Anonyme [1649], L’ANTI-LIBELLE, EN VERS BVRLESQVES. , françaisRéférence RIM : M0_91. Cote locale : C_2_7.
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L’ANTI-LIBELLE,
EN VERS
BVRLESQVES.

A PARIS,
Chez PIERRE DV PONT, au Mont S. Hilaire,
ruë d’Escosse.

M. DC. XLIX.

Auec Permission.

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L’ANTI-LIBELLE
en vers Burlesques.

 


MAIS Iupiter n’a pas le bras
Tousiours prest à nostre trespas,
Sans qu’on modere sa puissance
Il modere sa violence,
Il ayme mieux voir repentir
Qu’il ne fait pas de voir souffrir,
Le regret fleschit sa colere
Et le grand Roy ce digne pere,
Touché de sentimens nouueaux,
Quant nous pleurons comme des veaux,
Eussions nous fait cent petarades,
Eussions nous grimpé nos boutades,
Iusques sur son authorité
Son incomparable bonté,
Laisse aussi-tost tomber ses armes,
Quant elle voit tomber nos larmes.

 

 


En bonne foy meritiez vous,
Engeances de nouueaux filoux,
Qui ne cherchiez que la tempeste
De voir briller sur vostre teste,
Les rayons de ce beau Soleil,
Dont vous vouliez arracher l’œil,
Pour mettre l’estat en tenebres,
Et loger mille oyseaux funebres,
Dans ce pays ou les mal-heurs
Ont fait place à cent mille fleurs,
Ou de melodies nouuelles,
Mille charmantes Philomeles,

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Nous entretiennent tous les iours
Ou les oyseaux sont des discours,
Et s’aprestent d’en faire d’autres
Cent fois bien plus doux que les vôtres,
Que de bonté sur des suiets,
Dont les temeraires projets,
Ont medité tant de malice,
Ont merité tant de supplice,
L’antiquité n’a point produit,
D’exemple de Monarque instruit,
A de si douces procedures
Contre des ceruelles si dures ;
Les meilleurs Princes des germains
Les meilleurs Consuls des Romains,
Les plus grands Heros de l’Attique
Ny de gent Lacedemonique,
Ny de antiques Persiens
Ny des vieux Baby loniens,
Ny des Chinois ny des Tartares,
Ny des Indois les moins barbares,
N’ont iamais paru si clemens
A reprimer des mouuemens,
Qui sembloient selon l’apparance
Deuoir à crauanter la France.

 

 


Est-il pas vray qu’en dictes vous
S’il tient à quelqu’vn, est-ce à vous
Auez-vous pas de vostre verue
Cette insolente antiminerue,
Tasché d’en flamer nos douleurs
Auez-vous pas beaux discoureurs,
De vos plumes empoisonnées
Sollicité les destinées,
A vomir toute dessus nous
L’amertume de leur courroux
Vous n’oseriez vous en desdire
En mille endroits on peut le lire,

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Il reste encor de vos escrits
Assez bon nombre dans Paris,
Quoy qu’on ne les espargne gueres
Et qu’on s’en frotte les derrieres
Auecques liberalité
Et que le monde desgousté,
D’vn si grossier & si sou leurre
Le laisse aux vendeuses de beurre,
Penssiez-vous orateurs cornus,
Auortons du Demon Ianus,
De vos caprices infidelles
Donner le branle à nos querelles,
Penssiez-vous monstre de la mort
Regler les mouuemens du sort,
Qui regle les plus grands Empires,
Qui les rend ou meilleures ou pires,
Par qui seul on les voit puissans
Ou qui flestris ou florissans,
De sa colere ou de sa grace
Tiennent le trouble ou la bonnace,
Chetifs & foibles enchanteurs
On a bien veu d’autres Autheurs,
On a bien veu d’autres genies
Prendre des peines infinies,
Courre, composer discourir
Solliciter, prier, gemir,
Vser de mille adrettes faintes
Pour seconder leurs iustes plaintes,
A toutesfois n’arrester pas
Les desordres & l’embarras,
Et les troubles de leur patrie
A qui leur forte idolatrie
Ou plustost leur iuste ferueur
Taschoit de rendre le bon-heur,
Ha qu’on a bien veu d’autres testes
L’oposer aux fieres tempestes,

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Qui la mẽnaçoient de perir
Sans la sauuer ny la guerir,
Et cependant esprits malades
Testes de bonde & de gambades,
Vous pretendiez par vos discours,
Luy procurer vn prompt secours,
Vrayment vous auiez bien la mine
D’arrester la rage intestine ;
Sous qui nous allions succomber
L’estat estant prest à tomber
Que faisiez vous soufflant la guerre,
Qu’acheuer de le mettre à terre,
La guerre ce fier animal
Qui fait tant de peur & de mal,
Qui brusle qui tuë qui casse
Qui tout reduit à la besasse,
Qui porte son harpie main,
Iusques aux herbes du iardin,
Apres auoir vuidé sa chambre
De diamant, & d’or & dambre,
De vaisseaux d’argent & destain,
De lits de Damats de satin,
De tapisseries de chaises
De coussins ou l’on prend ces aises,
De tableaux ou l’on voit dépeints
Les mesmes effets inhumains,
D’autres guerres iadis cruelles
A present à la veuë belles,
Enfin de tout ce qui se voit
Qui prendre se peut ou se doit,
Car les murs sans trop entreprendre
Ne peuuent ny doiuent se prendre :
Mais quant tout le meilleur est pris
On les laisse gardé au logis,
Quoy donc cette guerre barbare
Estoit vne inuention rare,

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Pour loger la tranquillité
Dans nostre vaisseau tourmenté
Allez pillottes à goguettes
Vrays Philosophes à sornettes,
Vrayment nous serions de grands foux,
De nous laisser conduire à vous
A vous desgueulleurs de bourrasques
Donneurs de bourdes & de frasques,
Qui pour animer aux combats
Mentez aussi long que le bras
Si nos testes estoient si sottes,
De defferer à vos marottes,
Si nous vous auions escoutez,
Si vous nous auiez embastez,
Nous aurions eu le temps de plaindre ;
Vous auriez eu celuy de craindre,
Nos furieux ressentimens
De vos lasches raisonnemens,
Composez à perte d’alaine ;
Vous auriez tost porté la peine
Parbieu vous en auriez paty
Diable ie n’aurois pas manty
Si nous eussions cessé de rire ;
Vous eussiez tost finy d’escrire :
Mais enfin tout à mieux esté
Le nuage s’est escarté,
Faiseurs de prose à la douzaine
Faiseurs de vers à la centaine,
Grands Escriuains du temps passé,
Ou doncques auez vous laissé
Depuis que la paix est venuë,
Vostre manie entretenue,
Vostre sçauoir duquel dit-on ;
Vous attrapiez quelque teston,
En bonne foy faut-il qu’on pense,
Que vous ayez aymé la France,

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Si la paix dont nous iouyssons ;
Vous rend muets comme poissons
Cà que chacun de vous auouë
Esprits de rocher ou de bouë,
Que le Ciel vous semble trop doux
Et que viuans par son courroux,
Sa misericorde impreueuë
Qui nous fait tous viure vous tuë,
Que si le mal sert à quelqu’vn
Le bien ne vous est pas commun,
Auec le reste de la France,
Que vous allez en decadence,
Lors que nous nous restablissons
Que le temps que nous benissons ;
Vous est vn temps plein de disgrace
Qui vous fait faire la grimace
Et qu’vn Soleil si radieux,
Sans doute fait cligner vos yeux,
Oyseaux qui viuez en tenebres
Hyboux orfrayes esprits funebres,
Allez confondre vos destins
Dans le supplice des lutins,
Enfondrez dans l’ombre eternelle,
Ou d’vne fureur immortelle,
La guerre regne incessamment
Ou plein de peine & de tourment :
Vous la verrez en vos supplices
Celle qui forma vos delices,
Celle qui causant nos douleurs
Mesloit vos ris auec nos pleurs,
Et qui par de plus dures armes,
Dans nos ris meslera vos larmes,
C’est là que de vos beaux escrits,
Vous receuiez le digne prix,
C’est là que le maistre asmodée
D’vn tricots long d’vne coudée,

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Lors que vous gemirez d’ardeur
Essuyera vostre sueur,
N’en doutez point esprit de crotte,
En qui quelque muse marmote,
Muse esprit de rebellion
Qui ne vit iamais Pelion,
Qui ne monta iamais Pegase
Et qui ne se sert rien que d’ase
Encor legere comme vent,
Va-t’elle à pied le plus souuent,
Muse sourde borgne & boiteuse
Qui porte des haillons de gueuse,
Muse au nez sans cesse morueux
A qui chastie outre les yeux,
Qui sur sa roigne & sur sa gale
Porte ay mains en canibale,
Et fait couler son sang maché
Que ces ongles ont arraché.

 

 


Muse dont les cheueux en teste,
Sont beste d’vne pire beste
Sont serpent d’vn autre serpent,
Dont le venin est plus ardent,
Que n’est le venin d’vn vipere,
Que n’est le venin d’vn cerbere ;
Quoy que ce monstre aux affreux cris,
Est pourtant d’vn mesme pays :
Car cette noire milusine
Est suiette de proserpine,
Elle est engendrée en Enfer,
Son grand pere c’est Lucifer,
Et n’estoit montée sur terre,
Que pour y fomenter la guerre,
C’est là bourruë & fols esprits
Le genie de vos escrits,
C’est là le vers Antousiasme,
Qui souffloit son feu dans vostre ame,

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C’est là le ver de vos cerueaux,
Dont les élancemens nouueaux,
Qui ne paroissoient que la brune
Tiroient leur vigueur de la Lune.

 

 


Cet Astre des esprits confus,
Causoit le flux & le reflux
De vostre fantaisie pleine
De monstres pis que la baleine,
De cette Muse à tous allans,
Fantasques & nonchalans,
Qu’auiez-vous entrepris de faire
Portant vos nez à nos affaires,
Affaires dont l’empeschement
Troubloit assez le Parlement,
Affaires qui mettoient en peine
Le grand esprit de nostre Reyne ;
Dont nostre Prince a plus lié,
Que le grand homme Iosué,
Dedans cette grande iournée,
Dont deux cens feroient vne année ;
Certes vous nous auez apris
De beaux desseins dans vos escrits,
Ha ! les belles capilotades,
Les beaux friteaux d’esprits malades,
Les beaux remedes à la faim
Quel pain s’il auoit du leuain,
S’il estoit fait de bonne paste
S’il n’estoit point cuit à la haste,
S’il estoit petry doucement
Auec vn peu de iugement :
Vertu bien les bonnes ceruelles,
Il en faudroit dans nos ruelles,
Pour nous apprendre à gouuerner,
Pour ne faire plus mutiner,
Ceux là qui d’estoc & de taille,
Frapent impost, gabelle & taille ;

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Qui les fait beau voir raisonner,
Sur le foudre qu’on oyt tonner,
Cette exalaison allumée
Et dans la nuée renfermée,
Grande & murmure vainement,
Par leur drosle raisonnement,
Il faut que sa flame finisse,
Il faut que son ardeur perisse,
Les nuées la suffoqueront,
Et belle nique luy feront ;
Ils ont dressé milles trophées,
Contre ces flames estouffées,
Ils ont chanté mille airs nouueaux ;
Mais ces prophetiques cerueaux,
En nous distribuant leurs songes
N’ont rien predit que des mensonges.

 

 


Le foudre est sorty de prison,
A quoy querecques petit son,
Si pouuoit-il pour ses yssuës
Briser en cent endroits les nuës,
Il pouuoit vous exterminer ;
Vents soufflans pour nous mutiner,
Fiers ennemy doux zephire
Qui meine au bord nostre nauire,
Et malgré la malignité,
Qui conduisoit vos fols courages ;
Vous estes plus heureux que sages,
Toutesfois Docteurs renguainés :
Vous auez plus d’vn pied de nez,
Vostre veine à present repose
Et ne sçait plus faire autre chose
Si c’est reposer voirement
Que de trembler incessamment,
Que d’estre tousiours en vredasse,
Que d’estre froid comme la glasse ;
Mais non cessez de frisonner

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Qui peut punir sçait pardonner,
Et vous n’aurez d’autre supplice,
Que d’auoir creu vostre caprice,
Que d’auoir fait les entendus,
D’auoir crié comme perdus,
Pour chasser au loin la tempeste,
C’est assez d’auoir fait la beste,
C’est assez contre vos efforts,
Que la douleur de vostre mort,
S’arreste que contre vous ordonne
C’est enfin que l’on vous pardonne :
Vous viurez pauure malotrus,
Mais vous viurez honteux confus,
Par la Bonté qui vous fait grace,
Et par l’horreur de vostre audace.

 

FIN.

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