Anonyme [1649], DIALOGVE ENTRE LE ROY DE BRONZE. ET LA SAMARITAINE. Sur les affaires du temps present. , françaisRéférence RIM : M0_1090. Cote locale : E_1_130.
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DIALOGVE
ENTRE
LE ROY DE BRONZE.
ET LA SAMARITAINE.

Sur les affaires du temps present.

A PARIS,
Chez ARNOVLD COTINET, ruë
des Carmes, au petit IESVS.

M. DC. XLIX.

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DIALOGVE
ENTRE LE ROY DE BRONZE,
& la Samaritaine.

Sur les affaires du temps present.

HENRY IV. QVELLE heure est-il, voisine ? SAM. Sire, nos
ressorts sont tous si détraquez, que ie ne crois
pas que sans miracle on puisse rendre aux mouuemens du balancier
& des rouës leur premiere harmonie. On ne sçait icy qui croire
de l’oreille ou de l’œil. L’Eguille marquant dix heures au Cadran,
dement le Tymbre qui vient d’en sonner onze : & ie ne doute
point que si mon compere Iacquemart viuoit encore, cela ne
mist son esprit hors de game ; quoy qu’à ce qu’il me disoit ordinairement,
il sonnât les heures sans s’amuser à les conter, ayant
bien d’autres soins. H. Luy, d’autres soins ? SAM. Ouy, Sire.
estant, comme il estoit, vn des bons Politiques de son temps,
H. A ce compte, s’il viuoit encore pendant la minorité de mon
petit fils, il auroit droit d’aspirer au rang de Ministre d’Estat.
S. Pourquoy non, Sire, aussi bien que deux faquins qui le sont
maintenant ? Auoit il moins de merite qu’eux ? Si son esprit estoit
grossier & pesant, le leur est-il plus vif ou plus penetrant ? Si sa
bouche estoit muette, les leurs sont elles plus eloquentes ? Estoit-il
Espagnol ? estoit-il Italien ? N’estoit-il pas François & des plus
des-interessez ? Pouuoit-on raisonnablement luy reprocher le
moindre des crimes, dont la Voix publique les accuse ? La fourbe
& la supercherie l’auoit elle éleué au rang sublime où Paris le
voyoit, comme l’vn d’eux à celuy des Abbez ; & l’autre à celuy
des Princes de l’Eglise ? Estoit-il, comme ce dernier, homme à
violer les loix humaines & diuines ? à brauer insolemment l’honneur
& l’auctorité des Cours Souueraines ? à n’espargner pas mesme
les Princes du Sang, emprisonnant les vns, & chassant les autres ?
à rauir le gouuernement d’vne Prouince à des Heros dignes

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de celuy d’vn Empire, pour en inuestir vn Frere défroqué ? Feroit-il,
comme luy triompher le vice Italien de la vertu Françoise ?
Et seroit-ce à l’exemple de Iacquemart, comme a celuy de Mazarin
que se pratiquoient les empoisonnemens en France comme en
Italie ? Croyez-moy, grand Monarque, si ce bon Gaulois viuoit
encore, & qu’il occupât le rang qu’vn Estranger occupe, tout ce
qui va mal iroit le mieux du monde. Comme il estoit homme
pacifique, les ressorts de ses mouuemens n’eussent pas ioüé, comme
ceux de ce broüillon, contre la negotiation de Munster, il
se fust bien passé des intrigues de Seruient, & Monsieur de Longueuille
en moins de temps eust trouué moins d’obstacles dans
vn dessein important au repos de toute l’Europe ? Il n’auoit pas,
comme cet infame, des niepces à commettre aux soins d’vne
Dame qui venoit de gouuerner vn Monarque, pour les eriger en
Princesses, l’vne de Portolongone, l’autre d’Orbitello, & la troisiesme
de Piombino : car, à ce qu’on en peut iuger, c’est à quoy
tendoient ses beaux desseins sur ces trois places-là. Son luxe
n’eût iamais épuisé nos finances en festins, en balets, en
machines, comme a fait celuy de ce nouueau Sardanapale,
qui semble auoir rendu tous les elemens tributaires aux appetits
de son corps & de son ame de bouë. Enfin Iacquemart
n’eust iamais arraché ny les Interpretes des Oracles diuins de leurs
chaires, ny les Magistrats Souuerains de leurs tribunaux, ny le
Roy de son Throsne. Le dernier en ordre de ces trois attentats
est le premier en horreur : & la posterité qui lira nos Annales, croira
sans doute fabuleux ce grand chef-d’œuure de son audace &
de son insolence. Helas ! il n’est pourtant que trop veritable pour
nostre malheur, & les Astres tesmoins d’vne si noire entreprise
ont veu, sans s’y pouuoir opposer, ce voleur nous enleuer les delices
de toute la France, ou plustôt de tout l’Vniuers. Ils ont veu,
grand Monarque, & permis ce detestable attentat sur le repos le
plus precieux, & sur la santé la plus chere du monde. H Et la
Reyne l’a souffert ? S. Le Demon infernal de ce Tyran, ou plustost
luy-mesme ce Demon incarné a triomphé du bon Genie de
cette incomparable Regente, & l’a renduë innocemment complice
de son crime. H. Et Gaston ne l’a pas empesché ? S. Bien
pis, il a malgré son zele luy mesme esté de la partie ; Madame la
Duchesse d’Orleans, quoy que trop indisposée pour ce depart

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impreueu, & Madamoiselle, à qui l’on ne donna point loisir de
s’habiller seulement, s’y trouuerent, comme eux, enueloppées.
Mais quoy ? Doit-on s’etonner qu’on ait osé troubler le repos de
ces trois Princesses, si pour troubler celuy de l’Estat on n’a pas
épargné celuy du Roy mesme ? Ce n’est pas que ce grand Prince,
fils, oncle, & frere de Roy ne voulust estre à Paris, & ioindre les
efforts de son zele au bien public, à ceux de ce grand Parlement
le plus auguste du monde ; mais on l’obserue de si prés, qu’il ne
sçauroit, sans miracle, échapper à ceux qui le tiennent, & qui ne
le retiendroient pas, s’ils ne sçauoient que son ombre, qui
leur est necessaire, le suiuroit. Ouy, Sire, c’est malgré son zele
au seruice de nostre Monarque qu’il ne bouge non plus de Sainct
Germain, que vous de Paris, comme si son cheual estoit aussi rétif
que le vostre. Le pretexte de la chasse pour s’éloigner insensiblement
de là, & s’approcher d’icy, ne seroit pas mauuais : mais
c’est vne galanterie qui n’est plus inconnuë, & qu’on l’empeschera
bien de pratiquer vne seconde fois. Outre que, fût-elle aussi nouuelle
qu’elle est vieille, vn Confident adroit ne luy seroit pas
moins necessaire pour le tirer des griffes de l’Italie, s’il faut ainsi
dire, qu’il le fut pour l’arracher de celles de la Flandre. Mais
le Ciel, qui sçait de quelle maniere on depesche les Puylaurens,
n’en fait pas naistre tous les iours : & le successeur du grand de
Richelieu peut bien chercher d’autres obiets de sa cruauté. H. Son
successeur ? S. Ouy, Sire, ie parle de Mazarin : que ce terme ne
vous étonne point, grand Roy ; car effectiuement si Dieu n’y remedie,
nous allons voir en France vne administration successiue
de Cardinaux aussi bien que de Rois, & l’on doutera desormais
qui du Chapeau rouge ou de la Couronne est vne plus auguste
marque : En effet si les Historiens de ce temps ne sont plus exacts
que ceux du temps passé, ce ne sera point sans beueuë que la posterité
lira dans nos Chroniques les noms de ces pestes d’Estat parmy
ceux de vos successeurs, comme nous lisons ceux des Maires du Palais
parmy ceux de vos Predecesseurs. Et ceux qui se mesleront de
renouueller l’Histoire de France, parleront d’vn Armand & d’vn
Mazarin premiers deces noms là, plus que d’vn Louis XIII. ou
d’vn Louis XIV. Encore si la Tyrannie des derniers ne tâchoit
point de surpasser celle de ceux qui les ont precedez, l’esperance
le nous y accoustumer nous consoleroit : Mais à ce que ie voy,

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vostre pauure France est suiette à tomber, comme on dit, de fiéure
en haut mal : & Mazarin a si auantageusement enchery sur Armand
qu’il est bien mal aisé qu’vn autre puisse encherir sur Mazarin.
Ie sçay bien qu’il faut auoir la foy bonne pour ne reuoquer
rien en doute de tout ce que les flateurs ont chanté de ce premier,
puisqu’à leur conte il n’estoit point de vertu qui ne fût Cardinale :
mais ie ne me figure pas moins de malice à ne les croire en rien,
que de simplicité à les croire en tout. Son ame n’estoit pas si belle
que nous la depeignoit Monsieur Panegyrique (qui, dit-on, commence
à se morfondre vn peu) mais aussi n’estoit elle pas si laide
que nous là faisoit Dame Satyre, qui fait maintenant la Diablesse
à quatre. Armand aimant les Muses leur faisoit du bien, Et certes
ce n’estoit pas en faire à des ingrates, puisque connoissant la
vanité du personnage, elles ont de si bonne grace couronné son
merite imaginaire des plus belles fleurs du Parnasse, & formé ses
loüanges indifferemment des vertus qu’il auoit, & de celles qu’il
n’auoit pas : Mazarin ne les aima iamais, peut estre à cause qu’il a
ouy dire que leur chasteté n’est pas de celles qui se laissent corrompre :
& l’on ne sçait qui a receu moins de faueurs, ou elles de luy, ou
luy d’elles. Car enfin son esprit est trop brutal, pour n’estre pas incapable
mesmes de leurs moindres presents. Armand peut se vanter
d’auoir marié ces pauures filles, que les plus sages courtisoient sans
dessein de les espouser : parce qu’elles n’auoient point de dot. Mais
si sous Mazarin elles ne courent risque, comme elles ont fait autrefois,
de viure long temps filles : ie crains fort pour elles, qu’elles ne
meurent vefues : non pas comme moy, chacune d’vn septiesme
mary, mais d’vn premier seulement. Armand tiroit iusqu’au sang du
peuple. Mazarin en fait bien autant. Mais Armand faisant de ce sang,
ce que ie fais de l’eau de la Seine que ie verse dans la riuiere d’où il
estoit sorty. Il en sustentoit mille beaux esprits, qui sans luy fussent
morts de faim : & ce qu’il s’en reseruoit ne passoit, ny les Alpes ny
les Pyrenées, comme les innombrables sommes dont cette Harpie
a remply le Mont de Pieté de Rome, & les banques de Venise, pour
ne point parler des bourses d’Amsterdam. Armand aimoit l’aggrandissement
de sa maison. Mazarin aime aussi celuy de la sienne. Mais
Armand songeoit aussi à l’aggrandissement de l’Estat de son Maistre,
& Maarin en machine la perte ineuitable, si Dieu n’a pitié de

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nous. Ie fremy, grand Monarque, quand i’y pense : & ie voy dans
cet enleuement de nos plus cheres delices, des circonstances capables
d’étonner les plus fermes courages. H. Et le Prince de Condé
ce ieune Alexandre, en qui ie crus renaistre, & crois maintenant
reuiure, ne fait point raison à sa patrie d’vn si cruel outrage, & sa
valeur sommeille en vne occasion la plus auantageuse du monde de
se signaler ? S. Rien moins, Sire, elle ne parut iamais plus ardante
& plus vigoureuse, mais c’est à proteger & non à perdre son propre
ennemy, ce lâche oppresseur de la France, & cet infame rauisseur
de ce qu’elle auoit de plus cher & de plus aimable. L’eussiez
vous iamais creu, grand Monarque ? H. Non sans mentir, voisine,
& i’auouë que i’ay bien encore de la peine à le croire : vn reietton
de la souche des Bourbons s’estre declaré pour vn voleur, contre
l’Estat, & contre sa patrie ! S. Il n’est pourtant que trop veritable,
Sire, & mon incredulité ne seroit pas moindre que la vostre, si
ie ne l’apprenois des discours de tous ceux qui passent par icy : car
enfin on ne parle plus si bas comme l’on faisoit, & ie m’estonne fort
que vous n’en ayez appris quelque chose de tant d’honnestes gens
qui vous enuironnent. Car enfin ie m’asseure que vostre Cour n’est
plus de celles où le cœur dément tousiours la bouche, où la verité
n’ose leuer le masque, & d’où l’on bannit ceux dont la candeur ose
l’exposer nuë aux yeux qu’elle éblouyt. H. Ne te mocque point
de ma Cour ; car à ce que ie voy, celle de mon fils ne vaut gueres
mieux. Si le Poicteuin assemble en l’vne des Filous & des Coupeurs
de bourse, Mazarin vray saltinbanque d’entre chair & cuir, n’en
attire pas moins en l’autre : & chacun sçait bien qu’il n’est ordinairement
enuironné que de gens de sac & de corde : auec vne difference,
pourtant que ma vieillesse est à l’espreuue du mauuais exemple,
& que la ieunesse de mon petit fils ne l’est pas. C’est ce que la
Reyne deuroit considerer. S. Et c’est pourtant, Sire, ce que la
Reyne ne considere point, croyant ce perfide aussi zelé pour le
bien de la France, qui n’est autre que celuy du Roy mesme, qu’il
deuroit l’estre effectiuement apres les bienfaits qu’il en a receus. Et
ie crains fort qu’en peu de temps cette incomparable Reyne ne le
connoisse mieux aux despens de son Estat chancelant, si Dieu ne benit
les soins de ce grand Parlement, protecteur incorruptible & de
l’honneur de nos Roys & du salut de leurs Peuples, si les influences
de nostre Generalissime, cet Astre si benin à la France, ne temperent

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le fiel de nos disgraces : & si la valeur de ces braues Chefs qui
se sont si genereusement declarez contre ce monstre d’Estat, ne
triomphe de ceux que sa Tyrannie engage à le seruir malgré qu’ils
en ayent. Car enfin s’il faut examiner les motifs qui peuuent les attacher
au party qu’ils embrassent. H. Ce sera le suiet d’vne autre
conuersation que celle-cy, chere Samaritaine ; car à present
pour auoir esté, comme ie suis, tousiours nuë teste au froid qu’il
fait, i’ay de la peine à t’ouyr, & plus encore à te respondre, tellement
ie suis enrhumé. Adieu donc iusqu’aux premieres nouuelles du
Courier François. S. Adieu, grand Monarque.

 

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