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« Mazarinades » dans le DGS, par Hubert Carrier

Extrait du Dictionnaire du Grand Siècle, sous la direction de François Bluche, Paris Fayard, 1990, p. 1002.

« MAZARINADES. Le terme de mazarinade est burlesque*. Dans le sens où nous l’employons aujourd’hui, il vient de La Mazarinade lancée par Scarron* contre le ministre en 1651 : La Mazarinade est l’épopée de Mazarin comme l’Iliade est celle d’Ilion, c’est-à-dire une parodie d’épopée, puisque Mazarin* n’est pour Scarron qu’une caricature de ministre. Dès la fin de la Fronde, le mot devient un nom commun synonyme de libelle contre Mazarin ; au XVIIIe siècle, il prend son acception actuelle plus générale de publication politique du temps de la Fronde*, attaquant ou défendant Mazarin, mais aussi tous les autres acteurs du drame, et englobant, outre les textes polémiques proprement dits, des bulletins d’information, des numéros de périodiques, des documents authentiques et des pièces officielles telles qu’actes royaux, lettres et manifestes de grands personnages, arrêts et remontrances de cours souveraines, etc. Les bibliographes ont recensé un peu plus de cinq mille mazarinades imprimées, tant à Paris que dans les provinces, entre le 13 mai 1648 et le 31 juillet 1653 ; celles qui sont restées manuscrites ne dépassent pas quelques centaines. Les neuf dixièmes de celles qui portent un lieu d’impression sont parisiennes ; le reste se partage entre les trois villes où la Fronde a été le plus active, Rouen, Aix-en-Provence et surtout Bordeaux ; quelques dizaines ont été imprimées à l’étranger, principalement aux Pays-Bas et en Italie. Quant à leur tendance politique, environ dix-huit cents d’entre elles émanent de la « vieille Fronde », et elles ont paru essentiellement en 1648-1649, pendant la Fronde parlementaire ; dix-neuf cent cinquante, publiées de 1650 à 1652, viennent du parti des princes ; environ six cents, en comptant les actes royaux, sont des pièces gouvernementales ; plus de huit cents n’appartiennent à aucun de ces trois partis ou sont peu politisées. Écrasant déséquilibre : au total, plus de quatre mille publications hostiles à la cour ; que pouvaient peser, en face de cette marée, les six cents pièces qui en émanaient ? Un millier environ de libelles pour les dix années de la Ligue* (1585-1594) ; mais deux mille mazarinades pour la seule année 1649, celle du blocus de Paris ; extraordinaire explosion qui constitue un phénomène unique dans l’histoire de la presse sous l’ancien régime. Plus de cinq mille brochures imprimées en cinq ans, provenant de tous les partis, de tous les milieux, de toutes les couches de la société française, traitant de tous les problèmes – non seulement politiques et économiques, mais encore moraux, religieux, sociaux –, et s’adressant à toutes les catégories de lecteurs : brève et passionnante incandescence entre le silence imposé à la presse par Richelieu* et son musellement définitif sous le règne du Grand Roi. Les raisons de cette explosion sont d’abord politiques : il y a eu, avec l’accession de Mazarin au ministère, un relâchement de l’autorité, d’ailleurs traditionnel pendant une régence*, et cet affaiblissement de l’autorité coïncide avec une vague de mécontentement sans précédent (cf. le mot Fronde*) ; d’autre part, le cardinal, qui méprisait les libelles, a négligé de les réprimer, du moins jusqu’à son premier exil en 1651, d’autant que la répression en était très difficile et souvent inefficace. Elles sont aussi économiques : dans une période de marasme de l’édition, toutes les petites imprimeries (les deux tiers des ateliers parisiens) ne vivent que de l’impression de factums* et de « feuilles volantes », qui n’exigeaient qu’une mise de fonds minime (le prix du papier et le coût d’une journée de typographe pour la composition et le tirage à un millier d’exemplaires d’un libelle de 8 pages, cas le plus fréquent) et dont la rentabilité était immédiate. Elles sont enfin littéraires : la Fronde coïncidant avec l’apogée de la mode burlesque, plus d’un quart des Mazarinades, soit environ 1300 pièces, relèvent de ce style, certaines présentent même une double version, en prose d’abord, en octosyllabes burlesques ensuite, comme le fameux Courrier français du temps du blocus. D’autre part, il n’est guère de bonne plume qui ne se soit alors lancée dans la polémique ou exercée à la satire : non seulement Retz* et La Rochefoucauld*, Saint-Évremond* et Sarasin*, Balzac* et Saint-Amant*, Cyrano* et Scarron, Marigny et Blot, Tristan l’Hermite* et Bussy-Rabutin*, mais encore des écrivains de second rang : Claude Joly*, Louis Machon, Patru*, Vulson de la Colombière, Mathieu de Morgues du côté des frondeurs ; Silhon, Naudé*, Colletet, Benserade*, Boisrobert* en faveur du cardinal ; et aussi quelques indépendants, comme Godeau* et Arnauld d’Andilly*. Qui lisait ces libelles ? D’après les provenances des collections anciennes, les registres d’un libraire et les indications données par les contemporains eux-mêmes dans leurs mémoires ou leurs correspondances, les acheteurs les plus réguliers étaient les ecclésiastiques et les officiers, et d’une façon plus générale les clercs ; mais les gentilshommes, les marchands et le menu peuple lisaient aussi ces pamphlets, qui touchaient ainsi la totalité de la population. L’intérêt des Mazarinades pour le lecteur d’aujourd’hui est à la fois historique et littéraire. De toutes les mutations survenues dans les mentalités et dans les structures de la société française à la charnière du siècle, elles apportent à l’historien un témoignage précieux par sa richesse et sa diversité, et plus encore parce qu’il est donné « à chaud » et qu’il intervient en pleine crise. Vaste panorama des idées en même temps que fresque immense des milieux sociaux et des mœurs, les Mazarinades montrent bien entre quelles tentations et quels espoirs étaient partagés les contemporains, entre quelles solutions ils hésitaient pour résoudre les problèmes de tous ordres auxquels ils se trouvaient confrontés, quelles pesanteurs et quels obstacles ralentissaient le passage d’un État rudimentaire, comme était encore le royaume de Henri IV*, à la France moderne, organisée et puissante de Louis XIV. D’un autre point de vue, les principaux courants entre lesquels se partage notre littérature pré-classique – le romanesque, le baroque, le burlesque, et tout le maniérisme qui a préludé à la préciosité* proprement dite – ont laissé dans les Mazarinades des traces (thèmes, motifs, images) ou suscité des formes qui intéressent l’histoire littéraire ; le burlesque surtout, qui se prêtait si bien à toutes les nuances de raillerie et de sarcasme, a inspiré quelques-uns des plus remarquables libelles et les chansons les plus spirituelles. Sur l’évolution des genres littéraires aussi et sur le goût du public, les Mazarinades apportent mainte indication précieuse ; par la multiplicité de leurs formes, la variété de leurs styles et la diversité de leurs genres, elles portent témoignage de la vitalité de notre littérature à la veille du classicisme*, et par l’immense corpus qu’elles constituent, elles donnent une idée précise et nuancée de l’univers culturel de cette génération médiane du Grand Siècle. »

 

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