquoy fait on tant la guerre
en Italie, cela est il necessaire ?

La Reyne. mon Fils, cela se fait par maxime d’Estat, pour

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contenter m. le C. Mazarin.

 

Le Roy. ma bonne maman, pourquoy avez-vous choisi M.
le Grand-maistre pour le faire Sur Intendant, n’est il pas
assez riche ?

La Reyne. mon Fils, c’est vn homme comme il nous faut,
il est des parens de m. le C. de Richelieu, il ne payera personne,
il est fort & vaillant, voyez combien il en tua aux Barricades
de Paris !

Le Roy. ma bonne maman, qu’avez-vous fait de 500. millions,
que vous avez receus depuis que mon Papa est mort ?

La Reyne. mon Fils, ils ont esté distribuez par l’ordre dem.
le C. Mazarin, qui les a mis à couvert.

Le Roy. ma bonne maman, pourquoy puisque vous avez
receu tant d’argent, n’a t’on pas payé les gages de mes Officiers,
& de mes soldats, depuis trois ans ?

La Reyne. Mon Fils, m le C. Mazarin, garde tout pour notre
necessité, & pour marier ses Nieces, comme a fait m. le
Cardinal de Richelieu.

Le Roy. ma bonne maman, dites-moy donc de quelle naissance
est m. le C. Mazarin, pour marier ses Nieces à des
Princes du Sang de France ?

La Reyne. mon Fils, vous m’importunez, car ie sçay bien,
que m. le C. Mazarin est fils d’vn banqueroutier de Rome, a
esté laquay, postillon de courier, grand ioüeur & pipeur,
mais tout cela n’empesche pas que ie ne l’aime, & qu’il ne
marie ses Nieces à qui il voudra, ayant tout le bien de la
France, & mon amitié.

Le Roy. Ma bonne maman, pourquoy n’avez vous pas voulu
parler à mon Advocat, & mon Procureur General du Parlement
de Paris, quand ils sont venus icy ?

La Reyne, Mon Fils, ç’a esté M. le C. Mazarin, & M. le
Prince de Condé, qui m’ont dit, que puisqu’il faloit affamer
la Ville de Paris, il ne leur faloit parler.

Le Roy, Ma bonne maman, dites moy, puis que vous voulez
affamer ma bonne ville de Paris, que deuiendront tant de
bons Religieux & Religieuses qui ne viuent que d’aumosmes,
les petits enfans à la mamelle, les pauures dans les hospitaux,

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& par la ville, & tant de gens de bien qui sont dans
Paris.

 

La Reyne, Mon fils, ne vous en mettez pas en peine, car vous
ne sçauez pas où peut aller la passion d’vne femme Reine
Regente, quand on heurte ses volontez.

Le Roy, Ma bonne maman, vous ne vous souciez donc guere
de mon Royaume.

La Reyne, Mon fils, quand vous serez en aage, vous y aduiserez,
car pour moy ie veux viure & mourir auec M. le. C. M.

Le Roy, Ma bonne maman, vous me ferez passer pour vn
Roy Herode, faisant mourir tant d’Innocens.

La Reyne, Mon fils, ce ne sera pas vous, c’est moy, qu’à
Dieu ne plaise que ie voulusse faire tuer les Innocens, comme
le Roy Herode : non non, ie me contenteray de les faire
mourir de faim, & seicher attachez aux tetons de leurs meres.

Le Roy, Ma bonne maman, le Roy Dauid remercioit Dieu
dequoy il assuiettissoit son peuple sous luy, que diray ie moy
puis que vous faites mourir le mien ?

La Reyne, Mon fils, c’est dequoy ie ne me soucie pas, puis
qu’il ne veut pas obeyr à M. le C. M. qui en viendra pourtant
bien à bout.

Le Roy, Ma bonne maman, vous ne me par lez point de
Mons. d’Orleans mon Oncle.

La Reyne. Mon fils, M. d’Orleans est à nous pour de l’argent,
l’Abbé de la Riuiere luy fait faire tout ce qu’il plaist à
Monsieur le C. Mazarin.

Le Roy. Ma bonne maman, dites moy pourquoy M. le Prince
de Conti, & Monsieur le Duc de Longueuille, & autres grãds
Seigneurs de mon Royaume m’ont ils quitte pour aller à
Paris ?

La Reyne, Mon fils, c’est qu’ils sont bons François & qu’ils
ne sont pas pensionnaires de M. le C. Mazarin, ny alliez du
C de Richelieu.

Le Roy, Ma bonne maman, dites moy, pourquoy leue-t’on
tant de gens de guerre à Paris, est ce pour mon seruice ?

La Reyne. Mon Fils, non, c’est pour m’empescher d’affamer

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Paris, & pour Messieurs du Parlement, que i’ay en grande
auersion.

 

Le Roy. Ma bonne maman, si ces Messieurs du Parlement sont
les plus forts, que deuiendray ie ?

La Reyne. Mon fils, c’est dequoy ie ne me soucie guere, parce
que M. le C. Mazarin, & M. le Prince de Condé m’ont promis
de les perdre tous.

Le Roy. Ma bonne maman, dites moy quand ils auront tout
perdu, le Parlement & mes peuples, de qui seray ie Roy ?

La Reine. Mon Fils, ie ne songe pas à cela, ny de qui vous serez
Roy, pourueu que ie sois vengée.

Le Roy. Ma bonne maman, dites moy de qui vous voulez-vous
vanger ? qu’est-ce que l’on vous a fait ?

La Reyne. Mon Fils, ie veux faire pendre les Messieurs du
Parlement de Paris, & apres, ie viendray bien à bout de vos
peuples, & des autres Parlemens.

Le Roy. Ma bonne maman, dites-moy, que vous ont faict
les Messieurs du Parlement ?

La Reyne. Mon Fils, ne m’importunez pas dauantage, n’est-
ce pas assez, que ie suis Reine Regente, & m. le C. mon conseil,
pour faire tout ce qu’il me plaist ?

Le Roy. Ma bonne maman, le Roy Henry IV. mon ayeul,
disoit qu’il estoit vn grand Roy, à cause que son peuple estoit
riche : & moy, que diray ie puis que vous ruinez le mien ?

La Reyne. mon Fils, le Roy Henry IIII. estoit vn homme
qui n’auoit pas de fauory comme moy, à qui ie fais du bien.

Le Roy. ma bonne maman, dites moy ce que ie feray, quand
il n’y aura plus de Parlement, qui rendra Iustice ?

La Reyne. Mon fils, nous auons M. le Chancelier, qui est le
chef de la Iustice, & m. le grand Preuost, qui feront la iustice,
comme nous voudrons.

Le Roy Ma bonne maman, ie voi bien tout de bon, que
vous ne vous souciez guere de moy, & de ma Couronne,
chacun dit, que Messieurs du Parlement sont bien sages.

La Reyne. mon Fils, tout au contraire, c’est pour asseurer
vostre Couronne, tout ce que ie fais : car M. le C. Mazarin, &
Monsieur le Prince de Condé me l’ont asseuré ; nous auons au

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Parlement des pensionnaires, par lesquels nous sauons tout
ce qui s’y sait.

 

Le Roy. ma bonne maman, pourquoy auez vous fait chanter
le Te Deum à S Germain, pour la prise de Charenton, n’estoit
il pas à moy ?

La Reyne. mon Fils, c’a esté M. le Prince de Condé, qui m’a
dit, que la prise estoit de grande importance pour affamer Paris,
dont i’ay bien envie.

Le Roy, ma bonne maman, quand tout le peuple de Paris sera
mort de faim, ie perdray beaucoup de millions que l’on
me paye d’entrée, & de subside pour ce qui y entre ?

La Reyne, mon fils, M. le C. Mazarin a aslez dequoy se faire
Pape, il nous remettra dans le Royaume de Navarre, que le
Pape vous a fait perdre, qui vaut mieux que Paris, & nous en
irons à Pampelune, le Roy d’Espagne le voudra bien.

Le Roy, ma bonne maman, i’aimerois bien mieux Paris,
que le Royaume de Navarre : mais M. de Beaumõt mon Precepteur,
dit qu’il faut que ie veule, tout ce que vous voulez.

Aduis au Roy par M. le Duc d’Aniou son Frere vnique.

Mon petit papa, ie vous conseille de vous en retourner
dans vostre lict de Iustice au Parlement, parce que ie voi bien
que tout s’en va perdu : ma bonne maman n’est pas bien conseillée :
& mon Oncle le Duc d’Orleans ne s’en soucie pas,
pourueu qu’il ait de l’argent : Quant à M. le Prince de Condé,
il me ressemble, il est encore bien ieune, M. le Chancelier
bien interessé, & M. le grand Maistre bien hay : laissons M. le
C. Mazarin icy auec tous ceux de sa cabale, & nous en allons
à Paris : ie vous assure, mon petit papa, que nous serons crier
par toute la France, vive le Roy, vive le Roy, vive le Roy.

FIN.

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