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Lecture autour de « Mazarinades et territoires »

Pour mieux cerner les notions d’espace, de territoire, de juridiction, etc., à l’époque de la Fronde, voici quelques paragraphes extraits de l’ouvrage de Christophe Blanquie, Les institutions de la France des Bourbons (1589-1789), Paris, Belin, 2003, 243 p. (droits réservés)

b. La perception de l’espace (p. 112-113)

« En découvrant les proverbiales complexités de la justice royale chez les dramaturges (Les Plaideurs de Racine) et les romanciers (Le Roman bourgeois de Furetière) dont elles ont excité la verve, nous oublions que son organisation est tributaire d’une conception de l’espace sans rapport avec la nôtre. Pour connaître le ressort d’une juridiction, l’homme de la France moderne ne trace pas une carte, il dresse une liste de seigneuries, de villes et de paroisses. C’est pourquoi « la carte des coutumes dessinée par la volonté populaire est plus cohérente que celle des sénéchaussées » (Anne Zink).

Les cartes géographiques deviennent plus fréquentes au XVIIIe siècle sans modifier la perception de l’espace : l’organisation des droits et devoirs reste tributaire des usages féodaux. Les progrès de l’autorité royale au XVIIe siècle prolongent l’écartèlement des communautés entre pôles de pouvoir royaux, ecclésiastiques et seigneuriaux. Le réseau des élections et des recettes, celui des bailliages et sénéchaussées se superposent mal. La justice elle-même témoigne d’arbitrages anciens : les appels de la prévôté royale de Limoges se relèvent non à la sénéchaussée de cette ville mais au siège d’appeaux [d’appels] de Ségur, à son tour soumis à la sénéchaussée de Limoges.

La diversité des juridictions prolonge la diversité des normes applicables que les juristes nomment le pluralisme juridique. Une telle situation peut dérouter l’homme du XXIe siècle, elle n’en est pas moins tout à fait conforme aux façons de penser de l’homme des XVIIe et XVIIIe siècles, à son outillage intellectuel, et le roi s’en accommode parce qu’il y trouve son compte aussi bien que ses sujets. »

c. La diversité des justices royales (p. 114-115)

« Pour les juristes, la justice émane du roi. Ce principe suggère une image précise mais erronée du développement de l’appareil judiciaire au fur et à mesure de l’affirmation du pouvoir royal. Les historiens le soulignent volontiers, les représentants du pouvoir royal ont fait de la justice l’un des instruments de cette reconquête. cependant, cette affirmation ne s’est pas opérée par des démembrements successifs des institutions centrales : le souverain n’a pas créé les bailliages et sénéchaussées pour rapprocher sa justice des sujets, avant d’implanter les prévôtés en subdivisant les bailliages. En revanche, les bailliages ou sénéchaussées ont pu être démembrés, le titre du bailli ou du sénéchal de la plus ancienne conservant quelque chose de son ancienne supériorité : la sénéchaussée qui a son siège à Angers reste celle d’Anjou malgré le démembrement de celles de La Flêche par Henri IV en 1595, puis de Château-Gontier par Louis XIII en 1639, dont les officiers exercent sur leur ressort des compétences identiques à celles de leurs homologues de la capitale de la province.

Les sièges établis autour des baillis et sénéchaux se sont superposés aux justices locales. La procédure est ensuite venue hiérarchiser deux niveaux de juridictions qui s’étaient constitués séparément. Cependant, la hiérarchie reste imparfaite parce que les bailliages et sénéchaussées sont antérieurs aux parlements et que les prévôtés forment un niveau juridictionnel dont les bailliages et sénéchaussées ne recoupent pas exactement la structure. La perception encore féodale de l’espace rend compte de la plupart des chevauchements. Elle explique aussi que les prévôts conservent des attributions sur lesquelles les bailliages et les sénéchaussées ne peuvent pas empiéter. La distinction de leur juridiction respective s’opère également suivant un critère social : la sénéchaussée connaît des cas des nobles et privilégiés, la prévôté de ceux des roturiers.

La justice royale n’est pas homogène. Elle en est mieux adaptée à la diversité des droits applicables car à la traditionnelle opposition entre pays de droit romain, au sud du royaume, et pays de droit coutumier, au nord, il faut en effet ajouter des zones où s’appliquent deux coutumes, ces frontières intérieures formant de véritables « Marches ». Tel est le cas de paroisses voisines de la limite sud du ressort du présidial d’Angers, qui relèvent également du présidial de Poitiers. Un édit de juillet 1639 peut le constater, « la liberté qu’ils ont de se pourvoir à celuy des deux présidiaux d’Angers et de Poitiers que bon leur semble, les engage journellement à des conflits de jurisdiction qui rendent les procez immortels ». Cette compétence partagée est un héritage de la période médiévale : afin d’éviter d’assoupir d’incessants conflits de frontières, les comtes de ces deux provinces avaient admis la formation d’une zone tampon où s’effectue la transition entre les deux seigneuries. Il arrive cependant que la seigneurie soit partagée mais qu’une seule coutume s’applique ou, au contraire, qu’une communauté ne relève que d’un comté mais connaisse les deux coutumes. […] »

b. Le témoignage des préséances (p. 116-117)

« Les préséances conservent la trace des chevauchements entre niveaux de juridiction. Les baillis et sénéchaux, ou leurs lieutenants généraux ont un banc dans le parlement dont ils dépendent et y assistent à des audiences solennelles. Les prévôts et viguiers prennent séance aux audiences des bailliages et sénéchaussées entre les chefs des compagnies et les conseillers. Le rang des magistrats se donne à voir dans les auditoires des juridictions mais aussi dans les cérémonies publiques comme dans les réunions privées. Un office est « dignité avec fonction publique » assure Charles Loyseau (1564-1627). La dignité va au-delà du caractère honorable des fonctions du prévôt ou du conseiller du présidial, elle justifie le respect que chacun porte à celui qui assure ès qualités des responsabilités dans la vie publique. Les magistrats exercent en effet leur autorité sur les corps de ville qui doivent présenter les comptes de leur gestion dans les assemblées que préside le prévôt ou le lieutenant général de la sénéchaussée qui détiennent un véritable pouvoir de police et contrôlent les métiers et leurs corporations.

La dignité dont son revêtus les magistrats constitue l’un des principaux attraits de leurs offices. Elle explique pourquoi ils continuent à être recherchés en dépit de leur faible rentabilité et même quelque temps après que la multiplication des taxes a commencé à entamer les revenus du reste du patrimoine des officiers. Le produit de ces offices comporte trois composantes. Les gages, d’abord, sont versés par le roi, irrégulièrement souvent, et toujours tardivement. Les épices (les émoluments versés par les justiciables), ensuite, complètent les gages en proportion de l’activité des magistrats. L’honneur, enfin, ne constitue pas le moindre profit des offices et les prérogatives attachées à une charge justifient qu’elle reste recherchée en dépit de la médiocrité voire de l’inexistence des revenus qu’elle procure à son titulaire. »

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