Anonyme [1649], LE POLITIQVE CHRESTIEN. DE S. GERMAIN. A LA REYNE. , françaisRéférence RIM : M0_2811. Cote locale : C_6_59.
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LE
POLITIQVE
CHRESTIEN.
DE S. GERMAIN.
A
LA REYNE.

A PARIS,
Chez IEAN HENAVLT, au Palais, dans la Salle
Dauphine, à l’Ange Gardien.

M. DC. XLIX.

Auec Permission.

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LE POLITIQVE CHRESTIEN
DE SAINCT GERMAIN.
A LA REYNE.

MADAME,

Les grandes ruines se preparent peu à peu par de grands accidens,
dont les remedes sont encor faciles dans le principe de
la maladie. Mais quand elle est venuë à vn certain point de malignité,
alors l’on void perir le malade, sans qu’on le puisse secourir.
Peut-estre, MADAME, que les maux de cét Estat ne seront
pas incurables, pourueu que nous ne soyons pas incorrigibles :
Mais il y a grande apparence qu’ils le deuiendront bientost,
si nous ne nous hastons de deuenir raisonnables. Pour les
guerir il faut les connestre, parce qu’il n’y eut iamais de remede
certain à vn poison inconnu. Si les Pilotes qui conduisoient Ionas
dans leur barque, eussent ignoré l’origine de la tempeste
qui les tourmentoit, ils n’eusseut peu euiter le naufrage dont ils
estoient menacez.

Il y a sept cens ans ; MADAME, que les Prelats de France
assemblerent vn Concile à Meaux, pour deliberer des moyens
de sauuer la France, qui estoit presque attaquée des mesmes
symptomes qu’elle souffre maintenant. Les paroles de cette Assemblée
marquent assez que les desordres d’alors ressembloient
si fort à ceux d’à present, qu’il ne faut point de differens remedes.
Puis qu’on ne se lasse point, disoient les Peres de ce Concile,

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de commettre des pechez dans ce Royaume ; Puisque la
Paix nous abandonne, & que la misericorde du Ciel, qui auoit
accoustumé de venir au secours de nos afflictions, semble nous
auoir delaissé ; puisque Dieu mesprise nos larmes & nos souffrances,
& qu’il n’a plus que de la Iustice pour chastier nos crimes.
Nous auons creu que nous deuions luy offrir des pleurs &
des sanglots, que nous deuions penser seurieusement à la conseruation
de cette Monarchie, & de son Prince, & procurer de toutes
nos forces par l’assistance de IESVS, le salut des Peuples.

 

C’est ainsi, MADAME, que parloient ces sages Prelats de
la France : Et c’est ainsi que nous croyons deuoir parler à Vostre
Maiesté. La veritable cause des maux que nous auons soufferts,
que nous souffrons maintenant, & que nous deuons apprehender
de souffrir à l’aduenir, c’est le peché qui a irrité Dieu : c’est
l’iniustice, qui a ietté le desordre dans tous les Ordres de ce
Royaume : Le remede c’est le restablissement de la Iustice &
des bonnes mœurs en toutes les parties de l’Estat. Deux des
plus grands Roys qui ayent iamais gouuerné le Peuple de
Dieu, Iosaphat & Ezechias, en ont vsé de la sorte, en occasion
pareille. Ils ne se contenterent pas de faire des Edicts pour reformer
les abus de leur Royaume : mais encor ils enuoyerent
par tout des Commissaires extraordinaires, d’vne probité reconuë
& incorruptible, pour les faire executer. Ils ne desisterent
point, que leurs sainctes Ordonnances ne fussent entierement
obseruées. Et cela produisit vn tel effect, qu’vn Estat qui estoit à
la veille de sa ruine, deuint le plus puissant, & le plus florissant
du monde.

Veritablement, MADAME, il faut qu’il y ait quelque chose
de diuin & de surnaturel en nos maux : car s’ils auoient pris
naissance d’vn principe ordinaire, la prudence humaine auroit
peu les preuoit & les preuenir : Ou si elle n’auoit peu ny l’vn ny
l’autre, du moins auroit elle trouué quelque expedient pour les
faire cesser. Mais cela est bien estrange qu’on voie encor multiplier
les mal-heurs, par les mesmes moyens qu’on employe
pour les estouffer. On voit que les remedes ne seruent qu’à irriter
les estouffer. On voit que les remedes ne seruent qu’à irriter
le mal. Les difficultez se sont produites les vnes les autres,
& se sont enueloppées d’autant plus qu’on les a voulu desbroüiller.
Nos desastres ont esté grands dans leur principe, ils l’ont
esté dauantage dans leur progrez, & nous deuons craindre que

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la suitte n’en soit d’autant plus fatale, qu’il est tres-difficile de
la bien connoistre. Le mal est bien extreme, quand il y a esgalement
peril d’en parler & de s’en taire : quand on n’ose ny le descouurir,
ny en proposer le remede.

 

Mais parce, MADAME, que ie parle en Politique Chrestien,
& comme l’vn des plus affectionnés au bon-heur de Vostre
Maiesté, & de l’Estat. Et parce que s’il y a danger à parler, il
yen a incomparablement dauantage à se taire, & que le nombre
des flateurs, fait celuy de nos miseres : Il faut vous dire,
MADAME, auec vne liberté que le temps autorise ; que la necessité
des affaires prescript ; que l’interest du Roy & le Vostre,
& celuy de toute la Frãce ordonne. Il faut vous dire auec plus
de verité que de complaisance, que quand Dieu se veut vãger
d’vn Royaume, & des Sceptres, il permet que ceux qui les administrent
perdent le sens & la raison, & qu’ils prẽnent la nuict
pour le iour, & le iour pour la nuict. Quand il eut arresté & resolu
la destruction du Royaume des Iuifs, ceux qui le gouuernoient,
n’employoient plus pour sa deffense, que ce qui le pouuoit
faire perir. Tous ses Chefs n’auoient plus de clarté, qu’autant
qu’il en falloit pour se precipiter dans les tenebres ; Ils embrassoient
pour moyen de salut, tout ce qui pouuoit procurer
leur perte. La sagesse mesme ne leur seruoit plus qu’à inuenter
des artifices, pour rẽdre leur mal-heur sans ressource. Nous n’osons
pas croire, MADAME, que Dieu nous vueille traitter de
mesme ; Nous auons de trop bons sentimens de sa misericorde,
& de vostre pieté : Mais nous dirons pourtant à Vostre Maiesté,
que nous n’auons peu considerer sans estonnement, que tant
de vœux & de Prieres ayẽt esté inutiles, pour desarmer la cholere
de Dieu & la vostre : Et dans vne cõioncture que toutes les
raisons du monde le faisoient ainsi desirer & esperer ; & dans vn
temps que la tempeste ne cõmençãt qu’à s’esleuer, elle estoit si
facile à coniurer ; Nous n’auons peu considerer sans effroy, que
la meilleure Princesse de l’Vniuers, & la mieux intentionnée,
malgré sa propre inclination, & tant de sages remonstrances :
soit deuenuë si seuere, & contre elle mesme, & contre le Roy
son fils, & contre son Royaume, & contre tout vn Peuple, qui
l’a cherie plus que ses yeux. Et dans vn rencontre où vne action
de cette bonté qui luy est naturelle, pouuoit faire des miracles
pour sa propre reputation, aussi bien que pour celle de cette
Couronne. Ce n’est pas sans fremir que nous auons consideré

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que l’innocence & l’interest du Monarque que Dieu nous a
donné, n’a point esté capable de destourner nos calamitez : &
que les plus mauuais conseils ont tousiours preualu au dessus
des bons. Ce n’est point encore sans espouuente, que nous craignons
qu’à l’aduenir il ne faille appliquer des remedes à nos
maux, qui soient pires que le mal-mesme, manque de les auoir
appliqués, quand il le falloit, quand on le pouuoit, & quand on
le deuoit. Quel conseil, MADAME, d’auoir entrepris de ruiner
Paris, & d’estouffer le Parlement ? Et cela en quel temps,
& sous quel pretexte, & par quels moyens ? Et ce conseil a esté
suiuy, il a esté embrassé, on s’est mis en deuoir de l’executer ;
On a creu mesme qu’il y alloit de la conscience & de l’authorité
Royale, de ne rien épargner pour le faire reüssir ; On en a
fait vn poinct de Religion & d’Estat. Les sçauans & les ignorans
l’ont également applaudy, on a employé le fer & le feu
pour le conduire à chef.

 

O Iugemens de Dieu, que vous estes impenetrables ! Mais
ô abysmes de nos pechez, que vous estes profond, puisque vous
aueuglez de la sorte, puisque vous prouoquez si estrangement
l’abysme de la cholere de Dieu sur nous ! C’est biẽ maintenant,
MADAME, que la France esprouue qu’il est vray, que la prudẽce
humaine est inutile, pour soulager ceux que la Iustice de
Dieu veut affliger. Il est vray ce que dit le S. Esprit, par la bouche
d’vn Prophete, que ceux qui pecheront, auront beau trauailler
à faire des toilles, par ce qu’elles ne les pourrõt couurir :
& les ouurages de leurs mains ne les pourront vestir. Tout ce
qu’ils feront, s’éuanoüyra sans effet, & mesme les cõseils qu’ils.
prendront pour se sauuer, ayderont à les faire perir. Ils semeront
du vent, dit Osée, & ils ne recueilleront que des tẽpestes.

Vn grand Archeuesque de Seuille, disoit autrefois, qu’il
falloit que l’Espagne fust entierement desolee, afin qu’on la
pust entierement reparer. Il falloit, MADAME, que la France
s’accablast elle méme sous le poids de ses propres desordres,
afin qu’elle fust capable de sentir son mal, & de rechercher la
santé. Il falloit qu’il n’y eust aucune partie saine en cette Monarchie,
afin qu’on pensast à vne reformation generale, & que
tout le monde la demandant, il fut impossible de la refuser.
Il falloit qu’elle tombast dans vn estat qui arrachast
les larmes & les sanglots, aussi bien que le sang & la vie à tant
de Peuples ; Il falloit que ne pouuant perir que par ses propres

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forces, elle deuint furieuse, pour s’armer elle mesme contre
elle-mesme : afin d’executer en vn mois de furie, ce que ses
ennemis n’auoient pû faire par les guerres de tant d’annees.
Il falloit que le bourgeois, prist les armes contre le bourgeois,
l’amy contre l’amy, le frere contre le frere : Il falloit en vn coup
de fougue, faire des rauages qui cousteront les regrets de
plus d’vn siecle, & qui seront peut-estre irreparables.

 

Il falloit en fin, qu’apres auoir esté le suiet de la ialousie de
ses plus cruels aduersaires, elle deuint celuy de leur compassion ;
Et il falloit que ces mal-heurs luy arriuassent dans vne
saison qui luy faisoit voir les reuolutions de la Catalogne, les
changemens du Portugal, les sousleuemens de Naples, les attentats
de Constantinople, les horreurs de l’Angleterre, les
Iugemens de Dieu sur les testes couronnees, aussi bien que sur
leurs vassaux.

Il falloit que tout cela arriuast, MADAME, pour nous
aprendre de force, ce que iamais on n’auoit pû nous persuader
par raison : que la Iustice & la Pieté sont les deux Colomnes
des Republiques, qui les conseruent autant qu’elles y sont
conseruées.

L’Escriture saincte, qui est le liure de la vraye Police, que
vostre grand ayeul Charle-quint lisoit tous les iours, & que les
Ministres d’Estat deuroient tousiours auoir, & dans le cœur &
dans la main, ne dit rien plus souuent que cette verité. Iamais
le Peuple de Dieu ne manquoit d’estre accueilly de quelque
insigne mal-heur, quand il auoit commis quelque notable
impieté. Son bon-heur ne duroit pas plus que sa vertu ; la
fin de l’vn estoit celle de l’autre. Dieu l’abandonnoit incontinent
qu’il s’estoit abandonné à l’impieté ; Et sa Iustice qui leur
auoit promis vne felicité proportionnée à leur merite, estoit
tres-exacte à leur enuoyer des chastimens proportionnez à
leurs fautes.

Les Royaumes de Iuda & d’Israël, furent destruits comme
le sel ietté dans l’eau ; incontinent qu’ils destruisirent parmy
eux le seruice de Dieu. Toutes les Monarchies de l’Vniuers
ont esprouué vn sort pareil, quãd elles sont tombées en pareilles
impietez. Quand les Assyriens furent subiuguez par leurs
voluptez & leurs delices, ils le furent aussi par les Chaldeẽs &
les Medes. Incontinent que l’Empire de Babylone diminua en
vertu, il diminua aussi en puissance. Les Perses ne se ietterent

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pas plustost dans la desbauche, que la misere se ietta parmy eux.
Les Grecs, l’Egypte, & l’Idumée, perdirent toute leur prosperité,
quand ils perdirent la pieté : Et ils deuinrent esclaues de
leurs ennemis, aussi-tost qu’ils le furent de leurs vices. C’est
l’accomplissement, MADAME, de cét Oracle du Sainct Esprit,
qui dit que les Couronnes passent d’vne famille à vn autre, à
cause des iniustices, des fourbes & des tromperies. Tous nos
Prophetes qui ont parlé de la part de Dieu, l’ont annoncé de la
sorte : Toutes les Histoires du monde la raportent de mesme.
Toutes les experiences s’accordent en cette verité. Il faut necessairement
qu’vn Royaume perisse, quand il a laissé perir la
Iustice & la Pieté.

 

Nicephore remarque que l’Empereur Phocas employa toutes
les forces & inuentions imaginables, pour mettre en deffence
la ville de Constantinople. Mais ce Prince fut aduerty par
vne voix du Ciel, qu’il perdoit son temps. C’est en vain, ô Empereur,
luy dit cette voix, que tu bastis des murailles, & des bastions ;
esleue-les, si tu peux, ou si tu veux, iusqu’au Ciel, ta ville
ne laissera pas d’estre prise ; parce que toutes tes machines de
guerre ne seruent de rien contre les forces du dehors, quand
les ennemis sont au dedans.

L’Histoire d’Angleterre rapporte, que quand le Ciel voulut
punir cette Isle, il permit qu’Henry VIII. leuast tant d’argent
sur ses Estat, qu’il ne pardonna ny à Monastere, ny à Eglise,
ny à aucun Benefice : Il exigea plus luy seul sur ses subiets,
que tous les Roys ses Predecesseurs n’auoient fait deuant luy
pendant cinq cens ans : Il altera la monnoye, & en fist battre de
tres-mauuais alloy : il haussa le prix de l’or & de l’argent, dont
il tira des profits immenses : Il fist payer la dixiesme & onziesme
partie de tous les cens & rentes ; Il prist deux decimes de
tous les biens mobiles de son Peuple ; Il ordonna encor que
chacun luy payeroit la troisiesme partie de son bien ; Il se saisit
de tous les reuenus des Hospitaux & des Colleges, & mesmes
des deniers destinez pour la deliurance des Ames de Purgatoire.
Et aprés cela son Royaume ne laissoit pas de perir de plus
en plus, parce que ses pechez l’accabloient.

Cela est donc tres-certain, que l’impieté & l’iniustice font
perir les Estats, comme la Iustice & la Pieté les font subsister.
Mais il est aussi trop certain, MADAME, par l’experience d’autant
de personnes qu’il y en a en ce Royaume ; que ces deux

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vertus ont esté bannies absolument du gouuernemẽt de la France.
L’on a desesperé le Peuple par des oppressions qu’on n’eust pas
souffertes en Turquie. On la reduit à paistre l’herbe, & le glã. On
a contraint les femmes à écraser leurs enfans ; & à s’estouffer elles-mesmes.
On a rẽpli les prisons & les cachots de gẽs qui n’estoient
coulpables, que parce qu’ils estoient mal-heureux. La pauureté
qui faisoit leur misere, faisoit encor leur crime. On les a assassinés
& massacrez, parce qu’ils ne donnoient pas l’argẽt qu’ils n’auoient
point, & qu’ils ne pouuoient dõner. L’on a pris les Prestres à la barbe,
lors qu’ils sont venus au secours de leurs Paroissiens, immolez
à la fureur des Fuzeliers & des Partisãs. La vefue & l’orphelin ont
ploré, & il n’y a eu que le Ciel qui les ait escoutez. Ils n’ont point
trouué d’autre Iustice parmy les hõmes, que celle qui pouuoit authoriser
la vexatiõ Leurs sãglots & leurs souspirs pouuoiẽt biẽ les
suffoquer : mais ils ne pouuoiẽt pas toucher les cœurs de ceux qui
exerçoiẽt l’authorité Royale. Que peut-on dire de l’insolẽce que
nos gẽs de guerre ont cõmise dãs les armées ? Ils ont bruslé les Eglises,
rẽuersé les Autels, pollué les vaisseaux sacrez, violé les Religieuses,
saccagé les Monasteres, tué les Religieux, foulé les Reliques
aux pieds, dõné le S. Sacrement aux cheuaux. Ils ont fait ce qu’on
ne peut dire sãs horreur, & que vo9 ne pouuez entẽdre sãs fremir.

 

Il est aisé, MADAME, de iuger comment nous faisons la guerre
parmy les Estrangers, par l’exemple de celle qu’on a faite à Paris,
On a meslé le sang des meres auec le laict des enfans ; On a forcé
les Vierges, & les filles de huictans, iusques dans les Eglises ; On
a foulé le Corps de Iesus-Christ aux pieds ; On a exposé nuds les
prisonniers à la rigueur de l’Hyuer, & à l’opprobre de la nature.
On a fait ce que les Tartares n’auroient pas voulu faire, en l’irruption
d’vn Siege. Et tout cela s’est fait, MADAME, Sous la Regence
de la meilleure Princesse du monde, qui auoit tesmoigné
tant de compassion de la misere de ses subjets, lors qu’elle ne les
pouuoit soulager. Et tout cela se feroit encor à l’aduenir, si Dieu
n’y mettoit la main. Car les hommes qui nous gouuernoient, n’étoient
point disposez de la l’y mettre. Ils auoient dépoüillé tout
sentiment d’humanité, pour nous gouuerner, non plus d’vne façon
humaine, mais d’vne maniere feroce & sauuage.

Nous ne voulons point, MADAME, exaggerer ces desordres,
Nous sçauons que Dieu a donné l’esprit de Religion & de Pieté à
V. M. mais nous pouuons l’asseurer qu’il n’y a iamais eu Royaume
qui n’ayt succombé à quelque notable calamité, quand il a succombé

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à de pareilles abominations. Et nous auons tousiours tenu
pour certain, que Dieu vangeroit tant d’insignes desordres par
quelque insigne chastiment. Il faudroit qu’il c’essast d’estre Dieu,
& d’estre Iuste, pour ne pas soustenir ses propres interests, & ceux
de tant de pauures miserables, qui ne pouuoient plus esperer secours
que de luy seul. La seule impunité de quelques desordres,
beaucoup moindres, a bouleuersé des Estats.

 

Le Roy Achab ayant manqué à faire iustice en la maison de Benadab,
Dieu luy adressa ces effroyables paroles : Parce que tuas
pardõné à vn hõme qui meritoit la mort, tu perdras ta propre vie,
& tu subiras en propre personne la peine que tu luy as espargnee.
Les Politiques Chrestiẽs tienẽt pour certain, MADAME, que les
Royaumes ne perissent point tãt pour les crimes qui s’y commettent,
hõme pour la negligence à les chastier. La Tribu de Bẽiamin
fut destruite par le fer & le feu, parce qu’on n’y auoit pas puny vn
hõme qui auoit abusé d’vne femme. Les Lacedemoniẽs virẽt perir
vne Republique, parce qu’ils auoient laissé impunis ceux qui
auoiẽt violé les filles de Lescedas. La faute de Pâris causa la ruine
de Troye. Et l’on dit que nos anciẽs François saccagerent la ville
de Rome, & desolerent toute l’Italie, d’autant qu’on auoit laisse
eschapper vn ieune garçõ, qui auoit raui la Princesse de Toscane.

C’est assez, MADAME, que la France ait toleré, ou dissimulé, ou
qu’elle n’ait pas chastié les crimes des Frãçois, pour en estre complice.
On fait le mal, quand on ne l’empesche pas, lors qu’õ le peut,
& qu’on le doit. Et Dieu nous a bien aduerty que sa Iustice estoit
preste de nous punir, par les prognostics qui ont paru depuis quelque
tẽps, qui peuuent tenir lieu de prodiges. Le Sainct Sacremẽt
a esté desrobé deux fois en deux Eglises de Paris en vn mesme
mois. Cela marquoit que la necessité ou l’impieté estoit à vne
estrãge extremité. On a forcé la closture du Monastere des Vierges
au milieu de Paris. La saincte Hostie tomba de l’Autel, lors
qu’on celebroit la Messe deuãt Vostre Majesté. On ne parle point
de quantité d’autres accidens qui ont effrayé & surpris les plus
sages, & qui estoient des presages funestes de ce que nous auons
veu du depuis, & de ce que nous craignons de voir en suitte. En
fin quand la mesure est comble, il faut que Dieu frappe son coup.

Il est vray, MADAME, qu’il ne faut que le crime d’vn particulier,
pour attirer des calamitez generales sur vn Estat. Si la faute
d’vn Soldat nõmé Acã fit perir l’armée de Iosué qui estoit vn prince
si Sainct. Si sainct Ambroise remarque que la barque où estoiẽt

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les Apostres, pensa faire naufrage, parce que Iudas estoit dedans. Si
Ionas mit en peril le vaisseau où il estoit ; quoy qu’il y eut peut-estre
plusieurs innocens en la compagnie, que doit on iuger d’vn Royaume,
où il y a tant de criminels, & si peu d’innocens, où mesme la
Vertu a passé pour crime, & le crime pour Vertu ; où l’innocence
a esté en peril, cependant que le vice triomphoit ? Où les gens
de bien ont esté oprimez, cependant que les impies viuoient dans
l’éclat ? Où ceux qui ont voulu prendre le party de Dieu & de la Iustice,
comme les Presidens Barillon, De la Berchere & tant d’autres,
ont esté traittez comme coupables, & ennemis de l’Estat : Parce
qu’ils vouloient par principe de conscience accorder les interests
d’vn Roy Tres-Chrestien, auec ceux de Iesus-Christ, le salut du
Royaume auec celuy du Peuple, & la Religion auec la Police.

 

Il ne faut point dire, MADAME, que les crimes ont peut-estre
esté plus grands dans la France, qu’ils ne sont à present, & que
neantmoins elle s’est maintenuë. Les Amorheens estoient aussi
grands pecheurs du temps d’Abraham, que de celuy de Iosué ; Et
toutesfois ils ne perirent que sous Iosué, & non pas sous Abraham,
parce que leur iniquité n’arriua à son periode, que sous le temps de
ce grand Capitaine. Dieu considere vne Republique comme vn
corps cõposé de plusieurs parties : Il suffit que le peché des particuliers
continuë pour la faire perir, parce que le crime est aussi considerable
en sa quantité qu’en son espece. Le S. Esprit declara à ceux
de Gaza & de Damas, que leur suplice estoit attaché à vn certain
nõbre de pechez ; & que l’vn & l’autre se suiuroiẽt inseparablement.
Quand donc nos fautes seroient moindres que celles de nos ancestres,
ce qu’il ne faut pas entreprendre de iuger, c’est assez d’auoir
rẽply la quantité, que la Iustice de Dieu auoit marquée pour nostre
chastimẽt. Iesus-Christ menaça les Iuifs, qu’ils porteroiẽt la peine
de tous les homicides qu’auoient commis leurs Peres, depuis Abel
iusqu’à Zacharie, d’autant qu’ils les auoient continuez, & qu’imitans
leurs desordres, ils s’estoient rendus complices de leurs fautes.

Il ne faut point dire encore, qu’il y a des Estats plus coulpables
que celuy de France : Car s’ils ne sont punis presentement, ils le seront
en leur temps, quand la mesure sera comble. L’Angleterre l’a
esté, le Portugal, la Catalongne, Naples, la Candie, & tant d’autres
éprouuent maintenant, aussi bien que nous, qu’ils sont aussi loin de
leur guerison, que de leur amendement. En fin la France a comblé
ses iniquitez, & Dieu comble ses suplices. Si nous eussions entendu
la Politique du Ciel, nous aurions bien reconneu que ses verges

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nous menaçoient il y a long-temps : Puisque nos gens de guerre,
qui estoient capables de conquester tout vn monde, ont bien eu de
la peine à conseruer nos frontieres : Puisque nos victoires mesmes
meritoient plus de larmes que de ioye : Puisqu’on se glaçoit au feu
de nos trophées : Puisque les leuées de deniers, qui pouuoient suffire
à achepter toutes les terres de nos ennemis, n’ont pû payer la
monstre de nos soldats ; Puisque pour faire la guerre aux Estrangers,
il l’a premierement fallu faire à nos compatriotes, leur rauissant
& leur substance & leur subsistance ; Puisque sans nous fortifier
beaucoup au dehors, nous nous destruisions au dedans ; Puisqu’en
nous rendans odieux au Estrangers, nous deuenions insupportables
à nous mesmes : Puisque par vne conduitte du tout extraordinaire ;
on ne s’est point soucié d’estouffer l’amour & le respect
de l’authorité Royale dans le cœur des Peuples : quoy que ce
fut la derniere faute qu’on deust iamais faire : Puisqu’en fin on donuoit
sujet à la France de croire, que quelque changement qui pust
succeder, il ne pouuoit estre que tres heureux par comparaison de
l’estat où elle se voyoit ; & qu’il ne luy pouuoit arriuer pis que de
demeurer comme elle estoit : Puisque toutes les Remonstrances
qu’on pouuoit faire pour preuenir ou adoucir nos maux, ne seruoient
qu’à les fomenter & les accroistre.

 

Nous prions Dieu, MADAME, de donner de bons Conseils à
Vostre Maiesté. Nous prions le bon Ange de la France & le vostre,
de vous faire conceuoir, que le mestier du monde le plus perilleux,
c’est celuy de la vengeance, qu’on a voulu exercer sous le
nom de V. M. & sous le vain pretexte de l’authorité blessée. Souuẽt
on trouue la vengeance de Dieu, en cherchant celle des Hommes.
De sages Empereurs ont conserué leurs Couronnes en pardonnãt
ou dissimulant les iniures ; comme les Constantins & les Theodoses :
Et d’autres les ont perduës, pour auoir refusé à contre-temps
vne legere cõdescendance à leurs sujets : Comme le Roy Roboam,
qui risqua dix parties de son Royaume, pour s’opiniastrer à l’opression
de ses Peuples. Nous la prions de pẽser, que les Estats ont leur
periode, aussi bien que le reste des choses ; que le temps present se
monstre fatal sur les Sceptres : & qu’il ne faut quelques fois que la
mauuaise conduite de peu de iours, pour destruire vne Monarchie
de plusieurs siecles. Fasse le Ciel, MADAME, que celle que vous
gouuernez, n’ait point d’autres limites que celles de l’Eternité ;
comme nous desirons que nos respects & nos obeïssances n’ayent
point d’autres bornes pour V. M. que la fin de nostre vie.

FIN.

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