Anonyme [1652], LE POVR ET CONTRE DE LA MAIORITÉ DES ROYS, ET DE LA LOY SALIQVE. DIVISÉ EN DEVX PARTIES. En la premiere sera le Pour. En la seconde le Contre. , françaisRéférence RIM : M0_2834. Cote locale : B_1_7.

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PREMIERE PARTIE.

LE Pour & le Contre sont d’vne nature
tellement incompatible, qu’à moins de
vous faire voir l’vn & l’autre dans vne
estrange confusion, ie n’ay sçeu les donner au
public qu’en leur baillant à chacun vne classe
toute particuliere. Neantmoins ie ne laisseray
pas en cela, d’imiter quelquefois ces peintres
qui par le mélange de leurs couleurs obscures
& lucides agreablement temperée & couchées
l’vne proche de l’autre, en formant leurs plus
belles clartez, & tirent du sein de leurs plus
sombres couleurs, le plus grand éclat des ouurages
qu’ils mettent en lumiere.

En l’an mil cinq cens cinquante-neuf, quelques
iours apres que le Roy François II. fut sacré
à Reims auec toute la solemnité que l’on a

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accoustumé de faire en des occasions de cette
importance ; Cette question de la Majorité des
Roys, fût mise sur le tapis, pour contrecarer
l’authorité que Messieurs de Guise auoient
vsurpée pendant le bas âge du Roy, sur le
gouuernement des affaires de France : Mais la
decision en fut empeschée par ceux qui auoient
interest en la cause. Tout le monde commença
à murmurer contre leur gouuernement, &
plusieurs personnes se donnerent la liberté d’écrire
contre eux, & plusieurs placards & plusieurs
libelles.

 

On les accusoit de s’estre voulu approprier
du temps du Roy Henry II. le Duché d’Anjou,
& le Comté de Prouence, ayant dit hautement
plusieurs fois, que l’vne & l’autre leur appartenoit,
& quelles leur auoient esté vsurpées
par les Roys de France. On soustenoit qu’ils
auoient mesmes employé plusieurs Chronologistes,
à la recherche de leur Genealogie, se
disans estre descendus en droite ligne de Charlemagne,
sur la posterité duquel Hugues Capet
s’estoit emparé de la Couronne, attendent
que quelque occasion se presentast, pour la retirer
des mains de ceux qui l’occupoient, au
lieu & place des veritables & legitimes successeurs
de la seconde race.

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On disoit que depuis qu’ils s’estoient emparez
de la personne du Roy, & qu’ils s’estoient saisis
du gouuernement du Royaume, les Princes
du Sang à qui il appartenoit en auoient esté reculez,
& que l’assemblée des Estats auoit esté
empeschée par leur malice. Que ces authoritez
& ces usurpations deuoient estre suspectes
à toute sorte de [1 mot ill.], attendu qu’il n’y
auoit ny loy, ny coustume, ny exemple [1 mot ill.]
ils se peussent seruir pour se maintenir dans les
honneurs ny dans les dignitez où on les auoit
esleuez, n’estant que Princes estrangers. Outre
qu’ils n’auoient autre dessein que d’aspirer à la
Courone, ayant déja tâché d’en démẽbrer les
principales parties : ioint que la memoire estoit
encore toute ressente des grandes pertes qu’ils
auoient causées en ce Royaume du viua[illisible]t du
Roy François II. & des extraordinaires dépenses
qu’ils auoient faites au voyage d’Italie, ou
l’vn pretendoit de se faire Pape, & l’autre Roy
de Naples & de Sicile, employant pour ce faire
tous les plus beaux deniers, & toutes les principales
forces de France.

Que depuis qu’ils auoient le maniment des
affaires, les Tailles auoient redoublé trois ou
quatre fois ; les imposts & les Gabelles estoient
extraordinaires : les emprunts plus grands
qu’ils ne furent iamais : On disoit qu’ils auoient

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volé toutes les Finances du Roy : les gages des
gens d’armes & des Officiers de sa Maiesté : &
que personne du monde n’estoit pas payé, ny
aux champs, ny à la ville ; tellement que la paix
estoit par ce moyen là plus insupportable que
la guerre. Que c’estoit aux Princes du Sang
d’auoir le gouuernement que ces Princes
estrangers auoient vsurpé sur eux, pendant la
minorité du Roy, n’ayant à cause de son bas
âge, ny le sçauoir, ny l’experience necessaire
au maniment de ses grandes affaires, ainsi qu’il
a tousiours esté obserué dans tous les autres
Empires de la terre.

 

Tarquin surnommé Priscus ou l’Ancien,
estranger de nation, s’empara bien de l’Empire
Romain, apres que Ancus Marius quatriéme
Roy de Rome, l’eut institué tuteur testamentaire
de ses enfans, & gouuerneur de tout
son Empire. Antonin surnommé le Philosophe,
Gaulois de nation, se saisit bien de l’Empire
de Rome, apres la mort d’Antonin surnommé
le Debonnaire. Stilicon, Ruffin, &
Gildon ayans esté establis Administrateurs de
l’Empire, & tuteurs des enfans d’Arcadius &
d’Honorius par Theodose, se reuolterent bien
contre leurs Souuerains, pour se vouloir mettre
la Couronne sur la teste.

Tellement que pour empescher tous ces desordres,

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Hieron Roy de Sicile fut contraint de
créer quinze tuteurs à Hicrosme son fils âgé de
quinze ans. Et [1 mot ill.] Roy de Lacedemone
n’esleut-il pas vn grand nombre de Magistrats,
ou pour mieux dire vn grand nombre
de Conseillers d’Estat, qui furent appellez
Ephores, ausquels sa Maiesté auoit donné vne
puissance égale à la sienne, afin d’ordonner à
leur fantaisie de toutes les affaires de ses Estats,
& pour asseurer parfaitement bien aux enfans
qu’il laissoit la succession de la Couronne ? Il est
vray que les loix & tous les plus grands Legislateurs
de la terre veulent que les Roys ayent
des Curateurs ou des Regents iusques à l’aage
de vingt-cinq ans, quelques capables qu’ils
soient, & tout le reste de leur vie, quand ils ne
sont pas bien entendus aux affaires de leur
Monarchie.

 

Mais pour reuenir aux François, il n’y a personne
au monde qui puisse nier que les Roys
de France n’ayent tousiours eu des tuteurs ou
des Regens tant qu’ils ont esté dans le bas âge :
ainsi qu’il se peut voir en la personne de Charles
le Simple : en la personne de S. Louys : en la
personne de Charles VI. en la personne de
Charles VII. & en la personne de plusieurs autres :
Ce qui ne se verifie que trop par les malheurs
qui arriuerent en France du temps de

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Charles VI. pour n’auoir pas esté mis hors de
tutelle auant le temps de vingt-cinq ans, ainsi
qu’il s’estoit fait autrefois quand les affaires le
requeroit pour le bien de la Couronne.

 

Neantmoins s’il est [Illisible] de considerer
en cecy la maniere que les [Illisible] ont tousjours
tenuë [illisible]importance,
il se trouuera qu’ils [illisible]
obserué vn meilleur [illisible] pas vne de toutes
les autres nations de [illisible] ancestres
connoissans bien que nous n’estions pas
en estat de nous laisser assuje[illisible] un Prince
estranger : & d’vn autre costé ayant parfaitement
bien reconnu les grands mal-heurs qui
peuuent arriuer dans vn Estat, lors qu’on les
fait tuteurs de nos Roys. Nos maistres Legislateurs
les ont voulu absolument forclore de la
succession de la Couronne, par la loy Salique,
& par consequent de la tutelle de nos Souuerains,
par des raisons tres-importantes à cette
Monarchie.

Et c’est pour cela qu’ils ont voulu pareillement
aussi que si tost qu’vn Roy viendroit à
deceder, qu’on assemblast les trois Estats du
Royaume afin d’ordonner de toutes les choses
qui seront necessaires à faire pour l’vtilité publique.
Dauantage, suiuant les loix naturelles,
& les Ciuiles, tant Grecques que Romaines,

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toutes les Monarchies du monde ont tousiours
appellé au gouuernement de leurs Roys toutes
les fois qu’il leur a esté possible, les plus proches
Princes du Sang, pourueu qu’ils en fussent capables,
suiuant l’Ordonnance des trois Estats au
lieu d’y appeller des femmes, des Prestres, des
estrangers, & des fourbes.

 

Et pour mieux asseurer l’Estat au Roy Mineur,
en reglant la puissance de ces Tuteurs,
ils ont ordonné que le Roy seroit couronné à
l’aage de quatorze ans, & que toutes les affaires
de la Monarchie seroient conduits en son
nom, & expediez sous son sceau : que les Tuteurs
& les Gouuerneurs auroient vn Conseil
ordonné de plusieurs Notables du Royaume,
auquel ils donneroient toutes les affaires de
l’Estat, & par la conduite duquel ils gouuerneroient
toutes choses. Que ce Conseil auroit le
pouuoir de mettre le Roy hors de tutelle deuant
les vingt-cinq ans accomplis, s’il estoit
trouué doüé de sens & d’entendement, capable
de sa Charge.

Ils disent que la Loy Salique est trop iuste
pour estre mesprisée, & trop considerable pour
n’estre pas parfaitement bien obseruée : Car
qu’y peut-il auoir de plus dangereux dans vn
Estat, que de voir vn Estranger reuestu de toute
l’Authorité Souueraine, principalement

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quand il est d’vne humeur insatiable comme
Mazarin, qui apres auoir pillé tout l’or & l’argent
des François, en voudroit encore succer
le sang & la moüelle qui leur reste. Ainsi sous
ombre de gouuerner les affaires d’vn Estat,
comme nous l’auons desia dit, Tarquin rauit
le Royaume aux enfans d’Ancus Martius :
Ainsi l’Empire Romain fut presque tout ruiné
par les vsurpations des Tuteurs d’Arcadius &
Honorius : & ainsi Andronodorus voulut enuahir
les Estats de Hierôme Roy de Sicile, en
le faisant declarer capable de regner à l’aage
de quinze ans, afin de gouuerner auec vne authorité
plus souueraine, sous la Majorité de ce
ieune Prince. Mais qu’arriua-t’il par ce moyen-là ?
c’est qu’il ruina le Roy & l’Estat ; & finalement
il se ruina soy-mesme, ainsi que Mazarin
est obligé de faire, pour subuenir aux frais
de la guerre qu’il luy faut faire. Quelle sorte
de calamité est-ce que la France n’a pas soufferte,
en partie pour auoir voulu garder la Loy
Salique, & en partie pour ne l’auoir pas voulu
garder, faute d’auoir assemblé les trois Estats,
afin de maintenir les Princes du Sang dans leur
authorité, contre l’ambition de ces nouueaux
vsurpateurs de l’Authorité Royale ? Qui sont
ceux qui peuuent ignorer la misere où estoit
ce pauure Royaume du temps des Maires du

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Palais, du temps de Charles le Simple, du Roy
sainct Louis, de Charles VI. & de plusieurs autres,
par faute d’auoir assemblé les trois Estats,
afin de donner ordre aux affaires.

 

La Loy Salique a esté tousiours le fondement
de l’Estat, & elle fut ainsi nommée par
les premiers François, ou parce qu’elle fut escrite
en la salle du Roy, ou parce qu’elle fut
establie sur le fleuue de Sal qui arrose la Franconie,
d’où mesme les François sont appellez
Saliens par les premiers Autheurs de nos Histoires.
Ces Loix ne comprennent pas seulement
le bien des particuliers ; mais encore celuy
du Prince, qui ne permet pas que le Royaume
tombe entre les mains des estrangers, ny
entre les mains des femmes. Et pour vous monstrer
que cette Loy Salique a tousiours esté pratiquée
par les François, & que les Ordonnances
touchant la Tutelle & le gouuernement du
Royaume de France durant la Minorité des
Roys, ont esté tousiours obseruées de la sorte ;
il ne faut que rapporter icy l’exemple de ce qui
fut decidé en l’an 1327. touchant le Roy Philippes
de Valois, successeur du Roy Charles le Bel
son cousin : ce qui fut fait en l’an 1380. du temps
de Charles VI. & ce qui fut arresté en l’an 1484
sur les affaires de Charles VIII.

Si-tost que Charles le Bel fut decedé, laissant

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sa femme Ienanne d’Evreux grosse, Edoüard
Roy d’Angleterre fils de Madame Elizabeth,
sœur germaine dudit Charles, & par consequent
son Neueu, commença à se plaindre du gouuernement
de ladite Ieanne, & à luy vouloir faire
la guerre : Mais les trois Estats s’estant assemblez
pour cela, il fut dit que Philippes de Valois
Oncle dudit Charles le Bel, seroit gouuerneur
de sadite Cousine, iusques à ce qu’elle fut
accouchée, tant parce que le Royaume de France
ne se pouuoit pas gouuerner par des estrangers,
que pour estre plus proche heritier de la
Couronne, selon la Loy Salique, qui en forclost
& les estrangers & les femmes. Ce qui fut tellement
obserué, que ledit Philippes de Valois,
au lieu de Regent qu’il estoit, il fut declaré Roy
apres que la Reyne Ieanne se fut accouchée
d’vne fille.

 

Pareillement le Roy Charles V. à bon droict
surnommé le Sage, ayant ordonné par son testament
que Charles VI. son fils & successeur,
auec Louis son autre fils, qui du depuis fut fait
Duc d’Orleans, seroient mis quand à leur education,
en la garde de Philippes Duc de Bourbon
Prince du Sang, & leur Oncle du costé maternel :
& les affaires du Royaume seroient mises
entre les mains de Louis Duc d’Anjou leur Oncle
du costé du pere, en attendant que Charles

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eust quatorze ans accomplis pour estre couronné
Roy de France. Ce neantmoins les trois
Estats furent assemblez pour cela, par lesquels
il fut dit, que nonobstant ladite Ordonnance
testamentaire de Charles V. que Charles seroit
couronné Roy, & que le Royaume seroit administré
en son nom : mais que Louis d’Anjou son
Oncle de pere, comme le plus proche, auroit
le Gouuernement & la Regence du Royaume ;
en quoy il se conduiroit par le Conseil des Princes
& des Seigneurs deputez pour cét effect. Et
quand à la personne du Roy & de Monsieur
d’Orleans son frere, il fut dit qu’ils seroient mis
entre les mains du Duc de Bourgogne & du
Duc de Bourbon, tous deux Princes du Sang, &
leurs Oncles en ligne masculine, l’vn de pere &
l’autre de mere afin de les éleuer dans les bonnes
mœurs, iusques à l’âge de quinze ou seize
ans. Et cette Ordonnance fut ainsi pratiquée
iusques à ce que Charles VI. surnomme le Bien-aimé,
fut mis hors de la tutelle de sesdits Oncles,
par priuilege & par ordonnance desdits
Estats, en l’âge de vingt-deux ans ou enuiron,
pour l’amitié que le peuple luy portoit, & pour
la grandeur de son esprit en l’intelligence des
affaires de sa Couronne.

 

De mesme apres la mort du Roy Louis XI.
le Roy Charles VIII. son fils vnique venant à la

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Couronne, les Estats furent assemblez à Tours,
où il fut arresté que Madame Anne de France
sa sœur aisnée auroit le gouuernement du Roy
touchant sa nourriture : Et pour ce qui est des
affaires, nonobstant que Monsieur Louis Duc
d’Orleans, qui puis apres succeda à la Couronne,
demandast en auoir le gouuernement, comme
le plus proche ; si est-ce qu’il fut dit que d’autant
qu’il n’auoit pour lors enuiron que vingt-trois
ans, qu’il ne pouuoit pas estre Regent,
mais que les affaires seroient conduites par le
Conseil des Princes, & par le Conseil des plus
grands Seigneurs du Royaume à ce deputez
pour cela. Et les Actes des trois Estats sont encores
pour aujourd’huy tous imprimez dans
Tours, où l’on peut voir le contenu de tout ce
que ie viens de dire. On pourroit faire voir encore
tous les malheurs qui sont arriuez dans
tous les Estats, pour n’en pas faire obseruer ponctuellement
toutes les Ordonnances. Il n’y a
rien au monde qui puisse faire subsister les
Royaumes & les Republiques dans vne parfaite
felicité, que l’obseruation des Loix & des
Coustumes que l’on y a establies.

 

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Anonyme [1652], LE POVR ET CONTRE DE LA MAIORITÉ DES ROYS, ET DE LA LOY SALIQVE. DIVISÉ EN DEVX PARTIES. En la premiere sera le Pour. En la seconde le Contre. , françaisRéférence RIM : M0_2834. Cote locale : B_1_7.