Anonyme [1649], LES GEMISSEMENS DES PEVPLES DE PARIS, SVR L’ÉLOIGNEMENT DV ROY. , françaisRéférence RIM : M0_1475. Cote locale : C_5_27.
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de ces Estres aueugles, auec ce glorieux aduantage, que le
vostre sera conduit par des lumieres & des puissances qui perfectionneront
son action.

 

Vous sçaurez qu’aymer vn miserable c’est le secourir, au moins quand
le pouuoir & la passion se rencontrent ensemble, & que l’vn & l’autre
peuuent agir. Veritablement la passion que nous auons pour vous ne
peut-estre que tres-violente pour estre legitime, vous aymer auec regle
ne seroit pas vous bien aymer. Car il se trouue bien des compassions
veritables sans secours ; mais c’est lors que l’impuissance empesche l’acte
exterieur d’vne volonté tousiours bien faisante en desirs, si ce n’est en
effets. Ah, Sire, vostre bonté que reclame nostre infortune n’a point à
craindre à ce deffaut. Secourez-nous donc, Sire, ayez pitié de nostre
mal-heur. Vous auez le pouuoir de nous bien faire, ayez-en la volonté
que nous vous souhaittons. Outre que nous sommes & seront tousiours
vos suiets, que d’ailleurs nous soyons auec vous d’vne mesme espece, &
que vous nous deuiez ce que nous vous demandons par raison de politique,
& par affection de nature.

Vous sçauez, Sire, combien les pauures sont recommandez en la saincte
Escriture, combien Dieu y promet de recompenses à ceux qui obseruent
ses Commandemens. Voyez, Sire, que nous sommes, quoy que
nous sommes vos suiets, puisque Dieu prend vn tel soin de nous. Tels
toutefois que nous puissions estre, nous ne vous implorons point auec
orgueil.

Plusieurs ont reclamé en vain la mesme grace que nostre desespoir reclame,
& si nous y venons apres eux, ce n’est point la presomption qui
nous y conduit ; Nous essayons de sauuer les riches auec les pauures, afin
que par le salut des membres nous puissions sauuer tout le corps. Vous
sçauez, Sire, que les riches sont nostre richesse, & que s’ils ne viuent, il
nous faut mourir. Leur abondance est la source qui fournit à nostre disette,
qui d’elle-mesme est sterille & ne produit rien. Donnez plustost quelques-vns
de vos precieux soupirs, pour tant de larmes que pour l’amour
de vous nos yeux respandent sans cesse. Iamais les peuples des Poles
ne furent si affligez quant ils ont perdu la lumiere, que nous le sommeil
du depuis que la vostre nous est disparuë. Iamais l’Egypte n’eust de si
tristes iours de tenebres : Astre diuin venez escarter les nuages qui nous
enueloppent. Helas, il n’est point de nuit qui dure tousiours, voulez
vous que la nostre soit eternelle. Ceux qui ont demeuré prés de six
mois dans l’obscurité, attendent auec ioye le Soleil qui leur rapporte infailliblement
la lumiere ; Mais nous attendons vainement, nostre attante
est tousiours trompeuse, nous auons veu l’aurore, Sire, si nous ne
vous auons point encor veu ; Vos Princes sont venus & vous estes demeuré,
faut-il que l’ordre des choses soit ainsi confondu pour nostre
supplice.



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