Anonyme [1649], DIALOGVE DE ROME ET DE PARIS. Au sujet de Mazarin. , françaisRéférence RIM : M0_1083. Cote locale : A_2_50.
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DIALOGVE
DE ROME
ET
DE PARIS,
Au suject de Mazarin.

Rome.

IE m’estonne de ce que vous auez la hardiesse
de vous vouloir esgaler à moy, qui suis, non
pas à la verité la plus ancienne ville du monde,
mais celle qui a commandé à toutes les
autres, & qui y commande encore à cette heure, si l’on
y veut regarder de prez, car y a t’il vne seule ville sur toute
la terre où il n’y ait des Chrestiens, & que par ce moyẽ
où l’on ne me reçonnoisse aisement. Vous mesmes
vous m’estes suiette, & l’auez presque tousiours esté,
depuis que ie suis establie sur la puissance des ames. Car
vous n’auez pas esté des dernieres, qui auez embrassé
Iesus Christ, & qui l’auez reconnu pour Dieu.

Paris.

Ie confesse que ie vous dois ceder en cette façon,

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mais toutes choses pareilles, & si nous voulons chercher
l’origine de vous & de moy, nous trouuerons que
nous sommes descendus d’vne mesme tige, & que mõ
origine est encore plus ancienne que la vostre que vous
auez tant vantée. Car lors qu’Enée vint en Italie, vous
ne fustes pas fondée aussi tost, mais plus de trois cens
ans apres, car il bastit Albe, apres auoir treuué sur le
bord du Tybre vne Truye blanche auec ses petits, de
quoy le Prothète Helenus l’auoit auparauant aduerty.
Mais moy, ie tiens ma fondation d’Astyanax fils
d’Hector, qui sortit de Troye en mesme temps que le
nepueu de Priam, & qu’Anthenor mesme qui bastit
Padouë. C’est de cét Astyanax que i’ay pris naissance,
qui m’esleua de ses propres mains en la place où ie suis
encore, & non pas comme vous qui auez changé de demucre,
& qui auez esté transportée ailleurs que sur vostre
premiere fondation. Ce que mon nom peut vous
tesmoigner encore à present, car ie fus nommée Paris
par mon Fondateur, pour laisser à la posterité la memoire
de qui ie suis descenduë, & dauantage pour faire
reseruer à mon peuple le ressouuenir de Pâris son
oncle.

 

Rome.

Vous vous trompez lourdement, vous ne venez
point de ceux que vous dites, car Pharamond vous establit
où vous estes, apres estre sorty d’Allemagne, & en
auoir amené des peuples qui vous commencerẽt. Mais
laissons-là nostre extraction, car la mienne est plus claire
& plus asseurée que la vôtre. Et l’on ne dispute point

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que ç’ait esté Romulus qui a esté mon premier Autheur.
Venons vn peu à ce que nous auions commencé.
Vous m’auez fait des reproches que ie vous ay desia
causé beaucoup de dommage, non pas seulement en
ce temps-cy où nous sommes, mais encore aux siecles
passez. Il est vray que Cesar vous a fait la guerre, &
qu’il vous a surmontée, mais ce ne fut pas sans beaucoup
de peine, car vous auez tousiours esté difficile à
resoudre de souffrir des autres, & principalement en
chose qui a regardé vostre liberté.

 

Paris.

Il n’y a rien aussi de plus doux ny de plus asseuré que
la liberté, & si vous eussiez bien pris garde à vous, vous
n’eussiez iamais permis à des Dictateurs de vous gouuerner,
depuis qu’ils ne voulurent plus souffrir d’estre
changez tous les ans. Vous seriez encore asseurement
la maistresse de tout l’Vniuers, comme vous estiez ce
temps là.

Rome.

Il est vray, mais c’en est fait pour cette heure, & puis
ie ne me dois pas plaindre de ma bonne fortune, puis
que ie suis la premiere de la Chrestienté, & que c’est
dans moy que Dieu veut resolument que le Pape fasse
sa demeure, qu’il a fait la premiere personne apres luy
sur terre.

Paris.

Ie m’en resioüis grandement, & ie suis bien satisfaite
de vostre conduite, & crois que mon ame en doit
estre en meilleur estat, & dans vn repos eternel si i’obeïs

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à vostre Souuerain Pontife iusques à la mort. Nos
Rois tiennent à vn honneur d’estre le Fils aisnez de l’Eglise
que vous gouuernez, & ils respecteront tousiours
le Pape, & tous vos autres Prelats. Mais ie vous supplie,
quand vous nous en voudrez enuoyer, que ce ne soient
point des meschans, comme vous nous en auez donné
vn depuis peu de temps.

 

Rome.

Quel reproche me faites-vous là, ie le desauoüe dés
à present deuant vous, & ie suis faschée que vous ayez
dans l’esprit vn si mauuais estime de moy. Ce n’est
point moy qui vous l’ay donné, il n’a iamais sorty de
ma main vn si mauuais present comme luy. Pensez-vous
que ie voulusse en quelque façon que ce soit causer
vostre perte, ce seroit me rendre extremement criminelle,
moy qui purge la conscience des autres, & qui
leur dois monstrer le chemin de Iustice & de Religion,
pour ne point deroger au rang que ie tiens parmy les
Chrestiens.

Paris.

Ie ne sçay pas d’où il est venu, mais le premier pas
qu’il a fait pour se transporter en France, a esté la source
de tous mes malheurs, & si ie sçauois où en est l’endroit,
ie ne mãquerois pas de le faire peindre de noir, comme
on faisoit autrefois en vos Calẽdriers, quand on y vouloit
marquer quelque iour funeste, où vos Citoyens
auoient receu de la perte. Ie vous diray bien qu’il y est
entré en renard, & qu’il en sortira maintenant en loup,
si tãt est qu’il y ait moyen de le faire sortir d’auec nous.

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Rome.

Est il possible qu’vn seul homme resiste à tout vn
pays, & qu’vn peuple si genereux que le vostre, se laisse
gourmander par luy sans y apporter du remede ?

Paris.

Quand nous auons vne maladie dans le corps, il est
plus difficile de la guerir que celles qui viennent sur la
peau, & principalement lors que les parties nobles sont
disposées à la maintenir, & qu’elles luy fournissent la
matiere pour la continuer bien long temps. La mesche
qui brusle dedans vne lampe ne s’esteint iamais que
l’huile ne soit consommé. De plus, il a eu le loisir de
s’establir fortement, & comme il n’a iamais eu que de
pernicieuses pensés, & que dés son establissement au
gouuernement de l’Estat, il a fait dessein de me ruiner,
& toutes les autres villes de France, il a tousiours donné
l’ordre pour arriuer à cette fin là, se faisant supporter
par nos Princes, qui ne preuoyãt pas ce qui leur en peut
arriuer, permettent la perte du peuple auecque la leur.
En quoy ie les accuserois volontiers, s’il m’estoit permis
de murmurer contre ceux qui ont droit de me commãder.
Mais comme il est difficile de ne se plaindre pas
quand on ressent vn grand mal, & mesme que l’on estime
que les patiens à qui l’on fait endurer de cruels supplices,
n’offensent pas Dieu, si la douleur les contraint
de blasphemer & de maugréer, ie crois demeurer tousiours
innocente, si dans la tempeste & l’orage, ie tire
quelques paroles de mon estomach, que la douleur &
la peine en font eschapper.

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Rome.

Vous estes bien pardonnable, & apres m’estre trouuée
en de pareilles rencontres, ie supporte aisement
vostre plainte. Ie n’ay pas esté exempte non plus que
vous, de semblables personnes qui ont voulu plusieurs
fois m’abbattre sous leur tirannie. Ie vous en rapporterois
les Histoires, mais vous auez tout cela dans les liures
dont vous ne manquez pas ie m’asseure, puis que
vostre Academie, comme l’on m’a tousiours dit, est la
plus florissante qui soit auiourd’huy sur la terre, & que
vous m’auez arrachés des mains toutes les sciences,
pour vous les approprier. Si ie n’eusse resisté, ie n’aurois
pas duré si long temps, mais il me ressouuient encore
combien cela m’a donné de tristesse & de desplaisirs.
Mais ie vous supplie, est il bien possible qu’il ne se rencontre
personne parmy tant de bons Citoyens comme
vous en auez qui vous aiment, qui se mesle de vous
oster hors de peine, & de vous desgager des mains de
cet Estranger, car autrefois i’ay eu Camillus, lequel bien
que ie l’eusse extremement mal traitté, & mesme banny
d’Italie, ne laissa pas neantmoins de me secourir
contre les François, bien qu’ils m’eussent desia mise au
pillage, & que le Capilote estant assiegé, ils m’eussent
contraint de faire composition auec eux de leur donner
vne somme d’or pour leuer le siege. Seroit il bien
possible, disie, que vous fussiez despourueuë iusqu’à ce
point là, de ne pouuoir rencontrer personne, pour soustenir
vostre cause ?

Pairs.

Ie vous confesseray la verité de mon infortune, comme

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si ie vous disois mes pechez ; vous vous resouuenez
bien que Romulus vostre fondateur, appella le corps
de ses Conseillers du mot de Senat, à cause qu’il n’y admit
que de bons vieillards, dont l’ame & la probité luy
sẽbloit plus incorruptible, & plus propre à maintenir
inuiolablemẽt son Estat. Il en est de mesme chez moy,
car ie suis soustenuë par des anciẽs personnages de cõdition,
& d’vn merite infiny, qui ont eu ces belles dignitez
de leurs peres, receuant d’eux auec leurs offices, l’adresse
& le bon genie pour s’en acquitter dignement.
Ce sont ces bons vieillards là veritablement Senateurs,
qui se sont opposez à mes ennemis, comme des
boucliers inuincibles, & qui sans estre empeschez par
la crainte, & par les menaces, ont embrassé ma deffense.
Voilà d’où vient à cette heure la persecution que ie
souffre, car le peuple ne pouuant endurer qu’õ les traittast
mal, s’esleua plus soudainement, que la mer ne se
void esmeuë par vne tempeste, & malgré toutes les reiouyssances
dõt elle estoit comblée à cette heure-là, en
rendant graces à Dieu d’vne victoire signalée que le
Prince de Condé auoit remportée sur les Espagnols, il
entreprit hardiment la deffense d’vn Senateur veritable,
dont on auoit saisi la personne en intention de le
perdre, & ne pût iamais se resoudre à quitter les armes
qu’il n’eut esté remis dans ses mains.

 

Rome.

Vostre peuple veritablement est loüable en cette
action, & le mien en a fait de mesme depuis quelque

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temps, contraingnant le Pape de se retirer au Chasteau
Saint Ange, qui est mon ancien capilote, pour se couurir
d’vn orage qui commençoit à s’esleuer contre luy.
Ce n’est pas que ie trouue bon, de se roidir contre quelque
souuerain que ce soit, mais il n’est pas aussi raisonnable
que les particuliers se seruent des Princes, pour
assouuir leurs passions & leur auarice. Les peuples doiuent
tousiours estre maintenus dans leurs priuileges &
dans leurs franchises, & les Princes ont incomparablement
plus d’honneur de les traitter doucement, que de
les mettre en presse sous les afflictions & les pertes. Ie
tourne souuent les yeux sur le Royaume de Naples,
dont ie ressens le dommage auec passion, parce qu’il est
vn de mes voisins, & bien qu’il ait secoüé mon ioug
pour reconnoistre vn autre que moy, ie laisse à ma mauuaise
fortune ce different là, me contentant qu’il reconnoist
spirituellement mon Pontife, & qu’il est vn de ses
meilleurs enfans. Il me fait pitié ie vous iure, quand ie
le vois si changé de ce qu’il auoit accoustumé d’estre
auparauant que les troubles l’eussent rendu si difforme.
Apres qu’il se fut veu contraint de se sousleuer pour la
deffense de sa liberté, & auoir en suite vne abolition
generale de toutes les fautes qu’il auoit commises, il
s’est veu si mal traitté de son Vice Roy, que c’est vne
chose horrible, & i’ay grand regret d’auoir contribué
quelque chose à causer sa perte, en fournissant des bleds
& des viures à ses ennemis. Ie croirois estre en danger
d’en estre accusée vn iour deuant Dieu, si ce n’estoit
que le Pape m’en peut absoudre quand il luy plaira. I’ay

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encore appris le desastre du Roy d’Angleterre, & ie
blasme grandement ceux qui ont esté si osez de mettre
la main dessus luy, mais ie pense que toutes ces actions
ne procedent que pour le desir de la liberté.

 

Paris.

Cette liberté que vous dittes est plus agreable encore
que vous ne la despergnez, & ie m’estime en cela bienheureuse,
que nos Roys m’en ont tousiours laissé iouyr
iusqu’à maintenant ; Que s’il est arriué quelquefois que
mes peuples ayent esté foullez de subsides qu’ils ont
exigez d’eux, ce n’a esté pour l’ordinaire, qu’à la suscitation
de leurs fauoris, qui desirant s’agrandir, les ont
succé iusqu’aux os. Nous en auons des exemples assez
memorables dedans nostre France, depuis la moitié
d’vn siecle.

Rome.

Vous n’auez que faire de m’en dire dauantage à ce
sujet-là, ie sçay trop de qui vous voulez parler, mais ie
vous supplie bien fort de me proposer vostre sentimẽt
sur ce que ie suis en doute, sçauoir est, de qui vous auez
esté pirement traittée, du Cardinal de Richelieu, ou
de Mazarin.

Paris.

La chose n’est pas trop difficile à resoudre, puis que
le deffunct Cardinal estoit né dans la Prouince de Poictou,
qui est vne des meilleures de toutes celles sur
qui i’ay pouuoir. Il estoit noble d’extraction & de
fait, & d’vne des plus illustres familles de tout le
pays. Sa personne auoit les qualitez si recommandables,

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que les plus enuieux n’y sçauroient trouuer à
redire. Il estoit sçauent, & auoit merité d’estre choisi
pour Prouiseur de la Faculté de Sorbonne, qu’il a tousiours
maintenuë, & esleuée dans vn si haut poinct, que
ses classes & ses logemens ne cedent rien à vos bastimens
si superbes, que i’ay tousiours ouy grandement
vanter. Il estoit porté de cœur & d’affection pour ceux
qu’il reconnoissoit auoir l’esprit bon, & sa liberalité s’estendoit
si bien dessus eux, qu’il les ostoit de necessité.
Les Arts generalement ont tousiours fleury dessous sa
conduite, la science estoit si puissante, & auoit tellement
la vogue, que les presses roulloient iour &
nuict, entretenuë qu’elle estoit dans cét exercice, par
les beaux esprits, qui sous la faueur & la protection
de sa main, estoient genereusement excitez à s’acquerir
de la gloire par leurs beaux escrits. Le dessein
qu’il a fait paroistre au bastiment d’vne Ville entiere
en son pays mesme, & qui porte son propre nom pour
iamais, est vn ouurage des plus agreables qui ayent
iamais esté tracées dans toute l’Europe. Son assiete est
auantageuse, & les compartiments de ses rues font
voir vne esgalité plaisante & gaillarde, ses bastimens
sont esgaux en proportion, & recreent la veuë en les
regardant par leur agreable structure. Ce qui s’accorde
à l’intention qu’il auoit d’en faire vn veritable
Parnasse. Car il auoit projetté apres qu’elle seroit
acheuée, de faire rechercher par toute la France des
Professeurs qui fussent capables d’y enseigner toutes
les sciences, & tous les Arts Liberaux, en commençant

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depuis la Grammaire, iusques aux plus hautes,
sans en excepter vne seule. De plus, il sembloit en
quelque façon necessaire qu’il se messast de l’Estat,
car Louys XIII. qui estoit veritablement vn bon
Prince, & qui ne se pouuoir passer de ietter son affection
sur vne personne qui le deschargeast des affaires,
auoit besoin de rencontrer quelque homme
d’esprit, qui le guidast au besoin de tout le Royaume.
Le Cardinal de Richelieu sur excellent pour cela,
car il entreprit de conduire tout, & fit que le
Roy n’auoit plus de soin que de se reposer dessus luy,
& le laisser faire comme si c’eust esté luy mesme
qui voulust agir. Par ce moyen, il s’estoit fait redoutable
à ses ennemis, & il sembloit que le bonheur
auoit conspiré de le rendre enfin le plus puissant
de tous les Monarches par la conduite d’vn si
prudent Gouuerneur, qui faisoit paroistre tant de
prosperité dans ce qu’il entreprenoit, qu’il ne manquoit
iamais d’en venir à bout.

 

Rome.

Vous me rauissez en me disant tant de belles conditions
qui se rencontroient dans cét homme, mais
d’où peut donc venir qu’on estoit mal content de
luy, & que l’on murmuroit contre sa fortune, aussi
bien que contre celle du Cardinal Mazarin ?

Paris.

A cela ie vous respondray, qu’il en est des Fauoris
des Rois & des Princes, comme de ces Dames qui paroissent
extrémement belles à la premiere œillade

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qu’on iette sur elles, mais si l’on s’arreste vn peu longtemps
à les regarder, on trouuera quelque defaut, ou
dans leur visages, ou dãs quelque autre partie du corps.
De mesme en est-il de ceux que les Rois esleuent, car
s’ils ont des perfections pour se bien acquitter de leurs
charges, il se rencontrera pour l’ordinaire, qu’ayant
beaucoup de choses à executer, ils ne se trouuent pas si
propres aux vnes qu’aux autres. Et comme à beaucoup
parler, on ne peut si bien faire, qu’on ne manque
quelquefois à bien dire, tout de mesme à faire beaucoup
de choses qui sont d’vne diuerse nature, il est
difficile de ne pas broncher. Le Cardinal de Richelieu
a tousiours paru comme vn sage Ministre d’Estat,
mais pensez-vous qu’il luy ait esté possible de
s’exempter de la mesdisance du costé du peuple, ou
qu’il n’ait eu dans sa propre personne, quelques defauts,
ou bien qu’il ne pouuoit corriger, ou qu’il se
trouuoit comme obligé de les suiure. Le respect des
lieux, des temps, ou des personnes à qui nous auons à
faire, nous obligent souuent à faire des actions, que
nous ne ferions pas autrement. Puis il faut auoüer
qu’il est extrémement difficile de plaire à tout le monde
dans vn grand Royaume, car les interests bien-souuent
nous font paroistre, vne chose bonne & loüable,
qu’vn autre ne doutera point de blasmer, parce
qu’elle luy apporte quelque perte ou quelque dommage.
Ainsi ceux qui sont exposez dans les dignitez
plaisent aux vns, & sont desagreables aux autres. Voilà
pourquoy le Cardinal n’a pû se garentir de la mesdisance.

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Ioint qu’il faut que ie vous confesse que s’il
a fait quelque chose de mal à propos, en recompense
il a fait du bien ; Et de sçauoir lequel des deux doit emporter
l’auantage, ce n’est pas icy que ie le dois esplucher,
mais ie vous puis asseurer que tout le plus grand
desplaisir qu’il a iamais fait à la France, c’est d’auoir instruit
Mazarin dans vne escole où il luy a appris la
science de nous perdre, & de nous ruiner tout à fait ;
Toutesfois ie veux croire que ce n’est pas la faute du
Maistre, mais de l’escalier, dont il luy a esté impossible
de changer la mauuaise humeur, & l’inclination
deprauée.

 

Rome.

Ie demeure confuse à ce que vous dites, & ie prie
Dieu qu’il me garde de tomber entre les mains d’vn
tel homme, ie serois perduë bien asseurément, le Pape
est trop sage pour se laisser gouuerner ainsi. Mais
ie vous supplie de grace de me dire les deportemens de
vostre Ministre d’Estat, pour sçauoir vn peu le bien ou
le mal qu’il a fait, & celuy qu’il est capable de faire, afin
que s’il sortoit quelque iour de France, & qu’il voulust
reuenir icy, ie ne luy permette pas l’entrée chez moy,
de crainte qu’il me vint troubler aussi bien que vous.

Paris.

Il me souuient d’vne galanterie assez belle qui fut
faite il y a quelque temps à Paris, car depuis que le Marquis
d’Encre se fut acquis la haine du peuple, on commença
de faire plusieurs escrits contre luy, ce qui est
vn mauuais signe pour vn fauory, quand la liberté de

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parler & d’escrire se glisse impunément dans le peuple :
entre autres pieces il y en eut vne qui fut faire assez à
propos, & qui ne cousta pas beaucoup pour l’impression,
car on n’auoit fait que plier en quatre vn papier
tout blanc, mettant seulement vn titre sur la premiere
page du premier feuillet, le titre estoit t’il, LES FAITS
DV MARQVIS D’ENCRE. Celuy qui vouloit debiter
cette belle piece, prenoit occasion de la crainte
qu’on auoit encore de la crier tout haut dans les ruës
(car le Marquis auoit fait planter des potences pour
ceux qui escriuoient contre luy) & la cachant bien soigneusement
dessous son manteau, il faisoit semblans
que la crainte l’empeschoit de la descouurir dauantage,
& qu’il ne falloit pas la faire voir à personne, & ainsi
celuy qui la marchandoit la prenoit sans la regarder
de plus prez, mais apres qu’il estoit arriué dans vn
lieu qui luy permettoit toute liberté, il commençoit
à desplier ce papier pour saouler l’impatience qu’il auoit
euë de le lire, mais il estoit bien estonné de n’y
trouuer que du blanc : L’intention de celuy qui auoit
inuenté ce bon tour, estoit de faire paroistre que le
Marquis n’auoit rien fait de considerable, ny qui meritast
d’estre escrit. I’en pourrois faire de mesme de ce
Cardinal, car quand ie voudrois m’exercer à faire vn
recit de ses actions memorables, depuis qu’il est arriué
dans l’authorité, quand i’aurois l’esprit le plus florissant
& le plus disert, il me seroit impossible d’en venir
à bout, tant il se rencontre de sterilité, pour s’en
acquitter dignement. Il est vray qu’auparauant qu’il

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fust arriué en France, il eut assez de peine à faire la
paix entre nous & entre le Duc de Sauoye, & qu’il
fit que les deux armées qui estoient toutes prestes de
s’escarmoucher s’arresterent sur ces entrefaites, & que
la paix fut concluë, & demeura inuiolable depuis ce
temps là. Mais c’est tout, & ie n’en sçaurois dire dauantage
quand ie voudrois, car depuis que cette actiõ
luy eut ouuert la porte pour venir chez moy, le Roy
le recompensa suffisamment de sa peine, & sur out il
pria le Pape de luy donner le chappeau qu’il a sur la
teste, & qui luy fait auoir esperance de pouuoir
entrer quelque iour chez vous, mais prenez bien garde
qu’il n’y mette aussi le desordre, & qu’il ne tire toute
vostre monnoye & vos beaux Escus d’or d’Italie,
pour les enuoyer en Sicile, comme il a fait nos Iustes
en France, dont il fait bastir des Palais dedans vostre
enceinte.

 

Rome.

Vous me celez quelque chose de ses actions heroïques,
car à propos de Palais, on m’a dit qu’il en a
fait bastir vn, pas beaucoup loin de vos portes, qui
merite bien qu’on en parle.

Paris.

Il est vray qu’il en a fait esleuer vn assez magnifique
derriere le Palais Cardinal, qui est l’endroit où
le Roy & la Reyne ont pris leur logis, aux despens du
Louure, lequel par ce moyen demeure frustré de la
presence du Roy, pour qui il a esté basty par Henry le
Grand, à dessein qu’il fust la demeure de ses successeurs.

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Le Palais de Mazarin est fort estimé pour vne
escurie où l’on peut mettre cent cheuaux de front,
les mangeoires & les ratteliers y sont faits à la guise
de vostre pays, & comme il n’espargne point la despense,
i’estime qu’il en eut fait faire encore vne autre
semblable, pour y placer autant d’asnes, s’il auoit pensé
d’y pouuoir demeurer long temps. Au dessus de
cette escurie on void vne grande Salle, où il a ramassé
quelques liures, qu’on dit qu’il a fait chercher par tous
les endroits de la terre, traittant les pauures Muses si
mal, qu’au lieu de les faire loger sur des fleurs, comme
elles estoient dessus leur montagne, il les prostituë à
l’odeur d’vn fumier puant, & aux mauuais vents des
cheuaux creuez d’auoine & de foin. Ie vous laisse à
penser si c’est le respect qu’on doit aux sciences : mais
ie ne m’estonne pas de cela, i’en sçay bien le suiet, car
estant vn pur ignorant, il n’a point ramassé ces liures
pour luy, mais seulement par vne vanité pure & simple,
pour quelques personnes qui les voudroient lire,
& comme il ne fait pas beaucoup de conte des hommes
de lettre, il n’a pas voulu leur permettre vn accez
libre chez luy, mais il leur a designé tout exprés
vne retraitte hors de sa maison, parmy les laquais &
les palfreniers. Et si les cheuaux eussent peu monter
par les escaliers, vous deuez croire qu’il les eust fait
monter au second estage, & qu’il eut placé les liures
en bas.

 

Rome.

Ie plie les espaules à ce que vous dittes, & ie vois

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bien qu’il ne fait pas comme ce braue Cesar, dont il
emprunte le nom trop indignement, qui ne douta
point de passer à la nage vne dangereuse riuiere, estant
poursuiuy de ses ennemis, tenant d’vne main
son espée, & de l’autre ses beaux Commentaires qu’il
nous a laissez, & que nous lisons encore auiourd’huy.
Mais pour vous en dire la verité, cela me touche vn
peu de bien prés, car ie suis marrie qu’vn homme qui
porte le titre de Cardinal, soit tel comme il est, aussi
deuez vous bien croire que ie n’en fais pas grand
estime, & que i’aymerois mieux vn Diable chez
moy que Mazarin : Car le Sainct Pere pourroit chasser
le mauuais esprit par le pouuoir que IESVS-CHRIST
luy en a donné, mais il faut qu’vn Royaume
entier se sousleue, & prenne les armes, pour deposseder
Mazarin encore auec toutes leurs forces
n’ont-ils sceu venir à bout de leurs entreprise.

 

Paris.

A moins d’vne speciale assistance du Ciel, ie crois
que ie n’auray iamais la force de m’en deffaire, mais
toutesfois il faut laisser faire le temps, qui apporte le
remede à tout, & puis que c’est vn mal necessaire, ie
le nourriray dedans moy, s’il y veut rentrer : que si
peut estre il a quelque doute, & s’il ne veut point se
fier à mon peuple, comme de fait il a raison de ne s’y
pas asseurer beaucoup, à la bonne heure, ie l’aime
mieux loin que prés, car le chien qui abaye sans approcher
la personne, ne le sçauroit mordre, & s’il l’importune
en quelque façon, au moins ne la peut il incommoder

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dauantage, qu’en luy donnant l’apprehension.
Il arriuera quelque iour que nôtre ieune Monarque
viendra dans la connoissance des affaires de
tout son Royaume, & que donnant ordre à ce qui
pourra luy porter nuisance, il retranchera ce meschant,
comme estant sa plus pernicieuse partie. C’est
le soulagement que i’attens, & qui me doit arriuer apres
en auoir long temps souhaitté l’accomplissement.

 

FIN.

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