Anonyme [1652], LE POVR ET CONTRE DE LA MAIORITÉ DES ROYS, ET DE LA LOY SALIQVE. DIVISÉ EN DEVX PARTIES. En la premiere sera le Pour. En la seconde le Contre. , françaisRéférence RIM : M0_2834. Cote locale : B_1_7.
Section précédent(e)

LE
POVR ET CONTRE
DE LA MAIORITÉ DES ROYS,
ET
DE LA LOY SALIQVE.

DIVISÉ EN DEVX PARTIES.

En la premiere sera le Pour.

En la seconde le Contre.

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LE POVR ET CONTRE
de la Majorité des Roys, & de
la loy Salique.
PREMIERE PARTIE.

LE Pour & le Contre sont d’vne nature
tellement incompatible, qu’à moins de
vous faire voir l’vn & l’autre dans vne
estrange confusion, ie n’ay sçeu les donner au
public qu’en leur baillant à chacun vne classe
toute particuliere. Neantmoins ie ne laisseray
pas en cela, d’imiter quelquefois ces peintres
qui par le mélange de leurs couleurs obscures
& lucides agreablement temperée & couchées
l’vne proche de l’autre, en formant leurs plus
belles clartez, & tirent du sein de leurs plus
sombres couleurs, le plus grand éclat des ouurages
qu’ils mettent en lumiere.

En l’an mil cinq cens cinquante-neuf, quelques
iours apres que le Roy François II. fut sacré
à Reims auec toute la solemnité que l’on a

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accoustumé de faire en des occasions de cette
importance ; Cette question de la Majorité des
Roys, fût mise sur le tapis, pour contrecarer
l’authorité que Messieurs de Guise auoient
vsurpée pendant le bas âge du Roy, sur le
gouuernement des affaires de France : Mais la
decision en fut empeschée par ceux qui auoient
interest en la cause. Tout le monde commença
à murmurer contre leur gouuernement, &
plusieurs personnes se donnerent la liberté d’écrire
contre eux, & plusieurs placards & plusieurs
libelles.

 

On les accusoit de s’estre voulu approprier
du temps du Roy Henry II. le Duché d’Anjou,
& le Comté de Prouence, ayant dit hautement
plusieurs fois, que l’vne & l’autre leur appartenoit,
& quelles leur auoient esté vsurpées
par les Roys de France. On soustenoit qu’ils
auoient mesmes employé plusieurs Chronologistes,
à la recherche de leur Genealogie, se
disans estre descendus en droite ligne de Charlemagne,
sur la posterité duquel Hugues Capet
s’estoit emparé de la Couronne, attendent
que quelque occasion se presentast, pour la retirer
des mains de ceux qui l’occupoient, au
lieu & place des veritables & legitimes successeurs
de la seconde race.

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On disoit que depuis qu’ils s’estoient emparez
de la personne du Roy, & qu’ils s’estoient saisis
du gouuernement du Royaume, les Princes
du Sang à qui il appartenoit en auoient esté reculez,
& que l’assemblée des Estats auoit esté
empeschée par leur malice. Que ces authoritez
& ces usurpations deuoient estre suspectes
à toute sorte de [1 mot ill.], attendu qu’il n’y
auoit ny loy, ny coustume, ny exemple [1 mot ill.]
ils se peussent seruir pour se maintenir dans les
honneurs ny dans les dignitez où on les auoit
esleuez, n’estant que Princes estrangers. Outre
qu’ils n’auoient autre dessein que d’aspirer à la
Courone, ayant déja tâché d’en démẽbrer les
principales parties : ioint que la memoire estoit
encore toute ressente des grandes pertes qu’ils
auoient causées en ce Royaume du viua[illisible]t du
Roy François II. & des extraordinaires dépenses
qu’ils auoient faites au voyage d’Italie, ou
l’vn pretendoit de se faire Pape, & l’autre Roy
de Naples & de Sicile, employant pour ce faire
tous les plus beaux deniers, & toutes les principales
forces de France.

Que depuis qu’ils auoient le maniment des
affaires, les Tailles auoient redoublé trois ou
quatre fois ; les imposts & les Gabelles estoient
extraordinaires : les emprunts plus grands
qu’ils ne furent iamais : On disoit qu’ils auoient

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volé toutes les Finances du Roy : les gages des
gens d’armes & des Officiers de sa Maiesté : &
que personne du monde n’estoit pas payé, ny
aux champs, ny à la ville ; tellement que la paix
estoit par ce moyen là plus insupportable que
la guerre. Que c’estoit aux Princes du Sang
d’auoir le gouuernement que ces Princes
estrangers auoient vsurpé sur eux, pendant la
minorité du Roy, n’ayant à cause de son bas
âge, ny le sçauoir, ny l’experience necessaire
au maniment de ses grandes affaires, ainsi qu’il
a tousiours esté obserué dans tous les autres
Empires de la terre.

 

Tarquin surnommé Priscus ou l’Ancien,
estranger de nation, s’empara bien de l’Empire
Romain, apres que Ancus Marius quatriéme
Roy de Rome, l’eut institué tuteur testamentaire
de ses enfans, & gouuerneur de tout
son Empire. Antonin surnommé le Philosophe,
Gaulois de nation, se saisit bien de l’Empire
de Rome, apres la mort d’Antonin surnommé
le Debonnaire. Stilicon, Ruffin, &
Gildon ayans esté establis Administrateurs de
l’Empire, & tuteurs des enfans d’Arcadius &
d’Honorius par Theodose, se reuolterent bien
contre leurs Souuerains, pour se vouloir mettre
la Couronne sur la teste.

Tellement que pour empescher tous ces desordres,

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Hieron Roy de Sicile fut contraint de
créer quinze tuteurs à Hicrosme son fils âgé de
quinze ans. Et [1 mot ill.] Roy de Lacedemone
n’esleut-il pas vn grand nombre de Magistrats,
ou pour mieux dire vn grand nombre
de Conseillers d’Estat, qui furent appellez
Ephores, ausquels sa Maiesté auoit donné vne
puissance égale à la sienne, afin d’ordonner à
leur fantaisie de toutes les affaires de ses Estats,
& pour asseurer parfaitement bien aux enfans
qu’il laissoit la succession de la Couronne ? Il est
vray que les loix & tous les plus grands Legislateurs
de la terre veulent que les Roys ayent
des Curateurs ou des Regents iusques à l’aage
de vingt-cinq ans, quelques capables qu’ils
soient, & tout le reste de leur vie, quand ils ne
sont pas bien entendus aux affaires de leur
Monarchie.

 

Mais pour reuenir aux François, il n’y a personne
au monde qui puisse nier que les Roys
de France n’ayent tousiours eu des tuteurs ou
des Regens tant qu’ils ont esté dans le bas âge :
ainsi qu’il se peut voir en la personne de Charles
le Simple : en la personne de S. Louys : en la
personne de Charles VI. en la personne de
Charles VII. & en la personne de plusieurs autres :
Ce qui ne se verifie que trop par les malheurs
qui arriuerent en France du temps de

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Charles VI. pour n’auoir pas esté mis hors de
tutelle auant le temps de vingt-cinq ans, ainsi
qu’il s’estoit fait autrefois quand les affaires le
requeroit pour le bien de la Couronne.

 

Neantmoins s’il est [Illisible] de considerer
en cecy la maniere que les [Illisible] ont tousjours
tenuë [illisible]importance,
il se trouuera qu’ils [illisible]
obserué vn meilleur [illisible] pas vne de toutes
les autres nations de [illisible] ancestres
connoissans bien que nous n’estions pas
en estat de nous laisser assuje[illisible] un Prince
estranger : & d’vn autre costé ayant parfaitement
bien reconnu les grands mal-heurs qui
peuuent arriuer dans vn Estat, lors qu’on les
fait tuteurs de nos Roys. Nos maistres Legislateurs
les ont voulu absolument forclore de la
succession de la Couronne, par la loy Salique,
& par consequent de la tutelle de nos Souuerains,
par des raisons tres-importantes à cette
Monarchie.

Et c’est pour cela qu’ils ont voulu pareillement
aussi que si tost qu’vn Roy viendroit à
deceder, qu’on assemblast les trois Estats du
Royaume afin d’ordonner de toutes les choses
qui seront necessaires à faire pour l’vtilité publique.
Dauantage, suiuant les loix naturelles,
& les Ciuiles, tant Grecques que Romaines,

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toutes les Monarchies du monde ont tousiours
appellé au gouuernement de leurs Roys toutes
les fois qu’il leur a esté possible, les plus proches
Princes du Sang, pourueu qu’ils en fussent capables,
suiuant l’Ordonnance des trois Estats au
lieu d’y appeller des femmes, des Prestres, des
estrangers, & des fourbes.

 

Et pour mieux asseurer l’Estat au Roy Mineur,
en reglant la puissance de ces Tuteurs,
ils ont ordonné que le Roy seroit couronné à
l’aage de quatorze ans, & que toutes les affaires
de la Monarchie seroient conduits en son
nom, & expediez sous son sceau : que les Tuteurs
& les Gouuerneurs auroient vn Conseil
ordonné de plusieurs Notables du Royaume,
auquel ils donneroient toutes les affaires de
l’Estat, & par la conduite duquel ils gouuerneroient
toutes choses. Que ce Conseil auroit le
pouuoir de mettre le Roy hors de tutelle deuant
les vingt-cinq ans accomplis, s’il estoit
trouué doüé de sens & d’entendement, capable
de sa Charge.

Ils disent que la Loy Salique est trop iuste
pour estre mesprisée, & trop considerable pour
n’estre pas parfaitement bien obseruée : Car
qu’y peut-il auoir de plus dangereux dans vn
Estat, que de voir vn Estranger reuestu de toute
l’Authorité Souueraine, principalement

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quand il est d’vne humeur insatiable comme
Mazarin, qui apres auoir pillé tout l’or & l’argent
des François, en voudroit encore succer
le sang & la moüelle qui leur reste. Ainsi sous
ombre de gouuerner les affaires d’vn Estat,
comme nous l’auons desia dit, Tarquin rauit
le Royaume aux enfans d’Ancus Martius :
Ainsi l’Empire Romain fut presque tout ruiné
par les vsurpations des Tuteurs d’Arcadius &
Honorius : & ainsi Andronodorus voulut enuahir
les Estats de Hierôme Roy de Sicile, en
le faisant declarer capable de regner à l’aage
de quinze ans, afin de gouuerner auec vne authorité
plus souueraine, sous la Majorité de ce
ieune Prince. Mais qu’arriua-t’il par ce moyen-là ?
c’est qu’il ruina le Roy & l’Estat ; & finalement
il se ruina soy-mesme, ainsi que Mazarin
est obligé de faire, pour subuenir aux frais
de la guerre qu’il luy faut faire. Quelle sorte
de calamité est-ce que la France n’a pas soufferte,
en partie pour auoir voulu garder la Loy
Salique, & en partie pour ne l’auoir pas voulu
garder, faute d’auoir assemblé les trois Estats,
afin de maintenir les Princes du Sang dans leur
authorité, contre l’ambition de ces nouueaux
vsurpateurs de l’Authorité Royale ? Qui sont
ceux qui peuuent ignorer la misere où estoit
ce pauure Royaume du temps des Maires du

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Palais, du temps de Charles le Simple, du Roy
sainct Louis, de Charles VI. & de plusieurs autres,
par faute d’auoir assemblé les trois Estats,
afin de donner ordre aux affaires.

 

La Loy Salique a esté tousiours le fondement
de l’Estat, & elle fut ainsi nommée par
les premiers François, ou parce qu’elle fut escrite
en la salle du Roy, ou parce qu’elle fut
establie sur le fleuue de Sal qui arrose la Franconie,
d’où mesme les François sont appellez
Saliens par les premiers Autheurs de nos Histoires.
Ces Loix ne comprennent pas seulement
le bien des particuliers ; mais encore celuy
du Prince, qui ne permet pas que le Royaume
tombe entre les mains des estrangers, ny
entre les mains des femmes. Et pour vous monstrer
que cette Loy Salique a tousiours esté pratiquée
par les François, & que les Ordonnances
touchant la Tutelle & le gouuernement du
Royaume de France durant la Minorité des
Roys, ont esté tousiours obseruées de la sorte ;
il ne faut que rapporter icy l’exemple de ce qui
fut decidé en l’an 1327. touchant le Roy Philippes
de Valois, successeur du Roy Charles le Bel
son cousin : ce qui fut fait en l’an 1380. du temps
de Charles VI. & ce qui fut arresté en l’an 1484
sur les affaires de Charles VIII.

Si-tost que Charles le Bel fut decedé, laissant

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sa femme Ienanne d’Evreux grosse, Edoüard
Roy d’Angleterre fils de Madame Elizabeth,
sœur germaine dudit Charles, & par consequent
son Neueu, commença à se plaindre du gouuernement
de ladite Ieanne, & à luy vouloir faire
la guerre : Mais les trois Estats s’estant assemblez
pour cela, il fut dit que Philippes de Valois
Oncle dudit Charles le Bel, seroit gouuerneur
de sadite Cousine, iusques à ce qu’elle fut
accouchée, tant parce que le Royaume de France
ne se pouuoit pas gouuerner par des estrangers,
que pour estre plus proche heritier de la
Couronne, selon la Loy Salique, qui en forclost
& les estrangers & les femmes. Ce qui fut tellement
obserué, que ledit Philippes de Valois,
au lieu de Regent qu’il estoit, il fut declaré Roy
apres que la Reyne Ieanne se fut accouchée
d’vne fille.

 

Pareillement le Roy Charles V. à bon droict
surnommé le Sage, ayant ordonné par son testament
que Charles VI. son fils & successeur,
auec Louis son autre fils, qui du depuis fut fait
Duc d’Orleans, seroient mis quand à leur education,
en la garde de Philippes Duc de Bourbon
Prince du Sang, & leur Oncle du costé maternel :
& les affaires du Royaume seroient mises
entre les mains de Louis Duc d’Anjou leur Oncle
du costé du pere, en attendant que Charles

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eust quatorze ans accomplis pour estre couronné
Roy de France. Ce neantmoins les trois
Estats furent assemblez pour cela, par lesquels
il fut dit, que nonobstant ladite Ordonnance
testamentaire de Charles V. que Charles seroit
couronné Roy, & que le Royaume seroit administré
en son nom : mais que Louis d’Anjou son
Oncle de pere, comme le plus proche, auroit
le Gouuernement & la Regence du Royaume ;
en quoy il se conduiroit par le Conseil des Princes
& des Seigneurs deputez pour cét effect. Et
quand à la personne du Roy & de Monsieur
d’Orleans son frere, il fut dit qu’ils seroient mis
entre les mains du Duc de Bourgogne & du
Duc de Bourbon, tous deux Princes du Sang, &
leurs Oncles en ligne masculine, l’vn de pere &
l’autre de mere afin de les éleuer dans les bonnes
mœurs, iusques à l’âge de quinze ou seize
ans. Et cette Ordonnance fut ainsi pratiquée
iusques à ce que Charles VI. surnomme le Bien-aimé,
fut mis hors de la tutelle de sesdits Oncles,
par priuilege & par ordonnance desdits
Estats, en l’âge de vingt-deux ans ou enuiron,
pour l’amitié que le peuple luy portoit, & pour
la grandeur de son esprit en l’intelligence des
affaires de sa Couronne.

 

De mesme apres la mort du Roy Louis XI.
le Roy Charles VIII. son fils vnique venant à la

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Couronne, les Estats furent assemblez à Tours,
où il fut arresté que Madame Anne de France
sa sœur aisnée auroit le gouuernement du Roy
touchant sa nourriture : Et pour ce qui est des
affaires, nonobstant que Monsieur Louis Duc
d’Orleans, qui puis apres succeda à la Couronne,
demandast en auoir le gouuernement, comme
le plus proche ; si est-ce qu’il fut dit que d’autant
qu’il n’auoit pour lors enuiron que vingt-trois
ans, qu’il ne pouuoit pas estre Regent,
mais que les affaires seroient conduites par le
Conseil des Princes, & par le Conseil des plus
grands Seigneurs du Royaume à ce deputez
pour cela. Et les Actes des trois Estats sont encores
pour aujourd’huy tous imprimez dans
Tours, où l’on peut voir le contenu de tout ce
que ie viens de dire. On pourroit faire voir encore
tous les malheurs qui sont arriuez dans
tous les Estats, pour n’en pas faire obseruer ponctuellement
toutes les Ordonnances. Il n’y a
rien au monde qui puisse faire subsister les
Royaumes & les Republiques dans vne parfaite
felicité, que l’obseruation des Loix & des
Coustumes que l’on y a establies.

 

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SECONDE PARTIE.

MAIS contre tout cela, Iean du Tiller
Greffier de la Cour de Parlement, fit
publier vn Liure intitulé la Majorité du Roy,
en l’an 1560. où il soustenoit que les Roys de
France peuuent commander à l’âge de quinze
ans, & qu’ils sont capables d’appeller au Conseil
& auprés d’eux tous ceux qui bon leur semble,
ainsi que Mazarin fait aujourd’huy pour se
rendre Maistre absolu de la personne du Roy,
& des affaires de France. Ses moyens estoient
que par plusieurs Coustumes de diuerses Prouinces
qu’il auoit amassées ensemble, il paroissoit
qu’en ce Royaume l’on ne regardoit pas à
l’aage de vingt-cinq ans pour estre censé Majeur,
& que l’aage de quinze, ou autre moindre
de vingt cinq estoit assez suffisant, pour se
sçauoir gouuerner soy-mesme. Puis il déduisoit
pour le faict particulier plusieurs exemples
tirez de l’Histoire de France, pour monstrer que
l’on ne regarde pas à ce Conseil legitime des
Princes du Sang, commençant par le Roy
Henry I. lequel negligeant Robert son frere,
laissa Philipes son fils à la charge de Baudoüin

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son beau-frere Comte de Flandres. Il disoit encore
que le Roy Louys VII. auoit preferé ses
propres freres à l’Archeuesque de Reims, en le
donnant tuteur à Philippe Auguste son fils, iusques
à l’âge de quinze ans, qui est le temps auquel
il disoit que la tutelle deuoit finir. Il alleguoit
encore que le Roy Louys VIII. auoit postposé
son frere Philippes à la Reyne Blanche,
laquelle il laissa tutrice de Louys IX. son frere.
Apres cela, il proposoit les exemples du Roy
Louys VII & du Roy Louys IX. qui sortans du
Royaume, ont pendant leur absence, laissé
quelque fois des Abbez de Saint Denis Regens
en France. Et pour son principal poinct, il mettoit
en auant les propres mots de l’Ordonnance
du Roy Charles V. faite pour le regard de la tutelle
du Roy Charles VI. son fils, luy ayant donné
le nom & l’authorité de Roy, nonobstant son
bas âge, toutes Regences ostées à l’aduenir en
quelque âge que les Roys puissent estre. Il adioustoit
encore qu’il seroit bien fascheux que le
Conseil de France fut choisi à l’appetit des ennemis
de l’Estat, voulant taxer par là quelques personnes
qui auoient solicité l’estrãger à la subuersion
du Royaume. Et finalement il s’attachoit à
ceux qui disoient faire profession de l’Euangile,
soustenant que c’estoient à faux titre qu’ils se

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vantoient de cela, & que c’estoit plustost vne
nouuelle opinion sur la quelle ils se fondoient
quand ils appelloient les Predicans seditieux
& mutins, concluant que Dieu fauoriseroit les
armes qui seroient employées contre des personnes
de cette sorte.

 

Réponse faite au liure de la Maiorité
des Roys.

L’on répond premierement à l’autheur du
liure de la Maiorité des Roys, que pour ce
qui est des coustumes qu’il allegue, que luy
mesme semble y auoir suffisamment satisfait,
disant qu’elles ne s’estoient iamais entenduës
que pour les subjets du Roy, & non pas pour
le Roy mesme. Quand aux exemples, que celuy
du Roy Henry l. n’estoit pas fort à propos,
parce que son frere qu’il auoit obmis, auoit
voulu vsurper le Royaume sur le Roy Henry
son frere : & qu’il estoit aussi raisonnable de ne
le pas appeller au gouuernement du Roy mineur
& de l’Estat, comme il est raisonnable
d’en exclurre les Cardinaux, les estrangers &
les femmes. Et mesmes les Gascons, suiuant
ce qu’en dit Paul Emile, craignant qu’il ne
s’emparast du Royaume, comme il auoit desia
témoigné le vouloir faire, s’opposerent à son

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gouuernement, ioint que ce n’estoit pas le suiet
pour lequel on estoit en different à l’heure
presente. Quant à l’exemple du Roy Louys le
ieune ayant postposé ses propres freres à l’Archeuesque
de Rheims, en le donnant pour tuteur
à Philippes Auguste son fils iusques à l’âge
de quinze ans, on luy répond que cela n’estoit
pas veritable, ou que s’il vouloit qu’il le fust, il
falloit conclure de là que ledit Archeuesque
n’auoit iamais rien administré en France ; parce
que Philippes Auguste auoit seize ans quand
son pere mourut, au rapport de ce mesme Paul
Emile ; & si on luy accordoit qu’il eut administré
les affaires en qualité de Regent ou de tuteur
apres la mort du pere, il s’ensuiuroit donc
que la maiorité ne commenceroit qu’à quinze
ans ; puis qu’il n’auoit pas moins d’âge que cela,
quand le Roy son pere luy laissa le Royaume.
Que s’il en auoit exclus ses propres freres,
c’estoit parce que le principal appellé Robert
auoit esté declaré estre sans entendement, &
les autres s’estoient retirez dans des cloistres,
quitant le soucy des affaires de la terre, pour
vaquer auec plus de liberté aux affaires de la
beatitude éternelle. Et puis c’estoit vne disposition
paternelle qui estoit hors de propos, &
bien éloignée de la question presente. L’exemple
du Roy Louys VIII. estoit pareillement vne

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disposition du pere au fils ; approuuée par les
Estats, & authorisée de la necessité des affaires,
de la quelle on ne pouuoit pas tirer aucune
bonne consequence, veu que la necessité n’a
point de loy en quel pays que ce puisse estre.
Ces deux exemples de Louys VII & de Louys
IX. estoient hors de propos, n’estant pas question
de sçauoir si les Roys peuuent seuls administrer
les affaires de leurs Estats en quelque
âge que ce soit, comme faisoient ceux la permettant
en leur absence à ceux qui bon leur
sembloit, de gouuerner les affaires. Qu’il n’estoit
pas encore nullement question de sçauoir
si l’intention du Roy Charles V. estoit veritable
de donner à son fils le nom & l’authorité
de Roy, nonobstant son bas âge, & moins
de sçauoir si sa volonté estoit d’abolir toutes les
Regences, que personne n’alloit pas au contraire
de cela, & que personne ne pretendoit
pas empescher que Charles VI. son fils n’eust
le nom & l’authorité de Roy, sans aucune espece
de Regence, puis qu’il plaisoit à leurs
Majestez que cela fut ainsi : mais que cela ne
pouuoit pas exclurre le legitime conseil des
Princes du Sang, duquel aussi le Roy Charles
V. n’auoit pas voulu priuer son fils, afin de donner
lieu au premier flateur qui se voudroit ingerer
au maniment des affaires de la Couronne.

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Et que mesmes le Roy Charles VI. auoit
tousiours administré son Royaume par le Conseil
des Princes, iusques au vingt-deuxiéme an
de son aage, ainsi qu’il estoit porté par les Annales.

 

Que ce qui fut fait aux Estats tenus à Tours
en l’an mil cinq cens cinquante-neuf, pour le
gouuernement du Roy Charles VII. montroit
bien que c’estoit aux Princes du Sang d’estre
appellez au Conseil legitime des Roys, & non
pas à des Fauoris, qui ne taschent qu’à s’esleuer
sur la ruine des peuples. Que l’autheur de ce
liure de la maiorité des Roys, paruenu à des
grands honneurs & à des grandes dignitez par
la seule liberalité des Roys de France (duquel
la plume deuroit estre consacrée a maintenir
les loix de l’Estat, & l’équité de la Iustice) s’estoit
grandement oublié, en voulant confirmer
l’authorité de ceux qui ne cessent de peruertir
tout l’ordre du Royaume, ne respondant aucunement
à ce qu’on auoit dit au commencement,
qui estoit que Messieurs de Guyse
estoient incapables de la dignité qu’ils occupoient :
& en faisant semblant de n’y penser pas
s’estoit ietté sur ceux qui n’en pouuoiẽt maits :
lesquels se deffendroient en temps & lieu : finalement
qu’il auoit pris la peine luy-mesme
de se representer au vif dans le discours qu’il

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auoit fait comme vn autre Architophel, conseillent
d’assembler le peuple fidelle qui maintenoit
le Roy contre vn vsurpateur, se declarant
par le mutin seditieux ; ne demandant que malheur
& la ruine totale du Royaume.

 

Discours en faueur de la loy Salique.

Les premiers François (que quelques vns
font descendre de Gomer surnommé Gallus,
fils aisné de Iaphet & petit fils de Noé, qui
pour cela fut appelle pere & premier Fondateur
des Gaulois : & que quelques autres font
venir de Galates fils d’Hercule de Fibie & de
Galatée fille de Iupiter Celtes : quoy que Gregoire
de Tours les fasses originaires d’Hongrie :
Maueton & Hunibalde de Francus fils d’Hector,
& de la fille de Rhemus & Amian, Marcelin,
Agathias, Tacite & plusieurs autres de
leur propre estoc) furent tellement ialoux de
la conseruation de leur Empire, qu’ils s’establirent
des loix qu’on nomma Saliques, ou
pource qu’elles furent escrites dans la salle d’vn
de leurs Roys, ou pource qu’elles furent ordonnées
sur le fleuue de Sal qui arrouse la Franconie.
Ces loix ont tousiours esté le fondement
de l’Estat ; parce qu’elles ne comprennẽt
seulement pas le bien des particuliers : mais

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elles comprennent encore de surplus le bien
du Roy & le bien de la Monarchie, veu qu’elles
ne sçauroient permettre en façon quelconque,
que ny la Royauté, ny la tutelle des Roys Mineurs,
ny mesme le Ministere des affaires de
la Couronne, tombent iamais entre les mains
des Estrangers, & moins encore entre les
mains des femmes, pour quelque cause ny
pour quelque pretexte que ce soit, quelques
clauses particulieres & à ce contraires que les
Roys viuants & trespassez puissent auoir faites
ou mises dans leurs testamens, en faueur de
qui que ce puisse estre. Et cela se fait pour empescher
que pas vne femme ny pas vn Estranger
n’ayent iamais le moyen d’empieter sur les
charges, sur les honneurs, sur les dignitez, sur
les droits, & sur les progatiues des legitimes
successeurs de la Couronne, pour se les aproprier,
ainsi qu’il n’arriue que trop souuent dans
tous les Estats du monde, quelque soin qu’on
y puisse apporter, tant les esprits se trouuent
déprauez par l’extraordinaire ambition qui les
possede. C’est pourquoy apres le decez du Roy,
& mesme du viuant de celuy qui regnoit quand
la necessité des affaires le requieroit, on auoit
accoustumé d’assembler les trois Estats du
Royaume, afin de mettre l’ordre à tous les desordres
qui se presentoient pour la subuersion

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de la tranquilité publique. Et suiuant les loix
ciuiles & les loix naturelles, on donnoit le gouuernement
du Roy maieur & le gouuernement
de l’Estat aux plus proches Princes du Sang,
pourueu qu’ils fussent capables d’en exercer
les charges. Enfin par cette loy Salique, vne
femme ny vn homme estranger, & fut-ce mesmes
vn Prince tres considerable, ne pouuoient
pas auoir aucune charge ny aucune dignité
ny mesmes aucun rang, ny de par luy ny
de par sa chere moitié en ce Royaume, ny durant
la minorité ny durant la Maiorité du Prince.
Et certes ce ne fut pas sans de grandes protestations
faites par les trois Estats de France,
quand on donna la Regence à Marie Stuard
mere du Roy Charles IX.

 

Autre discours contre la loy Salique.

Cette qualité de femme & d’estranger n’a
iamais esté rebutée dans le gouuernement
des Estats que par les factieux, que par
les mauuais politiques. Quand l’Estat est malade
peut-on trouuer estrange qu’on luy choisisse
vn bon medecin pour le remettre en sa
premiere santé. Si Galien qui estoit de Perganeville
d’Asie : & Hippocrate natif de Lisle
de Chio en Grece estoient viuans & qu’ils fussent

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à Paris, qui sont les malades de ce pays icy
qui ne se voudroient pas seruir d’eux pour se
remettre en leur premiere santé ? qui sont ceux
qui aimeroient mieux estre accablez d’vne
eternelle incommodité, que d’estre gueris par
la main d’vne femme ? ce seroit estre bien ennemy
de son salut que de le refuser de celuy
qui nous le peut faire ? Henry III. frere de
Charles IX. fut fait Roy de Polongne, quoy
qu’il fût François de nation. Charles d’Anjou
Conte de Prouence & frere de saint Louys, fut
receu Roy de Naples, par les Neapolitains. Et
les Romains ne donnoient autrefois l’Empire
qu’à des Dalmatiens, qu à des Arabes, qu’à des
Hongrois, qu’à des Africains, qu’à des François,
ou qu’à des hommes de Thrace. Tu eris
super demum meam, & ad tui oris imperium cunctus
populus obediet. Vno tantum regni solio præcedamte,
dit Pharaon Roy d’Egypte à Ioseph quoy qu’il
fut de race Iuïfue. Et Nabuchodonosor ne constitua-t’il
pas Daniel Prince sur toutes les prouinces
de Babylonne ? & Assuerus n’esleua-t’il
pas Mardochée à la place d’Aman le Malechite ?

 

Demetrius Phalerien Grec de nation ne fut
il pas premier Ministre d’Estat de Ptolomée
Philadelphe Roy d’Egypte ? Seneque Espagnol
de nation ne fut-il pas l’homme d’Estat &

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le precepteur de Neron VI. Empereur de Rome ?
Pierre des Roches Angeuin, ne gouuerna-t’il
pas long-temps toute l’Angleterre ?
Adrian d’Vtrech ne faisoit-il pas tous les affaires
d’Espagne sous Charles V. Pippo Spani n’auoit-il
pas l’intendance de toute la Hongrie
sous Sigismond ? Alosio Gritti ne disposoit-il
pas d’vne partie de l’Empire des Turcs sous Soliman ?
& Pontus de la Garde simple Gentilhomme
François n’ordonnoit-il pas de tous les
affaires de la Suede ?

 

Mais sans aller chercher des exemples qu’en
nostre pays, Cuppa Allemand ne fut il pas fait
Connestable de France par le Roy Chilperic
fils du Roy Clotaire ? Landregesille de la mesme
nation n’eut-il pas la mesme charge sous
ledit Clotaire ? Bernard de Vinero Arragonnois
fut fait grand Maistre de France sous le
Roy Louys le Debonnaire ? Henry d’Angleterre
exerça la mesme charge sous Louys VII.
Charles de la Cerda, Prince de Castille, fut
Connestable de France sous le Roy Iean, auquel
il rendit de grands seruices. Iacques du
Glas Escossois fut fait Mareschal de France
sous Charles VII. Iean Stuard fut Connestable
sous le mesme Roi. Valera d’Allemagne eut la
mesme charge sous Charles VI. Guillaume Iuuenal
des Vrsins fut Chancelier de France : René

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de Sauoye grand Maistre sous le Roy François
premier : René de Birague Milanois fut
Chancelier : Pierre Strozzi fut Mareschal de
France sous Henry II. & Dornano eût le mesme
honneur sous Henry IV. Voila pour les
hommes estrangers qui ont gouuerné la plus
grande partie des affaires de France ; voyons
maintenant qu’elles sont les femmes qui ont
exercé les Regences & dans les Estats Estrangers
& dans les nostres.

 

Alexandra, autrement Salomé, fut femme
d’Allexandre Iammeus Roy des Iuifs, apres la
mort duquel elle prist tout le soin des affaires
de la Couronne, & pour ce, elle se seruit suiuant
le Conseil du feu Roy son mary, des Pharisiens
qui estoit la Secte la plus puissante
entre les Iuifs ; fist establir son fils aisné Hircanus
Souuerain Sacrificateur, duquel elle tint
le party contre Aristobulus son puisné, qui le
vouloit deposseder de son Royaume, bien
qu’il luy appartint par droit de primogeniture.

Antiope, autrement Hyppolite, Reyne
des Amazones, gouuerna tellement les affai-
de ses Estats, qu’elle entra dans la Grece sur
les terres des Atheniens auec vne puissante
armée, si bien que Thesée charmé d’vne si
grande generosité que la sienne, en deuint

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amoureux & l’espousa, selon que Noël le Cõte
nous l’apprend dans le septiesme liure de sa
Mythologie.

 

Artemise ou Artemisie, femme de Mosole
Roy de Carie, fut si genereuse, qu’apres la
mort de son mary, elle assista ce grand Assuerus
Roy des Medes (qui la consultoit en ses plus
grandes affaires) contre les Grecs, où elle fit
d’aussi beaux exploits qu’homme de la terre
puisse faire. Apres auoir dompté les Rhodiens,
elle fit eriger vne grande statuë en la ville de
Rodes pour marque de ses trophées. Et finalement
elle fist bastir vn Mausolée en l honneur
de son mary, qui fut mis entre les sept merueilles
du monde.

Beatrix Imperatrice, fille de l’Empereur
Philippe II. & seconde femme de l’Empereur
Othon V. fut tellement authorisée de son mary
en tous les affaires de l’Empire quelle faisoit
les mesmes fonctions que si c’eust esté l’Empereur
mesmes.

Camilla Reyne des Volsques, ne gouuerna-t’elle
pas si bien les affaires du Royaume de son
pere apres qu’il en fut demis par ses peuples,
qu’elle remit presque toutes les choses en l’estat
qu’elles estoient, iusques à donner du secours
à Turnus & aux Latins, contre ceux qui
leur faisoient la guerre ?

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Makeda, Reyne d’Ethiopie, n’estoit-elle
pas aussi absoluë dans tous ses Estats que iamais
Souuerain de la terre le puisse estre dans
les siens, quelque authorité qu’il s’y puisse auoir
acquise ? rien ne se faisoit que par son
commandement, & son regne a esté vn des
plus heureux regnes du monde. Il ne s’est iamais
veu des peuples si heureux que les siens,
ny des sujets si rauis de quoy que ce fut, que
de sa Royale conduite.

Carito, Imperatrice ; femme de l’Empereur
Iouinian, faisoit toutes choses en l’absence
de son mary : mais ayant sçeu qu’il venoit
en triomphe, elle en mourut d’aise.

Dominica, femme de l’Empereur Valens,
fist si bien durant sa Regence apres la mort de
son mary, qu’elle fist leuer le siege que les
Goths auoient mis deuant Constantinople,
par le moyen des grands presents qu’elle donna
aux soldats.

Elizabeth, fille de Henry VIII. Roy d’Angleterre
& d’Anne de Boulen, apres auoir esté
Couronnée à Vvestmonster par l’Archeuesque
d York, apres le deceds de sa sœur Marie,
& qu’elle eut presté le serment d’y conseruer
la Religion Catholique, elle ne laissa pas d’y
establir la Religion pretenduë, & de faire tout
son possible pour abolir la premiere. Apres

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cela elle fit trancher la teste à la Reyne Marie
Stuard, femme de François II. Roy de France ;
Fist executer le Duc de Northumbelland, le
Comte d’Essex, & quelques autres. Assista les
Prouinces vnies contre le Roy d’Espagne : fist
mourir quelques Iesuittes, & rengea les Irlandois
à son obeissance.

 

Eudorie, femme de l’Empereur Arcadius,
ordonna tousiours de tous les affaires de l’Empire,
mesmes du viuant de son mary, comme
n’en estant pas si capable qu’elle.

Zenobie, Reine des Palmyreniens, femme
d’Odenat tint long temps l’Empire d’Orient,
malgré les Empereurs de Rome. Vestuë en
homme elle resista puissamẽt aux Empereurs
Gallien & Aureolus : & si elle ne voyoit iamais
son mary lors qu’elle estoit grosse.

Cordille, fille de Leir Roy de la grande Bretagne,
& femme du Roy de Neustrie, restablit
son pere dans son Royaume qui en auoit
esté chassé par deux de ses gendres, & comme
elle fut vefue, elle fut proclamée Reyne d’Angleterre,
lequel Royaume elle gouuerna toute seule
l’espace de cinq ans.

Irene, mere de l’Empereur Constantin VI.
gouuerna l’Empire neuf ans durant auec son
fils, & pour y demeurer paisible, elle fist creuer
les yeux à Nicephore oncle de l’Empereur,

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& le relega dans vn Monastere. Elle assembla
vn Concile general à Nicée, de trois
cens cinquante Euesques en faueur des Images ;
quelque temps apres son fils s’ennuyant
de son gouuernement, la reduit à vne vie particuliere :
mais luy du depuis s’estant abandonné
aux débauches & aux tyrannies : Irene pratiquant
en cette occasion la faueur du peuple,
se saisit de son fils, & luy fit creuer les yeux.

 

Theodora veufue de Theophile Empereur
d’Orient eut la Regence de l’Empire, pendant
la minorité de Michel troisiéme son fils, qu’elle
gouuerna auec vne grande prudence : fit remetre
les images des Saints dans les Temples, &
rappella d’exil ceux que son mary y auoit enuoyez.
Fit la paix auec le Roy des Bulgaires ;
puis voyant son fils en âge de gouuerner, elle
luy remit l’Empire entre les mains, & puis apres
elle se rendit Religieuse.

Theodora sœur de Zoé, gouuerna parfaitement
bien l’Empire d’Orient, apres la mort de
Constantin son beau frere, l’espace de trois
mois auec sa sœur. Et puis apres elle le tint toute
seule en grand honneur, & auec vne tranquilité
tout à fait merueilleuse.

Isabelle fille de Philippes IV. Roy de France,
& femme d’Edoüard V. Roy d’Angleterre,
lequel elle déposa du Royaume, & substitua

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son fils en sa place, par le secours de Guillaume
Comte de Hainault, à cause du mauuais estat
où son mary auoit mis les affaires de la Couronne.

 

Thomiris, tres-belliqueuse Reyne des Scytes,
laquelle indignée de ce que Cyrus auoit
tué son fils Sargapises, duquel il auoit deffait
l’armée : cette Princesse prit le timon des affaires
de l’Empire, & se porta si courageusement
contre luy, qu’elle mit iusques à vingt mil Persans
au fil de l’espée, auec ce peu de monde qui
luy restoit.

Marie fille de Henry VIII. Roy d’Angleterre,
& de Catherine d’Espagne, succeda au
Roy Edoüard VI. au Royaume d’Angleterre,
qu’elle gouuerna fort heureusement. Elle y remist
l’exercice de la Religion Catholique, que
son pere y auoit abolie : elle épousa Philippes
d’Espagne fils de Charles V. & declara la guerre
au Roy de France Henry II.

Myrine Reyne des Amasonnes gouuerna si
bien son Royaume durant toute sa vie, que personne
n’y trouua iamais à redire. Elle menoit
d’ordinaire trente mil femmes à pied, & deux
mil à cheual, lors qu’elle alloit en guerre.

Abradates Roy de Suze, ne faisoit presque
iamais rien sans le conseil de Panthée sa femme,
ce qui fut cause qu’elle fust prise en guerre

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par Cyrus dans vn combat fait contre les Assyriens,
où elle fut fort honorablement traitée.

 

Semiramis femme de Ninus Roy des Assyriens,
reconnoissant son fils trop ieune, & par
consequent incapable de gouuerner les affaires
de son Royaume apres la mort de son mary,
elle cacha son sexe, & prenant l’habit d’vn
homme feignant estre son fils, elle prist le soin
de toute la Monarchie, & en cét estat elle surmonta
presque tous ceux qui ont iamais commandé
dans vn Empire : car apres auoir rendu
Babylone la plus superbe ville du monde par
les prodigieuses constructions qu’elle y fit faire,
elle passa en Egypte & en Lybie, qu’elle mit
sous son obeïssance. Elle leua vne armée de
cent mil pietons, d’vn million d’hommes de
caualerie, de cent mille chariots de guerre, de
cent mil hommes qui combatoient sur des
chameaux, de deux cens mil chameaux pour le
bagage & autres munitions de guerre, & de
trois cens mil autres chameaux en forme d’elephans,
afin de regner auec plus de magnificence.

Sophie femme de l’Empereur Iustin II. fut
si entenduë au gouuernement de son Empire,
que son mary luy commettoit la plus grande
partie de ses affaires & de sa charge.

Valascha Reyne de Boëme, par le moyen

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de la generale conspiration qu’elle fit auec toutes
celles de son sexe, ne se défit-elle pas de tous
les hommes, afin de pouuoir mieux gouuerner
les affaires du Royaume à sa mode ; & en cét
estat les femmes ne tinrent-elles pas long-temps
l’Empire à la façon des Amazones ?

 

Amalazun[1 lettre ill.]e fille de Theodoric Roy d’Italie,
& femme d’Alaric II. Roy des Goths en Espagne,
ne regna-t’elle pas auec son fils Athalaric
l’espace de huict ans ? & apres la mort de cét
Athalaric, n’adopta-t’elle pas vn certain Theude
ou Theudio son Cousin pour son fils, afin de
luy donner l’Empire ?

Mais sans aller chercher des exemples si loin,
venons aux Reines de France, au preiudice desquelles
on veut tant faire valoir la loy Salique.

Isabeau de Bauiere, femme du Roi Charles
VI. ne fut-elle pas declarée Regente de toutes
les affaires de France, mesme pendant le
viuant de son mari accablé d’vne grande phrenesie :
ou pendant sa Regence elle fit la guerre
à Charles VII. son fils, & la paix auec Henri V.
Roi d’Angleterre, auquel elle donna sa fille
Catherine en mariage.

Blanche, petite fille de Henri Duc de Normandie
Comte d’Anjou, & du depuis Roi d’Angleterre,
femme de Louis VIII. & mere de S.
Louis, fut Regente en France pendant tout le

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temps que ce saint Monarque fut en la Terre-Sainte,
où elle gouuerna les affaires de la Couronne,
auec vne prudence toute extraordinaire.

 

Catherine de Medicis, fille de Laurens de
Medicis Duc d’Vrbin, & femme de Henry II.
eut la Regence de tout le Royaume de France
pendant la Minorité de ses enfans, où elle
se cõporta auec vne incomparable conduitte.

Fredegonde, apres la mort de Chilperic
Roi de France, gouuerna les affaires, & si elle
esleua son fils Clotaire II. auec vne grande
prudence.

Marie de Medicis, fille de François de Medicis
& de Ieanne d’Autriche, fille de l’Empereur
Ferdinand, & femme de Henry le Grand,
IV. du nom, ne fut elle pas tousiours Regente
depuis la mort de ce grand Roy, iusques à la
mort du Mareschal d’Ancre ?

Et Anne d’Autriche, fille de Philippes Roy
d’Espagne, vefue de Louys XIII. Roy de France
& de Nauarre, & mere du Roy Louis XIV.
à present Regnant, n’a-t’elle pas tousiours eu
la Regence iusques à la Maiorité du Roy, &
presentement ne gouuerne t’elle pas encore
tous les affaires de la Couronne.

Vous voyez donc bien par là, Messieurs
qui anathematisez si bien contre les Regents

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& contre les Ministres estrangers, que la Loy
Salique n’est pas si fort obseruée dãs les Estats
des Souuerains de l’Vniuers, qu’on ne puisse
passer hardiment par dessus ses prescriptions,
quand l’occasion s’en presente. La Loy la plus
dure, mais la plus iuste est celle de la necessité,
s’il y a beaucoup de mal à luy estre soûmis,
nous pouuons dire pareillement aussi qu’il y a
beaucoup de sagesse & beaucoup de prudence
à s’humilier à tout ce qu’elle desire. Nos
desseins & nos volontez se doiuent accommoder
à la necessité du temps, & il n y a rien
de si salutaire que de caler le voile dans vne
grande tempeste. On est obligé de suiure le
cours des affaires quand on n’est pas en estat
de le pouuoir chãger : & c’est se vouloir perdre
que de vouloir opposer des digues en vn torrent
desbordé, & capable d’entrainer tout ce
qu’il rencontre.

 

Replique sur le mesme suiet.

A cela l’on respond que tout ce que l’on
vient d’alleguer ne sont que des exemples
sans vertu & desquels on ne sçauroit tirer
aucune bonne consequence, que les loix ne
sont pas moins au dessus des Princes que de
leurs raisons, & que les souuerains ne sont pas

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moins obligez de s’y soûmettre que le reste des
hommes. Que s’ils ne protegent leurs sujets
selon les loix fondamentales de l’Estat, les sujets
sont exempts de leur obeïssance. Qu’on ne
s’oblige à leurs Maiestez qu’à cette condition
là, & que le Roy venant à les transgresser ne
fait que seruir d’exemple à ses peuples. Que
l’vn & l’autre seruent est respectif aussi bien
pour les plus petits que pour les plus grands de
la terre. Que le salut des François & de l’Estat
de France doit estre vne loy inuiolable à tous
les mortels & qu’il est impossible de s’en esloigner
sans mettre la Couronne en compromis,
& vne eternelle confusion dans toute cette
pauure Monarchie. Il n’y a point de Republique,
ny de Royaume, ny d’Empire dans tout
l’vniuers qui se puisse conseruer sans l’obseruance
des loix qu’on y a establis au commancement
de leur naissance. Enfin il ny a point de
Monarque qui ne soit contraint d’obseruer les
loix fondamentales de l’Estat, dont la loy Salique
est vne des plus importantes, s’il veut que
ses peuples ayẽt quelque espece de veneration
pour luy & s’il veut pareillement aussi que ses
peuples les obseruent.

 

FIN.

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Anonyme [1652], LE POVR ET CONTRE DE LA MAIORITÉ DES ROYS, ET DE LA LOY SALIQVE. DIVISÉ EN DEVX PARTIES. En la premiere sera le Pour. En la seconde le Contre. , françaisRéférence RIM : M0_2834. Cote locale : B_1_7.