Anonyme [1649], L’ARRIVEE DES AMBASSADEVRS DV ROYAVME DE PATAGOCE ET DE LA NOVVELLE France. Ensemble ce qui s’est passé à leur voyage, auec des remarques curieuses. Traduit par le Sieur I. R. , françaisRéférence RIM : M0_390. Cote locale : A_3_3.
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L’ARRIVEE
DES
AMBASSADEVRS
DV ROYAVME
DE
PATAGOCE
ET
DE LA NOVVELLE
France.

Ensemble ce qui s’est passé à leur voyage, auec des
remarques curieuses.

Traduit par le Sieur I. R.

A PARIS,
Chez la vefue IEAN REMY, ruë S. Iacques, à
l’Image S. Remy, prés le College du Plessis.

M. DC. XLIX.

AVEC PERMISSION.

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L’ARRIVEE DES AMBASSADEVRS
Du Royaume de Patagoce & de la Nouuelle France.

DANS mon pays de Patagoce, c’est vn
lieu tellement voluptueux & delectable,
qu’on ne peut en trouuer vn semblable :
ie suis venu en ce climat pour en dire
les particularitez. Les superbes edifices
y sont si communs, qu’ils ne laissent point de terre
labourable, qui sont si fecondes que les grains y viennent
sans semer ; de tous costez les Estangs s’estendent,
qui produisent des Poissons comme des Elephans.
Les plaines surmontent les ormes, qui produisent
des rubis & des perles. Les violettes, le myrrhe
& toutes sortes de fleurs odoriferantes, rendent
vne odeur suaue dans les Iardins. Le Laurier espais de
fueilles garanty les hommes des ardeurs du Soleil,
Ces plantes ont vne telle vertu, qu’elle guerissent les
playes in curables, & n’y a aucune regle de Medecin
si souueraine. On fait courir le bruict en cét admirable
Royaume, que Mazarin y veut venir, pour faire
la recolte de tous nos reuenus, ayant perdu son
credit dans ce vaste Royaume de France, & moissonné
tous ces biens. Mais il sera le mal venu ; car nous
auons des vegetables mortiferes destinées pour les
gens de sa sorte, & on n’y reçoit point de seditieux,

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de Perturbateurs, exacteurs, ny de sanguinaires. Les
playes qu’il a fait en France, le sang ruisselle iusque
dans ce noble tirritoire, il n’y a rien à refaire pour
luy. L’on a fait mettre des Placards aux Haures &
Ports, & sur le frontispice des Portes de nos Villes,
qu’on n’eust point à le receuoir, & à tenir les armes
prestes, crainte que cette venuë Mazarine ne fist démolir
nos murailles, qui autrefois estoient de crystal
qui a esté liquifié, & maintenant sont d’argent & les
Portes d’or tres-pur, il les enfermoit dans ces coffres,
sans laisser vne seule pierre.

 

Il sacrifiroit aux delices de sa table, toute nostre gibier
& nos troupeaux qui sont aussi communs que
le sable & arene de la Mer, seroient enseuelis dans
son ventre, il feroit porter le deüil à l’air, par la capture
de ses oyseaux, à la terre de ses fruits, & à la Mer
de ces Poissons. Ie viens pour luy donner aduis de nos
mains redoutables & que par tout, aussi bien que
dans la France, nous luy dressons des ambuscades, il
ne faut point de pillards, ny d’esprits belliqueux
dans vn Royaume de Paix, on traitte les perturbateurs,
comme les Comites, ou comme Forçalet & les
Tyrans ne peuuent s’exẽpter des supplices que nous
leur preparons ;

I’ay rencontré sur nos frontieres (de ces Partisans,
que i’ay recogneu d’abord à leur contenance, qui en
suitte m’ont aduoüé, qu’ils estoient Mazarins, qui
estoient accusez d’auoir depoüillé la France de ses
plus riches ornemens, & qu’estans par elle chassez,
qu’ils ce retiroient en ce lieu, pour r’establir leur fortune

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qui estoit en decadence, & les ayant asseuré
qu’il n’y faisoit pas bon pour eux, qu’il n’y auoit que
precipice à essuyer, & leur ayant fait voir ces affiches,
que ie viens de dire, & monstré la commission que
i’ay de venir en France, pour l’aduertir que nous ne
receurons pas, les Autheurs de sa perte.

 

Ayant entendu ces tristes nouuelles, ils trembloient
cõme l’arrons m’ont prié leur indiquer quelque
pays de refuge, mais ie les ay asseuré que ie ne
sçauois aucun lieu pour seruir de refuge aux depredateurs
& sur ces entre faites, a paru insensiblement le
courier de la Nouuelle France en Canada, qui a asseuré,
qu’en ce lieu on s’étoit saisi de leurs compagnons,
qui estoient condamnez à mort, & qu’on les attendoit
pour souffrir (auec eux) comme complices, &
que si Mazarin y alloit comme estant le chef des méchans
qu’on luy feroit l’honneur de marcher le premier,
comme le plus celebre grippeur, & ayant perpetré
des crimes enormes, pour l’endurcir à la peine
que ce pays exige ; qu’on commenceroit par le ballet,
qu’il a tant aymé en France, neantmoins il y a quelque
iours que les Hurons entendans souffler impetueusement
les Aquilons qui s’estans renserrez dans
quelques concauitez & grottes des Sauuages, on ce
persuadoit que c’estoit les tambours de la milice Mazarine,
& en ce triste instant, on ce mist en gardes de
puis lequel temps, on a fait des forts, des lignes &
contrescarpes, & rendu les lieux inaccessibles, au
moyen dequoy il estoit enuoyé en France, pour aduertir
Mazarin de sa perte inéuitable, si sa temerité

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effrenée, les porte sur ces lieux, qui ne luy feront indulgens
comme on a esté en France.

 

Ces paroles ne furent pas plustost finis, que nous
nous embrassames tres étroitement en signe d’amitié,
voyant que nostre mission ne buttoit qu’à vne
mesme fin, nos conioüyssance n’ont pas esté moins
grandes, que nous nous sommes veu exposez sur cét
Element impitoyable a des perils tres euident, vn
nuage épais ayant caché la Lune, aucun Astres ne paroissant
sinon des éclaires, auant coureurs du foudre,
qui suiuoit de bien pres, qui fit vne telle production
de flots & vagues agitées par l’impitoyable Neptune,
de sorte que nous aurions esté perdu, si vne
Balene n’auoit eu pitié de nous en supportans nostre
vaisseau.

Tout estant calme & dans la bonage ayans surgis
à bon port, nous fismes rencontre d’vn monstre Mazarin,
qui auoit la face d’hommes. D’abort estant saisis
de crainte & intimides, nous croyons que c’estoit
Mazarin, que l’iniure du temps auoit i’etté à port &
approchant pour luy dire qu’il estoit le sujet de nostre
emission, & afin de nous en retourner au plus viste,
crainte qu’on ne nous pris pour ces espions. Il ce ietta
dans la Mer, & s’estant derobé quelque temps à
nos yeux, nous en conceusmes quelque ioye, croyant
qu’il estoit noyé & que par ce submergement, la France
seroit de liurée de tous ces maux, mais nous fusmes
bien surpris, le reuoyans paroistre derechef auec vne
gueule beauté & ecumenté.

Ce qui nous osta de peine fut vn homme vestu de

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noir, que nous prisme pour vn Astrologue qui
nous asseura que ce n’estoit Mazarin, mais vn monstre
qui le representoit, ce qui nous fit le regarder
attentiuement, afin qu’estant aupres de ce mauuais
Ministre, nous ne le prissions pour vn autre,
& cette circonspection a beaucoup soulagé nostre
Esprit ; qui ayant repris ces forces par le repos de
la nuit, vn doux Zephir nous a fait bander nos voilles
& poussez insensiblement dans la France, que
nous auons trouué publiant autant de loüanges (en
faueur de ce glorieux Senat, qui brilles de gloire par
toutes les nations) que d’imprecations contre ce Tyran.

 

Alors nous auons d’vne commune voix dit, falloit
il que nous fussions occupez à venir de si loin,
pour vn si abominable homme, qui n’en a que l’apparence,
veu qu’on nous la representé sous la forme
d’vn monstre tres formidable.

Nous auons entendus en ce tristes sejour, les accens
funestes de ceux qu’il a opprimé, leur paroles
plaintiues baisoit en vn Echo tres lugubres au milieu
des Siludins, ce qui nous a émeüs à compassion &
qui a tiré des l’armes de nos yeux, n’ayant iamais entendu
dans nos regions, des faits si iniques.

Arriuez dans Paris, nous nous sommes acquittez
de nostre commission, & asseure les Bourgeois, que
tout le Monde est pour eux, & que nos Princes nous
ont enuoyé, pour les asseurer de leur ayde & seruice,
le Courier extraordinaire apportera des nouuelles
plus speciales & particulieres, & à nostre retour nous

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apporterons le memorial de tous les espions Mazarins,
ausquels on fait leur procez par les Prouinces où
nous auons passé, nous irons qu’elle aura esté leur
genre de supplice, auec beaucoup de choses insignes
& iurieuses que l’iniure du temps ne nous a permis
de penetrer. Nous pourrons dire à nostre retour auoir
veu le plus beau Royaume, & le plus desolé, & partant
l’Autheur de sa perte est le plus grand Tyran.

 

FIN.

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