Anonyme [1652], LE RAISONNABLE PLAINTIF, SVR LA DERNIERE DECLARATION DV ROY. , français, latinRéférence RIM : M0_2969. Cote locale : B_14_11.
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LE
RAISONNABLE
PLAINTIF,
SVR LA DERNIERE
DECLARATION
DV ROY.

A PARIS,
Chez IACQVES BELLÉ, au Mont
Sainct Hyllaire.

M. DC. LII.

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LE RAISONNABLE PLAINTIF
sur la derniere Declaration du Roy.

COMME ie n’ay pas tant d’horreur de la pierre
qui m’est iettée, que i’ay de ressentiment contre
celuy qui me l’a iettée ; ie n’ay point tant
d’auersion contre celuy qui me blesse, & qui n’y
pense, comme i’en ay contre celuy qui le conseille à me
mal faire, & sans les suggestions & impulsions duquel,
ie ne receurois point de tort. Ie pardonne tres-volontiers
au Prince sous la domination duquel la prouidence
de Dieu m’a reduit, toutes les charges & impositions
qu’il me fait souffrir. par la creance que i’ay que ce mal
ne m’arriue pas de son gré, & de son inuention : mais i’ay
vn grand ressentiment contre le donneur d’auis, & le
mauuais Conseiller, qui me met à rançon, & qui me persecute.
Ie regarde mon Roy, ie le choye, & le respecte,
comme vne personne sacrée : Mais i’ay en horreur le
barbare Officier qui me tyrannise ; c’est pourquoy ie fais
tout ce qui m’est possible pour éuiter le coup dont il me
veut frapper : Ie me soustrais, ie m’en fuis, & si ie ne
puis eschapper, ie pare, & me defens le plus accortement
que ie puis ! le ruse en fin, & ie me sauue par les
faux fuyans, & par les equiuoques, quand ie n’ay plus
d’autre refuge : ayant oüy dire assez souuent qu’il est loisible
de frauder la Gabelle, principalement quand elle
est excessiue. Et neantmoins parce que cette leuée se fait
sous le nom, & par l’authorité du Prince ; le particulier
qui tascheroit d’y resister par vne voye de fait, commettroit
vne rebellion. Mais autre chose est quand tout le
peuple par vn mouuement, & par vn interest commun
se sousleue contre l’oppression ; car alors ce n’est plus
vne rebellion, & vne desobeyssance, c’est vn procez,
dont la contestation se forme par vne guerre, & la decision

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s’en fait par le sort des armes selõ la volõté de Dieu,
qui est le souuerain du Roy & du peuple, & le dernier Iuge
d’appel. On demandera, & on trouuera estrange,
comment il se fait que ce qui est rebellion, & desobeyssance
à vn particulier, quand il est entrepris par tout vn
peuple, deuient vne guerre legitime, veu que le plus ou
le moins, selon la Philosophie, ne change pas la substance.
Il faut respondre que cette maxime est vraye aux
choses physiques, mais elle reçoit explication aux Morales
& Politiques. Et premierement toute desobeyssance
n’est pas rebellion. Si le Prince ou son Ministre
ordonne quelque chose qui soit contre la loy de Dieu :
le refus d’y obeyr n’est ny rebellion, ny crime : au contraire
ce seroit vn crime que d’y obeyr. Sperne potestatem,
timendo potestatem, dit sainct Augustin : C’est à dire, Tu
peux impunément, voire mesme tu dois mespriser le
commandement de la puissance humaine pour satisfaire
à celuy du Tout-puissant. Secondement, si le Prince te
fait vn tel commandement qui de soy n’est pas contre la
loy de Dieu, mais neantmoins il est iniuste, parce qu’il
est excessif : en ce cas-là c’est le Prince qui peche, parce
qu’il agit contre la loy de Dieu, qui l’oblige à faire iustice :
mais toy en l’executant tu n’offenses pas ; au contraire
tu en fais exercice de patience : Or cette patience est
loüable, & la resistance que tu ferois au contraire, seroit
inutile, seroit de mauuais exemple, & te seroit preiudiciable.
En ce cas là il faut que tu obeïsses : & le Magistrat
qui agit sous l’authorité du Prince, t’y peut contraindre
par amendes, par peines & emprisonnemens. Et
quoy que l’imposition soit excessiue & iniuste en soy,
neantmoins par relation au repos public que tu ne dois
pas troubler par tõ impatiẽce, il est iuste que tu subisses.
Mais si la charge & la coruée est vniuersellement imposée
sur tous les habitans du païs, & que ne la pouuans
plus supporter, ils se resoluent de la refuser, & qu’en vengeance
de ce refus on procede contr’eux par outrages &
guerre declarée, qu’on les affame, qu’on les massacre,

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qu’on viole leurs femmes & leurs filles : La nature alors
s’esleue contre le pretendu droict ciuil, dont le Prince
se veut preualoir, & presente le Bouclier de la defense
legitime contre la force & la violence, Vim vi defendere
omnes leges, & omnia iura permittunt. Car alors le respect
estant perdu de la part du peuple, & le Prince s’estant
despouille de toute charité, & ne rendant plus iustice
ny protection, la liaison mutuelle est dissoute ; il n’y a
plus ny Prince ny subiects, & les choses sont reduites à la
matiere premiere. Alors il arriue que la forme du gouuernement
se change totalement, car ou la Monarchie
passe en Aristocratie, ou en estat populaire : ou bien si
les peuples ne sont pas entierement degoustez de la
Royauté, ils la transfererent a vne autre famille, ou ils
se sousmettent à vne autre Nation plus puissante, & reglée
par de meilleures loix. Ainsi les Hollandois se mirent
en estat populaire ; ainsi les villes subietes aux Cheualiers
Teutoniques se donnerent au Roy de Pologne,
Voila les extremitez où les violens Conseillers & les
Fauoris reduisent les Princes & les peuples. Que deuiennt
donc tous ces commandemens de sainct Pierre
& de sainct Paul, si exprez & si reiterez dans le nouueau
Testament, de l’obeïssance qu’il faut rendre aux
puissances superieures ? Les Docteurs respondent facilement
à ces passages : le principal desquels est le 13. ch.
de l’Epist. aux Rom. Ils remarquent que S. Paul écriuoit
sous Neron qui dominoit tout ce grand Empire Romain,
dans lequel les Chrestiens ne faisoient qu vne petite
poignée d’hommes, lesquels estant persuadez de la
liberté de l’Euangile, & comme ils n’estoient plus sous
la sertitude de la Loy ancienne, pouuoient pretendre &
se faire accroire qu’ils n’estoient plus obligez à l’obeïssance
des Princes seculiers. Pour cette raison l’Apostre
prend soin de les instruire & de les tenir en deuoir & en
sousmission : mais il ne iustifie pas pour cela les excez &
les cruautez de Neron, qui fut condamne incontinent
apres par le consentement de tout le Senat & de tout le

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Senat & de tout le peuple. Et quand sainct Pierre commande
aux seruiteurs d’obeïr à leurs Maistres, etiam dyscolis,
ce mot signifie seulement quand ils sont moroses &
de mauuaise humeur ; autre chose est quand ils tuent, &
qu’ils massacrent, alors cette obligation n’est plus dans
ses bornes. Alors la nature se declare, & prend la defense
legitime pour elle mesme, & foule aux pieds le pretendu
droict ciuil, en la mesme sorte que font ces Lyons appriuoisez,
quand ils ont souffert de leurs maistres quelque
grand outrage, qui les met au bout de leur patience, &
de leur docilité. C’est ce qui vient d’arriuer depuis nos
iours dans plusieurs Prouinces de l’Europe. Or il ne faut
point aller à Delphes pour sçauoir qui a posse les Princes
dans ces precipices, & qui leur a bandé les yeux pour
ne les pas apperceuoir Ce sont les infideles Conseillers,
& les Patrons de l’authorité absoluë. Vne domination
moderée n’est point suiette à ces accidens, & si elle reçoit
quelque atteinte, c’est par l’attaque du dehors ; car
par elle mesme & de son estoc, elle est presque immortelle,
ne plus ne moins qu’vn corps bien temperé, & sobrement
nourry, qui de soy ne forme ny fiévre ny abcez,
& qui ne peut estre endommage que par les accidens
estrangers. Qu’heureux seroient les peuples, & qu’heureux
seroient les Roys si on pouuoit purifier leurs Cours
de la contagion de ces pestes. Or cela n’est pourtant pas
impossible, car nous sçauons qu’il y a des Royaumes en
l’Europe, où le nom de Fauory n’est non plus en vsage
que la chose. Pourquoy la France, l’Espagne & l’Angleterre
ne s’en pourroient ils pas bien passer ? Mais puis
que cette maudite engeance est si opiniastre à nous affliger,
& qu’ils ne veulent pas démordre ny se destacher
de nostre peau, quoy qu’ils regorgent de nostre sang : soyons
de nostre part perseuerans à nostre legitime defense,
& taschons d’en dégouster & desabuser nos Lois &
nos Reines qui les protegent.

 

Quant aux fauoris & fauteurs de la puissance absoluë,
ne leur faut pas tant de respect ; nous auons assez de

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qualité & de charactere pour leur parler du pair. Que si
leur orgeuil les empesche de nous escouter, nous sommes
contens de n’en estre pas creus, mais nous leur produirons
les aduis des sages anciens, selon que la memoire
nous fournira. Et premierement Polybe leur apprendra
qu’il saut faire vne notable difference entre la Monarchie
& la Royauté, c’est vne puissance legitime déferée
par la volonté & le choix du peuple. La Monarchie c’est
vne puissance violente qui domine contre le gré de subjets,
& qui les a sousmis contre leur gré. La Royauté se
gouuerne par la raison, la Monarchie à discretion, &
selon la conuoitise du commandant : La fin de la Royauté
c’est l’vtilité commune : La fin du Monarque c’est la
sienne particuliere. Aristote le Roy des esprits & du raisonnement
humain, dit que le gouuernement monarchique,
c’est à dire d’vn seul, est bestial comme celuy du
Roy des abeilles, qui les regit sans conseil. Que la Royauté
c’est vn gouuernement propre des hommes, qui
s’administre par conseil & par communication de l’aduis
des personnes bien sensées. ciceron le Prince des
Philosophes Latins aussi bien que des Orateurs, dit
apres Aristote, & auec le consentement de tous les Politiques,
que les peuples ont esleu les Roys pour leur faire
iustice, & pour les proteger ; Pour cet effect qu’ils
ont choisi les plus vertueux & les plus sages : Et quand
ciceron, Polybe, & Aristote ne l’auroient pas dit,
peut il entrer dans le sens commun qu’on en aye peû
vser autrement ? ces mesmes grands Genies nous disent
que les gouuerneurs des peuples & des Republiques
soient ils Roys, Empereurs, Electeurs, Consuls,
ou qualifiez de tels autres noms qu’on voudra,
ne doiuent point estre considerez autrement que comme
sont les tuteurs à l’esgal de leurs pupilles. Vt tutela,
sic procuratio rei publicæ, ad eorum vtilitatem qui
commissi sunt, non ad corum quibus commissa est, referenda
est. Cie. lib. I. Officiorum. Cet oracle est si vtile, fi
beau, & d’vne verité si indubitable, qu’il deuroit

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estre escrit dans tous les Palais des Princes, dans tous les
Auditoires de Iustice, & dans toutes les Chambres du
Conseil public. Fabius Maximus, au rapport de Tite-Liue,
sur ce que le ieune Scipion vouloit passer son armée
en Afrique contre le consentement du Senat, auança
son aduis en ces termes ; I’estime, Peres Conscripts, que
Scipiou a esté creé Consul pour le bien de la Republique, &
pour le nostre, & non pas pour le sien particulier. Le mesme
se peut dire de tous ceux à qui on donne le commandement
pour gouuerner vne nation, de quelques noms
qu’ils soient honorez. Et comme ce Consul ou ce Dictateur
est obligé d’agir & de regir par iustice pendant son
année, ou ses six mois ; le Roy pareillement est obligé
d’administrer iustice pendant tout le cours de sa vie & de
son regne. On ne les a iamais esleus sous d’autres conditions :
& il ne peut pas tomber dans le sens de qui que ce
soit, que iamais vne Communauté, pour barbare qu’elle
aye pû estre, se soit formé vn Chef pour en estre affligée
& gourmandée. Cela estant ainsi, de quelque date que
soit l’origine d’vne Monarchie, elle ne peur pas prescrire
la liberté de la nation qui luy a donne l’estre & le commencement.
C’est vne maxime indubitable en Droict,
que les gens de robbe ne doiuent pas ignorer que, Nemo
potest sibimutare causam possessionis. Hue Capet fut es eu
par les Estats de France pour regner equitablement, &
suiuant les loix du païs ; il en fit le serment solemnel lors
de son sacre ; Il a par consequent transmis le Royaume à
sa posterité, à cette mesme condition. Si Louys XI. a
entrepris quelquelque chose au delà, il a peché contre
son deuoir, & contre son tiltre : & les Estats tenu à Tours
sour Charles VIII. son fils, ont este bien fondez à remettre
les choses en leur premier estat, & dans les bornes
de l’equité. Les ROIS qui ont suiuy depuis, se sont
maintenus dans vne loüable moderation. Louys Il. a
merité le nom de Pere du peuple. Henry IV. nourry
dans la licence des guerres, hors de la discipline de
vraye Religion, attaqué par les armes, irrité par les plumes,

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diffamé par vn million d’inuectiues, estant paruenu
enfin à la Royauté, il s’y est comporté si legalement,
qu’il n’a iamais fait bresche à aucune loy fondamentale
de l’Estat, n’a iamais contraint aucune Compagnie de
Iudicature, n’a pas mesme molesté aucun particulier de
ceux qui les composoient, iusques là que pour faire
passer L’Edict de Nantes, il prit soin d’honorer le President
Seguier de l’Ambassade de Venise pour éuiter sa
contradiction. Nous sçauons encore que s’estant échappé
à quelque parole vn peu dure contre le President de
Harlay, il le renuoya querir dés le lendemain pour luy
en faire des excuses. C’est pour cette raison, plustost que
pour ses exploits militaires, que nous luy auons donné
le titre de Grand ; & ce fut en cette veuë qu’on mit sous
son pourtraict ie pense que ce fut le Cardinal du Perron.

 

 


Ce grand Roy que tu vois de sa guerriere lance
Subiugua ses subiets contre luy reuoltez :
Mais d’vn plus braue cœur, quand il les eut domtez,
Luy-mesme se vanquit, oubliant leur offense.

 

C’est ce modele que le Mareschal de Villeroy deuroit
faire voir à son disciple, & non pas des exemples d’authorité
absoluë, que les Grecs appelleroyent tyrannie.
Quant à cette clause imperieuse laquelle on a coustume
d’apposer â la fin des Ordonnances & Lettres Royaux,
Car tel est nostre plaisir, c’est vne legere obiection, de
laquelle neantmoins tous les autres peuples nous font
reproche, comme de la marque de nostre esclauage.
Mais ceux qui sont tant soit peu intelligens dans nos
formalitez, sçauent que ces termes ne signifient autre
chose, sinon, Tale est placitum nostrum, Tel est nostre
conseil ; il dépend puis apres des Parlemens ou des autres
moindres Iuges d’examiner la iustice de telles Lettres,

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& de les verifier si elles sont trouuées legitimes &
raisonnables. Mais de penser que ce mot de Car, soit
vne causatiue, qui influë vn chrractere d’authorité aux
Lettres, & qui tienne lieu d’vne raison ineluctable, il
n’y a point d’apparence ; & la pratique des Iurisdictions
ordinaires y resiste, qui refuse tous les iours des Lettres
munies & fermées de cette clause : Et c’est ce Car là
qu’on pourroit iustement abandonner à la correction
des Docteurs de l’Academie, non seulement comme
inutile, mais comme de pernicieuse consequence. Or la
premiere Ordonnance où nous trouuons qu’il a esté mis
en vsage, ç’a esté celle de Charles VIII. de l’an 1485 par
laquelle il defend les habits d’or & de soye aux gens de
de moindre condition, & les reserue pour la Noblesse :
A la fin de cette Ordnnance il y adiouste : Car
tel est nostre plaaisir. A la verité on ne peut pas dire que le
Royaume de France se peut plaindre d’vn tel Edict, &
on pourroit bien le pardonner à ce Roy-là, quand il
n’auroit pas allegué d’autre raison : C’est vne des confusions
de nostre siecle, que les gens de neant l’habillent
& se meublent anssi somptueusement que les Princes,
& qu’ils ne leur laissent aucun discernement : Et ce n’est
pas simplement vne faute de bienseance que le luxe,
mais c’est l’origine de toutes les concussions : & de tous
les vols publics.

 

Reuenons à cette Puissance Absoluë, & disons qu’elle
n’est pas compatible auec nos mœurs, soit Chrestiennes,
soit François, soit Françoises ; Il ne faudroit plus
d’Estat ; il ne faudroit plus de Parlement ? il faudroit
abolir le sacre de nos Rois, & le sermeut qu’ils font sur
les sainctes Euangiles, de rendre iustice, d’empescher les
exactions, & de traicter leurs subiets auec équité & misericorde :
ce sont les propres termes de la formule de leurs
sermens. Nous n’auons pourtant pas faute d’Escriuains,
quipar le titre de leurs offices, & pour se monstrer extremement

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fiscaux, portent cette authorité absoluë au
delà de toutes bornes, iusques à soustenir que les Rois
peuuent dispenser de la Simonie.

 

Mais ce qu’ils en ont dit, soit en plaidant ou en
escriuant, ç’a esté par vn zele de party, les vns pour
refuter les premiers Huguenots, qui vouloient mettre
l’Estat en Republique les autres pour s’oposer aux attentats
& pernicieuses maximes de la Ligue. Et au lieu de
se tenir dans les opinions modées, ils se sont iettez aux
extremitez, en attribuant aux Princes plus de pouuoir
qu’il ne leur est expedient d’en auoir pour leur propre
seureté. Bodin en sa Replique leg. 2. chapitre trois pense
beaucoup dire, & croit que c’est vne grande bonté aux
Roys de se sousmetre aux loix de la nature. Quant aux
loix ciuiles, il estime qu’ils sont releuez par dessus d’vne
grande hauteur ! C’est dans ce chapitre où il est si temeraire
de qualifier d’impertinence le discours d’Aristote.
sur la diuision qu’il fait des differentes Royautez, au 14.
chap. du 3 1. de ses Politiques Mais en cette partie,
c’est vn indiscret zelé, & qui n’est pas demeuré sans replique.
Cujas, (qui viuoit du mesme temps) auec beaucoup
moins d’affectation, & beaucoup plus grande cognoissance,
a escrit vne decision capitale sur cette matiere,
en ces termes, Hodie principes non sunt soluti legibus,
quod est certissimum, queniam iurent in leges Patrias ; c’est
sur la loy 5. ff. de Iust. & Iure. Le Pythagore des Gaules,
le Seigneur de Pibrac, qui auoit esté Aduocat General
au Parlement, autant passionné pour l’honneur
du Roy, comme équitables aux interests du peuple, ne
feint point de dire, qu’il hait ces mots de puissance Absoluë.
Au reste, toutes ces flatteries d’Orateurs qui font
des panegeriques aux Empereurs, toutes ces paroles de
braueries que les poëtes mettent en la bouche de leurs
Rois de Theatre, ne sont pas des authoritez considerables
pour establir cette puissance excessiue ; au contraire,

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ce qui est prononcé par vn Atreus, vn Thyestes, ou vn
Tibere, doit estre abhorré par vn bon Prince : il faut
plustost prendre langue & instuction des philosophes,
qui auancent leurs maximes en cognoissance de cause,
& sur des fondemens de raison & d’équité. Or on n’en
trouuera aucun qui approuue cette puissance sans limites.
L’vn veut qu’il y ait vn Conseil composé de gens
experimentez ; l’autre veut qu’il y ait vne loy dominante,
dont le Prince ne soit que l’executeur &
lestre. L’empire de la loy, dit Aristote, c’est quelque
chose de diuin, de permanent, & d’incorruptible,
l’empire absou de l’homme seul est brutal, à cause de
la conuoitise, & de la fureur des passions, aausquelles
les Princes sont sujets, aussi bien & plus que les autres
hommes. Nos aduersaires objectent & disent, Si
celuy qui commande est reglé & circonscrit par les loix,
s’il est attaché à des gens de Conseil ; ce n’est plus vn
Roy, ce n’est qu’vn simple Magistrat. Nous répondons
que nous ne disputons pas du nom, ny des termes, mais
que nous trauaillons à la definition & à l’establissement
solide & legitime de la chose. Ce que nous appellons
Roy en France, en Allemagne c’est vn Empereur, en
Moscouie c’est vn Duc, à Constantinople c’est vn grand
Seigneur : Mais par tout, de ces Seigneurs & de ces
Rois, les peuples en attendent iustice, protection &
soulogement. En quelques endroits les Rois iouyssent
d’vne pleine souueraineté ; En d’autres ils ne sont que
seudataires ; les vns & les autres obligez de rendre iustice.
Il y en a qui sont électifs ; Il y en a de successifs ;
mais tous également obligez à rendre iustice, & à regir
en équité Pour cet effet ils ont des Officiers & des Gardes,
tant pour l’execution de leurs volontez, que pour
la conseruation de leurs personnes : encore est-il fort à
considerer que ce nombre de Gardes qu’on leur donne,
doit estre limité & moderé pour deux respects ; d’vn

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costé, afin qu’ils soient plus forts que les particuliers,
pour les tenir en deuoir ; & de l’autre, afin qu’ils ne soient
pas trop puissans pour opprimer toute la Cité. C’est le
temperament & les précautions que baille le grand Aristote,
dont l’authorité est preferable à celle des supposts
de la domination violente. Au reste, on peut apprendre
de ce sage Philosophe, & l’experience nous le
monstre, qu’autant qu’il y a de nations diuerses, autant
y a t’il de differentes formules de gouuernement, selon
lesquelles elles ont estably leurs Souuerains, en leur imposant
des noms selon leurs diuers langages. Mais toutes
ces nations conuiennent en ce principe, à ce que iustice
leur soit administrée. Toutes les autres qualitez
sont accidens & circonstances : la Iustice fait le corps &
la substance de la Royauté ; c’est celle qu’on a requise
en la creation des premiers Rois, lors qu’on les a esleus.
Deus iudicium tuum Regi da ; c’est celle qu’on demande
pour les Rois successifs, & iustiti m tuam filio Regis.

 

On peut dire à present de la Polique ce qu’Hipocrate
a dit de la Medecine, à sçauoir que de tous les arts il
n’en est point de si illustre que celuy qui enseigne à procurer
la santé des hommes ; mais que par l’ignorance
de plusieurs qui l’ont voulu pratiquer sans en auoir eu
la connoissance, leur mauuais succez ont ietté dans le
decry & rendu infame vn art si auguste & si diuin. Tout
de mesme ces harpies infernales qui ont causé tous les
maux que nous auons ressenty & qui nous accablent
maintenant, radix omnium malorum, dit S. Paul, est cupiditas
I. a. tim. 6. v. 10.

Ce souleuement general qui est arriué presque dans
toute les Monarchies de l’Europe, nous montre que
Dieu est grandement courroucé contre nous, reuenons
encore vn coup à la puissance absoluë que les Roys veulent
leur attribuer cette primauté ; par laquelle dans sa
derniere Declaration commande aux Princes de se trouuer

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absolument prés de sa personne. Ie prononce dans
la Loy de Moyse qu’il n’y a que Dieu seul qui peut commander
absolument, & que les Princes du Sang ne sont
sujets à aucune puissance Souueraine que par deuoir
d’honneur. C’est pourquoy ie soustiens que la puissance
absoluë doit estre rejettée, & que les Loix fondamentales
de l’Estat n’authorise point les Roys de dépoüiller
leurs sujets de biens & d’honneurs pour affermir leur
puissance : Aussi est-il vray que les Parlements sont
obligez par toute sorte de deuoirs de ne point abandonner
les Princes & les peuples, duquel ils sont les protecteurs
pour leur deffense & le leur particulier ; duquel
Aristote parle quand il dit, que c’est luy seul qui attire
à soy efficacieusement la volonté, amabile quidem bonum
vnicuique auttm proprium, leur honneur & leur propre
vie qui sont en commun peril, les doiuent porter à faire
tous les efforts possibles pour venir à bout de leur dessein.
Dieu aueugla les yeux de Pharaon & endurcit son
cœur pour ne pas entendre sa volonté, qu’il luy estoit
manifestée par la bouche de Moyse. Mais nonobstant
l’aueuglement & obstination de ce Roy par son bras
estendu & puissant, il retira & arracha, pour ainsi dire,
des mains de ce Tyran de la puissance absoluë son peuple.
Nous pouuons esperer vne pareille deliurance.

 

FIN

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