Anonyme [1649], L’AVANT-COVRRIER INFAILLIBLE DE LA PAIX. , françaisRéférence RIM : M0_441. Cote locale : A_3_50.
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L’AVANT-COVRRIER
INFAILLIBLE
DE
LA PAIX.

A PARIS,
Chez MATHIEV COLOMBEL, ruë neufve S.
Anne du Palais, à la Colombe Royale.

M. DC. XLIX.

AVEC PERMISSION.

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L’AVANT-COVRRIER
INFAILLLIBLE
DE
LA PAIX.

CE sont des axiomes aussi vieux que la
Philosophie, que la generation de l’vn
est la corruption de l’autre, ou que la priuation
d’vne forme est vn des principes
de sa naissance, & ce sont des aphorismes
aussi vieux que la Medecine, que les maladies
se guerissent par des remedes contraires, & que les
éuacuations qui affoiblissent effectiuement le malade
sont necessaires pour le fortifier. Enfin toutes
choses prennent leur origine de celles qui les destruisent,
& les quatre ennemis qui ne se reconcilient
iamais, s’accordent neantmoins tousiours lors
qu’il faut produire quelque nouueauté dans la Nature.
La nuict & le iour composent le temps, le
blanc & le noir les couleurs meslées, le pair & l’impair
les nombres, le graue & l’aigu les tons, & l’estenduë

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de la quantité commence par le poinct qui
est vne chose indiuisible. Vous sçauez desia la fin
de mon induction, & vous vous doutez bien que
ie veux inferer que la Paix doit tirer sa naissance de
la guerre. Oüy, mes chers Compatriotes, c’est pour
cela que i’ay mis la main à la plumé, & que i’ay
pris mon fondement sur cét Almanach infaillible
& perpetuel, qu’apres la pluye deuoit venir le beau
temps, & le calme apres la tempeste. Quelqu’vn
me respondra qu’il ne doute point de la certitude
de mes presages, mais qu’ils ne doiuent pas reüssir
si tost ; qu’il est vray que les contraires naissent de
leurs contraires, mais qu’il y a certain temps qui ne
se peut anticiper, & qui est deu à la nature des choses.
Il me dira nous sçauons aussi bien que vous que la
guerre ne peut pas tousiours durer ; mais vous ignorez
aussi bien que nous le temps auquel elle doit
finir. Ie luy respondray qu’il peut auoir plus de lumiere
que moy, & qu’il en peut auoir moins, &
puis que nos sentimens sont libres en cette rencontre :
Ie croy que toutes les regles de la Politique sont
fausses, ou que nous deuons esperer la Paix de la Conference
de Ruel.

 

Quoy n’est ce pas assez entre Compatriotes que de
s’estre fait la guerre deux mois entiers, dans vne saison
si rude, qu’elle contraint les ennemis ordinaires à vne
suspension d’armes, & d’auoir retiré des garnisons
pour combattre contre des François ceux qui n’en
fussent sortis qu’au Printemps pour combattre contre

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des Espagnols ? Si nous auions offencé la Reyne,
comme nous ne l’auons pas fait, & qu’elle ne voulut
pas vser de sa clemence, nous aurions satisfait à
sa Iustice. Car quoy que nous ayons tousiours mangé
du pain, & que ses mauuais Conseillers se soient
trompez dans leur calcul, il est neantmoins constant
que le peuple a souffert beaucoup, & qu’il n’y
a que les hautes Puissances qui n’ayent esté incommodées
de ces desordres. Ce sont des montagnes
qui ne ressentent point les orages, parce qu’elles
sont esleuées au dessus de la region où se forment
les Meteores. Tout le reste du peuple est mal, & la
pluspart dans l’extremité. Cette extremité toutefois
n’est pas telle, que si les ennemis ne veulent entendre
à vne Paix raisonnable, Paris ne puisse faire des
efforts prodigieux, il cognoist ses forces, on luy a
donné loisir de se sonder luy-mesme, il a veu dans
trois ou quatre sorties qui n’ont pas esté serieuses,
ce qu’il pourroit faire dans vne qui le seroit : ce grand
Corps s’est dégourdy les membres, le Bourgeois s’est
aguerry, iusques à faire des parties, & sortir à la petite
guerre, qui sont de bons essays pour la grande. Vne
Ville qui se voit des trois à quatre cens mille combattans,
sans ses deux armées, l’vne dedans, & l’autre
dehors, conduites par les plus excellens Generaux
du monde, n’a pas mauuaise opinion de soy. Nos
ennemis n’ont pas cette prodigieuse multitude
d’hommes ; mais ils en ont de bons, ils ont des troupes
accoustumées à vaincre sous vn Prince, auec lequel

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ils ont fait cette belle habitude, il est vray,
mais il n’a eu affaire qu’à des Estrangers, & en nombre
presque égal au sien ; à present il a affaire à des
François qui le surpassent en nombre, & qui l’égalent
en courage, & encore à des François, dont il
y en a beaucoup qui luy ont aydé à vaincre, & qui
l’empescheront s’ils peuuent dans cette rencontre.
Paris est bloqué, mais il s’ouurira les passages quand
il voudra. Voila des raisons pour balancer les affaires
de part & d’autre. Ie ne mets point en ligne de
compte le secours estranger, qui est prest à venir,
& qui peut-estre vient desia, Dieu veüille qu’il n’acheue
pas, & qu’il soit obligé de s’en retourner.

 

Mais la plus forte conjecture d’vne prochaine
Paix, c’est que la Reyne est des abusée de l’opinion
qu’elle auoit que nous en voulussions à l’authorité
Royale ; elle auoit enleué le Roy de Paris par la
mauuaise suggestion de quelques esprits pernicieux
qui luy auoient persuadé que le Parlement s’en vouloit
saisir ; aujourd’huy elle voit le peu d’apparence
qu’il y a dans vne calomnie si grossiere : La cause
cessant, il faut que l’effect cesse. Qu’elle raison la
pourroit obliger à continuer la guerre entre ses Sujets ?
Demande-elle d’estre absoluë à Paris comme
elle y estoit, tout le monde l’y souhaite en cette
posture ? Veut elle le bien & le soulagement de ses
Sujets, l’on n’a pris les armes que pour cela, & pour
se garantir de la famine. Prendroit elle le mesme
plaisir de voir perir sa Ville capitale, qu’vn Empereur

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de voir brusler Rome, elle est trop bonne
quoy qu’on puisse dire pour auoir cette pensée, &
l’Histoire qui n’a pas épargné ce cruel, quoy qu’il
rebastist sa Ville plus pompeuse & plus magnifique
qu’elle n’estoit auparauant, n’espargneroit non plus
la Reyne si elle s’estoit proposée vne gloire si funeste
& si extrauagante. Enfin de deux sortes d’incredules
que nous auons pour les nouuelles de la Paix,
& qui sont bien differens, parce que les vns la craignent,
& que les autres la desirent, il ne s’en trouuera
point qui ne la doiuent tenir asseurée. Si iamais
il y eut apparence de quelque bon resultat, elle
se trouue dans cette Conference. Les premieres chaleurs
sont passées, les sanglantes attaques de Charenton
& de Brie, les rencontres pour les Conuoys,
& les parties de la petite guerre, auront sans doute
r’alenty cette furie originelle que les autres Nations
apprehendent tant, & que nous ne deuons pas mespriser
nous mesmes.

 

Si nous auions affaire à des Estrangers, il y auroit
dequoy faire d’autres conjectures, & dequoy tirer
d’autres consequences, mais puisque nous auons
querelle auec nos Compatriotes, puisque nous sommes
également rusez & vaillans, à quoy bon tenter
la fortune. A quoy bon donner des combats pour
vne victoire qui doit faire pleurer les deux partis,
& qui ne peut faire rire que les Estrangers ? Se trouue-il
à S. Germain de Chef, d’Officier, de Soldat
qui n’ait à Paris vn amy, vn parent, vn pere, vne

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mere, des freres, des sœurs, vne femme, des enfans,
& quelque inclination particuliere ? L’obstination
du siege pourroit-elle durer, que tous les deuoirs
de la Nature & de l’amitié ne fussent violez ? En
pourroit-on venir aux mains sans commettre non
pas de simples meurtres, mais des parricides ?

 

Concluons donc par toutes les raisons imaginables,
qu’à moins que Dieu se veüille vanger de
S. Germain & de Paris, parce qu’il est tous les iours
offencé dans l’vn & dans l’autre, nous deuons esperer
vne Paix non seulement entre nous, mais encore
entre les Estrangers. C’est pourquoy, mes chers
Compatriotes, demandons-luy cette Paix que le
monde ne peut pas donner, qui est la Paix de nos
consciences, si Messieurs les Ministres & nous,
auions vne fois obtenu celle là, nous obtiendrions
l’autre fort aisément.

FIN.

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