Anonyme [1649], LE SECRET DE LA PAIX. A LA REYNE. , français, latinRéférence RIM : M0_3626. Cote locale : A_7_31.
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LE
SECRET
DE LA
PAIX.

A LA REYNE.

A PARIS,
Chez HIEROSME HAMEAV, ruë S. Iean de Latran,
proche le College des trois Euesques.

M. DC. XLIX.

Auec Permission.

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LE SECRET DE LA PAIX.

A LA REYNE.

MADAME,

NOVS auons experimenté ces iours passez deux mouuemens
extraordinaires à la Nature, & incroyables à la Philosophie ;
vn desir extresme de la Paix, & vne tres-grande
criante de l’auoir : On ne peut pas nier que nous ne l’ayons
souhaittée ardemment, parce qu’elle n’est plus vne seule
complaisance, mais vne necessité d’affaires aux deux Partis.
Toutesfois lors que l’on nous a annoncé qu’elle venoit dans
Paris sans le Roy & la Reyne, c’est chose estrange, que ce
pauure Peuple qui trembloit encore sous le fer des Barbares,
& sous les furies de la faim, demandoit la Guerre qui luy deuoit
prolonger l’vn & l’autre tourment, plustost que de luy
veoir arriuer la Paix sans vos Maiestez.

Pardonnez, MADAME, à la plus innocente des passions,
qui ne vient que d’vn excés d’amour & de respect qu’on
a pour vos Maiestez, & qui fait que les choses les plus vtiles
& les plus agreables nous semblent desaduantageuses & funestes,
si elles ne sont honorées par vostre Presence : Nous
voulons veoir dans la serenité, ce visage qui s’est couuert de
nuages sur nous, nous voulons veoir cette main que l’ignorance
& le malheur ont armée de fleaux contre nous, toute
persecutante qu’elle est nous l’aymons, & nous iugeons que
L’VNIQVE SECRET DE LA PAIX que Vostre Maiesté

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procure à son Peuple, c’est de prẽdre les aisles de l’Aigle pour
retourner dans Paris, & ramener le Roy. Toutes les raisons
diuines & humaines non seulement vous conuient, mais vous
forcent d’vne douce violence à prendre cette resolution.

 

Premierement, MADAME, il n’y a point d’apparence
de faire entrer la Paix comme vne inconnuë dans Paris, Elle
qui est la Fille du Ciel, le nœud de la tres Auguste Trinité,
qui fait le monde par ses accords, & le Paradis par ses regards.
Vostre Maiesté qui est si pieuse, sçait comme on a
traitté de tout temps les Reliques en l’Eglise, & comme on
les a fait entrer dans les Villes portées en triomphe sur les
espaules des Pontifes sacrez, & suiuies des Roys & des Reynes,
auec toutes les Pompes, & toutes les magnificences possibles.
La Paix, MADAME, c’est la Relique de IESVS-CHRIST,
qu’il nous a laissée, & consignée auec son Sang
au dernier de ses iours ; C’est le Fruict de sa Passion, la Conqueste
de son Amour, & l’Ornement de sa Gloire ; & vous la
voudriez faire entrer dans les portes de vostre ville capitale
comme vne captiue, qui auroit honte de se monstrer, & de se
produire au iour qu’elle penseroit n’estre fait que pour esclairer
sa honte. Elle est de trop bon lieu pour supporter ce mespris,
elle a trop de merite pour tirer si peu de respect : Vous ne
pouuez pas ignorer que cét adorable Sacrement à qui vostre
Pieté a iuré vn commerce inseparable s’appelle LA PAIX,
selon l’vsage des anciens Peres de l’Eglise, & vous sçauez en
quel appareil on le porte par nos ruës à cette haute solemnité,
qui fait que toutes les Villes de la Chrestienté semblent
autant d’isles celestes où le Paradis est descendu pour ce iour
là : La Paix est la sœur de l’Eucharistie, qui porte son nom
& ses effects, sans qui elle ne seroit nullement ce qu’elle est ;
Et vostre Maiesté la voudroit faire marcher comme vne Roturiere,
à petit bruit, & à petit train, ce qui feroit croire, ou
que vous ne la iugeriez pas faite, ou que vous auriez quelque
repentance de l’auoir accordée.

Tertullianus
de
pudicitia.

La ville de Paris vous ose dire franchement ce que la Sunamite
dit au Prophete Elizée, qui se contentoit de luy enuoyer
son baston par son Seruiteur Giezi, pour ressusciter son

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fils. Viue Dieu, & viue vostre Ame, ie ne vous quitteray
point, mais vous viendrez en personne en ma maison. Ie n’ay
plus que faire de Conferences, ie ne m’arreste point aux Deputez
qui portent les marques de vostre authorité, i’en suis au
mourir, & il n’y a point d’esperance de vie pour moy, si vous
ne venez pour me la rendre ; Ie veux veoir mon Roy, mon
Dieu-donné, ie veux ouyr encore retentir dans l’enceinte de
mes murailles cét aymable nom d’Anne, qui doit faire mes
ioyes comme il a fait mes desplaisirs ; venez vous-mesme,
venez, & tout est fait.

 

1. Reg. li.
4. cap. 4.

La vraye Paix de Dieu consiste en l’vnion, & on ne s’imaginera
iamais qu’elle soit faite, tant que V. M. s’esloignera
du seiour de Paris qui est celuy de nos Roys, & se des vnira de
la presence de son Peuple par des fuittes estudiées, & des desseins
precipitez, qui sont insupportables a ceux qui ayment ;
nous soupçonnerons la Guerre iusques dans le Sacrement de
Paix, si vostre chere presence ne nous confirme les asseurances
de sa bonté. Nous croirons tousiours qu’en conscience
elle ne peut s’approcher de la face de Dieu, si elle nous bannit
de la sienne. Le bien, dit sainct Denys, ne vient point d’vne
demie cause : aussi ne doit-il pas estre faict a demy par vne
grande Reyne a qui il appartient d’imiter Dieu de qui les
œuures sont parfaictes. Vous auez osté les Regimens qui nous
causoient la faim, ostez-nous les obstacles qui nous causent
vostre absence.

Et pour dire vray, s’il vous plaist de considerer les raisons
humaines apres les diuines, vous ne pouuez nous priuer plus
long-temps de la presence du Roy, sans commettre quelque
sorte d’injustice, Excusez, MADAME, vne saincte ialousie
qui n’a point d’autre origine que l’amour qu’on vous porte
dans Paris. Nous ne pouuons nous persuader que vous soyez
seule la Mere de ce tres aymable Prince que nous vous demandons,
c’est le Fils de nos souhaits, c’est le Fils de nos prieres
& de nos larmes, c’est le Fils des conseils de vos bons Seruiteurs,
nous auons disputé plus de vingt-ans auec le Ciel
pour l’obtenir, nous l’auons forcé par nos deuotions continuelles
a vous le donner, & vous auriez le cœur de nous le

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rauir en vn funeste moment qui enseueliroit toutes nos
ioyes.

 

Pleust a Dieu que vous eussiez maintenant deuant les yeux
tout ce qui se passa dans Paris, a cét auguste iour qui vous fit
la Mere d’vn Dauphin ; Personne ne s’estimoit alors mal-heureux
apres auoir veu naistre la Felicité, & personne aussi ne
vouloit estre heureux que par sa naissance. Paris dissipa ce
iour-là toutes les furies de la Guerre, & arbora par tout les
estandarts de la Paix, il ouurit autant de bouches qu’il y auoit
par tout de feux de ioyes, & il alluma autant de flammes qu’il
y auoit d’Estoilles au Ciel.

O Louys le Iuste, disoit-il, Fauory du Tout-puissant, qui
ne dira que vous estes nay pour la seconde fois à ce iour auquel
vous nous auez dõné ce pourtraict animé de vos vertus.
O Anne d’Austriche, quoy que vous soyez accouchée sur le
tard, vous ne laissez pas d’estre vne mere tres heureuse d’vn
Enfant, qui n’est pas tant nay pour vous, que pour le salut de
cette Monarchie ! O France ce nouuel Isaac espanoüira ton
cœur, & tu receuras des consolations de celuy dont tu ne
peux encore receuoir des parolles ! O combien de chaisnes
ses delicates mains briseront, combien ouuriront-elles de
prisons, combien finiront-elles de bannissemens, combien
de cachots ses petits yeux esclaireront, & combien de Monstres
seront escrasez soubs les pieds de cét Enfant, Taisez-vous
flots, taisez-vous tempestes, & rendez vous dociles aupres
du berceau de ce sacré Dauphin : Puissances celestes ne
nous l’enuiez pas de long temps, prestez-nous pour vn siecle
celuy que vous nous auez donné apres tant d’années de prieres.
Qu’il aille au delà des proüesses de ses Ayeux, & quoy
que nay a condition de mourir, qu’il ne trauaille iamais que
pour l’immortalité. Qu’il souhaitte d’estre aymé, qu’il craigne
d’estre craint, que les iniustes le ressentent comme vengeur,
les opprimez comme vn liberateur, les ennemis comme vn
cœur Martial, & les subjets comme vn Roy de Paix & de
merueilles.

Voila, MADAME, ce qui se disoit pour lors dans Paris,
voila quels estoient les sentimẽs de vos meilleurs subiets,

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apres quoy il faut auouer que c’est vn amer creue cœur, de
nous veoir separez d’vn obiet si delicieux, dans lequel germent
toutes nos esperances, & viuent toutes nos vies.

 

Vous nous traittez comme Dieu iustement irrité traitte les
damnez, vous nous affligez de la peine du Dam, que les Theologiens
appellent la pire des Enfers. Vous faites éclipser sur
nous ce bel œil dont nous puisons nos clartez & nos ioyes,
vous nous rendez la vie odieuse, que nous ne desirons conseruer
que pour luy. L’Escriture vous a pû apprendre qu’Absalon
fils de Dauid, estant reconcilié auec son Pere apres vne
horrible offence, a telle condition qu’il ne verroit pas le Roy
pour quelque temps, s’affligea tellement de ce delay, qu’il
essaya par tous moyens de traicter son entiere reconciliation
auec Ioab qui estoit tres-puissant sur l’esprit de Dauid. Mais
comme il differoit de l’aller veoir, il fit mettre le feu a ses
bleds, ce qui fit que Ioab ardent comme son bled mesme,
vint a luy pour luy reprocher son ingratitude ; Mais Absalon
luy dit, il n’est pas question de cela maintenant, il n’y a qu’vn
mot, ou tuë-moy ? ou me fais veoir le Roy mon Pere ? Si ce Fils
des-naturé portoit auec tant d’impatience la priuation du visage
paternel, combien pensez-vous, MADAME, que
vos vrays & naturels subiets souffrent de tourment pour se
veoir esloignez des yeux de vos Maiestez. Les iours nous
semblent sans clartez, & les nuicts sans repos, les diuertissemens
sans plaisir, & les affaires sans satisfaction, tout ce que
nous voyons nous semble porter les marques de nostre mal-heur,
tant que nous sommes priuez de nostre Dieu-donné, &
de vous qui l’auez produit pour nous, & qui estes obligée de
nous le rendre.

2. Reg.
14.

Si on se contentoit de nos mal-heurs sans y adiouster des
crimes, nous aurions encore moins de suiet de nous plaindre,
mais qu’on publie a la face du Ciel & de la Terre que nous
experimentons ces rudes chastimens pour punir nostre rebellion,
c’est ce que nous ne pouuons souffrir sans d’horribles
conuulsions de douleur. Si nous sommes rebelles c’est à la
faim dont nous n’auons pû supporter l’empire ; Si nous sommes
rebelles, c’est au fer des Allemans, & des Polonois que

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nous n’auons pas voulu receuoir dans nos entrailles. Quels
rebelles qui prient incessamment pour leur Roy, qui l’appellent
auec des desirs impatiens, qui luy ouurent toutes leurs
portes, qui luy vouënt & promettent des obeïssances immortelles,
& qui demandent seulement qu’on ne se serue point de
son nom & de son innocence, pour exposer leur bien au pillage
& leur vie aux massacres : Nous auons supporté pres de trente
ans la pesanteur d’vn ioug que d’autres Peuples n’eussent pas
souffert trente iours, pour ne contrarier pas en aucune façon
l’authorité du Roy, & éuiter l’ombre mesme de la rebellion ;
Mais comme les pernicieux conseils de ceux qui vouloient
auoir les dernieres despoüilles de la France, se sont portez à
des extremitez qui n’auoient point d’exemples dans les siecles
passez, & qui dõneront de l’horreur à tous ceux qui sont
à venir ; Les Compagnies Souueraines se sont opposées selon
les formes, sans autre crime que d’auoir fait trop tard, ce que
la conscience les obligeoit de faire plustost : C’est pour cela
qu’on a formé tant d’ombrages en vostre esprit contre le Parlement,
& qu’on a remué Ciel & Terre pour accabler de
bons Seruiteurs qui se sacrifioient pour le bien de l’Estat, pour
la conseruation du domaine du Roy vostre Fils, pour l’honneur
de vostre conduitte, & pour la reputation de vostre Regence.
Il est tres-aysé de discerner ceux qui sont plus a vous,
ou ceux qui ne suiuent le Roy que pour le despoüiller, qui
dorent les lambris de leurs maisons de son Or, qui font couler
les canaux de leurs Iardins du sang de ses Peuples, qui
nourrissent vn luxe prodigieux de sa substance, & font des
fortunes d’art magique, qui changent leur paille en des diamans :
ou bien ceux qui viuent tres-frugalement selon l’ancienne
discipline, & qui apres trente & quarante ans de seruices
meurent pauures, si le bien ne leur vient de patrimoine.
Dans tous ces troubles ils ont exposé leur bien pour conseruer
le vostre, & n’ont tiré autre proffit que la gloire de leur
seruice. Certes il seroit souhaittable qu’il y eust bon nombre
de ces gens là, & moins de ces fauoris, de ces esprits obsesseurs
des Grands, qui apres auoir esté leurs Idolatres se font
leur Idole pour vsurper le sacrifice de leur bien, de leur honneur,

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& de leur raison. Ce seroit donc a tort, MADAME,
que vous les priueriez plus long-temps de la presence du
Roy, n’ayant rien de plus odieux, ny moins merité que le
nom de rebelles.

 

Mais sans regarder ce qui nous touche, voyez & considerez
vos propres interests, & vous trouuerez qu’il n’y a lieu
où vous soyez auec plus d’honneur ny de seureté que dans
Paris : Il est certain que vostre Personne y est aymée & respectée,
que si le malheur des temps & la rigueur des impositions,
a quelquefois arraché de la bouche du petit peuple
des plaintes & des murmures moins seans à vostre bonté, il
faut excuser l’excez de la douleur, & la necessité qui n’a
point de Loy. Dans ce grand desbordement de libelles qui
ne cessent de courir dans Paris, les plus sanglants espargnent
tousiours vostre Nom. Vostre Maiesté n’aura pas plustost
paru auec ce visage auguste qui a fait tant de fois nos beaux
iours, elle n’aura pas plustost commencé à donner la clarté
aux affaires tenebreuses, & de l’ordre aux confuses, à remettre
d’vne main sacrée les membres disloquez de l’Estat, à
faire la Paix, & donner l’abondance des biens, qu’elle fera
reflorir toutes les affections à son seruice.

Où iroit vostre Maiesté pour trouuer mieux que Paris ?
Toute la France est en trouble, & il n’y a Ville, ny Prouince,
où vous n’experimentiez de grandes difficultez, faute de les
auoir preuenuës par vn remede necessaire. Ce n’est pas sans
raison que ces anciens disoient, qu’il y auoit des Genies attachez
à la terre de certaines villes, qui faisoient leur bonne
fortune, & qu’on ne pouuoit changer de lieu sans changer le
bon heur des habitans : C’est pour cela que Rome estant
ruynée & desolée par sept fois, a esté tousiours rebastie en la
mesme place, sans que les fortes oppositions de ceux qui la
vouloient transporter ailleurs preualussent cõtre l’antiquité.
Dans cette veuë ie voy fermemẽt que Paris a vn grand Ange
tutelaire, que Dieu a determiné à ce lieu-cy, que les Roys ne
peuuent abandõner sans se priuer de cette haute protection.
Le Roy est nay homme à Sainct Germain, mais il est nay
plus proprement Roy à Paris, lors qu’il a esté reconnu dans

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son Parlement, s’il auoit à viure en homme particulier, il
pourroit demeurer parmi les Grottes, les Bois, & les Fontaines,
d’vn lieu si delicieux ; Mais s’il veut viure en Roy, il faut
que ce soit à Paris, où sont les hommes & les affaires, les Arts
& les Empires.

 

Quand l’Empereur Tibere quitta Rome pour aller demeurer
à Capri, il commença à perdre plus que iamais l’amour
de ses sujets, & deuint semblable à vn vieux Hibou, qui
fuioit le iour & les hommes, pour ronger son cœur dans vne
maligne solitude. Nos Rois n’ont que faire de cette methode,
ils ne sont pas faits pour estre cachez, mais pour se faire
veoir à toute heure, parmi les applaudissemẽs de leurs sujets.

Tant plus vous differez de vous transporter à Paris, d’autant
plus trauaillez-vous à la ruïne de vostre Estat, les Campagnes
pleurent, les Villes souspirent, toutes les affaires cessent,
tout commerce est interrompu, il n’y a plus dequoi
faire des tributs, les peuples s’accoustument à ne rien payer
& desaprennent la Monarchie. Le Parti qui a commencé
auec assez de sincerité se peut alterer, & on ne peut pas respondre
qu’il n’y puisse auoir auec le temps des mineurs qui
trauailleront sous terre, & qui chercheront la terre sous vn
voile de couleur celeste ; Vostre absence nourrit toutes leurs
esperances, & vostre arriuée est capable de les destruire.
Pendant que vous differez, les enuieux s’esueillent, & les
ennemis ne dorment pas dans ces dissensions : Ceux-là mesme
qui estoient assez gens de bien, deuiennent quelquefois
meschans, pour auoir trop d’occasion de mal faire. Venez,
monstrez-vous, montez sur le Trosne de Paris, & dissipez
toutes les factions, on punit assez souuent les esprits remuans
en leur accordant le pretexte pour lequel ils ont remué.

En venant à Paris vostre Maiesté fait vne Paix asseurée, en
vous en tenant esloignée, vous declarez la Guerre que vous
ne pouuez faire en conscience à vne ville qui vous tend les
bras, & que vous ne pouuez entretenir dãs ce manquement
de finances que par la permission des crimes, & par vn deluge
de pechez qui sont indignes de vostre Vertu, pernicieux
à vostre salut, & outrageux à vostre reputation laquelle doit

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regarder l’immortalité. Les sages Politiques disent, que si vn
Roy mineur trouue la Guerre, il la doit au plustost finir, &
s’il rencontre la Paix il fait tres-bien de la conseruer soigneusement,
son espée estant mieux dans le fourreau que
dans toute autre main : les Armes sont naturellement licentieuses
& entreprenantes, qui se mettent aisément dans les
mains & s’en retirent difficilement dans les succez incertains
elles sont suiuies d’vne dissipation de biens certaine, elles
vous cousteront ce que vous auez & ce que vous n’auez pas :
Mais la Paix ne vous coustera qu’vne bonne volonté. Enfin
les maladies se guerissent par le retranchement de leurs causes,
d’où il suit que tout le trouble estant arriué par l’enleuement
du Roy, il doit estre appaisé par son retour.

 

Si Vostre Majesté prend cette resolution de venir incontinent
à Paris, la genereuse confiance que vous tesmoignerez
a vos Peuples gaignera infailliblement tous les cœurs, &
vous fera Reyne du plus haut Empire du monde, qui est celuy
des Esprits : C’est ainsi que les plus illustres hommes de
la terre en ont vsé. Dauid s’abandonna vn iour entre les
mains de Saul son persecuteur, qui rauy de cette action l’embrassa
en pleurant, & luy predit qu’il seroit Roy apres luy :
Auguste se mit a la discretion de Cinna qui auoit coniuré sa
mort, & en fit a l’instant l’vn de ses meilleurs amis ; Pouuez-vous
refuser a vos fidelles seruiteurs ce que ceux-cy par excez
de generosité ont accordé a leurs ennemis ? L’Innocence
du Roy vostre Fils, & de Monsieur, vous feroient trouuer
de la seureté parmy les Lyons, & vous douterez qu’il n’y ait
de la veneration pour vous parmy des suiets si respectueux
& si dociles ?

1. Reg. 24.

Suet. in
Auguste.

Quant a Monsieur le Cardinal Mazarin, Vostre Maiesté
cherit trop ses merites pour luy donner la peine de ce voyage
ou il n’y auroit ny honneur, ny asseurance pour luy, il est aussi
trop auisé pour s’y commettre, il sçait l’vne & l’autre fortune,
il connoist l’humeur des Peuples dont il est mal-aysé de forcer
les volontez : Quand il entreroit dans Paris tout enuironné
de legions de feu, & qu’il seroit muny de tous costez de
temparts de fer & de bronze, quel plaisir prendroit il de se

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faire place au cœur des Parisiens a coups de Canon : Il n’ignore
pas que les Loix de ce Royaume portent l’exclusion
des Ministres Estrangers, selon qu’il fut ordonné & pratiqué
en la minorité de Charles VIII. Les François ne s’inquiettent
plus de ce qu’on ne les fait point Papes de Rome, aussi
les Italiens ne se doiuent point fascher s’ils ne sont pas admis
a gouuerner l’estat de France.

 

Vous direz, MADAME, que le feu Roy vous l’auoit
donné, mais ce present luy venoit de la main d’vn Ministre
violent, qui tout du long de son Ministere a tenu les Loix a la
chaisne, & ses passions au gouuernail, qui n’auoit autre but
que de faire dominer son esprit en son successeur, pour nous
tourmenter encore apres sa mort. Vostre Maiesté n’a pas creu
que le feu Roy l’ait voulu obliger au choix des Ministres, ou
elle n’a pas craint de le des-obliger, quand de ces sept Anges
du Conseil, elle en a congedié vn, & emprisonné l’autre. Les
Ministres sont ambulatoires & se changent selon les occurrences,
mais vostre peuple est tousiours a vous, & compose
le corps de vostre Estat ; Vostre prudence n’a garde de faire le
principal de sa vie, de ce qui n’est qu’vn accessoire : Aussi
Monsieur le Cardinal ayme trop le bien de vostre Estat pour
se vouloir conseruer par sa ruine, il ne doit pas estre moins
genereux que S. Gregoire Nazianze, qui voyant vne grande
tempeste esleuée a Constantinople pour le priuer de sa dignité,
quoy qu’il eust assez de moyens de se bien deffendre, il ayma
mieux ceder, & dire en partant ; si ie suis le Ionas de ce
siecle, & que la bourasque s’est esleuée pour moy, & que par
moy elle doit estre appaisée en me iettant dans la Mer, ie
m’offre de bon cœur pour le salut de mes freres, sçachant
bien qu’en faisant cecy pour Dieu, ie ne seray point abandonné
de sa protection.

C’est ainsi que les grands courages se conduisent, c’est
ainsi qu’ils font veoir les hautes qualitez qui reposent au fõds
de leur Ame : En se retirant de la France pour appaiser nos
diuisions, il fera ce que fit la bonne Mere du Iugement de Salomon,
qui ayma mieux quitter l’Enfant que de le veoir partager :
Il rendra ce bon office a nostre Monarchie, pour les

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grandes éleuations qu’il en a receuës, & il en sera loué deuant
Dieu & deuant les hommes ; Autrement s’il opiniastroit sa
demeure, il y autoit a craindre quelque accident sinistre que
nous n’osons penser, & que nous souhaittons plustost estre
diuerty par son bon-heur.

 

3. Reg. 3.

Mais vous, MADAME, permettez la verité à vn cœur
qui est passionné pour la reputation de vostre Regence. Dãs
vne grande Ville comme Paris qui est née libre, les langues
ne peuuent estre captiues : Si vous continuez à vouloir si fortement
ce qui est si preiudiciable à vostre reputation & à vostre
Estat, chacun de vos meilleurs Seruiteurs dira ; Ie croy
que la Reyne a l’ame bonne, & qu’elle est femme de bien,
mais elle n’est point tellement Reyne qu’elle s’oublie d’estre
femme, apres toutes les deuotions elle veut auoir son compte,
il semble qu’elle ayme mieux veoir tout perdu que de
perdre la satisfaction d’vne volonté : l’Esprit de Dieu n’est
pas là, puis qu’il se plaist dans le destachement. La haute Vertu
n’est pas là, puis qu’elle ne tient rien à soy que ce qu’elle
este à l’appetit. Ce n’est point la conseruation de l’authorité
Royalle qui l’oblige à des actions si violentes, en la voulant
conseruer par ces moyens, elle fait tout ce que luy conseilleroit
vn càpital ennemy pour la ruiner. Le salut du Peuple,
disent les Politiques, est la premiere Loy de l’Estat, & quiconque
s’esloigne de ce principe met tout en confusion. Ie ne
sçay comme elle démeslera cette affaire deuant Dieu, mais
elle est en danger de se rendre mal-heureuse, si elle ne prend
conseil de sa raison, plustost que de son pouuoir.

Dieu destourne, MADAME, ces pensées, & ces murmures,
qui ne seroient que trop espandus dans toute la France,
& vous inspire des sentimens contraires à ceux que vous
auez suiuis iusques icy. Si vous condescendez à vos Peuples
par cette bonté qui vous a esté autres-fois si ordinaire, & si
vous retournez promptement à Paris pour asseurer la paix,
& apporter la ioye & la santé à tous les membres de l’Estat,
vous serez receuë comme vn Ange de Paix, vostre presence
sera honnotée, vostre Vertu en bonne odeur, & vostre Memoire
en benediction.

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C’est alors qu’on dira, voyez cette grande Princesse, &
admirez en elle l’image de la Diuinité : Elle a eu raison de
retenir quelque temps le Cardinal au maniement des affaires
de son Estat ; Le feu Roy luy auoit donné, elle se trouuoit
bien de son Ministere, elle iugeoit qu’il estoit homme capable,
& affectionné au bien de la France ; Mais depuis qu’elle
a penetré le iugement des plus Sages, & reconnu le mescontentement
vniuersel de ses suiets, elle s’en est deffaicte, ce
qu’elle eust fait de meilleure heure, si les mauuais conseils
ne luy eussent trop espargné la verité, elle l’a r’enuoyé,
pour monstrer qu’elle ne tenoit qu’à Dieu par les racines
d’vne vraye pieté : elle a cessé de pointiller sur le point de
l’authorité, elle a enfin tout postposé aux interests de son Peuple,
elle ne s’est point souuenuë qu’elle estoit femme pour se
ressentir des iniures ; elle ne s’est point souuenuë qu’elle
estoit Reyne pour s’en venger ; elle n’a point consideré
qu’elle auoit les regimens & les armées à ses costez pour se
faire obeïr : elle a cedé non par impuissance, mais par vertu :
elle ne manquoit pas de Theologiens flatteurs & mercenaires
qui luy eslargissoient la conscience, & luy vouloient
faire croire qu’elle pouuoit faire tout le mal que
nous auons veu sans peché : elle ne manquoit pas de grands
& ardens Capitaines qui luy promettoient de mettre tout
en poudre si elle vouloit ; Neantmoins elle est entrée dans
soy-mesme, & n’en est sortie que pour embrasser ses Peuples
auec des entrailles de Charité : elle a condamné les fictions
de la fausse Theologie ; elle a reprouué l’ardeur des
armes ciuiles : elle s’est vaincuë, elle est venuë, elle a remis
tout en estat. Quel spectacle ! quelle admiration ! quel excez
de ioye ! de veoir vne Reyne victorieuse de soy-mesme,
qui est montée auiourd’huy par dessus tous les Diadesmes !
Où sont ces petits cœurs qui se picquent irreconciliablement
à la moindre iniure, ne faut-il pas qu’ils creuent à la
veuë d’vn si haut éclat, & que nostre ANNE soit reconnue
comme la maistresse de la plus haute vertu dans toute la
Chrestienté. Voilà, MADAME, ce qui se dira par tout,
& Dieu en recompense vous donnera mille faueurs, La

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Paix generalle se fera sous vos loix, la Religion redorera
son lustre éclipsé, la Iustice reflorira, la Campagne se remettra
auec le temps, le commerce se r’establira, & tous
les biens nous reuiendrons auec la Paix, l’éducation mesme
du Roy s’en portera beaucoup mieux, & cette leçon de
bonté & de clemence que vous donnerez auiourd’huy, sera
vne semence de benedictions qui fera esclorre de grandes
vertus en sa conduitte.

 

Tous vos bons Seruiteurs disent auec des transports d’esprit
& d’affection, venez. Venez donc, MADAME,
sans retardement, & r’amenez le Roy, & ie m’asseure que
les presences de vos Maiestez feront des infusions de ioyes
secrettes & diuines dans toute la Nature : Venez, & le Soleil
nous paroistra plus clair, les Astres plus benins, l’Air
plus doux, & tous les Elemens plus profitables, Venez, &
la terre fera naistre les violettes sous vos pas, les Oliues se
ioindront auec les Palmes pour vous couronner : Venez, &
les montaignes & collines sauteront d’allegresse dans tous
les enuirons de Paris, les maisons mesme desolées se repareront
pour vous receuoir ; Venez, & nous baiserons les pas
que vous aurez imprimez sur la terre en ce voyage : Venez,
& nous sanctifierons le iour qui nous aura r’amené vos Maiestez,
nous le marquerons d’Or & d’Azur dans nos Fastes,
& le tiendrons desormais comme la fin de nos maux & le
commencement de nos felicitez.

Si Vostre Maiesté ne met point en consideration toutes
ces raisons, pour le moins ie la supplie de se souuenir de ce
qu’a dit vn ancien Pere de l’Eglise, qu’il y a des affaires, ou
si l’on regardoit bien les commencemens on n’en viendroit
iamais à la fin ; & qu’il y a aussi des temps ou si l’on ne veut
pas ce que l’on peut, on ne peut pas apres ce que l’on veut ;
Vous marchez sur les pas d’vne Reyne aussi haute que vous,
qui par vne sortie volontaire & precipitée s’est fermé les
portes de la France iusques à la mort : Si vous auiez des
ennemis ils ne demanderoiẽt pas mieux que de vous veoir
preuenir leurs souhaits en cette affaire ; mais nous qui desirons
la gloire de vostre Regence, & le bien de vostre Estat

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nous prions Dieu qu’il vous donne des pensées dignes de
vos bõtez, & sortables au repos de toute cette Monarchie.

 

Martinus
Dumiẽsis.

FIN.

Permission de la Cour.

LA Cour a permis à Hierosme Hameau, d’imprimer, ou faire imprimer,
vendre & distribuer le present Discours intitulé, Le Secret
de la Paix, à la Reyne. Et deffenses sont faites à toutes sortes de
personnes de l’imprimer, vendre, ou distribuer, sans le consentement
dudit Hameau ou de ceux qui auront droict de luy, à peine de confiscation
des exemplaires contrefaits, de cent liures d’amende, & de
tous despens, dommages, & interests. Faict à Paris le 26. Mars
1649.

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Anonyme [1649], LE SECRET DE LA PAIX. A LA REYNE. , français, latinRéférence RIM : M0_3626. Cote locale : A_7_31.